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Le Matinal N° 4205 du 11/10/2013

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Invité de Africa N°1 : Victor Topanou crucifie Yayi Boni
Publié le samedi 12 octobre 2013   |  Le Matinal


l’ex-ministre
© Autre presse par DR
l’ex-ministre de la justice, Victor Topanou


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Record d’impopularité pour le président béninois, Yayi Boni. A l’intérieur du pays, l’homme intrigue, inquiète et agace ses concitoyens. A l’extérieur, il est l’objet de quolibets et de plaisanteries peu flatteuses. Alors que certains Béninois le qualifient de « honte nationale », d’autres n’hésitent pas à le désigner comme un véritable danger pour la démocratie... A deux ans de la fin de son dernier mandat, les promesses économiques non tenues, la méthode de gouvernement, les dérives autoritaires et l’instrumentalisation de la Justice sont devenues les principaux marqueurs de ce régime. En toile de fond, une crise sociale larvée que les Béninois craignent de voir dégénérer en conflit politique majeur. Où en est le Bénin de Yayi Boni ? Réponses dans l’émission "Grand Débat" de Africa N°1 avec Victor Topanou, ancien ministre de Yayi Boni.

Monsieur Topanou, vous êtes ancien ministre de Yayi Boni, ancien candidat à l’élection présidentielle de 2011. Comment et pourquoi, vous êtes devenus l’un de ses principaux opposants ?

C’est tout à fait normal que dans la vie des hommes, il y ait des moments où on s’entend et puis des moments où on ne s’entend plus. Quand, à partir d’un certain moment, vous ne partagez plus les idées forces, forcément vous vous éloignez. Et en politique plus qu’ailleurs, il y a toujours un plus fort et un plus faible. Dans ces conditions, c’est le plus fort qui pose le premier acte. Et c’est le président de la République qui a décidé de la séparation que j’assume pleinement.

Vous avez été sorti du gouvernement en 2010. A l’époque, votre sortie du gouvernement était liée selon Jeune Afrique à la lenteur de certaines instructions en cours. Et on cite principalement, cette affaire de malversations commises en marge du sommet de la Cen-Sad qui s’était tenu à Cotonou en 2008. On a parlé de surfacturation, de divers vices de procédure dans la soumission des marchés et aussi des retro-commissions douteuses. Bref, plusieurs milliards se sont évaporés et deux ministres ont été mis en cause. Quelle a été votre action dans ce contexte ?

Jeune Afrique, soit dit en passant, avait été très bien informée puisque c’était l’argument officiel que le président de la République m’avait avancé pour justifier sa décision.

Vous voulez dire que Jeune Afrique a repris l’argument officiel ?

Je peux le dire parce que c’est ce que le président de la République m’a dit lui- même.

Il vous a dit qu’il a téléphoné à Jeune Afrique…

Non. Non. Non. Il m’a dit que c’est à cause de la lenteur des procédures… C’est des dossiers envoyés en justice. Mais j’observe simplement que depuis trois ans, les dossiers n’ont pas avancé. Donc, il faut chercher les raisons ailleurs.

Donc, c’est lui qui vous a fait partir ?

Forcément.

Alors, le lundi dernier, le gouvernement a procédé à un énième remaniement ministériel…

C’est vrai. Je constate que le président de la République fait un très bon usage des dispositions de l’article 54 de notre Constitution qui lui confère des pouvoirs discrétionnaires de nommer autant de ministres qu’il veut et de mettre fin à leurs fonctions quand il veut.

De là, faut-il remanier toutes les semaines ?

Tant que c’est constitutionnel, tant qu’il requiert l’avis de l’Assemblée nationale…

Est-ce que c’est bon pour la stabilité ?

Par contre, ça peut poser un problème pour la stabilité. En effet, ce n’est forcément pas bon. Parce qu’à peine ils sont installés, à peine ils commencent par étudier les dossiers, à peine ils les maîtrisent et que déjà, ils sont partis. Et donc forcément, il y a un problème. Mais au-delà, de la stabilité, ça montre que c’est le président de la République qui est l’inspirateur de toute la politique. Et que finalement les hommes qu’ils utilisent ne sont là que pour mettre en application ce qu’il leur demande de faire.

Qu’est ce que vous gardez de votre passage au gouvernement ?

De très bons souvenirs parce que de toute façon, c’est une expérience très enrichissante, personnelle, irremplaçable que je souhaite à beaucoup de personnes qui la souhaitent. Il y a eu beaucoup de belles choses qui ont été faites pendant cette période-là. Malheureusement, la suite n’a pas été forcément harmonieuse par rapport à ce qui a été fait au début.

Qu’est ce que vous reprochez exactement aujourd’hui au président Yayi ?

La question par exemple de la révision de la Constitution.
On va en parler. Ce n’est pas juste pour cela que vous êtes opposant au régime.
Quand on veut s’opposer à un régime surtout dans un contexte qui est le nôtre où finalement, le débat idéologique n’est pas très important, il est évident qu’il faut trouver des lignes de fraction. Et la principale ligne de fraction qu’il y a là aujourd’hui, c’est certainement la question de la révision constitutionnelle. Il y a ceux qui sont farouchement opposés à la révision de la Constitution parce que finalement elle n’apporte rien. Et en plus, elle est porteuse de beaucoup de suspicions. Il y a également ceux de l’autre côté qui pensent que de toute façon, il faut aller à la révision de la Constitution parce qu’elle pourrait apporter des choses et qui quelque part ne sont pas forcément maîtres du jeu et qui plus est, ne maîtrisent pas tout à fait l’agenda.

Est-ce que les promesses économiques qui ont été énoncées dès le premier mandat de Yayi Boni ont été tenues ? La fameuse promesse de l’émergence économique ?

Tout le monde sait que l’émergence ne s’obtient qu’après des conditions préalables qui n’ont jamais été réunies chez nous. Donc forcément, c’était un slogan.

Est-ce que le Bénin va beaucoup mieux qu’il y a huit ans ?

Si vous allez vers les populations, elles vous diront non. Elles vous diront non parce que ne serait-ce qu’au niveau des produits de première nécessité, les prix ont plus que flambé. Les Béninois ont confusément le sentiment que l’argent ne circule pas dans le pays. Où est-ce qu’il est stocké ? Personne ne sait. Les fonctionnaires n’ont pas de problèmes parce qu’eux au moins ont leur salaire. Mais quand vous allez voir les opérateurs économiques, ils se plaignent presque systématiquement. Donc, c’est le meilleur indicateur économique pour savoir ou non si ça marche.

Est-ce que le Bénin est encore un Etat laïc quand on voit le président qui se comporte comme un officiant d’office religieux ?

Quand vous me dîtes que la laïcité est mal en point au Bénin aujourd’hui, c’est une évidence. Mais je dis toujours que l’opposé de l’Etat laïc est l’Etat religieux. Mais pour l’instant, on n’est pas encore dans un Etat religieux. Mais il est évident que le parcours religieux de notre pays en prend sérieusement un coup.

On n’est pas dans un Etat religieux, mais on a un président hyper-religieux.

Forcément. Et puis de toute façon, depuis 1990, la laïcité a été sérieusement secouée sauf qu’elle n’a pas pris la dimension qu’elle connaît aujourd’hui. Parce que si vous regardez le premier mandat de l’ère du renouveau démocratique que le président Soglo a géré, c’était la période de la grande influence de l’église catholique à la suite de la Conférence nationale elle-même présidée par un Evêque, Mgr de Souza, paix à son âme. Ensuite, les deux mandats du président Kérékou, c’était déjà l’arrivée des évangélistes. Et beaucoup de ministres ont été nommés non pas par compétence mais davantage par leur appartenance à la même religion. Et puis cela a fait le lit du président Yayi Boni qui lui aussi est allé encore plus loin. Et pour la première fois depuis 1990, c’est avec le président de la République, qu’on a eu un parti politique dont les fondateurs se sont ouvertement inspirés de la religion, c’est le fameux Mofed. Et donc, pour la première fois, on a un parti religieux entre guillemets sur la scène politique. Ce qui effectivement porte un coup de massue beaucoup plus important à la laïcité que ce que nous avons connu dans les trois derniers mandats.

Du changement à la rupture…. Le changement a été opéré non ?

Ca, je n’assumerai pas. Il y a quelqu’un qui a été élu sur cette base là, il assume. Mais je veux dire, que nous avons effectivement une culture de démocratie chez nous. Je pense notamment à cette exception béninoise qui veut que malheureusement depuis 1990, aucun président de la République n’ait été élu en étant chef de parti politique. Et c’est cette culture là qui est mauvaise parce qu’elle projette des individus seuls au devant de la scène, au sommet de l’Etat sans un appareil politique qui ait partagé pendant des années, des idées communes et donc par conséquent lorsque vous arrivez comme un messie comme cela, vous n’avez que des résultats connexes ….

Après Nicéphore Soglo, c’était Mathieu Kérékou qui est venu et après Boni Yayi.

Exactement, et je pense qu’après 5 mandats après le renouveau démocratique, il faudrait qu’on puisse s’asseoir, tirer ces grands enseignements et les corriger. Je vois que cela sera un vrai débat. Parce que je ne vois pas que certains reprochent dans d’autres pays qu’on ne puisse aspirer aux hautes fonctions de l’Etat sans avoir derrière une machine. Oui non seulement sans avoir derrière une machine, mais sans avoir jamais été un élu local, sans jamais avoir connu les élections communales, une élection législative.

Vous êtes chef d’un parti politique quand même

Oui je le suis, mais pas encore élu. J’espère simplement que les communales auront finalement lieu et qu’à cette occasion, les électeurs me feront confiance. Mais en fait, moi je suis dans cette logique là parce que je considère que le pouvoir politique qui lie la gestion de l’Etat, ne se décide pas comme cela, dans les bureaux, dans les officines dans les banques centrales etc.. Parce que finalement, c’est des individus que l’on projette sans aucun programme et c’est normal que depuis, on ait le sentiment de naviguer à vue.

Monsieur Topanou, il y a une ombre qui plane sur les échéances de 2016, c’est le projet de révision de la Constitution. Alors, ce projet a été rejeté récemment par la Commission des lois à l’Assemblée nationale…

Le fait que ce projet ait été rejeté par la Commission des lois à l’Assemblée nationale, alors que certains disent que cela n’est qu’un vice de forme et non sur le fond. Je veux dire qu’il y a plusieurs aspects dans ce débat. Il y a d’abord le fait que quand vous regardez les résultats du vote, à l’évidence certains députés proches de la mouvance présidentielle ont voté contre. Cela veut simplement dire qu’à l’intérieur de la mouvance, il y a un malaise. C’est évident, parce que soit, ils sont tous d’accord pour l’aspect technique qu’ils ont mis en exergue à savoir le manque de l’avis motivé de la Cour suprême et à ce moment là, ils vont tous en bloc contre et on sait que c’est un avis commun, ou alors, ils ne partageaient pas cet argumentaire, et ils ont voté tous contre. Et donc, cette division montre très bien qu’à l’intérieur de la mouvance il y a bel et bien des problèmes. Cela, c’est le premier aspect.
Le deuxième aspect, c’est ce que vous veniez de dire qui est l’intervention de l’Exécutif. Alors, il ne revient pas à l’Exécutif d’expliquer le vote au Législatif. Cela montre très bien ce que certains appelleraient en terme technique, la caporalisation du Législatif. Jai trouvé cette intervention du ministre de la Justice qui est venu à la télévision à 20 heures justifier cela, très maladroite. Et à la suite de cela, les maladresses se sont accumulées, notamment celle de la Cour constitutionnelle à qui on a demandé d’envoyer une décision à des gens qui n’avaient pas saisi la Cour. Donc, cela montre bien certains malaises, et certaines fébrilités qu’il convient effectivement de relever.

Ducis Aïssi : Vous aviez été ministre de la Justice du président Boni Yayi et en ce temps, vous aviez pris part aux travaux du projet de révision de la Constitution…

Vous me donnez surtout l’occasion de clarifier un point. En 2008, lorsque le président de la République a voulu mettre en place une commission constitutionnelle que j’ai dirigée, pas présidée, il ne s’agissait pas d’une commission de révision. Il suffit pour cela de prendre un décret. Il s’agissait d’une commission de relecture de la Constitution. Le but était simple dans notre esprit. Et cela a fait partie du débat qui a eu lieu. Il s’agissait à l’époque de se dire voilà, nous avions une Constitution que nous avions pratiquée pendant 22 ans. Si par extraordinaire, on décide d’aller à une révision qu’est-ce qu’on fait ?

Pourquoi on se mettrait à relire une Constitution qui ne pose pas de problème a priori ?

C’est exactement ce qui s’est passé en France avec la Commission Balladur que Sarkozy a mise en place. Il n’a jamais été question pour le Président Sarkozy de reprendre l’intégralité des travaux de la Commission Balladur. Au contraire, quand il s’est agi de toucher certains points, on a vu que la Commission Balladur avait déjà traité de ces questions et on n’est allé les prendre. C’est exactement le même type de procédure que nous avons appliqué au Bénin. Il ne s’agissait pas du tout, mais alors pas du tout, d’une commission de révision et le Président Glèlè qui a présidé les travaux l’a rappelé récemment et moi qui ai écrit le décret à l’époque j’ai mis commission de relecture et non commission de réécriture parce que là aussi c’est une nuance qui a été faite. Parce que le président de la République, je peux en parler maintenant parce que le Président de la République l’a dit pendant qu’il recevait les sages d’Abomey.

Vous vous rencontrez toujours donc

Non, on ne se rencontre plus. Il l’a dit à la télévision. Maintenant, je peux embrayer là-dessus. C’est-à-dire qu’effectivement, autour de lui, il y avait deux tendances. Il y avait ceux qui à la fin des travaux de la Commission Glèlè voulaient qu’on engage une grande campagne de sensibilisation auprès des populations. Exactement comme cela s’est passé en 1990 pour l’adoption de notre Constitution et moi j’y étais farouchement opposé parce que j’estimais que si on adoptait cette procédure, on allait vers une nouvelle Constitution, et éventuellement une nouvelle République. Or, ce n’était pas l’objet. Et j’étais suivi à l’époque. Le président de la République n’a pas donné suite à la tendance qui voulait qu’on aille vers cela. Et donc, cela a toujours été clair. Il ne s’agissait pas d’une commission de révision, mais de relecture. Une fois comme je l’ai dit dans le style de la Commission Balladur en France. Et donc, il était prévu que si dans dix ans, dans 15 ans, il y avait un autre problème ponctuel sur la Constitution française, le président qui sera concerné en ce moment là pourra faire appel, je dirai sortir du tiroir les travaux de Balladur et dire voilà ce qu’il a dit est aujourd’hui un peu dépassé je remets en place une nouvelle commission.

Certains disent que Yayi Boni promeut cette révision de la Constitution pour des raisons suspectes de rester au pouvoir après deux mandats. Pourquoi cette suspicion ?

Moi je dis qu’au-delà de la suspicion, c’est la crise morale qui prévaut actuellement. C’est-à-dire dans un pays où personne ne croît à la parole du Président de la République, c’est dire qu’il y a un problème du point de vue moral, une crise morale profonde. Et c’est cela qu’il faut chercher déjà à régler. Maintenant, évidemment ceux qui alimentent cette suspicion, ils ont des raisons objectives mais parfois subjectives. Mais les raisons objectives, on les voit notamment dans la procédure, dans la démarche. Notamment la fameuse Commission Glèlè a déposé son rapport, le processus n’est pas allé à son terme que déjà le président, dès sa réélection met en place une nouvelle commission, la fameuse commission Gnonlonfoun sans donner aucune explication sur ce qu’on a fait des résultats de l’autre commission. Donc du coup, les gens commencent par se poser la question de savoir pourquoi il y a tout cela. Et ensuite quand moi j’ai eu l’occasion de le dire. Quand on veut faire une révision de la Constitution, on annonce clairement les orientations. L’année dernière en mars 2012 lorsque le président de la République a convoqué une session extraordinaire à l’Assemblée nationale aux fins de réviser, il y avait aucune orientation claire. Et précisément ce n’était pas l’objectif des travaux de la Commission Glèlè. Cette fois-ci le président de la République a tenu compte de cette critique et de plus en plus, on parle de trois orientations. Et on dit que la première orientation est l’imprescriptibilité de crimes économiques ensuite la création d’une Cour des comptes conformément aux directives de l’Uemoa et enfin la constitutionnalisation de la Cena. Et c’est là, le débat devient fragile. Parce que pour l’imprescriptibilité de crimes économiques on n’a pas besoin de réviser la Constitution pour le faire. Et là, si le président estime que ce n’est pas suffisant et qu’on veuille en rajouter, la constitutionnalisation de la Cena, il y a juste à mettre dans la loi que ce sera une institution permanente. Et c’est d’ailleurs ce que propose le code électoral en étude à l’Assemblée nationale. Il en est de même pour la Cour des comptes. Que veut l’Uemoa en demandant cela ? L’importance des magistrats de la Chambre des comptes. Parce que les fonctionnaires de l’Uemoa pensent à tort que seul dans une Cour, les juges peuvent avoir une certaine indépendance que les juges à l’intérieur d’une Chambre des comptes ne peuvent avoir, je pense que c’est une erreur. Tout cela peut se faire par la loi. Quand on est convaincu de cela. Moi je veux dire que si ce ne sont que ces orientations que l’on peut obtenir par la loi, il n’est absolument pas question qu’on force cette révision.

M. Victor Topanou. On vous reproche d’avoir été ministre de Yayi Boni. C’est finalement un boulet que vous traînez.

Je ne peux pas le traîner comme un boulet. A travers les deux interventions de vos auditeurs, j’ai cru comprendre qu’ils ont beaucoup de chose à me reprocher qu’au président Yayi Boni. J’apparais donc comme un souffre-douleur. Mais je l’assume et il n’y a pas de problème. Je pense simplement que le débat autour de la question de la démission mérite d’être pris avec beaucoup plus de sérieux. Les auditeurs parlent de la démission et font allusion à la France. Mais en France, ce n’est pas parce que les Verts ne sont pas d’accord avec des décisions gouvernementales, que le ministre des Verts démissionne. Ou alors ce n’est pas parce que certains arbitrages ont été en faveur de tel ou tel qu’en conséquence on démissionne, pas du tout. Je donne toujours l’image de la démission comme la séparation d’un couple. Il y a deux façons de se séparer : la façon violente et la façon non-violente. La démission ne se fait pas toujours de façon violente. On peut toujours s’entendre.

Ce n’est pas une démarche à l’amiable avec le président Yayi Boni ?

J’étais l’un des privilégiés que le Chef de l’Etat a informé avant de sortir du gouvernement. Parce que justement il y avait eu cela. Mais au-delà j’aurais pu aller à la télévision et commencer par dire que je ne m’entends plus avec lui. Cela ne change rien et n’apporte rien non plus. Et ceux qui ont cette culture de la démission tapageuse ont sûrement leur raison. Certains auraient pu le faire et on n’aurait rien à leur reprocher. Je pense qu’il ne faut pas considérer la démission comme la seule formule de séparation ou d’expression d’une divergence avec quelqu’un.

Vous êtes un cadre et Yayi Boni a utilisé la matière grise des cadres béninois. Est-ce que son échec s’il y a échec, n’est-il pas leur échec ?

Non. Je pense que c’est plutôt le système politique qu’il faut remettre en cause. Lorsqu’on vous nomme sous l’étiquette de technocrate c’est que nécessairement sur la scène politique, il manque de ressources. Ce qui n’est pas normal. Les technocrates ne sont pas faits pour la politique. Soit il rentre dans la politique et il se bat et on estime que les ressources nécessaires pour gérer le pays on les a dans les différents partis si le parti gagne, ou on constate (et c’est ce que j’appelle la rupture) qu’on a voté juste un individu qui est obligé après d’aller chercher les cadres et cela fait partie des dysfonctionnements de notre processus démocratique mis en place depuis 1990.

Yayi Boni intrigue, inquiète et agace les Béninois. Beaucoup de commentaires et on se pose beaucoup de questions aussi. Et à l’extérieur du pays on entend des plaisanteries peu flatteuses. Certains n’hésitent pas à désigner Yayi Boni comme un véritable danger pour la démocratie, « une honte nationale ». Pouvez-vous nous dire en quoi il intrigue les Béninois ?

Il intrigue lorsque vous prenez le mot dans son sens premier. Effectivement, on s’interroge car on ne le connaît pas très bien. Beaucoup de gens vous disent qu’ils l’ont découvert pendant qu’il est président et c’est pourquoi je parlais tout à l’heure de rupture que ce type de président qu’on va chercher et qui apparait à la veille de l’élection et grâce aux insuffisances du système partisan passe par-dessus tout le monde et devient président. C’est pendant l’exercice de son mandat qu’on commence par le connaître. Et c’est cela qui est anormal. C’est comme si aux Etats Unis, vous élisez un président que vous ne connaissez pas. Pendant les Primaires, on vous passe à la moulinette sur ce que vous avez fait depuis votre naissance jusqu’à votre déclaration de candidature. Si entre temps vous avez fumé de la drogue quelque part, on le voit rapidement. Parce qu’on cherche à connaître celui à qui on veut confier le pays.

Mais au Bénin, il y a également de longues campagnes électorales et la presse fait son travail ?

Non. Si vous regardez bien, les candidats au Bénin ne se prononcent qu’à la veille des élections, deux ou trois mois avant. C’est vrai qu’à la veille on sent des préparations souterraines etc. Mais ils n’apparaissent au grand jour qu’à ce moment.

Yayi Boni est-il une menace pour la démocratie ?

Il est évident que dans certaines de ses pratiques, on a de bonnes raisons d’avoir peur. Moi-même j’ai écrit un livre dont vous avez parlé : « Boni Yayi ou le grand malentendu ? » J’ai essayé d’expliquer la-dans ce que j’ai considéré comme la stratégie de fragilisation des autres institutions. Effectivement, lorsque vous êtes dans une situation de démocratie représentative, il y a une espèce de concentration progressive du pouvoir entre les mains de l’Exécutif au détriment du Législatif et du Judiciaire. Il y a donc de bonnes raisons de s’inquiéter.

Que dites-vous par rapport à l’instrumentalisation de la Justice ?

J’en ai parlé dans le livre. Lorsque par exemple le gouvernement en 2007 avait décidé de la suspension des décisions de Justice, les magistrats ont crié au scandale. Evidemment la crise a été réglée après. A l’époque j’étais au cabinet civil du Chef de l’Etat lorsque le président de la République est revenu sur cette décision. On peut considérer cela comme une fragilisation de la Justice.

Comment va la presse aujourd’hui ?

Beaucoup de gens avaient dénoncé et cela a été écrit dans tous les livres. Comment est-ce que la presse était vassalisée avec le fameux contrat qui a été signé entre le gouvernement et les principaux organes de presse dont l’objectif finalement était d’avoir un traitement bienveillant vis-à-vis et de l’action gouvernementale et de son chef. Effectivement, lorsque vous prenez tout cela bout à bout, vous vous dites, attention. Aujourd’hui, le problème n’est plus de savoir si la démocratie est mise à mal. Le constat est fait et personne ne le discute. Le seul problème c’est que si finalement, malgré cela, le président de la République obtiendra une révision de la Constitution qui lui permettra à nouveau de rester au pouvoir. Et c’est cela qui préoccupe le plus les Béninois. Si non pour la plupart des Béninois, il faut l’accompagner jusqu’en 2016 et s’il y a des redressements à faire, il faut les faire.

Par rapport au projet de révision envoyé à l’Assemblée nationale. L’article sur le nombre de mandat et la limitation d’âge n’a pas été modifié. Expliquez-nous d’où vient la peur.

Là, vous énoncez tout le débat autour de la fameuse Nouvelle République ou non. En fait ce que je dis et qui conforte mes craintes, c’est que ni le président de la République, ni le président de l’Assemblée nationale encore moins le président de la Cour constitutionnelle ou n’importe quel professeur d’université que ce soit, ne peuvent venir à la télévision pour nous dire qu’au lendemain de cette révision, il n’y aura pas une nouvelle République. La seule structure capable de le dire va être la Cour constitutionnelle. A supposer un seul instant que la révision passe et que le débat sur la Nouvelle République n’ait plus lieu et qu’en 2016, le président de la République dépose à nouveau sa candidature, qui est-ce qui sera habilité à lui dire qu’il n’a pas le droit de le déposer ? Ça va être la Cour constitutionnelle et en ce moment, si la Cour dit je considère que les modifications qui ont été faites sont substantielles au point que nous sommes dans une Nouvelle République, ça fait trop tard. C’est justement cela qui renforce la suspicion, la crainte et la méfiance des gens. Lorsque vous êtes dans un pays où plus aucun citoyen ne croit aux propos du Chef de l’Etat, c’est que nous sommes dans une crise morale profonde qu’il faut travailler à régler progressivement.

Certains partisans de la révision avancent l’argument selon lequel les bailleurs de fonds apportent leur caution à cette modification de la loi fondamentale. Depuis quand est-ce que les partenaires se mêlent-t-ils de ces genres de questions relevant de la souveraineté nationale ?

C’est stupide.

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