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Le marché aux esclaves en Libye : Un crime contre l’humanité qui questionne la responsabilité des élites africaines
Publié le vendredi 1 decembre 2017  |  Matin libre
Topanou
© Autre presse par DR
Topanou Prudent Victor, Maître de conférences de Sciences politiques Université d’Abomey-Calavi, Ancien garde des Sceaux du Bénin




Ce crime contre l’humanité qui se déroule sous nos yeux nous rappelle brusquement les heures sombres de l’histoire de l’humanité durant lesquelles les Noirs, après les Amérindiens, ont étémarchandisés avec la caution morale de l’Eglise catholique. En effet, c’est la controverse de Valladolid de 1550,organisée par et sous les hospices de l’Eglise catholique sous les pontificats des Papes Paul III et Jules III,qui a officiellement lancé cette marchandisation en concluantque le Noir, à l’opposé de l’Amérindien, n’avait pas d’âme et que dès lors, il pouvait être vendu aux enchères puis transporté loin de chez lui, dans des conditions inhumaines, comme des bêtes de somme pour accomplir les tâches que les hommes dotés d’une âme, ne pouvaient et ne devaient accomplir. Durand toute la période qu’a duré cette traite, le Noir n’avait plus qu’un prix, bien dérisoire, celui fixé par son propriétaire.

Alors que l’on pensait que cette période était définitivement révolue, que la conscience humaine avait considérablement progressé et que la sacralisation, voire la sacralité de la vie humaine, de toute vie humaine, était irréversiblement consacrée, la découverte de ce crime vient rappelerqu’en la matière, rien n’est définitivement acquis et que la veille citoyenne ainsi que le devoir de mémoire doivent être permanents, voire perpétuels. On comprend alors la vague d’indignation légitimeque cette découverte suscite à travers tous les continents. Mais il convient, au-delà de l’indignation et de l’émotion, de s’interroger sur la responsabilité, voire la culpabilitédes élites africaines dans la récurrence pour ne pas dire dans la permanence de ce phénomène.Cette responsabilité-culpabilité se mesure à l’aune de ce que ces élites, essentiellement politiques et secondairement intellectuelles auraient dû faire et qu’elles n’ont pas fait. Il s’agit pour l’essentiel du devoir de mémoire et de la bonne gouvernance.

En ce qui concerne, le devoir de mémoire, il a deux volets, le premier, les espaces de mémoire collective et le second, la transmission aux générations futures de notre héritage. En effet, il est à noter, pour le regretter, que les Africains sont très peu portés sur le travail de mémoire coll ective.Il n’existe pas de journée consacrée à l’esclavage et à son abolition, ni au Bénin ni dans la plupart des pays africains tandis que l’Union Africaine, pour sa part, n’en fait qu’une mention marginale dans ses activités. Alors que dans le même temps,la liste des fêtes légales est truffée de fêtes chrétiennes.Il n’existe pas non plus, ou trop peu,de places de souvenir de cette période difficile de notre histoire. La route des esclaves à Ouidah au Bénin ainsi que la maison des esclaves à l’Ile de Gorée au Sénégal sont dans un état de dégradation avancée pour ne pas dire dans un piteux état, indigne d’un travail de mémoire.Et les meilleurs musées consacrés à l’esclavagesont en Europe et aux Etats-Unis, c’est-à-dire en dehors du continent africain et non en dedans.Ceux, très peu nombreux qui sont sur le continentsont à la limite du ridicule.De même, il n’existe pas, ou trop peu, d’enseignements sur l’esclavage dans le cursus scolaire et universitaire des pays africains. En dehors des départements d’histoire des Universités, l’histoire de l’esclavage n’est enseignée au Bénin, par exemple,que de façon superficielle en classe de quatrième. De sorte que les jeunes cadres africains n’en ont qu’un souvenir trop lointain et à la limite trop approximatif ; trop peu savent à quoi renvoie la controverse de Valladolid par exemple.

En ce qui concerne la bonne gouvernance, elle a également deux volets, le premier la gestion quotidienne de la cité et le second, le développement technologique de nos sociétés. En effet, tout le monde est unanime pour reconnaître que c’est la mauvaise gouvernance des pays africains qui pousse nos concitoyens dans le désespoir au point d’expliquer si ce n’est de justifier leurs aventures ou plutôt leurs mésaventures. Au lieu de prendre nos Etats pour des gâteaux à parts multiples et infinies auxquels il faut absolument accéder pour prendre sa part, les élites politiques gagneraient à les considérer comme des moyens pour améliorer les conditions de vie de leurs concitoyens. Il est inacceptable que pendant que de jeunes citoyens africainsvont à la recherche de l’eldorado au péril de leur vie, leurs dirigeants soient traînés devant les tribunaux en Europe pour accumulation illicite de biens meubles et immeubles, de corruption et autres. De même, il convient de rappeler que seul le développement technologique détermine les rapports de force entre les Peuples et que malheureusement le retard technologique que l’Afrique a accusé depuis le XVIe siècle ne cesse de s’accentuer depuis plus de cinq siècles. Pendant que nous en sommes encore à fabriquer nos pirogues à l’identique de ce que faisaient nos aïeuls du XVIe siècle, les autres sociétés en sont à construire les plus beaux navires, les plus beaux avions et les plus belles voitures. Et alors qu’elles ont fini de construire leur sol et leur sous-sol et qu’elles ont entamé la construction de l’espace, la plupart de nos pays n’ont même pas fini de bitumer entièrement une seule ville. Pire, nous sommes encore obligés d’attendre qu’ils viennent avec leurs technologies pour nous aider à extraire nos richesses du sous-sol.

Seules les élites politiques et intellectuelles peuvent sortir l’Afrique de cette situation ; elles seules détiennent la clé à ses problèmes.C’est elles qui ont depuis, manqué à leurs obligations. C’est pourquoi si l’on peut se satisfaire de vagues d’indignation et de marches de protestation dans les rues de Paris, de Bamako ou d’ailleurs de la part des organisations de la société civile ainsi que des individus ordinaires, l’on est en droit d’attendre plus de nos gouvernants, eux qui ont principalement la charge de nous protéger, de nous sécuriser et de nous prémunir de tels actes. Nous attendons de nos gouvernants dans le court terme, d’une part, qu’ils enclenchent effectivement les procédures de saisine de la Cour Pénale Internationale et bien d’autres Cours encore et, d’autre part, qu’ils se donnent les moyens politiques, diplomatiques, voire militaires, d’aller chercher par toutes les voies possibles, le reste de nos frères et sœurs restés sur ce vil marché aux esclaves libyen.Il y va de la dignité de l’homme Noir. Macky Sall, Alassane D. Ouattara, Patrice Talon, Paul Kagamé, Jacob Zuma et les autres ont là une occasion de montrer qu’ils ne se préoccupent pas que de la jouissance matérielle, financière et symbolique du pouvoir politique maisqu’ils se préoccupent tout autant sinon plus de la dignité de l’homme Noir. Dans le moyen terme, nous attendons denos élites politiques et intellectuelles, qu’elles améliorent la gouvernance de nos pays et fassent un vrai travail de valorisation de notre mémoire collective. Et dans le long terme, il leur revient de travailler à la réduction de notre retard technologique. Edem Kodjo ne disait-il pas que « la volonté politique a toujours précédé dans l’histoire la réalisation des grandes œuvres politiques, sociales et économiques ?Profitons donc de cette vague d’indignation pour allumer et entretenir, le plus longtemps possible, la flamme de la volonté politique dans nos pays.

Par Topanou Prudent Victor, Maître de conférences de Sciences politiques Université d’Abomey-Calavi.
Ancien garde des Sceaux du Bénin.
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