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Commune de Djidja : Les enfants des peuhls résidants sont rares dans les écoles

Publié le mardi 8 octobre 2019  |  Matin libre
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© aCotonou.com par DR
Une fille peuhl
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A Djidja, les peuhls envoient rarement leurs enfants à l’école. Pourtant, ils constituent une dense communauté installée depuis des lustres dans cette vaste commune agricole située à 152 km au nord de Cotonou. Les peuhls préfèrent former leurs garçons à l’élevage des bœufs et marier assez tôt les filles.



Madina, écolière au CE2, la tête parée d’un voile cendre, est transférée d’une école privée pour le public par sa mère. Elle justifie timidement la raison de son transfert : « Maman est seule à supporter les charges de ma scolarité. »

Avec plus de détail, sa mère explique : « Son père n’a pas voulu qu’elle aille à l’école. J’ai dû forcer. Du coup, il a exigé que je m’en occupe seule. Alors, imbue de mon orgueil, je l’ai inscrite dans une école privée dès le CI. Mais chaque année, je dois investir une forte somme dans son instruction avec mes maigres revenus de la transformation du lait de vache en fromage. Je ne peux plus continuer, sachant que l’écolage est gratuit au niveau du public. »

En effet, la Constitution nationale en son article 13 stipule : « […] L’enseignement primaire est obligatoire. L’Etat assure progressivement la gratuité de l’enseignement public. » Ainsi l’Exécutif a pris un décret le 13 octobre 2006 pour officialiser cette « gratuité de l’école maternelle et primaire ». Du coup, toute personne adulte au Bénin, quelle que soit sa condition sociale, son obédience religieuse, ethnique ou raciale, a le devoir d’inscrire à l’école tout enfant en âge d’être scolarisé dont elle a la charge.

Mais 13 ans après la prise du décret, la majorité des peuhls de Djidja tarde à s’en conformer. Cassien Dossouhouan, chef service Développement et planification à la mairie argumente : « Beaucoup de peuhls n’aiment pas envoyer leurs enfants à l’école parce qu’ils disent qu’une fois instruits, ils s’émancipent et se mettent à vendre les bœufs. C’est leur idéologie sociologique. »

Le peuhl, en réalité, est de tradition nomade. Nonobstant, Djidja compte de très nombreux peuhls qui, en quête de vert pâturage, s’y sont installés depuis plusieurs générations ancestrales. En témoigne leur parfaite maîtrise de la langue fon aussi bien que les vrais autochtones. En plus, ils s’offusquent qu’on les traite d’étrangers.

Constat amer



A la Circonscription scolaire, désormais appelée Région pédagogique 45, les statistiques des enfants scolarisés chaque année dans toute la commune de Djidja sont soigneusement archivées. L’année scolaire 2018-2019, 21034 enfants ont fréquenté l’école primaire. L’année précédente, ils étaient au nombre de 24311. Cependant, il n’y a pas un classement des effectifs par groupe social ou ethnique.

Ainsi, il n’est pas possible d’obtenir le chiffre exact des enfants peuhls qui fréquentent l’école primaire d’année en année à Djidja. Toutefois, cette structure de centralisation des données reconnait que l’effectif des enfants peuhls est encore très faible.

C’est l’arrondissement central qui enregistre la plus forte inscription d’enfants peuhls à l’école. Mais cette forte inscription atteint difficilement la douzaine dans un groupe pédagogique du CI au CM2 cumulés. Certains complexes scolaires comptent au maximum deux enfants peulhs. Ailleurs, il n’en existe même pas. La situation est criarde dans les arrondissements de Monsourou, Dan, Setto, Agouna et Outo qui abritent aussi un nombre impressionnant de peuhls sédentaires. Mieux, les écoles publiques dans ces arrondissements disposent, pour la plupart, de cantines scolaires pour le maintien des enfants à l’école à midi.

« La mairie a dû démarrer une sensibilisation sur le terrain, informe Cassien Dossouhouan, pour que ceux qui se sont installés dans l’arrondissement central et environs puissent commencer à envoyer leurs enfants à l’école. »

Mais, pour les enseignants, la sensibilisation n’est pas encore perceptible sur le terrain. Michel Gounon, directeur d’école publique raconte : « J’ai gardé dans mon groupe une fille peuhle qui travaillait bien. Admise au CM2, son père l’a arrachée de l’école pour la marier. Approché, il a répondu que son mari pourra l’inscrire dans un centre d’apprentissage s’il le désire. »

Alexandre Allawénon, également directeur d’école publique, renchérit : « Un jour, j’ai vu un troupeau de bœufs envahi la cour de l’école sous la conduite d’un garçon que j’ai gardé l’année dernière au CM2 et qui a passé le CEP avec succès. Je l’ai interpellé et il m’a déclaré fièrement que c’est son père qui l’a responsabilisé pour paître le troupeau. »

Les exemples sont légion d’une école à l’autre. Ce qui fait dire à Obed Djodjo, instituteur dans une école privée : « Les rares enfants peuhls inscrits à l’école vont jusqu’en classe de 6ème. Une fois le CEP obtenu, les filles sont mariées et les garçons transformés en vachers. »

Il est vrai que le mariage des mineures n’est pas l’exclusivité des peuhls. Toutefois, les informations recueillies montrent que c’est plus fréquent au sein de cette communauté.

Altenin Mama est le chef de la communauté peulh de Djidja. Très embarrassé, il déclare : « Tous les peuhls installés à Djidja scolarisent leurs enfants. » Pour lui, ce sont exclusivement les peuhls nomades qui n’envoient pas leurs enfants à l’école.

A la vérité, un nombre considérable des enfants ne sont pas scolarisés. En aparté, beaucoup répondent qu’ils veulent bien aller à l’école mais la décision revient à leurs pères.

Au Ceg 1 Djidja, un responsable administratif, sous anonymat, se rappelle la mésaventure d’une certaine Faty Mama, élève en 4ème, mariée de force par son géniteur en 2014. « Nous avions, dans le temps, saisi le Centre de promotion social et la brigade de gendarmerie afin d’empêcher le mariage. »

« Face à nos interventions, de concert avec la brigade, le père de Faty a dû la déplacer habilement de Djidja pour Bohicon », appuie Léopold Assogba, chef du Centre de promotion social au moment des faits, joint au téléphone. « Là-bas, il l’a mariée très rapidement », ajoute-t-il.

Oser résister



Adidja Omarou doit son ascension dans le cursus scolaire à Bonaventure Somadjèdangbé, professeur d’histoire-géographie ainsi qu’à sa mère. Son père a décidé de la marier dès qu’elle est reçue au Bepc. Elle en parle d’une voix chargée d’émotions : « Je me suis confiée à dah Somadjèdangbé afin qu’il puisse convaincre mes parents. »

Or, le père d’Adidja avait déjà choisi un homme pour sa fille, un marabout de surcroît. « Je réussis tout de même, se réjouit Bonaventure Somadjèdangbé, à faire comprendre à sa mère qu’Adidja à un avenir prometteur qu’il ne faudra pas gâcher. »

C’est ainsi qu’Adidja Omarou a pu continuer ses études, mais désormais sans aucun soutien de son père. Seule sa mère, commerçante, a pris intégralement en charge ses études jusqu’à ce qu’elle soit actuellement en 2ème année de journalisme à la Haute école de gestion et de journalisme (Hegj) à Bohicon. « Aujourd’hui, s’étonne-t-elle, mon père me demande de faire des études de Droit. »

Boubé Biguel aussi a résisté face à beaucoup d’humiliations. Il est présentement en 3ème année des Lettres modernes à l’université de Parakou. Contrairement à Adidja, il est peuhl de Karimama. Néanmoins, il a fréquenté au Ceg 1 Djidja de la 5ème en Terminale où il a obtenu son Baccalauréat.

Au départ, il a fait jusqu’en 4ème dans un établissement public à Karimama. « Les autres, dénonce Boubé, nous traitent souvent d’escrocs, d’élèves chiens de maître et de beaucoup d’autres qualificatifs peu recommandables. » Il enchaîne : « Certains raccrochent à cause des moqueries. » Mais Boubé avait déjà des objectifs précis : « Faire de hautes études ».

Malheureusement, en classe de 4ème à Karimama, sa mère qui l’encourageait à s’accrocher aux études décède subitement. Le virus de l’abandon des classes l’atteint de plein fouet. Boubé passe toute une année scolaire sans retourner au cours face à l’indifférence de son père et la satisfaction de ses congénères.

« Un jour, se souvient-il, ma tante résidant à Djidja est venue présenter de vive voix ses condoléances à mon père. Je décide alors de la suivre afin de poursuivre mes études chez elle. »

Ainsi, Boubé arrive à Djidja mais sans dossier de transfert ni bulletin de notes. « N’ayant aucun document attestant mon admission en 4ème, le directeur du collège à l’époque impose que je reprenne la 5ème en ajoutant que si je suis le premier de la classe au premier semestre, il me transfèrera en 4ème automatiquement. Mais j’ai plutôt occupé la sixième place au classement du premier semestre. »

Malgré les injures et humiliations persistantes, Boubé ne va pas fléchir. Mieux, il est fait boursier à l’université.

« Dès que j’ai reçu ma bourse en 2ème année des lettres modernes, dévoile-t-il, j’ai pris l’argent pour payer deux bœufs afin de prouver aux autres qu’ils ont une fausse impression de moi. »

Dans la même démarche de renforcer l’image de l’intellectuel peuhl, Mohamed Aliou, étudiant en physique-chimie à l’université d’Abomey-Calavi, a créé l’association Résurgence. Sa principale mission est de promouvoir la scolarisation des enfants peuhls à Djidja.

Fortuné SOSSA
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