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Bénin: Le transport routier toujours au rythme des faux frais

Publié le lundi 27 janvier 2020  |  Matin libre
Transport
© aCotonou.com par DR
Transport en commun (taxis minibus assurant la liaison Akassato-marché Dantokpa)
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Cotonou-Parakou, Cotonou-Hilacondji, Cotonou-Kraké. La route est en apparence dégagée des nombreuses barrières qui entravaient la circulation routière, mais la corruption y sévit toujours. De façon subtile.

Samedi 12 octobre 2019. 6h 30 mn. A la frontière de Hilacondji entre le Bénin et le Togo, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Cotonou, ce n’est pas encore la grande affluence mais déjà, automobilistes et passagers s’affairent sur la gare routière. Une voiture 505 de marque Peugeot démarre, en direction de Cotonou. A bord, 12 passagers au lieu des 9 réglementairement reconnus. Sur le porte-bagages, des sacs remplis de chaussures, d’oignon et de vêtements. Entre Hilacondji et Comè, séparés d’une trentaine de kilomètres, les policiers roupillent encore à bord de leur véhicule Pick-up. Un peu après Comè, à quelques centaines de mètres du pont de Guézin, les douaniers attendaient, sifflet à la bouche. Sègbégnon, le conducteur, marque l’arrêt, soutire un billet de 1000 F CFA (un peu plus de 1, 50 Euro) de son coffre à gant, sort de sa voiture puis se dirige vers le disciple de St Mathieu. A quelques mètres de l’agent, il simule un salut militaire et lui serre la main. Le tour est joué. L’agent de douane empoche promptement le billet. Tout souriant, Sègbégnon redémarre.

A la porte d’entrée de Ouidah, à quelques encablures de l’Institut pour le développement endogène (IDEE), des éléments de la Police républicaine font la patrouille en sens inverse. Mais subitement, ils rebroussent chemin et prennent en chasse la voiture de Sègbégnon, qui ne prend aucun risque. Il gare, descend avec un billet de 1000 F CFA et court vers les policiers. Cela ne semble pas faire l’affaire. Il revient auprès du véhicule et repart avec un billet de 2000 F. Les policiers reprennent leur direction initiale. Le chauffeur aussi, furieux d’avoir payé plus qu’il n’en avait prévu. « Mais c’est mieux que de se retrouver en fourrière », marmonne-t-il. De Ouidah à Cotonou, Sègbégnon n’a plus rien déboursé bien qu’ayant croisé près de quatre patrouilles de la Police.

Sur l’axe Cotonou-Kraké, en plus des policiers pas moins de trois postes de douane. Ce qui est contraire aux dispositions du décret N° 2013-546 du 24 décembre 2013 qui limite à un, le nombre de poste de contrôle sur cet axe routier (voir encadré). Le comble : la présence des Klébés ou « arracheurs de billets », dans le jargon des fraudeurs. Ils sont chargés de percevoir l’argent de la fraude pour le compte des douaniers qui ne veulent pas prendre le risque d’être pris en flagrant délit de corruption.

La nuit, tous les chats…

L’axe Cotonou-Parakou (dans le nord du Bénin) est long de 427 Km. Le parcours a été fait en 6h de route, sans aucun contrôle. « C’est bien bizarre qu’aucun policier ne nous ait arrêtés alors qu’on en a vu sur tout le long du parcours », commente un passager. «C’est l’arbre qui cache la forêt», lui répond Fousséni, le chauffeur. « C’est parce que nous sommes en plein jour. La nuit, tous les chats sont gris », ironise-t-il. Ce qui sera confirmé pour le voyage retour vers Cotonou dans la nuit du dimanche 24 novembre 2019. Entre Parakou et Tchaourou, le trajet est paisible. A mesure que l’obscurité s’épaissit, les tracasseries commencent. 500 F CFA, 1000 F CFA, Fousséni en a distribué à au moins quatre postes de contrôle tenus par des policiers.

Toutefois, le rançonnement des transporteurs diminue. «Aujourd’hui, c’est un plaisir d’entendre des transporteurs dire qu’ils peuvent quitter Malanville pour Dantokpa sans dépenser le moindre Kopeck alors qu’auparavant, il leur fallait mettre de côté au moins 350.000 F CFA pour « contenter » sans reçu, policiers, gendarmes, forestiers, gendarmes et agents du conditionnement sur le même corridor », se réjouit Martin Assogba, président de l’ONG ALCRER qui lutte contre la corruption. «On est fier lorsque dans les rencontres communautaires, nos collègues des autres pays témoignent de la disparition des tracasseries policières sur les corridors béninois», renchérit le Colonel Mohamed Saké, directeur de la Sécurité publique, reconnaissant tout de même que le rançonnement n’a pas encore totalement disparu. «En plus de la fin des tracasseries policières, nous nous réjouissons également de la disparition des barrières des syndicats qui nous harcelaient», affirme Gabriel Kato Atita, Secrétaire général de l’Union des conducteurs des taxis urbains du Bénin (UCTIB), un des syndicats de transporteurs.

Le rançonnement des transporteurs par les agents en uniforme persiste, mais de façon plus discrète, nuancent en chœur Matin Assogba, Mohamed Saké et Gabriel Kato Atita. Ce constat est corroboré par les résultats de la 10ème édition du Baromètre mondial de la corruption pour l’Afrique réalisé par Transparency International qui révèlent que « le taux de corruption global est passé de 26% à 27%, entre 2015 et 2019, et de 54 à 55% sur la même période à la police». Ce qui signifie qu’à la police, la courbe de la corruption ne s’est pas encore inversée malgré les réformes opérées et les moyens rendus disponibles. On n’a pas encore atteint le bout du tunnel. Mais en la matière, le Bénin reste un modèle de bonne gouvernance. Du rapport 2017 de l’Observatoire des pratiques anormales (OPA) sur les corridors de l’Afrique de l’Ouest, il ressort que le nombre de postes de contrôle aux 100 Km est fluctuant mais reste globalement supérieur à la norme communautaire qui est de 3 postes de contrôle le long des corridors. Ceci dans tous les pays de l’Uemoa, à l’exception du Bénin qui respecte désormais cette norme.

El-Hadj Affissou Anonrin (Enquête réalisée avec le soutien de OSIWA)

Klébés ou acteurs clés du nouveau visage de la corruption

« A Kraké, on dénombrait près de 400 Klébés. Ils ne sont pas salariés et sont rémunérés en fonction des saisies (10% de primes sur les saisies). Ce sont eux qui se chargent de percevoir les faux frais pour le compte des douaniers », lit-on dans l’ouvrage Etat et corruption en Afrique publié en 2007. L’article 47 de l’Arrêté 4480 du ministre des Finances en date du 19 août 2015 portant Code d’éthique et de bonne conduite des fonctionnaires des douanes et des droits indirects interdit le recours aux services de ces percepteurs improvisés. Mais ils sont encore présents et n’hésitent pas user de la force pour extorquer de l’argent aux usagers au nez et à la barbe des douaniers. « Les Klébés sont très utiles dans la lutte contre la fraude douanière surtout au niveau de nos frontières poreuses», soutient un officier de la douane qui a requis l’anonymat. Ils sont perçus pourtant comme « des acteurs importants dans le nouveau visage de la corruption sur les axes routiers », rapporte le journal L’Economiste du 22 août 2019. Et comme pour défier les lois et règlements, les Klébés ont d’ailleurs créé l’Association nationale des indicateurs et aides de la douane béninoise pour se formaliser et disposer d’un cadre légal de travail. Au niveau du ministère de l’Intérieur, aucune trace de l’enregistrement de ladite Association.

Des « moyens » contre la corruption

« Dans nos unités opérationnelles, il n’y avait ni prime, ni budget, ni fournitures de bureau… Les victimes sur le terrain étaient donc les usagers de la route que les agents étaient obligés de soumettre aux tracasseries routières. Désormais, chaque unité a été dotée de moyens conséquents pour faire le travail, notamment d’un budget de fonctionnement et surtout de matériels roulants (engins à deux roues, véhicules pick-up) », témoigne le Colonel Mohamed Saké, directeur de la Sécurité publique. Une source bien informée confie que par le passé, chaque unité opérationnelle ne recevait que 16.000 F CFA par mois pour le matériel de bureau. Le carburant est pris en charge par les plaignants. Désormais, il est alloué aujourd’hui aux unités opérationnelles de la police républicaine 10.000 F CFA par mois pour la carburation et 150.000 F CFA pour le fonctionnement. Malgré ces ressources, le mal persiste. Et le gouvernement tape du poing sur la table. En témoignent les multiples radiations qui ont été faites tant à la Douane qu’à la Police républicaine en s’appuyant sur des dispositions de la loi du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et les infractions connexes en République du Bénin. En effet, le Conseil des ministres du 2 mai 2018 a décidé de la radiation de 27 policiers et gendarmes pour mauvaise gestion des fonds additionnels alloués aux unités de Sécurité publique. Le 25 septembre 2019, trois autres policiers et deux douaniers ont été aussi radiés pour des faits de corruption.
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