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Reckya Madougou à propos de la gestion de la manne financière des Africains de la Diaspora: « Il faut des mécanismes inclusifs de concertation»
Publié le mardi 19 septembre 2017  |  Le Matinal
La
© Autre presse par DR
La ministre Rékya Madougou




Les Africains de la Diaspora sont pour la plupart disposés à investir dans leurs pays d’origine. Mais, il existe encore des défaillances dans le système actuel. Approchés par Alain Foca dans le « Débat africain » de Rfi, dimanche 17 septembre 2017, plusieurs experts ont donné leur point de vue sur comment rendre productif l’investissement des Africains de la Diaspora. Pour Reckya Madougou, ancienne ministre de la Justice du Bénin, il faut d’abord associer cette diaspora à l’élaboration des politiques, stratégies et institutions de transfert d’argent et d’investissements.
Alain Foca : Lorsque l’on écoute les sommes transférées par la diaspora en Afrique, on est tout de même un peu surpris. Selon les chiffres publiés par la Banque mondiale et le Fmi, ce sont 60 milliards de dollars par an. Alors, comment comprendre le peu d’intérêt des pays africains pour ce que représentent les principaux financiers étrangers du continent ? Là, je m’adresse d’abord à monsieur Kaba qui est en direct depuis le Sénégal.

M. Kaba : Pour le cas du Sénégal, les initiatives sont développées pour cette manne financière envoyée par la diaspora sénégalaise à travers le monde dans le but de mieux servir. Il s’agit pour nous de décliner tout l’intérêt de la diaspora à d’abord investir. Donc quoi qu’on dise, ce n’est pas de l’argent gaspillé. C’est l’argent qui appartient aux membres de la diaspora. C’est pour créer des conditions incitatives à l’investissement.

Excusez-moi de vous interrompre. C’est de la bonne intention, mais pour l’instant, est-ce que l’Etat a conscience du poids de cette communauté de la diaspora ?
M. Kaba : L’Etat sénégalais milite toujours en faveur de la diaspora. D’où ce que nous appelons : « fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’extérieur ». On accompagne les producteurs sénégalais avec un plafond de 5 à 15 millions. Il y a un autre instrument que nous appelons « Sogariste », qui est un fonds de garantie pour les investissements des Sénégalais de l’extérieur. Il va au-delà de 15 millions et qui a une garantie de plus de 80% d’investissement total. Ces investissements apportent leur fruit. C’est la migration.

Vous avez quand même conscience que globalement les Etats n’accordent pas beaucoup d’importance à la diaspora ?

Reckya Madougou : Aucun Etat n’a intérêt à négliger sa diaspora donc je ne pense pas que ce soit en termes d’intérêt, mais je pense en revanche à votre second propos. Je l’entends bien comme, les Etats ne déploient pas les énergies nécessaires et souhaitables pour capitaliser davantage cette manne d’or. Finalement, que constitue les ressources potentielles de la diaspora ? Contrairement à ce qui est disséminé çà et là, la faute n’en revient pas seulement à l’Etat. On dit facilement : l’Etat n’a pas fait, l’Etat devrait faire. Je pense que nous gagnerions à regarder dans le miroir ce que chaque groupe cible devrait faire et doit faire concomitamment avec ce que les politiques publics doivent faire. Je salue bien cette initiative du Sénégal du fonds d’appui à l’investissement de la diaspora, qui ma foi, est un instrument clé quand on veut capitaliser les ressources de la diaspora. Mais ce qui est important ce n’est pas tant les instruments, parce que les instruments, les bonnes initiatives, ça pleut en Afrique. Ce qui malheureusement fait défaut, c’est leur viabilité, et surtout leur efficacité. Pour finir, est-ce qu’il faut simplement mettre en place des instruments ? Je pense que la réponse, vous en conviendriez avec moi est non. Il ne faut pas simplement mettre en place des instruments, mais il faut surtout les animer. Et les animateurs doivent justement avoir cette volonté, cette détermination de les faire réussir. On ne peut pas réussir en se limitant aux activités des pays. On les fait réussir en associant déjà la diaspora elle-même, dans l’élaboration des politiques, des stratégies de ces institutions.

Marie-Laure Konan, vous écoutez ce que dit madame la ministre. Vous partagez son point de vue à propos de la responsabilité de l’Etat. Est-ce que vous pensez que l’Etat s’intéresse suffisamment à la diaspora ?

Marie-Laure Konan : Pour répondre à la question dans le cas de la Côte-d’Ivoire, vu que je suis la porte-parole de la diaspora ivoirienne, j’étais au mois de mai, au Forum de la diaspora qui se tient chaque deux ans , et on a eu justement la belle surprise , d’être érigé en 32ème région de Côte-d’Ivoire. Je pense aussi que de façon unanime, avec les chiffres et l’économie, on voit que la diaspora est une force au niveau économique. Si je reviens sur le cas de la Côte-d’Ivoire, on a structuré et organisé cette diaspora en forme de région, à l’image des différentes régions de la Côte-d’Ivoire, avec une gouvernance et un Haut conseil qui va permettre aux différents acteurs de la diaspora d’avoir un rôle clé à jouer.

Est-ce que vous avez le sentiment que la diaspora est suffisamment associée à ces initiatives pour que ce soit vraiment un échange fructueux ?

Marie-Laure Konan: Je pense que la diaspora africaine est particulière. Si on prend l’exemple de la Chine, de l’Inde, eux ils ont carrément des Confédérations nationales pour pouvoir mettre en avant cette diaspora. Le cas de l’Afrique est particulier, dans le sens que cette diaspora est organisée en pays et en région qui fait qu’on est un peu éparpillé et notre force n’est pas nécessairement ce qu’on veut avoir.Donc effectivement, il y a un effort d’organisation et de structuration. Si on a les structures qu’il faut, les hommes seront engagés, les femmes également.

Inès Jessica N’guessan vous, vous êtes à Washington. Lorsque vous écoutez tout cela, avez-vous le sentiment d’appartenir à la même diaspora ?

Inès Jessica N’guessan:Je suis complètement perdue parce qu’il y a un problème avec moi, et mon paysle Cameroun. Car nous avons un problème d’économie. Quand j’entends les gens dire, qu’ils vont faire des structures qui vont permettre aux gens d’investir dans leur pays d’origine, c’est bien beau. Mais on constate que la majorité des gens qui migrent vers les pays occidentaux, c’est pour le meilleur futur. Maintenant quand on dit à quelqu’un d’appartenir à une diaspora, moi je peux le faire parce que je suis dans ma famille et il n’y a personne qui y souffre. Mais peut-on dire à quelqu’un qui souffre, de venir investir ?

Alors je pense que la ministre va vous répondre, car selon vous, les conditions ne permettent pas d’investir

Reckya Madougou: En vérité il s’agit d’organisation et si nous nous excluons de cette organisation, je pense que nous n’obtiendrons pas des résultats. Aujourd’hui la manne que constitue les transferts de fonds dans la diaspora, coûtent extrêmement cher parce que nous n’avons pas des institutions de la diaspora très fortes en termes d’influence, en termes de loby pour peser sur ces frais. Il suffit juste de comparer les chiffres. Aujourd’hui pour transférer de l’argent en Afrique, il faut 12% de taux, mais le taux mondial est autour de 7% environ. Donc quand vous voyez ce que cela constitue par an, c’est plus de 16 milliards de dollars. Il est vrai qu’aujourd’hui nous n’avons pas autant de structures qui manifestent l’intérêt des pouvoirs publics, et même l’intérêt des organisations de la diaspora, pour leur participation pleine au développement de l’Afrique, mais il est aussi vrai que tant que nous resterons dans nos positions de replis, nous n’allons pas obtenir ce que nous souhaitons. Quand je prends le cas de la diaspora chinoise, elle s’organise en confédération et elle crée des emplois. Donc la responsabilité est partagée autant des pouvoirs publics que de la diaspora elle-même.

Comment s’organiser pour que cet argent profite à la diaspora ?Pour vous, comment procéder très concrètement ?

Marie-Laure Konan : Je pense que la solution vient vraiment de l’intérieur de la personne même. Je comprends très bien Inès Jessica N’guassa qui réfutait un peu le fait qu’elle veuille justement contribuer à cette structuration de la diaspora. Moi j’ai vécu personnellement la dualité. Donc, je suis venue au Canada par mes propres moyens. Je me suis battue pour m’intégrer. A des moments donnés, on me disait que mon argent allait profiter aux autres, alors que j’ai une famille. Le mouvement a donc été difficile à faire. Plus on est confortable dans notre nouveau milieu de vie, et plus on a envie d’aider à grande envergure les autres. Alors cet argent-là, il faut vraiment le structurer parce qu’’en même temps, l’image que l’Afrique projette à l’étranger a de l’influence sur nous. Les gens nous regardent et pensent que, c’est parce qu’on fuit la guerre et la famine qu’on vient se réfugier dans leurs pays. Alors, on a aussi un ego à défendre. Il y va de notre intérêt de relire l’image de cette Afrique-là. Il faut y contribuer. On utilise cet argent en le fédérant et en mettant en place des projets structurants. Il y a un exemple ici que j’aime beaucoup citer. C’est celui des Haïtiens. Les Haïtiens font partie de la diaspora la plus structurée, et la plus ancienne. Cette diaspora, justement, met en place à travers une plateforme des projets. Donc on met de l’argent avec des revenus faibles ou avec des revenus nuls ou même des dons et on a de l’autre côté des acteurs haïtiens qui ont des idées et de projets. Ces idées de projets sont donc promues et lorsque ça intéresse quelqu’un de la diaspora il donne et on met en œuvre ces projets. On a des experts de la diaspora sur place qui s’organisent pour renforcer la capacité des populations locales. Donc on s’assure que dans toute la chaine d’intervention, on donne de l’argent et on a tous les moyens de vérifier que la mise en œuvre des projetsrencontrera du succès.

Une bonne orthodoxie dans la gestion de ces fonds. Alors, il y a plusieurs pays qui se sont lancés dans cette initiative. On a par exemple, le cas de l’Ethiopie. Il se trouve qu’à Washington aujourd’hui, les Ethiopiens détiennent qui détienne des revenus comptent investir cet argent en Ethiopie. On leur a donné la facilité d’investir dans leur pays. Il en est de même pour le Rwanda qui a aussi multiplié des initiatives pour que les Rwandais puissent investir dans leur pays d’origine. Dans votre cas, vous vouliez parler du Bénin et du Togo ?

Reckya Madougou : Oui, absolument, et avant de venir sur des cas spécifiques comme ceux-là, je voudrais effectivement rappeler que lorsqu’on met en place des mécanismes inclusifs de concertation avec la diaspora, on arrive justement à des cas où on peut favoriser l’investissement de la diaspora dans les pays d’origine. C’est le cas de l’Ethiopie, du Rwanda et beaucoup d’autres pays africains. Je voudrais illustrer mes propos par l’exemple de « Africash », qui réussit quand même vaille que vaille à mobiliser des ressources non pas seulement de la diaspora, mais à faire aussi des levées de fonds avec d’autres partenaires et à réaliser au Bénin, au Togo et dans d’autres pays africains des centres socio-éducatifs. Ce sont des exemples pertinents de comment les ressources de la diaspora peuvent servir à améliorer les conditions de vie des populations. Mais pas directement en vérité à changer le quotidien, parce que ce que des gens oublient, nous avons notre mode de consommation qui n’est pas adaptée à l’investissement. Or aujourd’hui, il est question non pas d’investir dans les cérémonies ruineuses à outrance, mais d’investir en fait dans des mécanismes productifs.

Alors là je me tourne vers M. Kaba qui est du côté de Dakar. Qu’est-ce qui est fait dans ce sens par le gouvernement sénégalais auprès de la diaspora pour investir sur place au pays ?

M. Kaba : Il s’agit d’abord de promouvoir des démarches de proximité avec des conditions qui sont incitatifs à l’investissement. Le président de la République du Sénégal a mis à la disposition de la diaspora sénégalaise vingt pourcent (20%) de toutes les surfaces à vocation agricole. L’accès au foncier est un véritable problème pour sa diaspora. Il suffit que vous en faites la demande et que cela passe par la Direction générale des sénégalais de l’extérieur, nous diligentons auprès de la collectivité territoriale concernée. Des guichets exclusivement dédiés à la promotion de l’investissement politique sénégalaise de la diaspora ont commencé à s’ouvrir à l’étranger. La première expérience est à Milan en Italie. Nous nous sommes rendus compte que 80% des investisseurs proviennent de la zone. Donc il y a matière à réfléchir et davantage aider nos compatriotes d’investir au Sénégal en accompagnement financier à partir du guichet qui est ouvert à Milan. Si les sénégalais de l’extérieur arrivent au Sénégal, il a son partenaire financier au Sénégal qui doit l’accompagner s’il n’a pas les moyens d’investir. Donc il doit passer directement à l’action. Mais il y a une troisième chose qui me semble importante, c’est l’éducation financière auprès des familles de migrants, des familles des Sénégalais restés au pays.

Alain Foka : C’est important ça.

M. Kaba : Comme une bougie laissée sous le chaud soleil va fondre, un jour arrivera où il n’aura plus de flamme. C’est cette symbolique que nous cherchons à faire comprendre aux familles qui sont au Sénégal, et qui sont entretenues par leurs enfants qui sont allés en Occident. Dès lors qu’il investit, et qu’il a des activités génératrices de revenus, il n’aura plus besoin d’envoyer de l’argent. Malheureusement, ils sont nombreux à faire confiance aux membres de leur famille, mais à terme, c’est la trahison totale.

Alain Foka : Absolument, surtout dans le domaine foncier et immobilier.

Donc l’action auprès de ces familles-là, me semble importante, aller à une éducation financière pour qu’ils comprennent que, celui qui leur envoie de l’argent, il arrivera un moment où, il ne pourra plus le faire. Il faut qu’il y ait quelque chose qui génère, au point où si le pire arrivait, ils puissent au moins voir le bout du tunnel entre autres initiatives qui sont développées.

(La suite dans notre prochaine parution)
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