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Réformes dans le secteur de la santé au Bénin : Dr Louis Koukpemedji décrypte la création de l’ARS
Publié le jeudi 7 septembre 2017  |  Matin libre
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© Autre presse par DR
Dr Louis Koukpemedji




La création de l’Autorité de régulation de la santé (ARS) est l’une des propositions faites par la Commission techniques des réformes et approuvées par le Gouvernement de la Rupture. Si le collectif des syndicats du secteur de la santé a effectivement mis à exécution sa menace de cessation de travail dans nos centres de santé et hôpitaux pour, entre autres revendications, exiger la publication du rapport de la Commission, Dr Louis Koukpemedji, Président du Syndicat indépendant des pharmaciens du Bénin (Siphab) se propose de faire la radiographie des propositions de la commission des réformes du secteur de la santé. Dans le premier numéro de ce décorticage, il aborde la création de l’Autorité de régulation de la santé. Lisez plutôt !

Radiographie des propositions de la commission des réformes du secteur de la santé : Fiche N°1

Mon souci est de contribuer en toute objectivité au débat en cours, un débat hautement technique mais qui ne doit écarter ni ignorer l’avis d’aucune partie prenante, y compris celui des usagers des services de soins. C’est sur ce registre que s’inscrit cette série de publications, celle d’aujourd’hui portera sur la *radiographie des nouvelles structures de gouvernance* proposées par la commission technique des réformes (CTR). Les nouvelles structures proposées sont au nombre de *trois (03).* Il s’agit de:

- L’autorité de régulation de la santé (ARS),
- Le conseil national des soins de santé primaires (CNSSP),
- Le conseil national de la médecine hospitalière (CNMH).

Chacune de ces structures est dotée d’un secrétariat exécutif et de commissions techniques ad’hoc dont le nombre varie selon la structure et les missions.

La fiche N°1 va s’appesantir uniquement sur la proposition de création de l’ARS c’est-à-dire *l’autorité de régulation de la santé (ARS).*

La pertinence de la création d’une telle autorité n’est plus à démontrer, au regard des dysfonctionnements qui minent aujourd’hui notre système sanitaire. C’est d’ailleurs l’une des recommandations fortes de la commission Alidou KOUSSÉ, recommandation validée par le conseil des ministres en sa séance extraordinaire du 30 octobre 2013, et qui a instruit le ministre de la santé à travailler à la mise en place de l’autorité de régulation de la santé. (cf relevé N°22 extra du CM du 30/10/2013). Malheureusement, la mise en place de cet organe n’a jamais connu un début d’exécution jusqu’au départ du précédent régime. Il faut rappeler que la commission Alidou KOUSSÉ a été mise en place en mars 2013 par décret du président de la république, dans le dossier d’installation d’une société de distribution de médicaments, dossier qui a opposé le ministère de la santé et l’ordre national des pharmaciens du Bénin et qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive et dont les séquelles sur le secteur pharmaceutique restent encore perceptibles. La commission KOUSSÉ avait déjà conclu que l’existence d’une autorité de régulation dans le secteur de la santé contribuerait à prévenir de tel conflit. Donc, que les travaux de la CTR aboutissent à la proposition de la création d’une telle autorité, n’est que la satisfaction d’un réel besoin. Cependant, une analyse minutieuse et détaillée des propositions de la CTR sur ce sujet révèle *quelques insuffisances* qu’il importe de souligner d’un trait rouge.

D’abord le *statut juridique et l’encrage institutionnel de l’ARS*.

Si les missions de l’ARS me paraissent clairement définies et ne souffrent d’aucune ambiguïté, son statut et son encrage institutionnel semblent poser un véritable problème qui risque de plomber les bonnes intentions qui lui sont attribuées. Il me semble d’ailleurs que c’est l’un des points d’achoppement qui nourrissent la méfiance des syndicats vis-à-vis de la réforme.

L’ARS est un *organe indépendant à caractère technique et scientifique*. Ses avis techniques et impartiaux doivent éclairer la prise de décision. Elle ne doit subir aucune influence extérieure ni de la part des politiques, ni des acteurs. Elle est au service de la science, des normes et de l’intérêt général. Elle doit être indépendante et jouir d’une autonome financière.

En un mot, on peut penser que l’ARS est pour le secteur de la santé ce qu’est la HAAC pour le secteur de la communication et de l’information. Malheureusement, en proposant de rattacher une telle autorité à la *présidence de la république* (institution éminemment politique), la CTR brise le coeur de l’ARS et lui colle une étiquette politique à la peau. Une thérapie en totale contradiction avec le diagnostic fait par la CTR elle-même, à savoir que le secteur de la santé est *hautement politisé* au Bénin et qu’il faille le dépolitiser.
Ensuite, *la composition de l’ARS* telle que proposée par la commission constitue sa deuxième grande insuffisance.

En effet, un collège de *onze (11) membres* dont *huit (08) élus par les pairs et trois (03) désignés par le président de la république.

Outre les conditions d’ancienneté professionnelle et de probité, somme toute nécessaires pour l’envergure et les missions d’un tel organe, la CTR précise que les différents membres *doivent provenir du *secteur public* et que l’organe doit être présidé par un *hospitalo-universitaire.* Le diable est dans le détail dit-on. Disons-le d’emblée. En matière de santé, *il n’y a pas une santé qui soit publique et l’autre privée.* Il n’y a que *la* santé. Les acteurs qui travaillent dans le système de prise en charge de la santé des citoyens relèvent soit du secteur public soit du secteur privé. *Ils sont tous dans le système de santé et sont tous au service de la santé publique, quelque soit leur niveau et degré d’implication.* Il est donc totalement impertinent que la composition d’une autorité chargée de réguler le secteur de la santé soit réduite uniquement aux seuls fonctionnaires de l’État. Pourquoi voudrait-on se priver de l’expertise des acteurs du secteur privé alors qu’il est clairement établi que ces derniers apportent beaucoup au système ? Lorsqu’on prend le seul cas du secteur pharmaceutique, secteur où les acteurs opèrent majoritairement (95%) dans le privé, et où l’État ne songe même pas à recruter, où pense-t-on trouver de ressources humaines qualifiées dans le public à moyen et long termes pour occuper le seul poste accordé aux pharmaciens au sein cette ARS?

Parlant de la pharmacie, il importe de signaler que Madame Isabelle ADENOT, docteur en pharmacie, qui a été pendant longtemps membre de la commission européenne des médicaments et présidente du conseil national de l’ordre des pharmaciens de France, a été nommée en Avril dernier seulement pour siéger au sein du collège de la haute autorité de santé (HAS). L’HAS est en France l’équivalent de l’ARS que l’on veut créer ici. Pourtant, Madame ADENOT est pharmacien d’officine et provient du secteur privé. Pourquoi aimons-nous exclure dans notre pays sur des questions qui devraient rassembler? Non! l’ARS est un organe très sérieux et nécessitant une expertise diversifiée et complète pour être confiée aux seuls agents de l’État. L’exemple de la HAAC est édifiant. Ses membres proviennent aussi bien du secteur public que privé.

Ce qui cristallise aussi les positions et qui pourrait être à l’origine de la protestation des syndicats c’est la dominance d’une catégorie des acteurs au sein de cette ARS. Notez bien! *Sur onze (11) membres* prévus pour siéger au sein de l’ARS il est accordé à la seule corporation des médecins *au moins sept (07) postes*, au moins sept parce que l’économiste de la santé qui sera désigné par le président de la république pourrait être aussi un médecin à la base. Ce qui relèverait à huit (08) médecins sur les onze (11) membres de l’ARS. Une telle forte prédominance des médecins au sein de l’organe de régulation d’un secteur aussi multidisciplinaire que celui de la santé, est source de frustrations. Disons simplement que ce déséquilibre dans la représentation amplifiera les frustrations puisqu’elles existent déjà. Certaines corporations au sein du secteur ne se cachent plus pour dénoncer ce qu’elles appellent la "gourmandise des médecins" c’est-à-dire l’exclusivité accordée à ces derniers pour occuper les fonctions d’administration et de gestion aux différents niveaux de la pyramide sanitaire. Les dénonciateurs estiment que les médecins ont toujours profité de leur suprématie et de leurs privilèges pour tailler les textes sur mesure. Ainsi, on parle de médecin-chef, de médecin-coordonnateur de zone sanitaire sans compter que les directeurs départementaux de santé ont toujours été généralement des médecins. Pour le poste du ministre de la santé, quoique politique, il semble être la chasse gardée de ces derniers. C’est une réalité qu’il n’est pas superflu de reconnaître et de regarder de près avec objectivité. C’est une telle frustration qu’on veut amplifier avec l’architecture actuelle de l’ARS alors que la réforme devrait contribuer à la réduire pour remette ensemble les acteurs qui sont interdépendants, créer la synergie et l’harmonie nécessaires au sein des équipes de soins et les remettre au service de la satisfaction des besoins des malades.

On apprend que l’installation de l’ARS est imminente alors que jusqu’ici, le gouvernement ne semble pas encore accorder une oreille bienveillante aux différents appels d’opinions contraires.

*C’est avec des hommes qu’il faut faire les réformes*.

En résumé, il convient de signaler que les réformes sont nécessaires et inévitables si nous voulons que notre pays continue de fonctionner avec les vivants en bonne santé. Il faut aussi saluer le travail fait par la CTR avec certainement beaucoup de sacrifices et de nuits blanches. Cependant, toute oeuvre humaine étant par ailleurs perfectible, le gouvernement gagnerait à prendre en compte les avis d’honnêtes citoyens qui ne cherchent pas forcément un poste ni un avantage personnel dans quoi que ce soit mais qui sont uniquement guidés par le désir patriotique de contribuer à améliorer les propositions de la CTR.

Il doit surtout veiller à l’arbitrage et au rééquilibrage des intérêts corporatistes, qui eux-aussi, doivent se soumettre à l’intérêt général. Préciser et marteler comme proposition que le président de l’ARS doit être un *hospitalo-universitaire*sans même évoquer la corporation du vice-président appelé à le remplacer en cas de besoin ne me paraît pas pertinent et cohérent. L’esprit des hospitalo-universitaires fortement présents dans la commission des réformes, a dû souffler sur les conclusions des travaux. C’est humain, c’est compréhensible mais c’est corrigible.

C’est mon humble avis que, j’espère, parviendra aux oreilles avisées.
Réformes OUI mais dans le *dialogue* et la *concertation*.

Dr KOUKPEMEDJI Louis
Pharmacien d’officine
Président du SIPHAB.
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