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Pratique abusive de la détention provisoire : Richard Boni Ouorou interpelle les acteurs de la justice

Publié le jeudi 26 juillet 2018  |  Matin libre
Le
© Autre presse par DR
Le politologue Richard Boni Ouorou
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Dans sa récente interview, le politologue Richard Boni Ouorou mettait en cause l'application de la détention provisoire telle que pratiquée par la justice béninoise. Ce Béninois de la diaspora n'entend visiblement pas en resté à ce simple constat. Par le truchement d'une lettre ouverte, il interpelle des acteurs judiciaires connus pour leur engagement syndical afin que ces derniers puissent s'expliquer sur l'usage systématique de cette mesure judiciaire d'exception. Dans un contexte politico-judiciaire assez riche, le moins que l'on puisse affirmer c'est que sa démarche tombe à propos.

Montréal, le 24 juillet 2018

À Messieurs,
Le Président de l'Union National des
Magistrats du Bénin et
Michel ADJAKA, Magistrat
COTONOU

Objet : De la pratique de la détention provisoire
par la justice béninoise

Messieurs,

Je viens par la présente vous interpeller au sujet de ce que je considère au Bénin comme étant la violation des droits de la personne humaine la plus insidieuse et partant l'une des plus graves à savoir, la détention provisoire. Le caractère insidieux de cette dernière comme instrument de violation de la personne humaine s'apprécie selon moi au regard de deux critères. Le premier est qu'elle est l’œuvre de la justice et s'exerce de ce fait sous le couvert de la loi. Le second critère est qu'elle est pour des raisons politiques dans certains cas d'espèces à la fois : une peine privative de liberté, une infamie, un instrument de torture psychologique et une arme de dissuasion.

Avant que je ne développe mon propos, il convient d'expliquer à l'usage de ceux qui comme moi ne sont, ni juristes, ni praticiens du droit, ce que c'est que la détention provisoire et dans quels cas est-elle mise en œuvre. Il est grosso modo admis que la détention provisoire est une mesure de détention, généralement exceptionnelle, visant à emprisonner jusqu'à la fin du procès un accusé. Les conditions de sa mise en œuvre sont presque généralement semblables dans les pays de droit. Il s'agit entre autres :
• du fait que la liberté de l'accusé risque fortement d'altérer la sécurité publique ;
• du fait que la liberté de l'accusé risque d'empêcher le bon déroulement de la justice, par sa fuite, la destruction des preuves, des pressions sur les témoins ou les victimes ;
• du fait que la sécurité de l'accusé soit menacée.

Une fois que tout cela est dit, il faut toutefois souligner la principale critique, et pas la moindre, dont est l'objet la détention provisoire. Elle est en effet accusée de porter atteinte au sacro-saint principe de la présomption d'innocence.
Pour en revenir au Bénin, il existe une catégorie d'affaires judiciaires considérées comme affaires politiques. Nous pourrions, si l'envie vous en prend, disserter sur ce qu'on entend comme affaire politique. D'ici là, partons du principe de leur existence. La caractéristique principale que l'on attribue aux affaires dites politiques est l'existence d'une main noire qui, pour des raisons étrangères à la manifestation de la vérité, met en branle les procédures et l'appareil judiciaires à l'encontre de certaines personnalités.

Messieurs, ce qui est en cause ici n'est pas l'existence de telles procédures judiciaires. Non. Ce qui fait problème ici c'est le fait que ces procédures aboutissent inéluctablement au même résultat à savoir, l'emprisonnement des personnalités mises en cause. Et ce non pas du fait d'un jugement définitif les privant de leur liberté mais plutôt au titre de la détention provisoire. La question la plus évidente qui s'impose et que je vous pose est celle-ci : pourquoi dans ce qui est considéré comme des affaires judiciaires à caractère politique, les mis en cause ne comparaissent jamais en état de liberté ? Autrement dit, pourquoi une mesure judiciaire d'exception revêt-elle, dans des affaires considérées comme politique, un caractère systématique ?

La réponse à cette question est que dans ces affaires-là, la détention provisoire est en elle-même la peine. Non seulement la main noire recherche et obtient à travers elle l'emprisonnement dans des délais indéfinis des personnes qu'elle veut voir priver de leur liberté, mais en plus elle obtient au travers de cette détention provisoire la punition, l'humiliation et la souffrance de celles-ci. Il n'y a donc pas lieu de se leurrer, les poursuites diligentées et la détention provisoire qui en résultent ne sont que des démonstrations de force de la main noire qui a le souci d'affirmer ce qu'elle considère comme son incontestable puissance sur les hommes et les choses.

Il existe en ce moment à la prison civile de Cotonou des personnalités issues du monde politique et de la sphère économique. Certains parmi eux ont servis la République au plus haut niveau et possèdent des états de service irréprochables. D'autres sont des chefs d'entreprises qui ont bâti leur prospérité par un travail opiniâtre et ont contribué et contribue de ce fait à la prospérité économique du Bénin. Elles sont en prison au titre de la détention provisoire. Je vous repose ma question ci-haut : pourquoi ne peuvent-elles pas répondre de leurs actes en état de liberté ?

Voulez-vous prétendre qu'au regard de leurs titres et qualités aucunes d'elles ne justifient de garanties de présentation ? Voulez-vous faire croire que toutes autant qu'elles sont, elles risquent ''fortement d'altérer la sécurité publique'', si oui par quel moyen ? Voulez-vous faire croire à l'opinion publique, aux familles, amis, relations et partenaires d'affaires, employés et électeurs de tous ces prisonniers-là que leur éventuelle liberté risquerait d'empêcher le bon déroulement de la justice, par leur fuite, la destruction des preuves à laquelle elles procéderont, des pressions qu'elles exerceraient sur les témoins ou les victimes ? Qui pouvez-vous convaincre en République du Bénin de l'intention ou de la volonté de ces personnes de vouloir se soustraire de l'action de la justice ?

Messieurs les syndicalistes, vous vous faites forts de défendre, par les moyens que vous pouvez utiliser, votre indépendance dans l'exercice de votre métier. Mais l'ennui dans votre combat, c'est qu'il tend à faire croire que votre unique adversaire demeure le pouvoir politique. Elle tend à faire état d'un affrontement opposant d'une part, de valeureux, intrépides et téméraires magistrats à d'autre part, le monstrueux Léviathan. Mais que dites-vous de vos propres actes qui tendent à ternir la crédibilité de la justice béninoise ? J'en viens à vous poser cette question parce que si la détention provisoire est ainsi instrumentalisée, c'est parce que c'est la justice qui sert de bras exécutrice aux velléités de la main noire. Nulle autre personne que ces acteurs ne sont responsables de ces emprisonnements. Je n'en veux pour preuve que le cas emblématique du député Atao Mohamed HOUNNIHO.

Alors que le juge des libertés a décidé de ne pas détenir ce dernier à raison du caractère insuffisamment établi du flagrant délit, le procureur de la République a tout mis en œuvre pour le mettre en prison, et ce au mépris des valeurs, des principes et des lois qui régissent la République et la société béninoise. Faut-il rappeler que le député Atao Mohamed HOUNNIHO était souffrant et alité dans un hôpital quand le procureur de la République, sans aucune considération des valeurs humanitaires, est allé lui signifier son arrestation et sa mise en détention ? Faut-il rappeler qu'en jetant le député Atao Mohamed HOUNNIHO en prison, le procureur de la République a violé avec une légèreté inouïe la garantie cardinale de la fonction de député à savoir, l'immunité parlementaire ? Que dire du non-respect qu'il a opposé à la décision du juge des libertés ? Et comme pour souligner de manière facétieuse le caractère illégale de la démarche du procureur de la République, l'Assemblée nationale a procédée dans la journée du mardi 24 juillet 2018 à la levée de l'immunité parlementaire de l'honorable Atao Mohamed HOUNNIHO. Ceci afin de rétroactivement donner une base légale à l’œuvre zélée de votre confrère.

Je vous ai dit à l'entame de la présente que la détention provisoire était un instrument de torture psychologique. Pensez-vous que si tel n'était pas le cas, l'honorable Atao Mohamed HOUNNIHO aurait donné procuration pour le vote de la révision constitutionnelle à des individus n'appartenant pas à sa famille politique ? Dans ce cas d'espèce, il est incontestable que la contrainte au corps ait portée ses fruits. S'il ne s'agissait pas d'emprisonner coûte que coûte ce dernier au travers de la détention provisoire, pourquoi donc le procureur de la République s'est donné tout ce mal ? C'est dire toute l'importance de cette mesure dans le cadre des procédures judiciaires à caractère politique.

Messieurs, face à toutes ces actions contestables à tous points de vue de votre confrère magistrat, le procureur de la République, contrairement à vos habitudes on ne vous a pas entendu. Ne pensez-vous pas que tous les actes posés par ce dernier dans le cadre de l'affaire Atao Mohamed HOUNNIHO ne participent-ils pas de l'atteinte de l'image, de la crédibilité et de l'indépendance de la justice béninoise ? Si oui, pourquoi n'avez-vous rien dit ? Estimez-vous que le corporatisme l'emporte sur les valeurs, principes et lois qui régissent la magistrature en particulier et la République en général ?

Ces questions sont loin d'être banales au regard du recours systématique de la détention provisoire dans notre pays lorsqu'il s'agit des affaires à caractère politique. En effet, cette pratique ne date pas d'aujourd'hui. Certaines personnalités politiques ont par le passé été mises en prison à titre provisoire. Je peux me risquer à affirmer qu'elles ont presque été toutes libérées sans que pour autant leur affaire ne soit définitivement jugée. Ceci n'arrivait que soit parce que des contingences avaient amoindri ou annihilé la puissance de la main noire, soit parce que d'autres circonstances emmenaient la main noire à en quelque sorte autoriser la libération du mis en cause. Dans presque tous les cas, la libération n'éteignait pas la poursuite. C'est la preuve donc, s'il en fallait, qu'on peut être poursuivi tout en étant en liberté.

Nietzsche disait ''quand tu regardes l'abîme, l'abîme regarde aussi en toi''. Le philosophe allemand laissait entendre par là qu'on ne côtoie pas impunément le mal. Bien que réhabilité par un Conseil Supérieur de la Magistrature dont vous contestez avec force la légitimité et la légalité, l'un de vos confrère l'a appris à ses dépens durant quelques années de bannissement de votre corps. Mais manifestement la leçon n'a pas été retenu par certains d'entre vous. Et pourtant, cela n'arrive pas qu'aux autres.

Bien que les magistrats ne soient investis au Bénin d'aucun mandat électif, ils rendent toutefois la justice au nom du peuple béninois. Il est temps pour la magistrature de notre pays de donner des explications aux Béninois du pourquoi du manifeste usage abusif de la détention provisoire à l'encontre de leurs maris, fils, pères, frères, amis, collègues, patrons ou encore élus qui selon toute vraisemblance n'ont pour seul tort que d'avoir contrarié le bon vouloir de la main noire. J'espère donc Messieurs vous lire à cet effet très bientôt.
Respects et civilités distingués.

Richard Boni OUOROU
Politologue Membre individuel du Conseil des Relations Internationales de Montréal
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