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Modification opportuniste de la Loi sur le conseil supérieur de la magistrature : une réforme rétrograde
Publié le lundi 22 janvier 2018  |  Fraternité
Michel
© aCotonou.com par DR
Michel Adjaka, Le président de l`Union nationale des magistrats du Bénin (Unamab)




Selon Montesquieu « Tout homme qui a du pouvoir est tenté d’en abuser. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
En guise de remède aux dérives totalitaires de la période révolutionnaire et surtout préoccupée par le rééquilibrage des pouvoirs, la constitution du 11 décembre 1990 a disposé que « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par la Cour suprême, les cours et tribunaux créés conformément à la présente Constitution. »
Pour traduire dans la réalité cette séparation des pouvoirs, l’article 126 de la constitution a prévu que « La justice est rendue au nom du peuple Béninois.
Les juges ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi. Les magistrates du siège sont inamovibles. »
L’indépendance ainsi conférée à la justice est garantie par le président assisté du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM).
Au-delà de la Constitution, l’indépendance de la justice, au plan international, a fait l’objet de plusieurs instruments juridiques, de recommandations et de déclarations au nombre desquels figurent :
- les principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature adoptés par le septième congrès de l’Organisation des Nations Unies (ONU) tenu du 26 août au 6 septembre 1985 à Milan en Italie et endossé par l’Assemblée Générale de l’ONU le 29 novembre 1985 ;
- les règles relatives à l’application effective des principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature adoptées par le Conseil Economique et Social dans sa résolution 1989/60 et approuvées par l’Assemblée Générale de l’ONU dans sa résolution 44/62 du 15 décembre 1989 ;
- l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ;
- l’article 14 du Pacte relatif aux Droits Civils et Politiques ;
- l’article 26 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ;
- le statut universel du juge ;
- le statut du juge en Afrique ;
- les directives et principes sur le droit à un procès équitable et l’assistance judiciaire en Afrique, adoptés par la commission africaine des Droits de l’Homme et des peuples en juillet 2003 ;
- la Déclaration de Bamako du 03 novembre 2000 et celle de Paris du 14 février 2008 de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIT).
Préoccupée par le respect de ces normes internationales, la République Démocratique du Congo, à travers le Projet de Constitution, adopté au référendum du 19 au 20 décembre 2005 et promulgué le 18 février 2006, a consacré en son article 152, 1, l’exclusion du président de la République et du Ministre de la justice du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Lors de la réforme constitutionnelle intervenue en 2008, la France a fait la même option.
Non loin du Bénin, l’article 116 de la Constitution de la République du Togo, adoptée par Référendum le 27 septembre 1992, promulguée le 14 octobre 1992 et révisée en 2002, dispose que « Le Conseil Supérieur de la Magistrature est composé de neuf (09) membres :
- trois (03) magistrats de la Cour suprême ;
- quatre (04) magistrats des cours d’appel et des tribunaux ;
- un (01) député élu par l’Assemblée nationale au bulletin ;
- une (01) personnalité n’appartenant ni à l’Assemblée nationale, ni au Gouvernement ni à la magistrature, choisie par le Président de la République en raison de sa compétence.

Il est présidé par le Président de la Cour suprême.
Les magistrats membres dudit conseil, à l’exception du Président de la Cour suprême, membre de droit, sont élus par leurs pairs au bulletin secret. »
Ces exemples montrent que la tendance est à un Conseil Supérieur de la Magistrature à composition aseptisée et marquée par le départ de cet organe du chef de l’Etat, du Ministre de la justice et la réduction du nombre des membres de droit.
Curieusement, le 04 janvier 2018, en légiférant à reculons, l’Assemblée nationale a modifié la loi organique n°94-027 du 15 juin 1999 portant composition, attributions à l’effet de consacrer l’envahissement dudit conseil par des hommes politiques ou leurs représentants. En effet, pourront être désormais membres du Conseil Supérieur de la Magistrature, en dehors du chef de l’Etat, du Garde des Sceaux et de la personnalité extérieure proposée par le Bureau de l’Assemblée nationale et nommée par le chef de l’Etat, trois autres personnalités extérieures nommées suivant la même procédure, les ministres en charge des finances et de la fonction publique.
Cette invasion du Conseil Supérieur de la Magistrature par des allogènes vise à faire contrôler cette institution par l’Exécutif.
Cette hégémonie de l’exécutif au sein de l’instance chargée d’assurer la nomination des magistrats, la gestion de leur discipline et de leur carrière, vise à inféoder le pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif. Une telle option contraste avec l’article 127 de la Constitution qui dispose que « Le président de la République est garant de l’indépendance de la justice. Il est assisté par le Conseil supérieur de la Magistrature. » En clair, si la réforme à reculons opérée le 04 janvier 2018 prospérait, le Conseil Supérieur de la Magistrature ne pourra plus assister le chef de l’Etat. On observera plutôt l’inverse. Il en résultera non seulement la violation des principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice mais surtout une l’altération de l’office du juge. Désormais, prostré, politisé et habité constamment par le risque de règlements de comptes, le juge ne pourra plus véritablement exercer son ministère à l’égard des politiques en général et du chef de l’Etat en particulier. Une telle posture du juge rompt le principe de l’égalité des justiciables devant la loi et exporte la vassalisation des institutions vers le pouvoir judiciaire. Si une telle inféodation institutionnelle réussissait, c’en serait le requiem de l’Etat de droit et la fin de la démocratie. C’est ce que je pense.
Michel ADJAKA
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