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Création de la Police républicaine au Bénin: Le défi de la police communautaire et de la territorialisation de la sécurité publique (Quelle place pour les collectivités locales ?)
Publié le mercredi 23 aout 2017  |  La Nation
Ecole
© Autre presse par DR
Ecole nationale de la Police




La salle du peuple du Palais de la République a abrité dans l'après-midi du mardi 18 juillet 2017, la cérémonie de remise du rapport de la Commission d’étude sur la création de la Force unique de Sécurité intérieure qui sera opérationnelle dès le 1er janvier 2018. Alors que la France annonce le retour de la police de proximité, la commission Hessou a bien fait de mettre l’accent sur la police communautaire dans son rapport. Reste que le Gouvernement et son chef tiennent compte de cette dimension en mettant un accent particulier sur une police en phase avec les communautés qu’elle veut protéger.

La commission Hessou a suggéré que la Police républicaine adopte le modèle de police communautaire qui vise à établir des partenariats stratégiques avec la population en vue de réduire la criminalité, en s’attaquant à ses causes réelles afin de trouver des solutions viables et permanentes. Partout dans le monde libre, la Police est d’abord et avant tout une police de proximité, une police communautaire qui s’inscrit dans une stratégie de territorialisation de la sécurité publique.
Le Bénin, au temps du président Mathieu Kérékou 2, a été reconnu comme le deuxième pays le plus sécurisé de l’Afrique, juste derrière la Tunisie. Mais de nos jours, cette prouesse d’antan semble une chimère, un vœu pieux. Différentes stratégies ont été expérimentées par les autorités qui ont eu la charge de déterminer et de conduire la politique sécuritaire du pays. Au finish, le concept de collaboration a été retenu et plus tard, celui de la police de proximité en est sorti. « Avec le caractère multidimensionnel et multidisciplinaire de la question sécuritaire, il s’avère nécessaire que les citoyens, principaux bénéficiaires de la sécurité, contribuent à sa production en aidant les forces de sécurité publique par des informations sur les faits et gestes criminels, renseignent notamment sur les individus suspects nichés dans leurs environnements, tout en évitant eux-mêmes les comportements à risque », soulignait le ministre Benoît Dègla en son temps.

La collaboration citoyens-forces de l’ordre: les prémices d’une police communautaire

Le défi aujourd’hui est d’organiser les élus locaux et les citoyens à divers niveaux afin qu’ils contribuent, aux côtés des forces de sécurité publique, à offrir à la communauté nationale un niveau de sécurité digne des pays les plus paisibles de la planète.
Tout comme il est difficile à un médecin de soigner un malade qui ne se conforme pas aux prescriptions médicales, il est aussi difficile de sécuriser un citoyen qui se met régulièrement en danger ou qui est passif et indifférent aux faits et gestes criminogènes « alertes» dans son environnement. Il est donc nécessaire de sensibiliser méthodiquement les citoyens sur trois aspects de la sécurité publique qui leur incombent.
Le premier aspect est la connaissance des comportements à risque afin de les éviter. Lorsqu’un citoyen transporte des millions de francs Cfa jusqu’à son domicile, il y transporte également des risques d’insécurité. Aujourd’hui, les dessous de plusieurs enquêtes ont révélé que même des enfants et des proches parents des victimes ont été complices des malfrats. En effet, l’entourage douteux signale aux braqueurs et aux individus malintentionnés l’existence de fortes sommes d’argent dans la maison ou le véhicule de leurs parents, les mettant en insécurité, dans l’espoir d’un retour sur le butin. Or, tout braquage à main armée comporte des risques d’atteinte à la vie humaine. Le manuel sur la participation des acteurs civils au renforcement de la sécurité publique s’est efforcé à énumérer certains comportements à risque que tout citoyen devrait éviter. Les dix commandements sécuritaires du citoyen évoquent également ces éléments de base qui ont été largement diffusés par le ministère de l’Intérieur il y a quelques années.
Le second aspect de la contribution du citoyen à la sécurité est relatif à la vigilance qu’il doit développer envers tout fait suspect et tout individu suspect. Il devra ainsi porter à l’attention des autorités administratives et surtout sécuritaires ces éléments d’information. Le hasard étant rare en matière de fait d’insécurité, les malfrats s’efforcent de faire ce que les flics appellent le repérage. Ainsi, les habitués des polars constatent que les premiers enquêteurs sur les lieux d’un forfait demandent aux victimes et au voisinage « s’ils n’ont rien observé d’inhabituel les jours précédant le crime». Dans les pays développés, les caméras de surveillance dans les grandes villes sont épluchées afin d’identifier des individus suspects. Le citoyen doit cultiver le réflexe de pouvoir observer sans effort les faits et les individus inhabituels de son environnement. Alerter les forces de sécurité publique (Police et Gendarmerie) serait une action préventive et donc une préservation de la sécurité.
Le troisième et dernier aspect de la contribution des acteurs civils au renforcement de la sécurité publique est la collaboration avec les forces de sécurité publique. Cette collaboration peut être suscitée par les forces de sécurité publique à titre préventif ou répressif, mais elle peut être également déclenchée par le citoyen en guise d’alerte. Ce partenariat dynamique entre acteurs civils et forces de l’ordre est déterminant pour une sécurité proactive.
Mais, il faudrait aller plus loin en posant les véritables bases d’une police républicaine de proximité.

Les enjeux d’une police communautaire

En France, l’objectif principal poursuivi par la création de la police de proximité réside essentiellement dans la volonté du pouvoir politique de juguler le sentiment d’insécurité, de prévenir et de réduire la délinquance, à travers une image plus proche et plus rassurante de la Police. D’où l’idée de transformer l’image de la police afin de favoriser ses rapports avec la population au plus près et comme le dit le sociologue Sébastien Roché, de faciliter le « vivre ensemble ». Selon l’inspecteur général de Police, Osseni Maïga Anki Dosso, la police de proximité repose fondamentalement sur trois piliers qui sont : la prévention, la proximité dans le mode d’intervention et la coopération qui implique un partenariat entre autorités locales, nationales, le secteur privé et associatif. Pour ce général de Police à la retraite, « La police de proximité n’est pas seulement une politique de territorialisation, c’est une police qui est à la fois préventive, dissuasive et répressive. A cet égard, elle exerce pleinement ses prérogatives de police judiciaire, participe aux renseignements, met en œuvre les outils de la police scientifique et technique.
Par ailleurs, le développement de la police de proximité vise à substituer à une police essentiellement réactive et mobilisée sur des missions de maintien de l’ordre, une police proactive, plus proche et plus à l’image de la population et dès lors, capable d’apporter des réponses satisfaisantes aux attentes des habitants en matière de sécurité par la mobilisation de toutes les possibilités de la prévention, de la dissuasion comme de la répression. En réalité, l’utilisation de la force publique ne doit se faire que lorsque la prévention et la dissuasion ont échoué ».
Aujourd’hui, la France retourne à la police de proximité à l'image des pays bien sécurisés comme le Canada. Le Bénin doit s’approprier le concept et lui donner le contenu qui sied à ses réalités car, d’un pays à l’autre, les sensibilités et les mentalités ne sont pas les mêmes, même si le fond reste similaire. Il faut passer d’un policier commis de l’Etat, professionnel de la sécurité, qui baigne dans une stratégie formulée par sa hiérarchie ou son haut commandement, qu’il vient appliquer envers et contre tous. Or, selon le professeur de législations pénales Pierre-Henri Bolle de l’Université de Neuchâtel (Suisse), « L’objectif final de la police communautaire ou de proximité est un véritable partenariat entre la police et la communauté pour résoudre la criminalité, mais aussi, de façon plus générale, pour répondre aux problèmes complexes du contrôle social ».
Les travaux préliminaire sur la police de proximité initiés par le Ministère de l’Intérieur du Bénin en 2013 avec l’appui de la coopération allemande à travers la Fondation Hanns Seidel, la police de proximité vise à donner une nouvelle perception de la police aux citoyens et une nouvelle perception des citoyens à la police, de sorte que les barrières tombent pour un vrai partenariat et que la police puisse garantir les droits humains, même en cas de répression.
Toujours selon l’universitaire Pierre-Henri Bolle dont les travaux inspirent largement cette partie de la réflexion, l’expérience des Etats-Unis et du Canada restent édifiants. La police de proximité cohabite avec la “police professionnelle”, caractérisée, sur le front des opérations, par l’intervention de patrouilles motorisées, considérées comme un moyen de dissuasion des criminels potentiels, et par l’intervention rapide en réponse aux appels reçus du public.
- Premièrement, la police de proximité fait des forces de l’ordre des gardiens et des agents de la paix. Les policiers ne sont plus simplement des représentants des forces de l’ordre chargés de faire échec aux infractions. En cela, ils apparaissent comme des membres de la population payés pour s’occuper, à plein temps, dans l’intérêt du bien-être commun, des tâches qui incombent autant à chaque citoyen ;
- Deuxièmement, la police adopte une stratégie de consultation constante de la communauté. Cela permet d’établir des programmes d’action parfaitement adaptés à chaque localité et aux besoins d’intérêt local. Cette démarche diffère du modèle traditionnel, en vertu duquel les relations entre la police et la communauté sont établies dans ses bureaux au quartier général et appliquées par des agents aux ordres, qui exécutent avant de réclamer.
- Troisièmement, la police adopte une attitude proactive : au lieu d’attendre passivement les appels ou d’effectuer des patrouilles au hasard, la police prévoit, anticipe, en cernant les problèmes du crime et du désordre au niveau local. A cette fin, elle fait appel à la participation de la population, de la communauté locale. La surveillance s’effectue en partie par l’analyse des tendances révélées par les demandes au niveau local, au lieu de traiter chaque incident comme un dossier distinct, que l’on ferme lorsque l’affaire est élucidée. Pour ce faire, la police a recourts à tous les moyens susceptibles d’accroître et d’améliorer les contacts avec la population, par exemple le zonage, les patrouilles de quartier à pied, l’affectation d’agents à des secteurs précis, l’îlotage, les mini-postes et les bureaux de police d’accès facile. A cet effet, lors d’une mission effectuée en Chine en 2015 par une délégation de communicateurs béninois, nous avons pu observer l’usage par la ville de Pékin des postes de police de proximité logés dans des conteneurs aménagés et climatisés. Dotés de caméra de surveillance, ces postes de proximité permettent un rapport décomplexé entre la police et les citoyens. Ce dispositif, bien sûr, se combine avec ceux d’intervention rapide, utilisés traditionnellement par la police béninoise.
- Quatrièment, la police développe toutes formes de coopération avec les autres organismes de la société, ce que nous appelons les acteurs civils de la sécurité publique. Le travail initialement fait au ministère de l’Intérieur, de la Sécurité publique et des cultes prévoit de les regrouper dans un dispositif local appelé Comité local de sécurité. La composition pertinente de ces comités locaux témoigne de l’ambition qui a conduit à cette expérience.
En effet, l’intervention des différentes composantes de la société reste nécessaire, puisque la Police ne peut pas être partout à la fois et qu’il est impossible d’affecter un agent à une personne ou à une famille. Au Bénin, on parle des élus locaux, de la chefferie traditionnelle, des sociétés privées de gardiennage, des confessions religieuses, des opérateurs hôteliers et touristiques, des transporteurs… Ailleurs, on parle des services sociaux, de lutte contre le chômage, de l’instruction publique et de la formation professionnelle, de l’amélioration du logement et les services sanitaires.
Cinquièment, la conception communautaire de la police de proximité permet d’élaborer des tactiques visant à réduire la peur du crime. Il appartient alors à la police de veiller à ce que ces “groupes ou personnes vulnérables, ou qui se considèrent comme tels”, de prendre des “mesures utiles de prévention du crime”, en collaboration avec elle, et “profitent ainsi d’un environnement plus sûr”.

Territorialiser la sécurité publique au Bénin

Quand bien même les lois sur la décentralisation prévoient une territorialisation de la sécurité publique en conférant au maire, au chef d’arrondissement et au chef de quartier de ville et de village des compétences en matière de sécurité et de police administrative, la culture du centralisme chez les forces de l’ordre et les autorités préfectorales étouffe toute volonté d’agir localement en matière de sécurité publique. Or, qui mieux que le maire, le conseil communal et les organes infra-communaux peuvent prévenir la délinquance et soutenir efficacement l’action des forces de l’ordre ? Aujourd’hui, il est difficile aux communes qui en ont les moyens de se doter d’une police municipale. D’où la nécessité de créer et d’entretenir une synergie locale de sécurité.
La ville de Paris est un modèle réussi de territorialisation de la sécurité publique quand bien même elle reste très loin des expériences américaines, canadiennes, allemandes et suisses. Ce qui montre bien que les pays bien décentralisés sont, en plus d’être les mieux développés et les plus stables, les plus sécurisés.
Le modèle parisien passe par le Contrat local de sécurité (contrat parisien de prévention et de sécurité dont la dernière version couvre la période 2015-2020), qui intègre tous les acteurs, leur rôle, leur responsabilité et les actions à mener, de même que les moyens à mobiliser. Au Bénin, nous parlons plutôt de Plan local de sécurité déjà réalisé dans certaines communes avec l’appui de l’Agence béninoise de gestion intégrée des espaces frontaliers (Abegief). Les Plans locaux de sécurité (Pls), c’est la forme béninoise des Contrats locaux de sécurité en France. Il s’agit d’une stratégie territoriale de sécurité et de prévention de la délinquance. Dans une brillante communication du Docteur Marcel Ayité Baglo, directeur général de l’Abegief, à l’une des séances de constitution des Cls, le Pls a été largement présenté. « Un plan local de sécurité part du postulat que la sécurité est l’affaire de tous. Pour son efficacité, il exige un décloisonnement des relations entre les différents corps des Forces de sécurité d’une part, et entre celles-ci, l’appareil judiciaire, les administrations décentralisées et déconcentrées ainsi que les organisations de la Société civile locale, d’autre part. Pour cela, le pan local de sécurité demande une mobilisation et un engagement de l’ensemble de la société locale qu’elle soit civile, para militaire ou militaire. Un plan local de sécurité est à la fois un outil de prévention et de gestion de l’insécurité. Il est en même temps un référentiel d’éducation à la paix, à l’ordre public et au respect des droits de l’homme et du citoyen. C’est un précieux document qui doit être élaboré à partir des problèmes sécuritaires spécifiques à chaque type de territoire. D’où l’exigence d’un diagnostic global de sécurité du territoire local concerné ». L’existence de ces Pls élaborés en synergie avec tous les acteurs concernés par la sécurité publique dans le ressort territorial de la commune et validé par le Conseil communal est l’étape indispensable pour asseoir les bases d’une sécurité publique efficace et durable. La sécurité des citoyens dans leur vie quotidienne et la tranquillité publique ne peuvent pas être assurées de façon durable sans une action prospective, collective et coordonnée portant à la fois sur la prévention, la sanction et l'éducation civique. Pour organiser cette coopération, le maire doit centraliser les préoccupations de ses concitoyens et leurs attentes et engager son Conseil dans cette action, car sans la sécurité, aucun des enjeux de la décentralisation ne sera atteint. De même, les gestes de chacun concourent à la sécurité de tous.
Dans cette vision, il est nécessaire d’inclure une instance citoyenne comme les comités consultatifs de sécurité, les leaders communautaires de sécurité ou les comités locaux de sécurité, expérience abandonnée à tort par les pouvoirs publics au Bénin.
Le concept de Comité local de sécurité est né ou remis en vigueur lors du Forum national sur la contribution des acteurs civils au renforcement de la sécurité publique tenu le 20 décembre 2011 à Cotonou. Le Comité local de sécurité est un contrat local de sécurité établi par l’ensemble des acteurs dans les champs de la prévention et de la sécurité sur un territoire donné. Il peut être établi au niveau d’une commune, d’un arrondissement, d’un quartier de ville ou d’un village. Il s’intègre à l’action publique territoriale en matière de sécurité et participe à la politique de sécurité intérieure. C’est un cadre de concertation et d’échange entre les forces de sécurité publique et les représentants des différentes couches socio professionnelles. L’objectif du Cls est de rendre plus performantes la police et la gendarmerie nationales et d’améliorer la prévention et la dissuasion du crime et de toute autre forme de délinquance. Le Cls contribue à assurer la veille sécuritaire permanente des localités, recueillir les informations, les communiquer aux forces de sécurité et dénoncer les faits d’insécurité dans les localités. Pour ce qui concerne leurs attributions, les Cls devraient diagnostiquer les problèmes de sécurité de la localité et proposer des solutions, sensibiliser les populations sur les problèmes de sécurité de la localité et organiser ensemble avec les forces de sécurité la prévention et la dissuasion en amont de la délinquance. Les Cls, sous diverses formes, existent dans les pays développés et en Afrique et ont donné lieu à des Plans locaux de sécurité dont ils sont partie intégrante.
Les réformes du système de sécurité initiées à juste titre par le chef de l’Etat, le président Patrice Talon, doivent intégrer cette dimension communautaire et territoriale. La commune reste un démembrement de l’Etat et les élus locaux des représentants de l’Etat. Ne pas s’appuyer sur ces entités territoriales, à l’heure du local, voue à l’échec toute réforme du Gouvernement, même dans le domaine de la sécurité publique ou intérieure.

Par Franck S. KINNINVO
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