Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratiques    Le Mali    Publicité
aCotonou.com NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Interview avec Marie Ange Thébaut : L’histoire d’une afro descendante de l’Île de la Réunion
Publié le mardi 19 septembre 2017  |  Fraternité
Marie
© aCotonou.com par DR
Marie Ange Thébaut, journaliste, écrivaine et artiste chanteuse et compositrice




Les 22 et 23 août derniers, la communauté internationale a commémoré la journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition (Jistna). Le Bénin, sous le couvert de l’Union générale pour le développement de Ouidah (Ugdo) s’est également souvenu de ses millions d’enfants déportés vers le nouveau monde. Plusieurs délégations d’afro descendants étaient présentes à Ouidah pour les manifestations entrant dans ce cadre. Parmi elles, on peut citer la délégation réunionnaise. Sa représentante a pour nom : Marie Ange Thébaut. Elle est journaliste, écrivaine et artiste chanteuse et compositrice. Elle s’est entretenue avec votre journal.
Qui est réellement Marie Ange Thébaut ?
Je suis née à l’Île de la Réunion, c’est une île de l’océan indien, à l’Est de Madagascar, à côté de l’Île Maurice. Je suis Réunionnaise mais j’habite en France, précisément dans la ville de Toulouse. Je suis la présidente de l’Association Ecran sans Frontière qui signifie Ensemble de créateurs, réalisateurs et d’auteurs nouveaux. Nous réalisons des films que nous diffusons un peu partout en Afrique et dans le monde.

Pourquoi Nouveaux auteurs ?
Nouveaux auteurs parce que ce sont des gens qui n’avaient pas été bien accueillis de par le passé, mais dont les œuvres parlent d’un patrimoine qui est issu de l’esclavage, de la conservation des valeurs ancestrales.

Quel objectif poursuit alors votre association ?
Cette association fait la promotion des artistes afro descendants, c’est-à-dire ceux-là dont les aïeuls ont été captifs un jour et sont partis à travers le monde par cette 2ème mondialisation qu’a été la traite négrière. Ils ont été amenés par des européens à travers le monde. Ainsi, la culture africaine s’est propagée et nous, nous mettons en avant cette part de notre héritage. C’est ce qui nous rassemble et en venant ici, nous venons à notre source pour pouvoir mieux comprendre et mieux appréhender notre racine. Donc, pour être membre de cette association, on n’a pas besoin d’être forcément un artiste, mais un afro descendant, pour pouvoir aider les artistes.

Depuis quand votre association a-t-elle-été créée ?
C’est une vieille histoire. Ecran sans frontière a été créée en 2002 et après, elle s’est un peu endormie. Ceci, parce qu’il était très difficile de trouver des artistes qui aient le courage d’exprimer cette appartenance, et de l’autre côté, il était difficile de se faire accepter.

Et vous, comment avez-vous pu réussir votre intégration dans le monde des auteurs et des acteurs ?
J’ai commencé à écrire en 1981 et avant cette année-là, à la Réunion, département français, il nous était interdit de faire du Maloya, c’est-à-dire, de jouer des instruments, des percussions, simplement notre rythme. Parce que toutes les années qui ont précédé, il nous fallait apprendre à lire et à écrire le français. Sinon qu’à la Réunion, nous parlons le créole, ce mélange qui a été créé avec les Malgaches, les personnes arrivant de l’Inde, de la Chine. Mais l’Île est devenue française en 1948, donc il fallait absolument apprendre à parler le français et ne pas mettre en avant la culture africaine. Il fallait d’abord s’imprégner de la culture française. Il faut dire que même si c’était interdit, dans les maisons, la culture était conservée par des groupes d’animation.

A vous entendre parler, vous aviez eu à un moment donné une certaine restriction de votre liberté sur le plan culturel. Est-ce qu’il en a été de même dans les autres secteurs d’activités ?
Après l’abolition de l’esclavage, il a fallu former les gens ; que ce soit les africains, toutes ces nations qui sont restées sous la domination française, il fallait leur apprendre la culture du colonisateur. C’est une autre forme d’esclavage qu’on a subie. Surtout pour les tam-tams, c’était une interdiction formelle, parce que vous savez que les tam-tams transmettent des messages, et il fallait qu’on évite les révoltes.

Alors, Marie Ange Thébaut, vous voudrez bien partager avec nos lecteurs ce que vous ressentez en tant qu’afro descendante ?
Moi, je suis métissée, parce que vous savez, à la Réunion, il y a beaucoup de métis. Ma maman est blanche et mon père est de teint noir, vraiment de type africain. Au cours primaire, je m’étais rendu compte, en regardant sur les yeux des autres que j’étais noire. Et après, en grandissant, je me suis dit que c’est normal, je suis de la couleur de mon père et je n’éprouvais plus de complexe. Parce que dans un milieu pareil, il y a un certain racisme envers les descendants d’esclaves. Même si ma maman était blanche, l’enfant que j’étais, n’était pas consciente de ça, et donc j’ai pris conscience en allant à l’école à travers le regard des autres. Et puis, c’était quand même sous-jacent de mettre en avant la culture noire.

Est-ce que cette situation n’avait pas d’influence sur la qualité de la formation que vous receviez ?
Par réaction, j’écoutais la radio nationale, et la langue française, j’étais bon élève, et donc j’avais l’impression que j’étais imprégnée comme tout le monde, j’avais les premiers prix et je me disais qu’un jour, j’aimerais être derrière le micro. J’écoutais la langue française, je l’ai pratiquée au point où je n’avais pratiquement plus l’accent, le créole de la Réunion. Sinon, je l’ai, mais il est léger. Et vous savez, le racisme se trouve partout, et existe encore nos jours. On aime plus les gens de teint clair que les autres et même en Afrique, les gens veulent changer la couleur de leur peau. C’est humain. En 1981, au niveau de la musique, je me suis rendu compte qu’il fallait que je m’imprègne de cette identité que je n’avais pas, cette identité musicale africaine. A partir de cette année-là, je me suis emparée de ça et il m’est venu à l’esprit de mettre en place des mélodies et des chansons. C’est ainsi que j’ai écrit « Tam-tam Maloya » qui était la première chanson que j’ai écrite en 1981 ; parce que j’imagine ces pauvres gens qui étais arrivés, et donc j’ai pris la liberté de m’exprimer.

Cette liberté d’expression a commencé avec vous ?
Non, ça n’a pas commencé par moi. Il y avait d’autres groupes de Maloya, c’était politique. Les politiques locales étaient également mêlées à la lutte pour cette liberté d’expression. Elles ont aidé les musiciens à s’exprimer et à mettre en avant cette culture-là et moi, j’écoutais tout ce qui se passait. Je suivais les groupes qu’il y avait à l’époque, c’était des groupes d’hommes d’ailleurs, noirs ou blancs, parce qu’il y a des hommes blancs qui sont fiers de leur racine africaine. Comme exemple, je cite Daniel Boileau, chanteur de la Maloya qui est mondialement connu et qui est de la peau blanche. Nous ne nous arrêtons pas au niveau de la couleur de la peau, il suffit d’être fier de son héritage culturel et tout va bien.

Cette chanson de la Maloya, est-ce que nous pouvons avoir un extrait de votre texte ?
Le texte commence par :
« Imagine, un peuple noir déraciné
Et ayant un cabard
Loin du pays très tard
Le soir, improvisant un petit calbar
Nos ancêtres ont fait le Maloya…..
Tam-tam Maloya chanson de la misère
Tam-tam Maloya fait battre votre cœur…. »

Très belle chanson, mais qu’est-ce qui vous a inspiré cette chanson ?
Ça m’est venu comme ça et je me suis demandé : « qu’est-ce qu’ils ont vécu ces gens-là ? Et dans mes souvenirs, je suis allée chercher ; le cabard, c’est le rassemblement autour d’un feu le soir. Et quand on vivait ces moments, c’était de la joie, et on éprouvait de réels plaisirs d’être de racine noire. C’est ça que je raconte. Si c’est arrivé jusqu’à moi, c’est que les garants de la tradition ont su garder le maloya, parce qu’ils ont su le perpétuer, le passer à leurs enfants. Donc, j’imagine, loin de leurs pays, ils arrivaient à le chanter, à le danser et à le transmettre de génération en génération. Ce qui me pousse à rechercher ma racine, je suis toujours en train de rechercher. Mais il se peut que je sois mina du Togo ou du Bénin. Il n’y a pas encore d’indice réel, mais dans ma famille, les personnes d’ascendance africaine sont menuisiers, des personnes à talent qui font des meubles excellents, ils travaillent la vannerie etc….

En tant qu’afro descendant, comment peut-on reconnaitre sa racine ?
J’ai toujours été attirée par la culture, au point où j’ai animé des émissions lorsque j’étais à Rfo de l’époque à la Réunion. C’était à la radio, et le nom de l’émission, c’était : « Tiroir secret ». On interviewait les personnes âgées sur ce que nous les jeunes, nous ne savions pas. C’était vraiment nouveau, parce que moi, j’étais la première femme noire sur une radio à l’époque.

Quelle relation entretenez-vous avec les autres africains que vous rencontrez ?
Une très bonne relation. D’ailleurs, quand je suis arrivée au Bénin au mois de juillet, je suis arrivée avec un Béninois résidant à l’Île de la Réunion, et lui-même n’a cessé d’exprimer sa fierté de voir une Réunionnaise au Bénin. C’est toujours une joie d’être parmi des Béninois, des africains simplement.

Marie Ange Thébaut, vous êtes la présidente de l’association Ecran sans frontière. Vous avez certainement des projets, parlez-nous en ?
Mon association, je l’ai dit, fait la promotion de la culture africaine. Nous avons mis sur pied le premier festival de film itinérant qui a eu lieu au Bénin du 10 au 26 août dernier. Et ce festival a été mis en place pour justement faire venir des afro descendants et toutes les personnes qui veulent venir avec nous au Bénin. Le festival a été lancé à Savè par le Roi Adétoutou Oni Shabè. Ce film coïncide avec l’une des commémorations que nous avons mises en place avec l’Ugdo-France : la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition (Jistna). Ce festival se fait à la Porte du non-retour à Ouidah. La 2ème commémoration se fait à la Porte du retour à Cotonou. La Porte du retour, ce sont ces grandes colonnes en face de la présidence et derrière, il y a un triangle appelé le triangle de la réconciliation. C’est un monument qui a été offert par la ville de Liverpool, par l’association Les anneaux de la mémoire qui s’occupe de tous les ports qui étaient en relation avec la traite négrière. Ce monument, il y en a 3 au monde : un à Liverpool, un aux Etats Unis et un au Bénin.

Donc, c’est par la Porte du retour que vous êtes revenus
(Rire), symboliquement. J’aimerais souligner la gentillesse et l’hospitalité du peuple béninois. Je suis agréablement surprise par la générosité et l’accueil des Béninois. J’apprécie, et mes regards portent sur des choses qui me sont familières. Par exemple le « ataxi » qu’on appelle ‘’zambrota’’ chez nous, un mélange de riz et de haricot ; je recherche dans les pas de danse à Ouidah, ce qui se rapproche de nous. Les Béninois sont bien, ils sont ouverts, et je conseille aux afro descendants de venir au Bénin et de se sentir comme chez eux.
Propos recueillis par Guy Dalbert Aguidissou (Stag)
Commentaires