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An 4 de Talon/Lutte contre la corruption: La réflexion de Richard Boni Ouorou

Publié le mardi 14 avril 2020  |  Matin libre
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© Autre presse par DR
Le politologue Richard Boni Ouorou
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A l’occasion de l’an 4 du gouvernement de la Rupture, le politologue béninois résident au Canada Richard Boni Ouorou s’est penché sur le volet lutte contre la corruption. Dans une lettre adressée au chef de l’Etat, il livre ici ses réflexions sur les conditions et les limites de cette lutte.

Montréal, QC, Canada,

Le 14 avril 2020

Monsieur Patrice TALON

Président de la République

Chef du Gouvernement

Chef de l’État, Chef suprême des Armées

Présidence de la République du Bénin

Gouvernement du Bénin

Objet: Quatrième anniversaire de gestion : Lutte contre la corruption; réflexion sur ses conditions et ses limites.

Monsieur le Président,

Alors que vous entamez votre cinquième année de gestion a la tête de notre beau pays le Bénin. Permettez-moi de m’adresser à nouveau directement à vous et de soumettre à votre jugement cette autre longue missive. Échanger de vive voix avec vous aurait été l’idéal, mais en ces temps chargés de défis, la voie épistolaire est celle qui sied, d’autant que les écrits restent, comme on dit.

À première vue, mon exposé vous paraîtra sans doute unidirectionnel et limitatif comparativement à une conversation de gré à gré. Mais en retenant pour ainsi dire l’attention de votre raison, mes propos, et les questionnements qu’ils soulèvent, auront le mérite, je crois, de faire opérer une certaine dialectique dans votre esprit, une disposition toujours de mise lorsqu’il s’agit de réfléchir et de gouverner.

Vous savez, Monsieur le Président, au-delà des attaques contrecarrées et des ripostes tactiques de la petite politique, il y a ce qui dure, ce qui transcende, ce qui est essentiel. Apprendre à surmonter les contradictions pour le bien du peuple et de la nation, voilà qui est fondamental quand on préside à l’exercice de la démocratie. Mon exposé a pour objectif de donner quelques balises à cet égard et, bien que critiques par moments, mes propos sont radicalement constructifs : ils visent à ce que vous ayez toujours le réflexe d’écouter l’Autre, de chercher la synthèse. Car ce n’est que par le véritable dialogue que les intérêts divergents peuvent être réellement délibérés et hiérarchisés rationnellement au sein d’une communauté de destin.

Je prendrai la lutte contre la corruption au Bénin comme cadre heuristique et comme exemple actuel. Votre lutte contre la corruption pourrait d’ailleurs être exemplaire et marquer un tournant dans la politique béninoise contemporaine. Et même dans la trajectoire du pays. Mais pour être vaincue, toute corruption doit être bien comprise sociologiquement; elle doit être saisie dans sa globalité, dans ses rapports sociaux constitutifs. Vous ne pourrez orienter adéquatement et mener efficacement le combat que si votre approche, pour rester dans les tons hégéliens, est transcendante.

La guerre à la corruption est un thème phare de votre gouvernance. Tous vous ont entendu marteler vos slogans et manifester votre vive intention d’endiguer ce fléau. D’ailleurs, geste hautement symbolique s’il en est un, vous avez vous-même veillé aux destinés de l’ANCL (devenue le Haut-Commissariat à la Prévention de la Corruption), sous tutelle après la non-reconduction du mandat de l’équipe de Jean-Baptiste Elias) avant de nommer à sa tête, le 19 mars dernier, votre ministre d’État et Secrétaire général, Pascal Iréné Koupaki. Concernant cette nomination, par contre, n’aurait-il pas été plus avisé, dans un souci de transparence, de ne pas choisir un apparatchik pour nettoyer les écuries d’Augias?

Je ne critique pas, Monsieur le Président, le fait que vous vous posiez en ardent promoteur de la rigueur et de la probité au sein de l’administration publique. Mais il faut que les efforts mis à cette fin ne soient pas factices. Je n’appuierais jamais une lutte à la corruption qui ne serait qu’un paravent, qu’une mesure électoraliste. Assainir les mœurs gestionnaires, et ce à quelque niveau que ce soit dans l’appareil d’état, demande un engagement désintéressé, des actions transparentes et des politiques et règlements sans chausse-trappes.

J’ai utilisé le mot « mœurs » un peu plus haut. Il faut le garder à l’esprit. Je montrerai plus loin que la dynamique corruptrice et les rapports complexes qu’elle instaure (éléments corrupteurs, corrompus, victimes) sont multidimensionnels. À un stade avancé, comme c’est le cas au Bénin, la corruption doit être appréhendée comme un système, et même une culture. Dès lors, lutter efficacement contre elle ne peut se limiter à des mesures conjoncturelles ni, encore moins, à des évincements partisans ou des licenciements arbitraires. Ce fut malheureusement la donne sous la gouvernance de Yayi Boni et il semble que ce le soit encore sous la vôtre.

Le dévoiement de l’autorité (incarnée par des personnes en un temps et un lieu donné) mérite d’être sanctionné, cela va de soi. Mais toujours agir a posteriori en fonction de circonstances et « d’affaires » n’est pas ce qui va endiguer la corruption au Bénin. La chose ne sera possible, Monsieur le Président, que par une « déprogrammation » globale, que par une offensive touchant tant les structures gouvernementales et institutionnelles que la pensée populaire. Les modes de fonctionnement et de gestion, les promotions, les nominations, les cadres règlementaires, les instances, les processus électifs, les délivrances et allocations, etc., tout cela est à soumettre à des contrôles d’imputabilité. Comme doivent être changées aussi les habitudes des gens qui évoluent dans (ou sous la dictature de) ces structures et qui ont été conditionnés à voir la corruption comme une fatalité, médusante pour les intouchables, réjouissante pour les initiés et révoltante pour le petit peuple qui en fait les frais ou qui, parfois, s’en sent exclu.

Au Bénin, la corruption est presque devenue un fait social total. L’ethos du pays en est empreint tant elle est encrée dans les administrations, les sphères économiques, les antichambres politiques, les organisations électorales et, même, dans les aspirations sociales. Le virus s’est propagé dans notre société, l’a corrompue et il ne peut être éradiqué que par une médecine évoluée, holistique.

Mon diagnostic est sévère, j’en conviens, et les élites, notamment politiques, sont à enquêter d’entrée de jeu. Pour avoir une compréhension juste et complète de la corruption, il importe cependant d’embrasser plus large et de ne pas faire porter tout le blâme sur elles. Bien voir comment les ressorts agissent est un atout, Monsieur le Président. Beaucoup de gens parlent de corruption, mais ils sont peu nombreux à en connaître les racines et les ramifications. Un traité des problèmes sociaux induits par la corruption au Bénin devra d’ailleurs un jour être écrit. Pour l’heure et pour ma part, je me contenterai ici de soulever quelques éléments susceptibles de vous éclairer.

Une société fonctionne non seulement parce qu’il y a une différenciation des pratiques, des rôles et des statuts, mais aussi parce que leur compréhension et leur acceptation sont réelles sous l’effet notamment des normes, des valeurs et des idéologies communes. Les rapports sociaux se cristallisent ainsi, dont certains sont des rapports d’autorité. Que ce soit celle du savoir et de la science, du droit et de la justice, de la représentativité et de l’exceptionnalité, ou encore celle de l’expérience et de l’aînesse, toute autorité n’est pas problématique en soi malgré la répartition inégale de ceux et celles qui sont aptes à l’incarner. Elle le devient lorsqu’elle n’est plus normale (au sens sociologique), qu’elle n’est plus reconnue et acceptée, quand elle n’est plus profitable à la grande majorité. Bref, quand l’équilibre est rompu entre les pouvoirs accordés à certains (l’élite) et ce qu’en obtient le peuple, et ce, tant dans les faits que dans les perceptions.

Logique dès lors que l’élite soit pointée du doigt et tenue responsable des affres quotidiennes, des inégalités, des souffrances populaires. D’ailleurs, qu’on soit passé, dans la terminologie courante, de « l’élite », comprise comme une minorité dotée d’une supériorité reconnue et d’une autorité morale, aux « élites », c’est-à-dire cette catégorie sociale dominante et plutôt contestée, est révélateur du type de relation à l’autorité qui s’est instauré dans les sociétés, même les plus développées.

La corruption comme exercice perverti de l’autorité, comme utilisation abusive d’un pouvoir reçu par délégation à des fins privées… est la définition classique. Le mal vient d’en haut, il prend naissance au sein des groupes élitaires dont les représentants cèdent à la tentation. En Afrique, au Bénin particulièrement, la personnalisation de la corruption et son identification aux figures d’autorité ont même conduit à une généralisation : est corrompue, ou présumée corrompue, toute personne qui détient une autorité!

Cette perception nuit à la cohésion sociale et au progrès. Associée ainsi à l’usage illicite qu’en font les élites, l’autorité perd de son poids et de sa valeur essentielle. Le réflexe populaire de contester les « autorités » mine la notion même d’autorité, à l’image des feak news qui plombent le savoir. Face à cela, Monsieur le Président, les campagnes partisanes pour redorer des blasons et pour épingler des fautifs restent insuffisantes.

Résidant actuellement au Canada, et après ce que je viens d’écrire, je peux passer pour un donneur de leçons. Or, il faut savoir que la corruption s’accommode aussi très bien des sociétés occidentales « avancées », qu’elle n’est pas le propre des pays en voie de développement ou nouvellement démocratiques. En fait, la littérature sociologique le montre (les travaux de L. Mucchielli entre autres), le système électoral est aussi une source de corruption, laquelle se manifeste alors sous d’autres formes. Dans le cas des jeunes démocraties comme celles du Bénin, où pendant longtemps les pratiques frauduleuses ont été incontournables, il y aurait cependant un double phénomène : 1- de vieilles habitudes politico-administratives toujours présentes à l’intérieur des nouveaux systèmes technocratiques et des structures de représentation; 2- un conditionnement populaire toujours opérant et faisant de la corruption un horizon parmi d’autres. Du bakchich au favoritisme en passant par les falsifications et les détournements, les mœurs béninoises, Monsieur le Président, ne se sont pas toutes métamorphosées parce qu’il y a eu la Conférence nationale.

C’est pourquoi la corruption, active comme passive, doit être combattue de manière globale, systémique : dans les ministères comme dans les chambres parlementaires, dans les institutions et les officines, au sommet de l’État comme dans la rue. Une culture de la vérité et de la transparence doit prendre racine et envahir l’espace. Et il faut donner aux Béninois et Béninoises le goût d’y croire, leur permettre de passer à un autre niveau dans leur participation au développement démocratique du pays. Tout le Bénin devrait pouvoir se déprogrammer de la corruption, y devenir intolérant (au sens médical du terme) et ne plus y voir une avenue possible, comme les violences sexuelles sur les femmes ne le sont plus maintenant dans nombre de sociétés grâce à #MeToo.

Sortir de la dissonance et de la logique corruptrice, surmonter les contradictions et les leurres, c’est aussi dépasser le stade des réjouissances partisanes devant les têtes qui roulent. La communauté béninoise, usée autant que séduite par son gouvernement kleptocrate, doit aller au-delà des dénonciations à répétition. Il y a d’ailleurs de l’ignorance dans l’accueil que reçoivent les petites manœuvres anticorruptions : les gens ordinaires aiment qu’on punisse les délits, les corruptions de fonctionnaires par ex., mais ne savent pas que les pratiques frauduleuses institutionnalisées ne sont pas visées par le droit pénal du pays. Laisser structurellement et culturellement se perpétrer des abus et des malversations pour pouvoir les réprimer à la pièce de manière opportuniste n’est pas porteur de changement ni de progrès social. Une telle « lutte » s’inscrit au contraire dans la continuité d’un rapport de domination bien connu au Bénin.

Pourquoi Monsieur le Président ne pas plutôt saisir l’occasion pour instaurer l’autorité de la vérité et de la justice? Pourquoi, dans la foulée de votre offensive anticorruption, ne pas faire en sorte que les élites et le peuple réfléchissent ensemble dans le cadre d’une grande réconciliation? Unis, les Béninois pourraient alors participer aux réformes et à la recherche d’un équilibre social, de solutions équitables, de voies de développement et de contre-pouvoirs effectifs.

Bien sûr, pour vaincre durablement la corruption, il faut aussi qu’une sorte de réingénierie de l’État se dessine, que des lois et règlements soient votés et appliqués, que des mécanismes de contrôle et de vérification soient mis en place partout dans la technostructure institutionnelle et dans les grands organismes de gestion et de régulation, ainsi que dans les processus électifs, quels qu’ils soient. C’est ainsi qu’on assurera l’effet durable du coup de barre, qu’on accèdera à un niveau supérieur, que la prévention de la corruption deviendra possible.

Du reste, comme garantie finale à cette culture de la vérité venant d’en haut, mais aussi sanctionnée d’en bas, il importe que la transparence s’impose urbi et orbi. Ce qui veut dire une médiatisation des programmes, des études, des cadres règlementaires, des orientations, projets, décisions, corrections, données, bilans, etc. qui sont d’intérêt public. Il va sans dire, dans ce contexte et pour l’avenir, que le rôle, la santé, le pouvoir et la liberté de la presse doivent être optimaux.

Dans les gouvernements démocratiques, pour paraphraser Maurice Block, ce sont les médias qui moralisent (rendent meilleur), car la corruption ne peut résister longtemps aux attaques de la presse. Publiciser l’information vérifiée et pertinente est le meilleur moyen d’inspirer le respect de soi-même, comme individu et comme peuple. Les journalistes, Monsieur le Président, devront être au cœur de l’opérationnalisation des réformes. Validée par les activités médiatiques, la transparence est l’antidote au mensonge et au silence par lesquels corrupteurs et corrompus s’entendent dans les faits pour dévoyer le rapport d’autorité.

Grâce à une lutte systémique et systématique contre la corruption et à l’émergence d’une culture de la vérité, je vois la démocratie représentative béninoise repartir sur des bases solides. Je vois des citoyens optimistes, n’ayant plus comme unique choix les promesses personnelles des acteurs politiques, gouvernants, élus, agents et autres responsables. Je vois les systèmes et les appareils d’état ne carburant plus aux mensonges et aux arrangements frauduleux. Je vois les Béninois faire confiance à leurs élites et s’en inspirer. Je vois, en somme, une infrastructure étatique et des institutions devenues résistantes à la corruption et à l’abri de toute mauvaise volonté, fut-elle celle d’un président.

Ce sont là de grandes et belles vues… chimériques, penserez-vous peut-être, Monsieur le Président. Si je reste pour ma part convaincu que le changement progressiste commande l’imagination au pouvoir et la raison communicationnelle, pour reprendre des formules consacrées, je comprends tout de même qu’institutionnaliser la vérité et la transparence puisse donner le vertige. Il faut donc aussi rester terre-à-terre. Méthodes, étapes, préparation, précaution… Lutter efficacement contre la corruption demande de l’organisation. Par exemple, l’équipe d’experts dédiée à celle-ci doit être multidisciplinaire, neutre et sans penchant partisan; un plan d’orientation étoffé est à produire; des forums et des débats d’idées (notamment en ligne) sont à organiser; des missions à l’étranger à planifier, etc. Tout cela, bien sûr, afin d’en arriver à l’intégration de garde-fous légaux et de mécanismes de reddition de compte efficaces.

Rien n’empêche cet égard de progresser en entonnoir, c’est-à-dire de commencer par la mise en place de points de contrôle à large spectre incarnés par des mandataires officiels de type vérificateur. Je vous en suggère deux ici, Monsieur le Président : 1- le Vérificateur général du Parlement; 2- le Directeur parlementaire du budget.

La corruption, je l’ai effleurée plus haut, ne se dissout pas nécessairement dans les milieux politiques où les charges sont électives. Les relations politiciens / électeurs peuvent être perverties par ce que Léon Gambetta appelait les « industries de placement électoral politico-financières ». Différents mécanismes existent toutefois pour contrer la vénalité électorale, dont le plus connu et le plus utilisé est le poste de Vérificateur général du Parlement. Dans un système politico-administratif béninois renouvelé, l’organisme dont ce vérificateur aurait la direction :

Vérifierait l’utilisation des ressources mises à la disposition du gouvernement par le parlement, ayant pour ce faire des antennes à l’intérieur de tous les ministères;
Effectuerait une reddition de comptes à la fin de chaque cycle budgétaire, tous les fonds approuvés et dépensés par le gouvernement étant scrutés à la loupe;
Verrait ses responsabilités énoncées dans la loi qui l’aurait institué, des responsabilités comme celles de contrôler la conformité des dépenses du gouvernement aux directives de la loi sur les finances publiques, et de mesurer l’efficience des actions, attributions et usages relativement à ces ressources (la bonne administration et le rapport coûts / bénéfices des programmes gouvernementaux seraient des critères d’analyse à cette fin et seraient détaillés dans la loi).

Il y a des fonds et des initiatives qui se perdent dans votre gouvernement, Monsieur le Président, notamment — à en croire le ministre d’État, Boudoulaye Bio Tchané — en matière de mise en œuvre de programmes de développement. Et cela est justement en partie dû à la faiblesse des mécanismes de contrôle budgétaire issus de vos réformes dont les ambitions sont disproportionnées par rapport aux moyens administratifs dont elles disposent. Et alors que le gouvernement béninois ne reçoit, pour son budget de fonctionnement, aucun autre input significatif que les entrées fiscales, votre Programme d’Actions du Gouvernement se révèle être une statue aux pieds d’argile, privé des contributions d’investisseurs en manque de garanties. D’ailleurs, le fait d’avoir récemment, dans l’une de vos réformettes, retiré au parlement le pouvoir d’approuver tous les projets de prêts gouvernementaux leur envoie un bien mauvais signal. La transparence, Monsieur le Président, ne s’obtient pas avec des chiens de garde édentés! Un VGP légitime et efficace est une condition sine qua non au renforcement de la confiance des grands bailleurs de fonds.

Autre niveau de contrôle souhaitable : le Directeur parlementaire du budget, dont le rôle dans la lutte systémique contre la corruption se ferait un peu en parallèle tout en compulsant les données budgétaires gouvernementales. L’accent serait mis sur la protection des intérêts et des droits de la population, des contribuables béninois, mais aussi des exécutants. Ce serait un vérificateur-protecteur, un genre d’ombudsman chargé avec son équipe de :

résoudre de manière impartiale, indépendante et confidentielle les plaintes de toute personne convaincue de subir les conséquences néfastes d’une attribution malhonnête ou se sentant lésées en raison de pratiques frauduleuses;
mener des enquêtes formelles dans le cas où la médiation et la négociation auraient été vaines;
recommander des correctifs pour que cesse une injustice tant dans des dossiers individuels qu’organisationnels et informer les dirigeants politiques d’éventuels problèmes systémiques.

Au Canada, où ils sont nommés en vertu d’une politique ou d’un document d’attributions dans des organisations du secteur privé ou public, les ombudsmans ont de grands pouvoirs d’enquête et l’autorité de publier des rapports annuels ou spéciaux, accessibles aux journalistes. Pourquoi, Monsieur le Président, ne pas faire de même au Bénin avec la nomination de Directeurs parlementaires du budget? Ce serait déjà une façon tangible de procéder afin que « des mutations s’opèrent dans notre pays pour le bonheur de tous », comme vous l’écriviez vous-même il n’y a pas si longtemps.

Oui, mais, au Bénin, il y a maintenant le Haut Commissariat à la Prévention de la Corruption, me direz-vous. Effectivement, sauf que si le HCPC est aussi bancal dans son approche que ne l’était l’ANCL et que ne le sont les dirigeants béninois face la corruption, ce ne sera qu’un autre acronyme pour une structure de délation sur commande. L’ANLC ne disposait d’aucune autonomie dans son fonctionnement, ne s’activant que selon le bon vouloir de quelques huiles qui s’en servaient pour régler des comptes politiques ou pour discréditer d’autres organismes. Un tel fonctionnement a nourri le cynisme chez les Béninois et n’a pas rassuré les investisseurs. Nonobstant son nom, le HCPC planera-t-il aussi bas?

Depuis les affaires Cen-Sad et PVI, par exemple, la difficulté à traduire les récriminations et les promesses de moralisation en mesures concrètes, c’est-à-dire en lois et en organismes de lutte contre la corruption, témoigne du manque de leadership et du désintérêt chronique des dirigeants béninois qui se sont succédé au fil du temps. L’impossibilité des organismes anticorruption de se constituer rapidement en partie dans des dossiers douteux en est aussi un signe, tout comme les difficultés de la justice béninoise, par manque de mordant, à s’attaquer aux patrimoines criminels et à rassembler des preuves de corruption (incapacité de s’introduire dans les institutions pour opérer des contrôles).

Je veux bien laisser la chance au coureur, Monsieur le Président, mais l’implantation des deux niveaux de vérification au sein de toutes les administrations, institutions et ministères béninois serait déjà beaucoup plus crédible comme offensive contre la corruption. Ce serait même un grand pas vers une culture de la transparence puisqu’il y aurait autant prévention que curation. Une telle reprogrammation redonnerait par ailleurs confiance aux investisseurs locaux et internationaux, lesquels pourraient désormais compter sur une vérité officielle n’émanant plus seulement que d’une seule source, mais de plusieurs (organismes décentralisés, presse libre, etc.).

Je le répète, les grands objectifs de la lutte contre la corruption au Bénin sont orphelins d’appuis législatifs, de mécanismes de contrôle et d’assises sociales. Or, au-delà de toute cette offensive à organiser correctement, il faut aussi savoir mettre la dignité humaine au cœur de vos politiques. Car, en bout de piste, à quoi bon la vérité, la transparence et l’autorité vertueuse sans aide véritable à la famille et à l’enfance, sans émancipation de la femme, sans vraies mesures de protection sociale, sans richesse collective ni citoyenneté pleine et entière pour tous. La lutte contre la corruption, Monsieur le Président, doit est subsumée au renforcement de la démocratie et des droits de la personne.

On en revient à la dialectique, finalement, par l’effet de laquelle les contradictions sont dépassées. Les sociétés saines et pluralistes auxquelles tant de gens aspirent ne sont possibles que si leurs institutions légitimes sont inclusives, c’est-à-dire ouvertes, représentatives et reconnues, que si les autorités se transcendent dans la démocratie participative. Réprimer subjectivement des acteurs politiques n’est pas un combat édifiant.

Gouvernants et gouvernés devraient être des citoyens égaux au Bénin. Et nul individu ou groupe ne devrait s’y approprier le pouvoir politique ni encore moins le faire pour son propre bénéfice. Mais, seules, les élections ne garantissent pas l’inclusion, la participation de tous aux destinées nationales. Même si elle est affirmée dans la constitution, la souveraineté du peuple demeure un pari qui, chose certaine, n’est jamais gagné lorsque les différents paliers de représentation et mille et une instances sont dévoyés, souillés par la corruption. Pour preuve, les programmes de développement béninois, par exemple, asymétriques et distordus par rapport aux besoins réels. Exclusion et corruption vont de pair.

Je termine ici, Monsieur le Président, après avoir mis la table à une autre missive dont le propos portera sur le développement et la démocratie au 21-ème dans leur interdépendance, ce que John Locke appelait leur « coorigine ».

Avec tout mon respect et ma considération,

Richard Boni OUOROU

Politologue et consultant
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