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Changer de paradigme
Publié le lundi 11 septembre 2017  |  L`événement Précis




Lorsque les étudiants chinois ou sud-coréens fraîchement boursiers devaient partir continuer leurs études dans les universités occidentales aux frais de l’Etat, les autorités les rassemblent et leur tiennent à peu près ce discours : « Vous voyez bien la misère dans laquelle nous sommes. Vous voyez bien comment nous avons été humiliés par notre retard technologique depuis des siècles. Vous devez être nos espions dans ces pays pour apporter ici la technologie qui servira à nous sortir de ce retard ». Les étudiants partent en Europe ou en Amérique avec en tête ce leitmotiv : voler la technologie occidentale s’il le faut, et la développer dans leur pays.
Je n’ai jamais eu vent d’un tel cérémonial de conscientisation pour nos étudiants boursiers qui s’en vont poursuivre leurs études hors du pays. Mais ce que l’on sait, c’est que depuis les années 1960, plus de 90% des étudiants boursiers béninois qui s’en vont ne reviennent jamais servir leur pays. Ils signent bien des contrats notariés dans lesquels ils s’engagent à revenir travailler chez eux pendant au moins dix ans. Mais l’on sait qu’ils ne reviennent pas. Pire, la plupart d’entre eux, la plupart de ceux qui ont bénéficié de bourses de l’Etat béninois et sur lesquels le contribuable dépense un minimum de 10 millions par an, ne se soucient même pas de ramener au pays la technologie qui pourra nous sortir de notre retard technologique. Ingénieurs, médecins, enseignants des sciences et techniques, inventeurs, diplomates… ils ne se rendent pas compte de ce paradoxe renversant : pendant des décennies, nous avons financé les meilleurs d’entre nous avec nos ressources de pauvres, pour développer les pays riches. Nos meilleurs médecins, nos meilleurs ingénieurs, nos meilleurs enseignants, nos meilleurs financiers, nos meilleurs managers sont partis et ne reviendront probablement pas. Chaque année, comme si nous n’en sommes pas conscients, l’hémorragie se poursuit et personne ne semble prêt à l’arrêter. Parce que les parents et les amis, tout le monde considère qu’il est aberrant de revenir travailler dans notre chaleur, dans nos boues et nos crevasses d’ici, lorsque l’on a goûté aux délices de Paris, de Bruxelles, de Washington ou de Tokyo. Ces dernières années, pour des raisons de lutte contre l’immigration, certains pays donateurs ont commencé à réduire drastiquement les bourses qu’ils offraient. S’il n’en tenait qu’à nous seuls…
Il est avéré que ceux des boursiers qui rentrent, ne trouvent pas toujours l’accueil qu’ils méritent. Les bas salaires, l’inadéquation des conditions techniques d’exercice de leurs professions, la jalousie des anciens et le recours aux moyens mystiques les font fuir. Beaucoup préfèrent se faire insulter par des racistes blancs, plutôt que d’accepter servir leur pays dans des conditions inappropriées. S’il fallait leur rafraichir la mémoire, il faut toujours leur dire que c’est toujours avec l’argent du Béninois jaloux, pauvre, misérable et con que leurs études ont été financées à millions. On peut peut-être leur rappeler que les souffrances de nos peuples aujourd’hui constituent la transition absolument nécessaire vers une reconfiguration inéluctable de notre société. On devrait leur dire que les tares et les maux qu’ils dénoncent à tout bout de champ dans les médias, ne peuvent pas se corriger lorsque les citoyens dans lesquels l’Etat a placé ses meilleurs espoirs s’en vont, laissant intacts les maux pour lesquels ils ont été précisément envoyés pour servir (tacitement) d’espions pour leur pays. On devrait finir par prendre des dispositions fermes et fortes pour ne pas perdre sur les deux tableaux : les ressources humaines qualifiées et les ressources financières du pays.
Aujourd’hui, il est clair qu’aucun pays pauvre ne peut se sortir d’impasse s’il ne cherche à apprivoiser la technologie. Car, le retard technologique constitue l’un des freins les plus redoutables à une politique de développement. Dans ce cadre, la mission que l’on doit constamment rappeler à ceux qui partent à nos frais, est bien celle-ci : revenir servir le pays qui a mis tant d’espoir en eux. A l’ère de l’internet triomphant, l’illusion du transfert de technologies s’estompe petit à petit, parce que les Etats qui y ont naïvement cru pendant longtemps savent aujourd’hui qu’ils ont le choix : soit ils développent par eux-mêmes leurs propres moyens technologiques (ce qui est aléatoire), soit ils se servent de leurs étudiants et de leurs stagiaires dans les pays occidentaux pour copier une partie de la science qui devrait servir à les relever des affres de la pauvreté.

Olivier ALLOCHEME
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