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Profanation de la tombe de DJ Arafat en Côte d’Ivoire : Lecture croisée de Sociologue et Psychoclinicien

Publié le jeudi 5 septembre 2019  |  Matin libre
La
© aCotonou.com par DR
La Tombe de Ange Didier HOUON (DJ Arafat)
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(Prof Amouzouvi : « Les conséquences sur le plan spirituel (…) sont énormes…»)

La profanation des tombes s’observe de plus en plus dans nos sociétés. Mais celle qui aura marqué les cœurs et qui continue d’alimenter la polémique est celle exercée par des centaines de jeunes ivoiriens qui sont allés déterrer le corps de leur idole, l’artiste Dj Arafat, le 31 août 2019 alors qu’il venait d’être inhumé. Ce fait qui sort de l’ordinaire a amené Matin Libre vers deux scientifiques, l’un Sociologue, et l’autre Psychoclinicien, pour avoir leur lecture. En effet, si pour le Sociologue, Professeur titulaire des universités, directeur scientifique du Laboratoire d’analyse et de recherche, religion, espace et développement (Larred) de l’Université d’Abomey-Calavi, Dodji Amouzouvi, cette pratique aux « conséquences spirituelles énormes » s’explique par une certaine « dégradation de la vie », le Psychoclinicien et Psychosociologue, Denis Amoussou-Yéyé estime que cela relève de l’ordre du registre anomique de l’homme. Lisez plutôt ces entretiens exclusifs de votre journal.



Aujourd’hui, la profanation des tombes, un fait rare, mais souvent observé ces dernières années. Comment expliquez-vous cela En tant que sociologue?

Je vais expliquer ce fait que vous évoquez par une certaine décadence, par une certaine dérive, par une certaine altération des valeurs qui entre-temps ont cimenté le vivre-ensemble. Je vais expliquer cela par les effets ou les déchets de la modernisation, par la volonté de paraitre d’un certain nombre de personnages ou de personnes, par une perte de valeurs qui s’inscrit dans le non-respect de la vie d’abord et de la mort. Parce que sous nos cieux, la vie et la mort sont deux faces d’une même réalité. Le vivant, quand il quitte ici pour là-bas, si on respecte la vie, on doit respecter la mort puisque nous disons que la mort n’est pas la fin. Rappelez-vous Birago Diop, rappelez-vous toutes nos pratiques où dans une sorte de représentation d’autel portatif, nous insinuons que les absents sont présents. Si donc celui qui est mort n’est pas mort, qu’il est dans l’arbre, qu’il est dans l’air, qu’il est dans les ruisseaux, qu’il est avec moi, qu’il peut me protéger. S’il y a une certaine “vaudouisation“ de nos morts, s’il y a une manière de déifier nos morts, nous n’avons donc pas de raison de ne pas respecter la mort, de ne pas respecter le mort. Or, en allant vers cette profanation, c’est une manière de remettre en cause même la vie que nous avons, la vie qu’avait celui qui est passé de vie à trépas et donc de perdre pédale et de perdre les boussoles essentielles qui fondent nos sociétés et qui fondent notre vivre en commun. J’explique donc cela par les rumeurs et les illusions que l’on se fait en disant qu’il y a un marché autour des organes humains et lorsqu’on va profaner la tombe, le marché peut servir à obtenir un certain nombre de grâces, un certain nombre de faveurs, de protection ou le marché peut servir à d’autres choses. Je dis, il n’y a rien au monde, pour ma petite expérience, qui ne s’obtienne sans le travail. Donc ceux-là qui vont vers les cimetières pour aller profaner les tombes, pour aller chercher X ou Y sur les corps des personnes décédées, ils se trompent tant qu’ils ne vont pas travailler. La manne ne viendra pas du ciel, la manne ne viendra pas d’une déité pour passer un contrat. S’il arrive que cela arrive, s’il arrive que le contrat est passé et que vous allez croiser les bras, vous n’aurez rien. Et même si vous avez quelque chose, c’est au péril de votre vie. Et de plus en plus, nous observons des morts, des départs précipités, des départs violents qui ne s’expliquent pas. Tout cela concourt à une sorte de dégradation, une sorte de dégénérescence, une sorte de dérive des valeurs, des principes essentiels qui régissent notre vie en commun. Nos sociétés évoluent, nos sociétés s’ouvrent vers d’autres sociétés et en évoluant, se transforment. Ces faits que vous évoquez font partie de la manifestation de la mutation de nos sociétés, manifestations malheureusement déplorables, dégradantes. Si on se respecte, on doit respecter la vie qui n’est pas à nous. Dieu, le grand maître, le grand architecte nous a donnés cette vie, nous ne sommes pas propriétaires de la vie donc nous devons la respecter. Autant nous respectons cette vie, dès que nous la remettons entre les mains de celui qui nous l’a donné, nous devons aussi respecter ce qui suit après la vie, c’est-à-dire la mort. Il faut donc prendre des mesures pour que, autant la vie est sacrée, autant l’après-vie doit être sacrée pour que les profanations des tombes soient punies avec la dernière rigueur des textes qui régissent notre société.



Prof Amouzouvi, intéressons-nous à ce cas des jeunes ivoiriens qui sont allés déterrer le corps de l’artiste Dj Arafat, leur idole. Devrons-nous parler ici d’une perte de valeurs ou d’une crise de confiance ?



Non, ce n’est pas une crise de confiance. Il ne leur appartient pas à eux, ces jeunes qui sont allés déterrer le corps de leur idole soit disant. Ils devront avoir confiance en qui ? Ce ne sont pas les institutions qui déclarent la mort ? Ce ne sont pas les médecins qui ont déclaré la mort ? Ce ne sont pas les autorités qui ont validé et attesté que la personne est morte ? Ce ne sont pas les pompes funèbres qui ont enterré ? Ce n’est pas eux, ces jeunes, qui sont en charge de tout ce processus. Non, nous ne pouvons pas parler de manque de confiance, nous allons parler simplement de délire, de fautes graves, de dégénérescence et les auteurs de ce fait doivent être punis conformément aux lois qui existent et qui punissent ces genres de choses.



La profanation des tombes, un fait qui ne reste pas sans conséquences. Quelles pourraient être les conséquences spirituelles et autres ?



Les conséquences sur le plan spirituel, je ne suis pas sûr de le dire parce que je ne suis pas sûr que toutes les oreilles qui m’écoutent sont préparées pour entendre ce que je vais dire. Mais autant que je peux aller dans le séculier, dans le profane, je dirai que les conséquences sont énormes parce que d’abord, vous brutalisez la vie, ensuite, vous perturber un ordre. L’ordre de la vie à la mort. C’est nous qui disons qu’après la mort, ce n’est pas fini. Cela veut dire qu’après la mort, il y a une vie, il y a tout un dispositif. En allant profaner la tombe, vous perturbez l’équilibre de ce dispositif ou vous troublez ce dispositif. Et quand vous troublez un dispositif spirituel, divin, un dispositif au-delà du visible, c’est toujours avec des conséquences graves sur votre propre vie. Les influences vous reviennent sous toutes formes, sous formes de non-équilibre, de déglingué, de problèmes divers que vous devez nécessairement trainer à moins de vous absoudre, à moins de corriger ce que vous avez fait. Il y a des péchés dont vous pouvez vous absoudre puis il y a des fautes qui sont mortelles, impardonnables. Je crois qu’aller perturber cet ordre, profaner une tombe, commettre ce type de sacrilège est impardonnable dans la hiérarchie des valeurs. Et lorsque vous êtes un acteur à faire çà, les conséquences sur le plan de la société sont énormes. Parce que vous ne respectez plus l’autre, vous ne vous respectez plus. Les liens sociaux qui vous lient sont forcément coincés, perturbés et pourris. Ensuite, du moment où vous êtes mis à l’index, vous n’êtes plus un individu plein, au sens du terme de sa plénitude pour travailler pour le développement de vous-même, de votre famille et de la société. Les conséquences peuvent être directes, indirectes et collectives. Donc, il vaut s’abstenir d’aller à ces extrémités. Je considère que c’est le summum de la dégradation de la vie. Et il faut que chaque institution de socialisation, chaque espace d’apprentissage et d’éducation prenne rapidement en main, les aspects sociaux afin de charrier les vraies valeurs qui nous empêchent d’aller à ces extrémités.



Un mot à lancer ?



Respectons la vie, respectons la mort, respectons nous-mêmes. Nous ne sommes pas propriétaires de nos vies, nous sommes des locataires de nos vies. Et de la vie à la mort, il y a un fil, nous concevons, nous acceptons qu’après la mort, il y autre chose. A partir de ce moment, que chacun s’en tienne au respect strict et scrupuleux de la transcendance qui l’a envoyé sur terre et qui est détenteur de nos vies et qui est responsable de notre vie et de notre mort. Et la vie sera aisée et le vivre-ensemble sera pacifique et les interactions seront fructueuses pour les uns et pour les autres.

Propos recueillis par Aziz BADAROU
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