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Joël Aïvo : Pourquoi il fait rêver les jeunes

Publié le vendredi 19 juillet 2019  |  Matin libre
Frédéric
© aCotonou.com par DR
Frédéric Joël Aïvo,Doyen de la Faculté de Droit et de science politique (Fadesp) de l’université d’Abomey-Calavi
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Jeune et très proche de la jeunesse, le professeur Joël Aïvo ne marchande pas ses soutiens aux initiatives de jeunes. En témoignent son contact permanent avec les étudiants et sa présence, pas plus tard que le week-end, en tant que parrain aux côtés d’une organisation comme la Jci. Mais faut-il le rappeler, depuis la semaine écoulée, le Constitutionnaliste a fait son entrée dans le cercle fermé des Professeurs titulaires en droit constitutionnel du CAMES. Alors que plusieurs enseignants de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac) ont accédé, en même temps que lui au grade de Professeur Titulaire dans d’autres domaines, le cas de Joël Aïvo continue de faire le buzz. Pourquoi l’accession d’un homme, considéré comme un des plus doués de sa génération, fait tant de bruit ? Zoom sur le parcours de ce constitutionnaliste audacieux et téméraire pour s’en convaincre.

La promotion de Joël Aïvo tombe dans un contexte qui ne lui était pas favorable. C’est le moins qu’on puisse dire. Et pour cause ! Depuis des années, le constitutionnaliste est un homme public. Ses faits et gestes sont attendus ou redoutés. Sa page Facebook est scrutée avec attention par les journalistes et les hommes politiques qui guettent ses avis et ses réactions. Sa voix compte dans le débat national et son opinion pèse de plus en plus sur les grandes questions juridiques voire même politiques au Bénin. Joël Aïvo a ainsi vite pris conscience que ses avis sont devenus une arme à double tranchant. Il sait aussi qu’il n’est plus vraiment un citoyen comme les autres et a pris goût à ce magistère d’influence qu’il exerce avec mesure et un courage qui l’expose aux représailles du pouvoir.

Depuis 2006 que cette silhouette, frêle mais percutant apparaît sur les écrans de télé, elle n’a plus quitté l’actualité. Le jeune ex directeur de cabinet et porte-parole de Maître Adrien Houngbédji est resté présent dans les médias avec les mêmes idées, les mêmes combats et la même rhétorique. Certains l’accusent de jouer avec les nerfs des gouvernements successifs. De Boni Yayi à Patrice Talon, le constitutionnaliste cultive une droiture, défend avec une constance rare, la démocratie, la constitution, les droits de l’homme, la justice. Les années passent mais l’homme ne changent pas son discours. L’homme martèle ses convictions démocratiques, s’oppose à toute révision opportuniste de la constitution. A l’étranger, Joël Aïvo est devenu, après les Ahanhanzo-Glèlè, Robert Dossou, Théodore Holo, le visage du modèle béninois qu’il diffuse et vante à travers le monde.

Même à l’arrivée au pouvoir du Président Patrice Talon dont on le disait proche, Joël Aïvo n’a pas baissé la garde. De 2016 à 2019, il multiplie des positions risquées contre certains choix du Gouvernement. Le « constitutionnaliste du peuple » juge contraires à l’esprit de la Conférence nationale et défavorables au renforcement de l’Etat de droit, les choix législatifs de la Rupture. On se souvient de son combat contre la révision de la Constitution en 2017 et 2018. A travers ses explications, il avait éclairé l’opinion et contribué à faire basculer l’opinion contre le projet. Joël Aïvo paiera cette position, mais il ne regrette pas. « Il n’y a pas de prix assez forts ni de risques suffisamment grands pour dissuader de défendre son pays », explique-t-il.

Joël Aïvo est apprécié pour sa rectitude et pour son courage. Mais le constitutionaliste s’expose et essuie les coups politiques. Considéré comme un universitaire dont les opinions gênent le pouvoir, il est pris entre plusieurs feux. Le Doyen de la Faculté de droit est pris en chasse par plusieurs de ses adversaires. Un front s’ouvre contre lui dans sa Faculté, un autre au Togo et un autre dans les institutions contre lui. A la FADESP, ses collègues agrégés choisissent le parti du gouvernement contre lui. A l’exception du Professeur Victor Topanou qui le soutient, les autres s’alignent sur les positions du gouvernement pour l’isoler. Mais le constitutionnaliste persiste et signe, droit dans ses bottes. Sur la Radio Soleil FM, il clame : « le droit c’est le droit, les principes sont les mêmes, le texte n’a pas changé, donc la position ne doit pas varier ».

A l’extérieur, les crocs-en-jambe ne manquent pas. Joël Aïvo se dit traqué par un réseau de collègues indélicats aux « visées coloniales », qui s’amusent à humilier d’autres collègues. Il dit avoir la conviction et les preuves que « des forces de l’intérieur et d’un extérieur proche » ont tout monté pour le déstabiliser et l’humilier. A ces deux fronts, s’ajoute celui du gouvernement qui a entrepris de le fragiliser en lançant dans ses pattes des contradicteurs systématiques. « A force de jouer avec le droit et de retourner notre science contre le pluralisme, la démocratie et les intérêts du peuple souverain », ces contradicteurs systématiques ont fini par se discréditer. Mais qu’à cela ne tienne, en février 2019, Joël Aïvo est débarqué de la Faculté dont il était Doyen. Contre toute attente, le gouvernement supprime les élections à l’Université et le remplace par Rock Gnahoui David, un proche de Joseph Djogbénou. Joël Aïvo paie le prix de ses opinions. Ses sorties médiatiques sur la révision de la Constitution et contre la Cour Djogbénou n’ont rien arrangé à son sort. La preuve est qu’il n’a pas pu renouveler son mandat de Doyen de la Faculté de droit et de sciences politiques de l’université d’Abomey-Calavi alors qu’il avait la faveur de ses mandants. Malgré cela, le Professeur Aïvo continue de défendre les principes démocratiques. Très tôt alerte sur les risques que font planer le nouveau Code électoral et la Charte des partis politiques, sur la réputation démocratique du Bénin, il prend ses distances avec la 8ème législature en mai 2019. Sur la Radio DW, le constitutionnaliste déclare que le Parlement issu des législatives du 28 avril ne sera pas légitime. « Ceux qui y siègeront ne représenteront jamais un peuple qui ne les a pas élus ». En juin dernier, il signe une tribune et prend fait et cause pour Boni Yayi. Il dénonce sa mise en résidence surveillée et réclame pour l’ancien Président de la République, « liberté et dignité ».

Voilà donc l’atmosphère surchauffée dans laquelle le « constitutionnaliste du peuple » a accédé au grade de Professeur titulaire du CAMES. Cette élévation de Joël Aïvo, pourtant attendue par ses collègues qui vantent ses qualités et sa générosité scientifique, fait néanmoins du bruit. Le Professeur est dit proche de ses étudiants et respectueux de ses aînés.

Cette promotion n’étonne pas ses collègues. A l’international aussi, on dit qu’il le mérite amplement. Le théoricien du droit est aussi un pèlerin qui traverse monts et vallées, parcourt les pays, conseille les gouvernements et les organisations internationales. Il fut en Centrafrique, l’expert-constitutionnel des Nations-Unies qui a aidé à la rédaction de la Constitution de mars 2016. Au Congo Kinshasa, Joël Aïvo conseille le Médiateur de l’Union africaine et appui le Groupe international de contact pour la réussite du Dialogue national. On le retrouve dans plusieurs Parlements, au Cambodge, en Belgique, au Luxembourg, au Congo et même à Madagascar comme formateurs des parlementaires. Actuellement, le Professeur Aïvo est dans le groupe des trois experts juristes à qui la CEDEAO a confié la question des implications juridiques de son élargissement.

C’est donc un cadre dont les mérites vont au-delà des frontières béninoises qui se voit élever par ses pairs au dernier grade de l’enseignement supérieur. Si à l’intérieur, le Gouvernement lui a fait payer ses positions, tout semble indiquer que les autorités béninoises n’ont pas travaillé contre sa promotion. C’est certainement la preuve que le régime en place ne joue pas contre les nationaux surtout qu’il s’agit d’un cadre émérite de la trempe de Aïvo.


Mike MAHOUNA
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