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Sortir de la crise électorale au Bénin : « Ecouter les insurgés… », préconise le prof. Aimé Adjilé

Publié le mardi 7 mai 2019  |  Matin libre
Aimé
© aCotonou.com par DR
Aimé Adjilé, enseignant-chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi
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Il n’a pas voulu rester indifférent à l’actualité sociopolitique très tendue dans son pays, le Bénin. Dans une démarche méthodologique, Aimé Adjilé, enseignant-chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi est allé sur le terrain, au contact des populations à la base, et rapporte dans cette tribune, ce qu’il a écouté à propos de la crise électorale née de l’exclusion des formations politique de la course pour les législatives. Certes, le forcing a eu lieu et l’élection a été organisée avec à la clé beaucoup d’incidents majeurs, des morts et un boycott massif. Mais pour le professeur Aimé Adjilé, la solution pour sortir de la crise, c’est d’écouter les manifestants. Il s’est aussi adressé aux leaders politiques de l’opposition. Lire sa réflexion.

BENIN : LA RESISTANCE HEROIQUE DES Shabe, Isha, Idaasha et Kobourou à la dictature

Entendre les insurgés, seule issue pour sortir de la crise !

Héroïque ! Historique! La résistance pacifique des Shabe (Savè, Tchaourou), des Isha (Bantè), des Idaasha (Dassa-Zoume, Glazoué) et des Kobourou (Parakou) à la dictature.

Sur le terrain, ce que j’ai vu et ce que je crois,

Le boycott du scrutin des législatives exclusives du 28 avril 2019 est massif dans la région Centre et Nord. Mais le constat est net. Les leaders politiques traditionnels de l’opposition exclue des législatives dans ces régions, les FCBE, USL, PRD principalement, ont démissionné laissant les populations orphelines, « sans leaders ». Les leaders ont choisi le silence, certains parmi eux ont retourné les vestes pour devenir des ‘’obligés’’ du nouveau pouvoir. D’autres, depuis l’exil ou sur les réseaux sociaux, lancent des appels au soulèvement sans en donner les moyens logistiques et d’encadrement. Ce sont bien les partis, dont certains vieux de plus de dix (10) ans, à qui échoit la tâche très délicate d’organisation de la mission de salut public et de désobéissance à la dictature. Autrement, le mouvement spontané des peuples s’essouffle et les insurgés, déjà suffisamment frustrés et excédés par la marginalisation dans la société s’exposent. C’est pourtant dans ces conditions d’abandon à eux-mêmes que les manifestants isha, shabè, idaasha et kobourou ont fait face, les mains nues, à l’armée pendant plusieurs heures. A Savè, la guérilla a duré près de treize heures, du samedi 27 avril à 17h au dimanche 28 avril à 5h du matin.

A partir de Kèrè, chef-lieu de l’Arrondissement du même nom dans la Commune d’Igbo-Idaasha (Dassa-Zoumè) au Centre du Bénin jusqu’à Parakou et au-delà au Nord du Bénin en passant par Glazoué, Savè, Bantè, Toui, Tchaourou, la résistance a fait honneur. La nuit du 28 avril, à 17h débute la guérilla urbaine à Savè en pays Shabè, à plus de 200 km au nord de Cotonou, la capitale économique du Bénin. La police est débordée. Elle bat en retraite une première fois. Elle revient à l’assaut mais est obligée de reculer une deuxième fois après avoir fait deux blessés graves parmi les manifestants sans armes. L’armée est appelée en renfort. A Dassa-Zoume, ville carrefour située à 54 km de Savè plus au Sud, on peut voir 5 chars et plusieurs contingents de soldats de l’armée nationale cheminer vers Savè à 2h du matin, le 28 avril. L’armée arrive à Savè vers 4h du matin. Combats, vrais chars d’assaut et tirs à balles réelles. 0n signale un mort et des blessés, ce qui peut paraître énigmatique. Il n’est pas impossible que la force surnaturelle des Oro et Egungun, Déités sécuritaires yoruba dont on dit qu’une centaine d’adeptes se sont mêlés à la foule des manifestants, ait agi pour ‘’transgresser’’ la mort de plusieurs hommes, sinon ! Oui en effet, sinon, comment expliquer qu’avec des mains nues et face à des tirs à balles réelles qu’on n’ait fort heureusement pas dénombré plus de victimes ? Plus pathétique, au moins un char d’assaut est complètement brulé et des soldats dont un colonel de l’armée faits prisonniers par les manifestants. L’armée négocie le dégagement de la route inter-Etats Bénin-Niger par la médiation des sages et rois de la région shabè contre l’échange des soldats avec le relâchement des manifestants arrêtés. Le recul de l’armée n’émousse pas pour autant les ardeurs des shabe. Après la libération de la voie inter-Etats, les shabè envahissent les rues de la ville pour organiser sa protection. Le vote est largement avorté dans toute la région.

Scène identique dans les arrondissements de Toui, Tchaourou et Manigiri plus au Nord, en pays Shabè et à Bantè-Gouka, en pays Isha au Centre Nord-est. A Tchaourou, l’armée qui a progressé de Savè vers le Nord, face aux insurgés déterminés, a dû se convaincre de ne pas utiliser les balles réelles. On compte cependant au moins un mort à Gouka-Atokolibè dans la commune de Bantè au centre Nord-est. L’armée organise aussi l’exfiltration de l’un au moins des ex-députés du parti FCBE, les désormais obligés de la dictature. Dans le grand Nord, à Parakou, ville des Kobourou, l’hôtel de ville est assiégé par des milliers de manifestants. Les citoyens réclament les têtes du maire et de l’un des députés, le premier un baron de l’espace médiatique béninois, devenu maire par le soutien du Président, et le second un transhumant impénitent et sans état d’âme depuis plus d’une vingtaine d’années – tous deux ardents soutiens de l’actuel pouvoir. Les manifestants menaçant d’en découdre avec eux suite à la gigantesque mobilisation qu’on pouvait noter autour de l’hôtel de ville.

Au petit matin du dimanche 28 avril, alors que les bureaux de vote s’ouvrent dans les communes plus au Sud du pays shabè, en pays idaasha, la nouvelle se répand et enthousiasme les jeunes. Ils sont pleins d’abnégation. C’est ainsi que la commune de Glazoué (Igbomina), la deuxième commune peuplée majoritairement des Idaasha, s’emballe. Les bureaux de vote de Zafé, Kpapaza, Gomé, Itankossi, Magoumi, Glazoué Zongo, Glazoué Affécia, Glazoué centre, Ishachegoun, etc., sont inopérants. Si à Igbo-Idaasha (Dassa-Zoumé centre), l’autre commune des idaasha, le calme est relatif, le seul arrondissement de la commune qui fait frontière avec Glazoué ne put éviter la contamination. C’est ainsi que les jeunes des centres de vote de Kèrè 1, Kèrè 2 et Kèrè-Okéméré 1 entrent dans l’histoire de la résistance à la dictature. Ils sont braves!

Protéger les insurgés, sécuriser les manifestations et poursuivre la résistance

Le pouvoir avait pensé que les peuples du Bénin sont résignés et indolents. Ils ne feraient rien qui inquiéterait le gouvernement, avaient prédit les officiels. Sauf que les anciens présidents Yayi Boni et Nicéphore Soglo, des symboles d’une conscience sociale désormais redoutable, ameutent les foules. Une façon pour ces derniers de rattraper leurs erreurs de gouvernance du passé. Mais cela peut-il suffire ? Non, malheureusement ! Dans les conditions où les partis de l’opposition sont sclérosés, déstructurés, inorganisés sans vrais militants à conviction à la base, comment ne pas craindre que les insurgés soient livrés à eux-mêmes face aux représailles de la police ‘’politique” après les échauffourées?

Ce témoignage qui fait suite à mon court séjour sur le terrain me permet de lancer un appel pressant pour la mise sur pied d’un état-major unifié de la résistance et des actions, et non de discours seulement. Les insurgés veulent être rassurés, organisés; ils veulent des comités et des cellules de discussions et réflexions. Ils veulent être coachés, aguerris et recevoir d’une seule voix des directives et des moyens d’un même état-major.

Les leaders de l’opposition doivent prendre le temps d’investir le terrain, former des militants prêts à abandonner leurs lits pour rejoindre des foules ‘’sécurisées’’ à tout instant. Les leaders devraient travailler pour des foules ‘’sécurisées’’ qui manifestent le mécontentement et l’indignation collectifs, pacifiquement, en restant sur place pendant plusieurs jours, voire des mois, à un seul endroit stratégique, avec renouvellement ou rotation des manifestants. Pour réussir les foules pacifiques sur plusieurs jours et attirer la sympathie de l’armée, il faut des moyens. Les leaders, y compris ceux en exil, comptent pour l’instant sur le seul instinct spontané des citoyens pour se rebeller. Mais cet instinct doit être entretenu, organisé, encouragé, amplifié. Il est humainement impossible pour un individu de rester sur place pendant plusieurs jours sans boire ni manger. Le cas du Soudan qui voit la révolution faire son petit bonhomme de chemin est exemplaire. Il nous faut des dirigeants avec un esprit d’organisation plus poussé, une diaspora et des citoyens qui cotisent pour la pérennité des rassemblements, la sécurité (préservation de l’ordre, encadrement, protection des insurgés, défense juridique, préservation des biens), la subsistance (nourriture et eau), l’hygiène (latrines, préservation de l’environnement), la communication (veille, information, propagande, formation, éducation), etc. L’impression actuelle est que les leaders de l’opposition manquent de réflexions et de stratégies d’organisation efficientes et pertinentes.

Non à l’unanimisme mou autour de la paix, dire la vérité pour sortir de la crise

Depuis la Conférence Nationale de février 1990, les crises successives (1995, 2001, le K.O de 2011) n’ont pas trouvé la solution par la vérité. A chaque fois, les appels au consensus mou autour du concept de paix font escamoter les vrais problèmes qui demeurent non résolus. Les problèmes sont donc reportés pour réapparaître plus tard. La crise actuelle ne sera pas résolue si le Président ne dit pas courageusement la vérité. Avec un taux d’abstention de près de 80%, le Président devrait dire « Je suis le garant de la paix sociale. J’ai entendu. Je donne au peuple ce que veut le peuple. Le pays va reprendre des élections inclusives». Si on refuse au peuple d’exprimer sa colère et son vœu en invoquant la paix, c’est comme si « on laisse le serpent, celui qui a le couteau en main et on demande à celui qu’on veut égorger de rester tranquille pour se faire égorger en silence ». Ce n’est pas une faiblesse de réparer. C’est de la responsabilité pour que vive la République. L’Eglise ou tout autre organisme qui voudrait jouer les médiateurs doit prendre en compte cette exigence du mouvement réel de la conscience sociale actuelle.

Le terrain d’abord pour préparer les prochaines manifestations sécurisées

Leaders de toutes obédiences, je vous dis « le terrain d’abord ». Organisez-vous convenablement de manière solidaire sur le terrain et les insurgés ne seront pas découragés. Ils se sentiront protégés jusqu’au sacrifice suprême. D’autant que, ceux qui tirent sur les foules à balles réelles répondront, tôt ou tard, devant la justice du Bénin ou devant la justice de la Cour Pénale Internationale. Non aux épouvantails ! La mission première de l’armée, c’est la défense de la nation et du territoire, donc la protection de la population tant que les manifestations sont sécurisées. Logiquement, l’armée est nécessairement du côté du peuple légitime et de la justice sociale. Elle saura se mettre du côté du peuple insurgé et mobilisé de manière conséquente dans la durée. Mon témoignage est une promesse faite aux insurgés rencontrés sur le terrain. La promesse de transmettre aux leaders de l’opposition leurs chagrins et leurs attentes.

A bas la dictature ! Vive le régime des Libertés !

ADJILE Aimé

Enseignant-Chercheur, UAC, Max-Planck Institute.
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