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Etre adolescent et gay au Bénin, c’est vivre caché dans un monde libre

Publié le mercredi 26 decembre 2018  |  LeMonde.fr
Homosexualité
© aCotonou.com par DR
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Wilfried* et Herman* sont tous deux instituteurs dans une école primaire et impliqués au sein de l’église catholique de leur localité située dans le département de l’Ouémé, au Bénin. L’un est lecteur et l’autre maître de chœur. A 27 et 23 ans, tout porterait à croire qu’ils vivent une jeunesse sans problème. Ce n’est pourtant pas le cas. Wilfried a de l’attirance aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Il est bisexuel et a du mal à se faire accepter comme tel. « Je ne peux pas le dire à tout le monde par crainte de subir des moqueries et d’être exclu par mes amis et ma famille, raconte-t-il. A l’église, personne ne m’acceptera comme je suis et je ne pourrai plus continuer à assumer mon rôle de lecteur. » Ses journées, il les passe entre l’école où il enseigne, l’église et une association de défense des minorités créée en 2013 et dont il est vice-président.

Au Bénin, l’homosexualité n’est pas pénalisée, contrairement aux pays voisins que sont le Togo, le Ghana, le Cameroun ou le Nigeria. Dans ce dernier, les douze Etats du Nord qui suivent même la charia (la loi islamique) condamnant les gays à la lapidation.

Malgré des tentatives législatives pour criminaliser l’homosexualité dans les années 1990, le pays est resté relativement neutre sur cette question, accordant aux adultes consentants le droit d’avoir des relations homosexuelles. Mais cette tolérance ne signifie pas absence de difficultés pour les gays et lesbiennes, notamment pour les adolescents. Car le Code pénal, dans un amendement datant de 1947 – quand le Bénin appartenait encore à l’Afrique occidentale française (AOF) –, fixe la majorité sexuelle à 13 ans pour les personnes hétérosexuelles et à 21 ans pour les personnes homosexuelles. La menace d’une condamnation de six mois à trois ans d’emprisonnement pousse donc les jeunes qui se découvrent gays à vivre cachés dans un monde d’adultes libres. Et fige l’homosexualité comme un tabou dans les mentalités.

« Je ne suis pas prêt à tout dévoiler »
La famille de Wilfried, elle aussi, ignore son orientation sexuelle. Depuis un moment, sa mère lui réclame un petit-fils. Mais Wilfried est encore loin de la paternité. « Je sors avec Joy*, une jeune fille qui ne connaît pas ma bisexualité, confie-t-il. Je ne suis pas prêt à tout dévoiler, ni à elle, ni à ma mère. Le moment viendra pour cela. Puisque mon association travaille sous couvert d’actions de santé et de défense des droits économiques et sociaux, je les invite à nos activités de sensibilisation, où nous parlons parfois de la question des minorités sexuelles. C’est une manière pour moi de les préparer à la nouvelle. » Au Bénin, sur la dizaine d’associations LGBTQI en activité, aucune n’est légalement reconnue comme défendant les droits des homosexuels. Toutes doivent donc travailler sous une « couverture » officielle.

Quand Wilfried sort le soir et qu’il prévoit de « rencontrer du monde », il utilise des codes. « Nous avons des expressions pour nous reconnaître entre gays. Quand j’arrive à un endroit où quelqu’un me semble être homosexuel, je dis un ou deux mots précis pour m’en assurer. La plupart du temps, s’il acquiesce, cela confirme tout. »

Herman, lui, se définit comme « trans ». Il a un autre prénom quand il se travestit en femme. Son statut, il l’a compris il y a quatre ans, en classe de terminale. Le jour de notre entretien, il porte un tee-shirt sur un collant noir et parle d’un air un peu timide. « C’était au cours de SVT, on travaillait en groupe quand un camarade de classe m’a envoyé “je t’aime” sur un bout de papier, souffle-t-il. Au début, j’ai pris ça pour une blague, mais il a insisté. C’est ensuite que j’ai su qu’il était homo. Nous sommes restés ensemble un moment. »

Harcèlement quotidien
Contrairement à Wilfried, Herman raconte qu’il est quotidiennement moqué par son entourage. « A cause de ma démarche et parce que je suis efféminé, les gens se moquent de moi. Quand je fais des activités artistiques avec mes apprenants, mes collègues me disent devant les élèves : “Ah toi, tu es une femme hein ! Pourquoi tu parles comme ça ? Pourquoi tu marches de la sorte ?” Je suis quotidiennement harcelé. » Le harcèlement dont il est victime peut même aller plus loin soutient-il : « Un jour, la directrice de l’école dans laquelle j’interviens a voulu prendre mon téléphone pour regarder mes photos. Elle avait été informée par des collègues que je m’habillais en femme et que je me photographiais. C’est grâce à Wilfried que j’ai pu m’en sortir. Il m’a rappelé que l’engagement qui me lie à l’établissement n’autorise pas la directrice à fouiller dans mon téléphone et qu’il s’agit de ma vie privée. Mais nous les avons quand même effacées. »

Des Wilfried et des Herman, il y en a des milliers au Bénin, obligés de cacher leur véritable identité sexuelle. Aujourd’hui, ils soutiennent que l’Etat ne les protège pas suffisamment. Selon l’ONG Hirondelle Club, qui défend la cause de ces minorités dans le pays, de nombreux adolescents béninois sont encore chassés de leur foyer familial à cause de leur homosexualité et finissent par vivre à la rue. D’autres sont insultés, brimés, perdent leur emploi, sont exclus de leur école, de leur église, ou sont gravement agressés. Wilfried et Herman vivent dans la peur. Ils craignent un jour de subir le même sort que certains de leurs amis : mourir, tués par la haine et l’intolérance.
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