Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Faits Divers
Article
Faits Divers

Inondations cycliques à Malanville et Karimama : Les portes de sortie du déluge

Publié le vendredi 6 septembre 2019  |  Fraternité
Inondations
© aCotonou.com par DR
Inondations cycliques à Malanville et Karimama
Comment


Malanville, Karimama et plusieurs autres localités arrosées par le Fleuve Niger et ses affluents sont à nouveau sous la menace des eaux. Une situation aux dégâts économiques considérables qui loin d’être une fatalité est maîtrisable. Pendant un semestre, nous sommes allés à la rencontre des acteurs, à la recherche des chemins de la résilience. Enquête.


ACCUEIL SOCIÉTÉ Inondations cycliques à Malanville et Karimama : Les portes de sortie du (...)

Inondations cycliques à Malanville et Karimama : Les portes de sortie du déluge
Isac A. YAÏ 5 septembre 2019

Malanville, Karimama et plusieurs autres localités arrosées par le Fleuve Niger et ses affluents sont à nouveau sous la menace des eaux. Une situation aux dégâts économiques considérables qui loin d’être une fatalité est maîtrisable. Pendant un semestre, nous sommes allés à la rencontre des acteurs, à la recherche des chemins de la résilience. Enquête.

5 Septembre 2018. Le pont de Malanville s’effondre. L’axe Cotonou-Niamey est verrouillé. L’infrastructure n’a pas pu résister à la furie des eaux. Personne ne s’y attendait vraiment. « A 10 heures, on avait pris par-là, mais ce n’était pas totalement dégradé. La police régulait la circulation. Vers 13h30, ça s’est complètement effondré. Il n’y a pas de déviation pour le moment. Tous les véhicules garent et pour traverser, il faut utiliser la pirogue. Aucun véhicule ne peut traverser. Les passagers qui ont un peu de colis peuvent continuer par pirogue », témoigne Yacoubou Torou, point focal du Système d’alerte précoce à Malanville, joint quelques heures après le drame. Pendant plusieurs jours, l’économie des transports en a pris un coup.
Un an après, le stress hydrique pèse toujours dans les esprits. Les relevés faits sur le bassin indiquent 893 cm à Malanville le 04 septembre 2019. Mieux, les prévisions montrent que l’alerte rouge dans cette commune sera maintenue pendant au moins la première décade du mois. Résident à Péhunco, Mariam Kora Zaki, Présidente de l’association des usagères et usagers des ressources du bassin du Niger au Bénin (Anu-Bénin) craint que cela ne dure encore plus. « Actuellement, il pleut beaucoup. Après un mois, il se pourrait que l’eau arrive encore au niveau de Malanville. C’est possible qu’il y ait inondation, mais les populations sont déjà habituées et prennent des dispositions pour ne pas vivre des situations désastreuses », souligne-t-elle.

Des factures salées
Créé en 2008, l’Anu-Bénin fait beaucoup dans la sensibilisation des populations et pour une gestion intégrée du bassin. Néanmoins, il n’y a de crues sans que Malanville, Karimama et régions n’enregistrent des pertes en vies humaines, de troupeaux, des cultures et des édifices. Et c’est Léon Bani Bio Bigou, Professeur titulaire de Géographie Humaine et Economique, natif de Gogounou, une localité arrosée par les affluents du Niger, qui nous aidera à comprendre ces impacts économiques. Celui-ci a fait sa thèse en 1987 sur la vallée bénino-nigérienne du fleuve Niger : populations et développement économique. « Du point de vue économique les pertes sont énormes. Ces crues arrivent quand les paysans commencent à faire les semis. Elles viennent emporter les cultures. Tout au long de la vallée, les campements de pêcheurs et d’éleveurs se trouvent détruits. Avec les crues, il y a beaucoup de dégâts. Les mouvements en termes de transports sont limités ce qui affecte le commerce rural », explique-t-il.
Le risque est encore plus élevé avec l’occupation anarchique des berges, du fait de la dynamique spatiale. En réalité la plupart des arrondissements de ces deux communes sont situés aux abords du fleuve Niger. Le parc W occupe 92 % du territoire de Karimama. Il y a donc cette contrainte naturelle qui oblige les populations à s’installer sur les berges augmentant la vulnérabilité. « Nous sommes au bord du sahel et le fleuve constitue une sorte d’espoir pour les populations. Il y a 50 ans et au-delà, des gens ne travaillaient pas jusqu’au niveau des berges. Ça accentue donc les dégâts », ajoute le Professeur Léon Bani Bio Bigou. Pour Beaucoup, l’effondrement du Pont de la Sota à Malanville en est un trop et il faut envisager plutôt le pire.

Si loin, si proche
La menace vient en effet de loin. Les crues observées au Benin sur le fleuve Niger en août et en septembre ont leur source dans le bassin amont en Guinée, au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Niger. Pour Dr Isidore Adjakpa, Spécialiste des risques et catastrophes, ces inondations répétitives sont dues à ce qu’il appelle des ondes de crues. « Ce qui se passe à Niamey se répète une semaine à Malanville et à Karimama. Ça fait moins d’une semaine si entre Niamey et Malanville, il pleut sur le bassin. Ce qui se passe à Niamey même résulte des pluies en Guinée dans les montagnes du Fouta-Djalon. Il y a beaucoup d’affluents du fleuve qui se trouvent côté du Burkina-Faso qui s’en rajoutent créant les inondations à Niamey. Puis, une semaine après, ça se répète à Malanville », explique-t-il.
Cependant, même si la menace vient beaucoup plus de loin, d’autres facteurs viennent en rajouter pour accentuer le risque. Avant 1970, les débits maximaux annuels du fleuve atteignaient parfois 3.000 m3/s. Mais aujourd’hui, il est démontré qu’avec 1672 m3/s, on passe déjà à l’alerte rouge. Et même si d’aucuns indexent les effets pervers des changements climatiques, le comblement du fleuve est à prendre au sérieux. « C’est un facteur très important dans l’étalement des eaux. Quand le lit est comblé, le flux d’eau passe difficilement et inonde les maisons. Encore que les habitations étant précaires, elles s’écroulent facilement. Ce qui créé les nombreux sans abris qu’on est obligé de loger dans les écoles et à la mairie », déplore Dr Isidore Adjakpa.
En réalité, avec les activités anthropiques, les bassins versants sont menacés et deviennent de plus en plus fragile. Les mauvaises pratiques culturales, le déboisement des forêts, les feux de brousse dénudent les terres et augmentent du coup les coefficients de ruissellement des eaux. « La conséquence immédiate est que les eaux se concentrent plus rapidement à la suite d’une importante pluie et augmentent les niveaux d’eau. C’est ce qui provoque les inondations d’origines fluviales », soutient Soungalo Koné, Hydrologue, Expert en Modélisation à l’Autorité du Bassin du Niger.

« Il nous faut des digues »
Ces dernières années, avec les efforts de prévision, le risque s’est amoindri. Mais les dégâts ne sont pourtant pas encore aussi réduits du point de vue économique. Les uns témoignant la mauvaise foi des gouvernants, les autres de l’incivisme des populations. De son côté, rencontré à Cotonou en mars 2019, Igouma Dourhaman, Premier adjoint au maire de Karimama évoque l’impuissance des communautés locales. « Il y a des stratégies qui coutent très chères. La construction des digues par exemple qui peut minimiser les risques. La population souffre chaque année et voit emporter ses efforts en termes de production. C’est colossal ce que nous perdons. On a appris qu’il y a des digues du côté du Niger et qui seraient efficaces. Je n’en ai pas vu », explique l’autorité locale.
Quoi qu’on dise, les acteurs croient à ce que les inondations ne soient pas une fatalité. Curieusement, les chercheurs rencontrés optent tous pour la construction des digues, mais dans une synergie d’action entre les deux pays. « De dolé jusqu’à Gaya, le Niger a fait la digue en matériaux locaux. C’est de l’argile compacté avec du sable. C’est un peu comme le reprofilage de voies, si bien que l’eau vient se cogner contre ces infrastructures et se retourne. Ensuite, ils ont créé des vannes qui permettent d’exploiter ces eaux dans la plaine pour la culture du riz. Plus ça dure, plus ça devient résistant. Or le pavé, c’est du ciment qui a une durée de vie. Il est important de mettre ensuite des végétaux que les animaux n’aiment pas manger pour ne pas exposer les flancs à l’érosion », confie Isidore Adjakpa.

Des barrages et une synergie d’actions
Des digues, il en faut, mais selon le Géomorphologue, spécialiste en aménagement des eaux de surface, Dr Ibrahim Safiri, il faut prioriser la synergie d’actions. « Du côté du Niger, les efforts qui ont été faits sont un peu plus importants que ce qui est fait du côté du Bénin. Certes, de notre côté, il y a de grands projets qui intéressent les bailleurs et qui attendent d’être concrétisés. C’est ce qui fait que les inondations n’arrivent pas à suffisamment ravager la rive du côté du Niger que du côté du Bénin », déplore le géomorphologue. A l’en croire, la construction de retenues pourrait non seulement atténuer les inondations dans le Nord Bénin, éviter que les eaux ne descendent vers Cotonou, puis favoriser la production agricole. « Au plan géomorphologique, la moitié Nord est beaucoup plus appropriée pour les barrages. Un barrage est conçu pour une mission, mais généralement, elle ne remplit pas seulement cette mission. Il y a les fonctions naturelles. Ça recharge la nappe. Ensuite, elle remplit la fonction principale pour laquelle elle a été conçue, c’est-à-dire l’irrigation, l’électricité. Mais à la pratique, tout grand barrage est multifonctionnel. La végétation s’installe, les sols se reconstituent, etc. ce sont des fonctions qui ne sont pas à négliger », défend Ibrahim Safiri. Léon Bani Bio Bigou insiste lui aussi sur la synergie d’actions avant « lorsqu’on a à faire à un cours d’eau comme frontière naturelle, il faut que les politiques à mettre en œuvre du côté béninois ou nigérien soit concertées ». De toute façon, les usagers ne désespèrent pas : « Nous attendons des actions pour la sécurité alimentaire pour qu’on ne souffre pas des inondations et que des mesures soient prises pour la réduction des pertes au niveau des cultures et que les populations soient assistées en ce qui concerne les maladies ».

Encadré
Pas sans la fin de l’incivisme
Il n’y a pas de crise sans solutions. Pourvu qu’elles soient efficaces et surtout durables. Et là-dessus, on aura beau construire de milliers de barrages et de digues le long du bassin du Niger, les dégâts vont continuer à être enregistrés, si la conscience n’est pas au rendez-vous. La crise prend en partie sa source dans les pratiques agricoles et l’occupation anarchique des berges. Les solutions doivent aussi aller dans ce sens. Il faut reloger ceux qui occupent les zones inondables et exutoires d’eau, puis les accompagner de sorte à ce qu’ils n’y retournent point. C’est un défi lancé aux autorités locales. Ensuite, la vigilance doit être de mise dès que les alertes sont lancées. On peut bien être pêcheur et être emporté par les eaux. Aussi, faut-il penser à la protection des versants déboisés pour limiter l’encombrement. Ainsi, avec une amélioration des mécanismes de prévisions et le renforcement du système d’alerte précoce, Malanville, Karimama et les autres localités arrosées par le Bassin du Niger, retrouveront la paix et profiteront plutôt des eaux pour le développement local.


Isac A. YAÏ
Commentaires