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Joseph Houessou Gnonlonfoun, Médiateur de la République, invité « Sous l’arbre à palabres »: « Il n’y a aucune autre institution qui joue le rôle confié au Médiateur de la République »
Publié le mercredi 7 mars 2018  |  L`événement Précis
Joseph
© aCotonou.com par CODIAS
Joseph Gnonlonfoun, le médiateur de la République du Benin lors du 21 ème Edition de la journée internationale de la femme au Bénin
INFOSEC de Cotonou le 22 Mars 2016. Journée de réflexion sur la mise en oeuvre des recommandations issues du forum sur la femme beninoise de Mars 2015.




Concours de circonstances, hasard, programmation bien calculée ? C’est tout cela à la fois si la venue du Médiateur de la République, Joseph Houessou Gnonlonfoun, en tant qu’invité de notre rubrique « Sous l’arbre à palabre », se fait le 28 février 2018. Une date qui marque également le 28ème anniversaire de la fin de la Conférence nationale, l’acte fondateur du renouveau démocratique au Bénin. Bien que n’étant pas délégué à cette grande assise, l’ancien ministre de la justice, Joseph Houessou Gnonlonfoun, a joué d’importants rôles dans les années qui ont suivi. Dans sa position actuelle de Médiateur de la République, il participe à sa manière à la concrétisation de l’Etat de droit. Témoignages d’un vétéran de la politique béninoise qui sait être direct sans choquer.

Et si on en parlait
28 février 1990 – 28 février 2018. Cela fait 28 ans déjà que la Conférence nationale des forces vives de la nation a pris fin. Qu’est-ce que vous avez à dire à ce sujet avant qu’on ne commence notre causerie-débat ?
Je n’ai pas participé directement à ces assises. Je n’étais pas à l’intérieur de PLM Alédjo pour la Conférence nationale parce que je ne faisais pas partie des invités. Mais j’étais directeur de la législation et de la codification et j’ai été associé à l’élaboration de tous les textes au ministère de la justice, tous les textes de loi ou d’ordonnance qui sont sortis de la Conférence nationale. Je peux vous dire que c’était quand même un moment historique de l’avancée de notre pays. Je disais à certains de vos collègues que si la Conférence n’avait pas été faite, il aurait fallu la créer ou la susciter. Il fallait ce départ-là, pour nous donner un vrai départ pour changer de registre. Pour ce qui est important, c’est le changement de registre en ce moment-là. Et puis, il y a eu pratiquement l’union de tous les Béninois autour de cette activité essentielle pour notre pays. C’était important. Cela a été fait grâce à l’humilité du président Mathieu Kérékou et aussi grâce à la dextérité de Mgr Isidore de Souza. Quand les évêques avaient choisi Mgr Robert Sastre, il s’est fait que, je ne sais par quel miracle, il devait aller à l’extérieur et c’est Mgr de Souza qui l’a remplacé en tant que délégué à la Conférence. Et c’est à lui justement, qu’ils ont demandé de présider cette conférence. Je ne suis pas sûr que Mgr Robert Sastre aurait conduit cette conférence de la même manière et avec la même dextérité que Mgr de Souza. Mgr Sastre ayant été aumônier des étudiants africains en France, il avait la chaleur, la vigueur et la rigueur des étudiants alors que Mgr de Souza était plus calme. C’est peut-être ça aussi qui a fait le succès de la conférence. Il faut dire que l’union autour d’un idéal était importante aussi. Nous voulions nous en sortir. On a décidé ensemble de s’en sortir. Moi, j’ai trouvé que c’est une bonne chose.

Pensez-vous aujourd’hui que les acquis sont toujours consolidés ?
Je pense qu’il y a eu des acquis qui demeurent et il est important que nous consolidions ces acquis-là. Dans la mise en œuvre d’une action, il y a toujours des ratés. Nous devons corriger ces ratés-là. La Conférence nationale était une œuvre humaine. Et toute œuvre humaine mérite des réajustements. C’est pour cela que je pense qu’il n’était pas mauvais que la Conférence ait été tenue et que nous restions fidèles à ses idéaux que nous avons voulu mettre en œuvre.
Tout récemment, votre institution a mené une médiation dans le cadre de l’organisation de Wémèxhé. Pensez-vous que votre médiation a servi à quelque chose dans le règlement des différends qui ont opposé les frères de Wémè?
J’ai dit aux frères et sœurs de Wémè qu’en principe, Wémèxwé n’est pas uniquement leur fête. J’ai appris en géographie que le fleuve Ouémé prend sa source dans les monts Tanéka dans la Donga. Donc de cet endroit jusqu’au Sud en dépassant même Porto-Novo pour continuer sur le Nigéria, toutes les populations sont concernées par cette fête. C’est une fête qui aurait pu être nationale. Pourquoi est-ce qu’ils en ont fait une fête des Wémènous ? C’est parce qu’il y a la vallée de l’Ouémé. Et j’ai également appris que la vallée de l’Ouémé est la plus riche après celle du Nil. Je ne peux pas dire en ce qui nous concerne que cette médiation a été un échec. Quand j’ai été saisi, je leur ai dit, pour les mettre à l’aise, que je n’interviens pas dans un domaine qui m’est étranger parce que l’Ouémé nous appartient tous. Et nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que l’Ouémé serve et réussisse à nous tous. C’est la mission que je me suis assignée quand un Wémènou m’a saisi pour dire qu’il y a un différend entre eux et qu’il fallait que je m’y implique. J’ai fait ce que j’ai pu en partant du fait que la justice a demandé de prévoir un protocole d’accord entre eux. Je me suis dit qu’il vaut mieux les aider à avoir ce protocole d’accord parce que si deux ou trois personnes n’arrivent pas à s’entendre, et que quelqu’un peut les aider à le faire, il ne faut pas s’en priver. Donc c’est sur cette base que je suis parti. On a rédigé un protocole d’accord qu’on a péniblement adopté. Car, au moment de signer, une des parties a dit qu’il faut qu’elle se réfère à son avocat alors que l’autre partie avait accepté de signer. Et je leur ai dit de revenir le lendemain. L’autre partie qui voulait se référer à son avocat n’est pas venue. Mais celle qui avait accepté, a signé. Je pense qu’il faut maintenant tout reléguer au passé en espérant que, pour l’année 2019, ils soient plus sages pour que la fête recommence, comme elle a été au début où c’était une fête véritablement commune à nous tous.

Dans le projet de la révision de la Constitution, il a été prévu de supprimer votre institution. Quel était votre sentiment à l’époque ?

Ce n’est pas mon institution. C’est l’institution nationale qui a été créée par une loi du 3 janvier 2014, votée par les députés. Revenant à la question, laissez-moi vous dire qu’en son temps, j’avais fait mes observations au Chef de l’Etat sur la possibilité de supprimer cette institution. La loi me fait obligation, pour la plupart de mes activités, de faire un rapport général au Chef de l’Etat ou un rapport spécial. Souffrez que je ne puisse pas vous dire ce qui est dans ce rapport spécial. Mais ce que je puis dire, j’ai un document dénommé « Consolider les acquis démocratiques ». Vous savez, j’ai eu à présider une commission vers la fin du régime Boni Yayi et dans ce document, nous avons analysé la Constitution et nous avions dit que celle née de la Conférence nationale pouvait être révisée. Et nous avions présenté les dispositions sur lesquelles nous pensions qu’il fallait intervenir pour réviser cette Constitution. Nous avons fait le rapport au Chef de l’Etat de l’époque. Je suis convaincu que cette constitution sera révisée, que ce soit aujourd’hui ou demain. Ce n’est pas la première fois que je le dis. Je l’ai toujours dit et je l’ai défendu bec et ongles. Le seul problème, puisque je l’avais écrit au président Boni Yayi, est de ne pas en faire une affaire de quelques-uns. Il fallait en faire une affaire nationale de la même manière que le Haut Conseil de la République présidé par Mgr de Souza , au lendemain de la conférence nationale, l’avait fait en vulgarisant le projet de Constitution. Et que la population puisse dire, je suis d’accord ou je ne suis pas d’accord. C’était ce qu’on avait demandé à Boni Yayi, mais il ne nous avait pas écoutés. Quand on vous demande un travail, vous le faites, celui qui vous le demande est libre d’en faire ce qu’il veut ; évidemment, c’est parti à l’Assemblée nationale, et je ne sais pas si elle ne l’avait pas rejeté ou ne l’avait même pas examiné. Je suis profondément convaincu que cette Constitution doit être révisée. Sur quelles dispositions, c’est là-dessus qu’il faut que l’on s’entende, d’une part. D’autre part, je pense que la Constitution doit prendre en compte le Médiateur de la République parce que nous ne sommes pas seuls. Le Togo a le Médiateur de la République dans la Constitution. Le Burkina Faso et un certain nombre de pays de notre espace ont le Médiateur de la République dans leur Constitution. Pourquoi pas nous ? Est-ce que c’est le Bénin qui doit toujours se singulariser parce que c’est le problème que nous avons avec la Cour des Comptes. On n’a jamais accepté d’introduire la Cour des Comptes dans la Constitution et tout le temps, les autres pays nous rappellent à l’ordre à ce sujet. Et pour nous, au niveau du Médiateur de la République, le fait qu’il ne soit pas dans la Constitution, fait que l’organisation internationale des Médiateurs de la République nous considère seulement comme observateur. On ne peut être membre d’une organisation comme celle-là. cela fait que les choses piétinent un peu, ne scintillent pas comme elles devraient l’être et c’est dommage pour notre pays.

Patrice Talon a organisé un genre de mini-conférence à son arrivée. C’est le format tel que vous le suggériez ?
Non, le format que nous avions demandé au temps de Boni Yayi, c’était exactement ce que le Haut Conseil de la République de Mgr de Souza avait fait et ils ont fait diffuser ça dans tout le pays. Ça donne d’ailleurs l’impression qu’on consulte le peuple, qu’on demande au peuple : « qu’est-ce que tu veux ? » Il y a des domaines techniques, par exemple la Cour des Comptes, qu’on doit intégrer dans la Constitution que le peuple le veuille ou non. Ça nous met sur orbite avec les autres. Par exemple, la suppression de la peine de mort, malgré la vindicte populaire, c’est maintenant qu’on l’a abrogé. Mais on nous demandait depuis et c’était dans tous les protocoles des organisations internationales. C’est heureux qu’on le fasse maintenant.

L’ancien Médiateur de la République faisait partie de ceux qui avaient pensé que le projet de révision de la Constitution était voué à l’échec parce que n’ayant pas pris en compte le Médiateur de la République.
Courez lentement ! Le frère Melchior n’a pas dit uniquement que ça…

Mais c’est entre autres ce qu’il a dit…
Le frère Melchior, le jour où il ne pensera plus, c’est ce jour-là que vous allez le mettre dans sa demeure. Il y avait des dispositions dans le projet du Chef de l’Etat qui ne lui convenaient pas, mais il n’y avait pas que ça. Comme je vous l’ai dit, les dispositions qui ne m’agréaient pas en tant que Médiateur de la République, je crois que j’en ai souligné une dizaine que j’ai envoyée au Chef de l’Etat, mais je ne peux pas vous révéler ça parce que ça va donner l’impression que je brise la confidentialité de ce que je dis au Chef de l’Etat. Et je me dis que c’est finalement heureux que l’Assemblée nationale n’ait pas voté le projet tel que cela a été envoyé. Je pense que le chef de l’Etat a dû comprendre lui-même et c’est pour cela que j’ai l’impression qu’il veut peut-être revenir, mais en améliorant le texte. Dites-vous une chose. J’ai été directeur de la législation et de la codification ; toute œuvre humaine mérite d’être vue par des mains inexpertes. Ce sont les Experts qui font une œuvre donnée. Des mains inexpertes et des yeux inexperts peuvent apporter des éléments que les experts ne verront pas. Nul ne doit croire qu’il a la science infuse surtout dans un pays comme le nôtre où tout le monde se croit intelligent plus que l’autre. Nous sommes tous intelligents à des niveaux divers.


Monsieur le Médiateur de la République, vous semblez aborder tout à l’heure la question, mais avec un peu de recul. Quelle est votre appréciation de l’institution Médiateur de la République dans sa forme actuelle ?
Le Médiateur de la République, je le dis et je le redis, cette institution doit être maintenue dans la future Constitution de notre pays parce qu’elle existe dans plus de 120 pays dans le monde sous des noms différents : Médiateur de la république ici, dans les pays du Nord de l’Europe du Nord, Protecteur du Citoyen, ainsi de suite. Et même dans notre Constitution actuelle, aucune institution de la République ne joue le rôle dévolu au Médiateur de la République. Cette mission est de servir d’intermédiaire entre l’administration et le citoyen, être le défenseur du citoyen par rapport à la bouche largement ouverte de l’Administration. L’Administration veut tout absorber, veut absorber le citoyen, il faut que le Médiateur de la République soit là pour réguler cette propension de l’Administration. Il est nécessaire que le moment venu, le Chef de l’Etat et son entourage pensent à insérer cela dans la Constitution. Quelles sont ses forces ? Aujourd’hui, le Médiateur de la République existe du fait d’une loi, donc il ne sera pas facile de dire qu’on va jeter le Médiateur de la République par-dessus bord. Non ! Vous savez que le Médiateur de la République existe depuis quelques années. Nous avons traité environ 3900 réclamations avec les 2/3 de réussite. Je donne un exemple qui est plus saisissant parmi d’autres. Vous savez qu’il y a quelques années, le Sous-Préfet de Boukoumbé a disparu corps et biens et jusqu’à maintenant, on n’a pas retrouvé ses traces. Il a une femme amazone qui a cassé le pied à tout le monde et même à moi quand j’étais Ministre de la Justice. Et l’année dernière, on a réussi à avoir le livret de pension de son époux. Depuis le temps de Soglo que ce dernier a disparu, c’est grâce au Médiateur de la République qu’on a retrouvé son livret. Dans le Mono-Couffo, je donne aussi cet exemple, il y avait des gens du Ministère des finances qui « captaient » le salaire de certains enseignants, c’est nous qui avons réussi à trouver ces agents qui captaient les salaires et les primes de ces enseignants et ils sont rentrés en possession de leurs ressources. Notre force, c’est que nous sommes tenus de dialoguer avec les administrations. Le Médiateur de la République n’est pas un juge qui impose. Mais nous dialoguons et c’est pour cela que nous avons décidé que les Ministères nous envoient désormais leurs points focaux. Nous savons désormais, s’il y a un dossier concernant le Ministère de la Communication, à qui nous adresser au niveau de ce ministère. Cela nous est d’autant plus important et c’est là que se situe l’une de nos forces. Chaque année, nous organisons une session et les ministères qui n’ont pas répondu ou qui ont répondu approximativement, nous les invitons et nous faisons le travail ensemble.

Visiblement, vous avez introduit des réformes dans le mode de fonctionnement ?
Voila, et, ça pour nous, c’est très important. J’ai copié ça de l’expérience des Maliens. Les Maliens, depuis près d’une vingtaine d’années, organisent chaque année le 10 décembre, ce qu’ils appellent l’espace d’interpellation démocratique. Le Premier Ministre conduit tous les ministres à une séance de travail qui dure toute la journée et ils sont interpellés par les populations qui ont saisi le Médiateur de la République et qui n’ont pas trouvé de réponse à leurs préoccupations. Donc, comme ces choses-là ne peuvent pas se faire ici, je me suis dit qu’il fallait trouver une modalité pour cela. Et c’est de là que nous avons créé la session qui se tient au mois de décembre, session au cours de laquelle nous nous accordons avec les ministères concernés pour comprendre leur silence sur certains dossiers ou plaintes et, ensemble, on trouve une solution qu’ils doivent appliquer. Notre plus grande faiblesse, c’est qu’on n’est pas dans la Constitution. Notre faiblesse, c’est que notre budget est trop maigre. Le budget de l’institution, au début de sa création était de 600 millions de FCFA par an avec l’aide de la coopération internationale. Ce budget aujourd’hui atteint péniblement 400 millions et nous n’avons plus l’aide de la coopération internationale. Donc, ça, c’est une faiblesse. Une autre faiblesse est que nos délégations régionales, nous en avons trois, n’arrivent pas à fonctionner parce qu’elles manquent de moyens. Il s’agit des faiblesses qui pouvaient être dissuasives. Mais, ce que je note chez les fonctionnaires de la Médiation, c’est qu’en dehors du vétéran comme le médiateur que je suis, l’institution est composée essentiellement de jeunes qui sont décidés à travailler. Ils viennent de faire une mission de presqu’une semaine à l’intérieur du pays, mission sans frais de mission. Je leur ai dit « Faites ça, le rapport sera envoyé au ministère des finances. Nous allons mentionner que vous avez effectué une mission pour la réhabilitation des délégations’’. Une semaine de mission sans frais de mission, vous vous imaginez ? Ils ont dû cotiser pour s’assurer les frais de transport. Il se fait que le ministre des finances est décidé à réhabiliter les délégations régionales. Donc on s’est dit, que si c’est nous qui traînons les pas, le ministre aura raison de nous, demain, car il nous aura demandé de faire quelque chose qu’on n’a pas fait. Donc, on verra comment procéder pour dédommager ces jeunes. C’est pour vous dire que leur jeunesse est un atout important pour moi et j’essaie de surfer un peu sur ça.

Le mandat du médiateur est pour combien de temps ?
Le mandat du médiateur est de cinq ans non renouvelable et je tends vers la fin.

Vous n’avez pas envie de continuer ?
Même si je veux continuer, je ne peux pas. Vous savez, le 14 juillet 2018, j’aurai cinquante ans au service de l’Etat daho-béninois.

Qu’avez-vous de plus ou de moins que les institutions similaires de la sous-région et en dehors ?
La plupart des institutions de l’espace Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) ont quelque chose de plus que moi et c’est surtout au niveau de leurs budgets. Vous imaginez un pays comme la Côte d’Ivoire, le Médiateur a un budget de près de dix milliards de FCFA. Un autre pays est à deux milliards et chez nous, on est à 346 millions, ça ne fait même pas les 400 millions. Il y a des missions que je refuse d’effectuer. Au mois d’avril prochain, on a une mission de l’Association des médiateurs de la francophonie à Bucarest, mais je n’irai pas parce que si j’y vais, je vais absorber tout ce qui est prévu dans l’année pour les voyages et les missions. Les missions de la sous-région par exemple, on ne pourra plus les effectuer. Donc, ça fait que, à nous comparer aux autres pays, on aura de bonnes raisons de les envier. Tenez, si vous voyez les autres pays, on vous dit que le Médiateur est en Asie, en Inde, au Pakistan, mais nous, on est là, on n’a pas d’argent, et on n’ose pas le dire. Maintenant, de temps en temps, on se vit obligé de solliciter des aides … Mais, ça ne nous honore pas.

Quel genre de collaboration y a-t-il entre vous et la justice ?


D’abord, la loi prévoit que, lorsque le tribunal est saisi d’un dossier, le Médiateur de la République est incompétent. Mais, par contre, si la justice rend une décision qui a du mal à passer, parce que vous savez que la justice rend les décisions mais souvent, la mise en œuvre de la décision pose problème. Et, vous le savez aussi, on est obligé de recourir à l’huissier pour faire exécuter la décision et, à ce niveau-là, le Médiateur peut intervenir, mais pas pour rendre la justice. Nous ne le pouvons pas parce que nous, nous travaillons sur la base de l’équité tandis que la justice rend sa décision sur la base de la loi. Donc, ce n’est pas la même chose. Et, nous ne rendons pas des décisions exécutoires sur minute nonobstant appel. Je me souviens encore un peu de ces choses-là, il paraît que c’est les magistrats qui utilisent cette expression.

La réconciliation des frères protestants est aujourd’hui à l’actif du Chef de l’Etat. Est-ce que le Médiateur de la République que vous êtes a contribué à l’instauration de cette paix entre les protestants ?
Je sais que mon prédécesseur, le professeur Albert Tévoédjrè s’est occupé de ça. Même Gnonlonfoun Houéssou Joseph, quand il était ministre de la justice, il s’est occupé de ça. Oui, parce que beaucoup de protestants sont de ma circonscription à Sèmè-Kpodji. Ils étaient venus dans mon bureau, je les ai suppliés. J’ai tout dit. Il y avait le devancier Sagbohan. Il s’est moqué de moi, le jour-là parce qu’il a cru que j’avais pris partie pour l’un d’entre eux qui est un grand intellectuel, professeur à l’université. Or, j’intervenais dans cette affaire parce que le président Kérékou m’avait dit ‘’Garde des sceaux, la plupart des protestants sont de chez vous, occupez-vous de ce dossier’’. Et j’ai cru bien faire en invitant les deux parties, mais, j’avoue, je n’ai pas eu la bouche pour parler. Le devancier Sagbohan m’a injurié tellement que je me suis mis à pleurer devant eux comme un gamin. Donc, que le président Patrice Talon ait réussi à mettre fin à cette discorde et ramener la paix dans cette famille protestante, on ne peut que le féliciter, on ne peut qu’être heureux. Ce n’est pas parce que Gnonlonfoun n’avait pas réussi, que Tévoédjrè n’a pas réussi. Non, il a réussi et il a bien réussi. Il a trouvé la formule qu’il fallait pour ‘’neutraliser’’ les uns et les autres. Ils ont effectué un culte synodal, je crois, il y a quelques jours, et c’est bien. Vous savez, dans cette affaire, j’ai deux nièces, elles sont des jumelles. Quand nous tenons des réunions de famille, ça passe mais entre elles, dans la maison, on ne parle pas de religion. En famille, on ne parle pas religion. Donc, c’est une bonne chose. Même si j’étais contre Talon à deux mille pour cent, pour ce dossier, c’est une réussite pour laquelle il faut le féliciter.

A quoi servent les audiences foraines que vous organisez ?
Un forum, « Agora », en grec est une place publique. Nous avons bien fait de créer des audiences foraines parce qu’on s’est rendu compte que dans nos villages et coins reculés, il y a des gens qui souffrent de la mal-gouvernance sans pour autant l’exprimer. Le Médiateur de la République ne peut être saisi que par écrit. Nous avons un formulaire qu’on fait remplir à ceux qui viennent se plaindre à nous. Il devient ainsi la lettre de saisine. Tout citoyen qui estime que l’Administration commet des gaffes peut saisir le Médiateur de la République. La saisine est gratuite et nous tranchons à l’amiable en protégeant la dignité du citoyen. Nous faisons tout en équité. Si le plaignant réclame un dû de 100 millions de l’Etat, qui est disposé à payer 50 millions, on essaie de trouver un équilibre pour que l’Administration ne baisse pas la quête et que le plaignant ait aussi sa part. Pour les affaires foncières dans lesquelles le plaignant réclame 500 mètres carrés sur les 300 attribués par l’Administration, on essaie de trouver un équilibre allant à 300 mètres carrés. Les solutions sont diverses et multiples. On ne peut pas trancher sur les décisions.

A quoi doit s’attendre celui qui saisit le médiateur ?


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Il y a une procédure qui est mise en place. Quand le Médiateur est saisi, l’affaire arrive au niveau de l’administration du secrétariat administratif qui procède à l’enregistrement. On juge de la recevabilité du recours. Après, l’affaire est transmise au secrétaire général, au Directeur des recours, au chargé d’étude puis, on écrit à l’intéressé pour accuser réception. On lui notifie avoir pris en compte sa plainte et saisit le ministère intéressé ou on procède aussi à une investigation avant de saisir le ministère intéressé. On écrit ainsi à l’intéressé pour déclarer la recevabilité du recours et le prévenir pour la suite. Il y a toujours l’accusé de réception. A mon arrivée, j’ai exigé que l’arrivée de réception soit faite de façon urgente. Une lettre ne doit pas faire un mois sans que celui qui a saisi le Médiateur sache qu’on s’occupe de son dossier. Le processus peut trainer dans les ministères mais nous espérons que les choses s’améliorent avec les points focaux.

Quel est l’avantage qu’il y a à saisir le médiateur plutôt que la justice ?
Le Médiateur ne peut pas être saisi dans une affaire de vol, de détournement. Nous sommes saisis pour des dossiers de mal gouvernance. Des dossiers dans lesquels l’administration se permet de ne pas exécuter un service au profit d’un administré qui le réclame. Les derniers cas que nous gérons actuellement sont relatifs à la surfacturation, au trafic de compteur et autre. Il y avait beaucoup de problèmes au niveau des affaires foncières mais vu l’agence qui a été créée, nous serons moins saisis.

Quels sont les plus gros dossiers traités par le Médiateur ?
Il y a eu l’affaire de Boukoumbé et celle concernant des enseignants du Couffo. Le monsieur est venu plusieurs fois nous exprimer sa gratitude. C’est pareil pour madame Hessou. Il y a eu beaucoup de réussites au point où nous demandons aux réclamants de nous dire s’ils ont eu satisfaction de la gestion des dossiers. Certains étaient satisfaits, mais ne faisaient pas signe. Or, nous talonnions les ministères pour réclamer satisfaction. Nous avons eu des situations du genre avec le ministère de la défense. Lorsque les militaires ont reçu leur sous, ils ne sont plus revenus nous faire le point. Certains pensent que nous prenons de l’argent pour le travail accompli. J’ai sollicité les gens à ne pas donner l’impression que notre travail se paie et de faire savoir qu’il n’y a pas de retro-commission.

Quelle appréciation faites-vous alors des grèves ?
‘’Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire’’. Je pense qu’il faut qu’on apprenne à être tolérant.

Qu’avez-vous apporté à la médiation
Je préfère que les autres me jugent. Je suis mal placé pour apprécier mes actions.

Carte d’identité : « Daho-béninois »


En tant que fonctionnaire, Joseph Gnonlonfoun a connu presque toutes les différentes étapes qui ont rythmé la vie sociopolitique de notre pays. Né en 1943 à Porto-Novo, il perd très tôt sa mère. Il est pris en charge par un de ses oncles qui l’envoie à l’école. Mais, pour tout dire, ce n’était pas du tout facile. Les jeudis, jour de repos pour les écoliers, il les passe parfois à marauder au Palais des Gouverneurs, afin de payer sa scolarité : 100 francs dérisoires aujourd’hui mais valant bien son pesant d’or à l’époque. A la fin de ses études primaires, on l’envoya au séminaire pour devenir prêtre. Qu’il devienne juge fut l’œuvre du hasard puisqu’après son Bac A décroché en 1962 à Ouidah, sans soutien et sans conseiller, il ne savait réellement quoi faire. C’est en devisant avec des camarades qu’il décide de faire comme l’un d’eux : il sera juge. « C’est comme cela qu’on s’est retrouvé à Dakar en 1962. C’est là qu’on a fait les 4 ans et puis 02 ans à l’école de la magistrature en France. Je suis donc allé là par hasard », explique-t-il. 1968 le trouve au pays, dans le corps des magistrats. Commence alors pour Joseph Gnonlonfoun une carrière de magistrat. Substitut du procureur, juge, Conseiller à la Cour d’Appel de Cotonou, il gravit rapidement les échelons au sein de sa profession. On le nomme également à d’autres postes de responsabilité : Directeur de cabinet au ministère de la fonction publique et du travail, Directeur de cabinet au ministère du Plan et Directeur de cabinet du ministère de l’alphabétisation et du tourisme… Dans ce dédale de postes, il est dénoncé comme élément subversif par des collègues. Il est interné au Camp militaire de Parakou puis au PCO à Cotonou, de 1980 à 1982. « C’est la seule fois de ma vie où j’ai grossi. J’étais heureux là. Vous mangez, vous dormez. Il y avait 5 militaires à ma porte tous les jours qui me surveillaient », ironise-t-il. « Pendant mes périodes d’arrestation, la seule personne qui a souffert était mon épouse. Elle aussi, à l’époque, avait refusé d’enseigner la philosophie du marxisme-léninisme », raconte-t-il. Les raisons de ces incarcérations étaient d’ailleurs tout un mystère pour le jeune juriste. Lorsque Kérékou, revenu aux affaires, après l’intervalle 1991-1996, le nomme Ministre de la justice, il refuse d’abord de prendre service. Ce panache poussa le général à lui vouer une profonde admiration. En fait, il était déjà inspecteur général des services judiciaires (1996-1998) avant d’être nommé ministre de la justice, poste qu’il occupera de mai 1998 à juin 2003. Il a été aussi élu deux fois député, respectueusement sous les bannières NCC et le parti National Ensemble. Joseph Gnonlonfoun est à l’origine de la loi portant création de la CENA lors de la première législature. Juillet 2004, il est nommé membre de la Haute Autorité de l’audio-visuel et de la communication (HAAC). Car l’homme est aussi un amoureux de la plume et du papier. Journaliste, il exerçait en tant que correspondant de presse cumulativement avec ses fonctions dans l’administration. Alias Polycarpe Toviho, il a signé de nombreux articles dans le magazine ‘’Marchés tropicaux et méditerranéens’’ pendant plus de 10 ans. Il aurait pu devenir le Président de la Haac, mais les calculs politiques et la répartition des postes des présidents d’institutions selon des considérations fondées sur les provenances géographiques, en ont décidé autrement.Il a été président de la CENA de Décembre 2010 à Juillet 2016. En octobre 2014, il prend les rênes de la Médiature, après Albert Tévoédjrè. Sa devise, c’est la patience : « Ne soyez jamais pressé de jouir d’un avantage. Vous risquez de perdre gros alors que si vous êtes patient, vous pouvez obtenir mille fois plus », conseille-t-il.



Intimité: A 75 ans, son amour ne vieillit pas
S’il y a quelque chose de précieux auquel on ne touche pas, c’est bien son épouse. « Elle a beaucoup souffert à cause de moi », se dit-il. Malgré ses origines occidentales, celle-ci s’est très rapidement adaptée aux réalités socio-culturelles béninoises et a su suppléer ses absences répétées. « Il arrive souvent qu’on se croise à l’aéroport, moi revenant d’une mission à l’extérieur et elle, en partance, avec les enfants, en vacances », dit-il. Pour lui faire plaisir à table, pas besoin de se casser la tête : la pâte de maïs avec de la sauce simple et de l’eau. Pas d’alcool.
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