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Pour une promotion de la pêche artisanale sur le lac Nokoué : Focus sur «acadja»

Publié le mercredi 20 mai 2020  |  La Nation
Ganvié
© aCotonou.com par Didier Assogba
Ganvié sur le Lac Nokoué après l`interdiction de l`utilisation de l`Acadja,les pêcheurs de Ganvié demandent à Francis da Silva d`être leur porte-parole auprès du chef de l`État
Ganvié sur le Lac Nokou, le 16 novembre 2019. Ganvié sur le Lac Nokoué après l`interdiction de l`utilisation de l`Acadja,les pêcheurs de Ganvié demandent à Francis da Silva d`être leur porte-parole auprès du chef de l`État
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Par LANATION,
Concernant la pêche sur le lac Nokoué et la gestion de ce plan d’eau, des approches de réflexion évoquent, depuis quelque temps, la diminution de la faune aquatique, la disparition de certaines espèces, voire l’improductivité totale de la pêche. Cependant, ces approches de réflexion mentionnent rarement certains facteurs et données d’ordre halieutique, ichtyologique, hydrobiologique, géomorphologique, écologique…qui hypothèquent lourdement la productivité des activités halieutiques ayant cours sur ce plan d’eau. En scrutant les lignes suivantes, il apparaît que le phénomène de l’improductivité observé aujourd’hui dans l’exercice des activités halieutiques au Nokoué résulte beaucoup plus du manque d’échanges alternés entre la mer, le chenal de Cotonou et le lac, de l’instabilité des saisons, puis de la pollution du lac engendrée par d’autres facteurs extérieurs aux actions des Toffins dont on entend souvent dire qu’ils polluent et encombrent le lac par les parcs «acadja». Avec esprit critique, ces lignes passent au scanner ces facteurs souvent tus pour les analyser et jauger leur impact sur la productivité du lac Nokoué.
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1- Impact du chenal de Cotonou et de la construction du port de Cotonou sur la productivité du lac Nokoué

Rétablir l’interaction entre la mer, le chenal et le lac Nokoué…
A l’analyse, c’est la reproduction des espèces halieutiques qui assure la productivité d’un lac. Le phénomène de l’improductivité du lac Nokoué relève fondamentalement d’abord du cours normal de la reproduction de la faune aquatique. Cette dernière présuppose de bonnes conditions hydrobiologiques, atmosphériques, d’alternance climatique…Plus haut, nous rappelions que «Acadja» répond bien aux conditions hydrologique et biologique du lac Nokoué et que ce dernier communique avec l’océan Atlantique par le biais du chenal de Cotonou.
Le chenal de Cotonou est en fait un débouché artificiel creusé au XIXe siècle qui a subi un certain nombre de modifications dans son fonctionnement hydrologique suite à la réalisation de certains ouvrages. Il forme un couloir connecté au lac Nokoué par un entonnoir qui répartit le débit du chenal dans le lac au gré des flots et des jusants. Il joue un grand rôle dans le fonctionnement du Lac Nokoué. Ce chenal a été temporairement ouvert en 1885 et de façon permanente en 1959. Or, l’on sait que la qualité de l’eau constitue un élément important qui pèse lourd dans le système normal de la reproduction de la faune aquatique. A observer l’eau du Nokoué, on peut se rendre compte qu’elle accumule une salinité prononcée sous l’influence de l’écoulement des eaux marines provoqué par l’ouverture du chenal de
Cotonou. «Depuis l’ouverture de ce chenal, la salinité des eaux de l’océan de même que les organismes vivants prédateurs et les mollusques provenant de l’océan influencent négativement les populations de poissons dans les acadja». L’ouverture permanente de ce chenal affecte beaucoup la productivité et l’épanouissement du lac Nokoué. Une bonne approche de la question de l’improductivité du lac Nokoué ne peut passer sur cette dimension des faits. Pour mieux traiter cette question, il convient que les autorités en charge du secteur de la pêche dans notre pays pensent à une politique de restauration du rapport qui devrait exister entre la mer, le chenal de
Cotonou et le lac Nokoué. Cela est gage de fécondité des activités halieutiques sur ce plan d’eau.
L’histoire nous apprend que le port de Cotonou a été construit en 1961-1965. Avant la construction de ce port, la communication entre la mer et le lac via le chenal de Cotonou était automatique. L’alternance entre l’ouverture et la fermeture du débouché lagunaire était naturelle. «Avant la construction du port de Cotonou, on observait un équilibre bioécologique du lac, ce qui se traduisait par la fermeture et l’ouverture alternées du chenal de Cotonou sur un rythme de trois ans. Depuis 1986, les échanges d’eau entre le lac et l’océan sont permanents, une série de brèches ayant été faite récemment dans le barrage rocheux, qui apparaîtcomme une succession de tas de blocs émergeant à peine au-dessus de l’eau, et entre lesquels peuvent se glisser les pirogues (Vennetier, 1991; Principaud, 1993)». Ainsi, de ces échanges naturels positifs entre l’océan et la lagune, le lac était enrichi d’une variété d’espèces halieutiques. «En lagune fermée, les eaux lagunaires étaient chargées de débris organiques favorables au développement et à la prolifération des micro-organismes (J.P de Souza, 1987). Cette situation entraînait l’abondance dans le lac de diverses espèces d’eau douce et d’eau marine de valeur économique très importante. Ceci expliquait le rendement élevé des acadja jusqu’en 1959» .
Mais, la donne va être bouleversée dans le cadre des travaux d’aménagement et de construction du port de Cotonou. «Mais depuis la construction du port, le lac connaît d’importantes modifications morphologiques, hydrologiques et écologiques comme l’a rappelé P. Vennetier (1991) : la pêche s’y est considérablement dégradée». On assista à une baisse considérable des prises qui, par exemple entre 1959-1969, ont dégringolé de 15 500 tonnes à 5 700 tonnes. Ce plus bas tonnage resta tel, les années suivantes… Puis, la forte teneur en salinité du lac à l’époque a provoqué la prolifération des mollusques prédateurs et des tarets qui affectaient fortement les parcs en branchages «acadja».
A la suite de la construction du port de Cotonou qui a eu des répercussions négatives sur le lac Nokoué, le gouvernement d’alors, dans le but de restaurer la situation, a encore initié la construction d’un barrage qui, au lieu de corriger le tir, a engendré la fermeture de la passe, la sédimentation, le comblement progressif du lac et des problèmes hydrobiologiques nonnégligeables . «Cette situation (les conséquences de la construction du port sur le lac Nokoué) a amené les autorités béninoises dès 1979 à recourir à la construction d’un barrage qui, pour être fonctionnel, doit pouvoir obstruer périodiquement le débouché lagunaire. Malheureusement, la construction de celui-ci a connu une erreur d’appréciation à propos du milieu marin, engendrant des perturbations hydrobiologiques du fait de la fermeture totale du chenal de Cotonou. Legéographe béninois M. Baglo l’a pertinemment montré en 1980». Le barrage devait servir à réguler les échanges mer- lagune. Mais, selon Baglo, lors des travaux de construction, il apparut une flèche littorale de sable qui s’est naturellement formée derrière le barrage en chantier. Cette flèche a exagérément pris de hauteur, a fait couper les échanges qu’on désirait et a conduit à la fermeture totale du chenal de Cotonou en 1980. Le système de régulation qu’on recherchait n’advint plus.
Insatisfaits et toutefois préoccupés par la situation, des pêcheurs à l’époque se sont mobilisés pour restaurer l’ouvrage. En Octobre 1985, ils se sont efforcés au moyen d’un bulldozer d’ouvrir le long de la rive occidentale une passe large d’une vingtaine de mètres. Et pour faciliter l’écoulement des eaux de crue, ils firent dans le barrage rocheux une série de brèches. De fait, à partir de cette intervention des pêcheurs, les échanges d’eau entre la mer et le lac ont repris, mais à un débit faible et à compte-gouttes. Un certain équilibre semblait être rétabli. Depuis 1985, la salinité de l’eau du lac Nokoué évolue selon le rythme des saisons. Tantôt elle s’élève, tantôt elle diminue, comme ça fonctionnait avant la construction du port. Subséquemment, la pêche se mit à redevenir plus productive. Les prises annuelles qui avaient chuté à 5700 tonnes ont commencé à remonter. Depuis les années 1980, la pêche a retrouvé approximativement sa productivité d’avant la construction du port. Les prises tournaient désormais autour de 15 000 tonnes et plus. Ces nouveaux résultats de la pêche semblaient arranger les pêcheurs qui s’en sont contentés et s’en contentent jusqu’à nos jours.
Cependant, l’expérience avec la fermeture du chenal de Cotonou en 1980 a fait son chemin et s’avère non-concluante de nos jours. Le constat de l’improductivité de la pêche aujourd’hui au lac Nokoué dit long sur l’inefficacité de la fermeture du chenal de Cotonou. Cette situation n’arrange plus les pêcheurs. Il y a urgence que les autorités gouvernementales et les spécialistes de la pêche dans notre pays se penchent prioritairement sur la question de l’interaction entre la mer, le chenal de Cotonou et le lac Nokoué. Pour nous, la restauration et la régulation du système des échanges entre la mer, le chenal et le lac se présentent comme le premier défi auquel doit d’abord s’intéresser le projet de réforme de la pêche au Nokoué. «Le préalable essentiel est la correction du barrage à pertuis installé dans la «lagune» de Cotonou. Sur ce point, la situation la plus favorable pour la pêche en lagune et pour l’installation des acadja dans le lac Nokoué résulterait de l’ouverture et de la fermeture alternatives du chenal. Pour les Toffins en particulier, il faut aménager des pertuis au beau milieu de la digue, tout en prenant soin de construire une jetée parallèle à l’ouverture entre le barrage et l’ancien pont, afin de protéger ce dernier contre les grands courants marins. Par ailleurs, d’après les études de M.A. Baglo (1980), la suppression de la digue de Placodji et la construction d’un épi ouest permettraient au barrage de devenir pleinement fonctionnel» .
LIRE AUSSI: Dévastation des ressources naturelles dans le Nord-Bénin: Les maires du Borgou-Alibori tirent la sonnette d’alarme

2- Impact de l’instabilité des saisons sur la productivité du lac Nokoué

La reproduction des espèces aquatiques intègre les conditions climatiques optimales comme la bonne température, la bonne atmosphère, l’oxygénation, l’alternance des saisons… De façon générale, les espèces de la faune aquatique se reproduisent suivant l’alternance des saisons. Par exemple, certains poissons d’eau douce fraient au moment des crues, quand le niveau d’eau augmente dans les rivières et les lacs. Les poissons tropicaux et subtropicaux fraient, eux, pendant la saison des pluies, au moment où la ponte a le plus de chance de survivre dans les eaux troubles et les courants rapides.
Il ne fait l’ombre d’aucun doute que le changement et le réchauffement climatiques au plan mondial génèrent de lourdes conséquences néfastes sur les activités humaines nécessitant des conditions climatiques optimales telles celles agricoles et piscicoles. L’instabilité des saisons qui s’observe partout de façon générale se présente comme l’une des répercussions du changement climatique.
Cette instabilité des saisons chamboule la pratique de la pêche au Nokoué et impacte énormément le système de reproduction naturelle des espèces aquatiques. Les praticiens de la pêche au lac Nokoué ont évoqué à plusieurs reprises lors des échanges directs avec eux l’influence fort négative de l’instabilité des saisons sur la reproduction naturelle des poissons. Ce phénomène de l’instabilité des saisons est à considérer pour appréhender les problèmes affectant la reproduction de la faune aquatique.

3- Facteurs et acteurs de la pollution et du comblement du lac Nokoué

La productivité d’un lac dépend de la qualité de l’eau qui l’alimente. De fait, l’on peut se poser des questions sur la qualité de l’eau du lac Nokoué. Cette eau présente-t-elle les conditions physico-chimique et hydro-biologique optimales pour donner vie à la faune aquatique afin de favoriser la productivité des activités halieutiques ? L’Ong Boussole de la Cité a fait étudier l’eau du lac Nokoué en septembre 2016 par l’entreprise canadienne Technologies Ecofixe de Laval en collaboration avec une autre entreprise de Laval appelée Umalia. Le Responsable de l’Ong Bc, Hyppolite Dansou, rapporte les résultats de l’étude en ces termes : «Nous avons fait analyser l’eau de notre lac et de notre rivière, récemment. Heureusement, cette analyse ne nous a révélé aucune présence de produits chimiques. Mais il y a des bactéries d’origine biologique qui contaminent notre eau». Il reste en jeu l’hypothèse d’une pollution bactériologique qui découlerait entre autres des rejets de déchets ménagers et de fèces dans l’eau du lac; encore que ces déchets ménagers et ces fèces en décomposition pourraient favoriser la formation du plancton qui constitue l’aliment de base naturel pour les poissons.
A la lumière de ces résultats, la question de la pollution du lac Nokoué dont on entend souvent parler est à relativiser. Elle est à aborder avec circonspection et esprit critique pour ne pas dégénérer dans des lectures unilatérales qui trouvent les parcs en branchages «acadja», responsables des phénomènes de l’encombrement du lac et de la pollution de l’eau du Nokoué. Pourtant, il est d’autres facteurs polluant l’eau du lac Nokoué ! L’invasion périodique des jacinthes d’eau qui assaillent le lac pendant la crue et qui pourrissent dans l’eau quand cette dernière devient saumâtre en période de décrue est un phénomène qui pollue gravement le lac. Et ce phénomène n’est pas lié à une action des habitants du Lac.
Un autre facteur de pollution du lac Nokoué se manifeste dans les rejets des déchets ménagers. «Les rives du chenal sont occupées par de nombreux dépotoirs sauvages d’ordures ménagères». Des tas de déchets domestiques solides et liquides sont jetés dans la lagune de Cotonou qui les déverse finalement dans les eaux du lac Nokoué. Les marchés installés dans les villes côtières comme le marché
Dantokpa constituent des sources importantes de pollution des cours d’eau. Les résidus issus des activités commerciales qui se déroulent dans ces marchés sont rejetés dans la lagune de Cotonou et se répandent dans le lac. Il est aussi des déchets émanant des ménages des peuples environnant le Nokoué qui en ajoutent à la pollution de ce lac. Aux déchets ménagers viennent se greffer les déchets industriels dont la forme de pollution est gravissime. La plupart des sociétés industrielles du pays sont installées dans la zone côtière et rejettent de lourds produits toxiques dans les eaux marines et lagunaires . «Les industries qui sont concentrées autour de Cotonou rejettent leurs effluents dans le chenal de Cotonou et contribuent ainsi à sa pollution chimique (Soclo, 1999)» .
La gestion des déchets (domestiques, industriels, médicaux…) est un problème général qui se pose partout dans le pays. Pour pallier les rejets de déchets tous azimuts, il incombe à l’autorité étatique d’engager des politiques susceptibles d’aider les citoyens et les sociétés industrielles à bien traiter les déchets ménager et industriel. En ce qui concerne le cas des populations du Lac Nokoué, l’Etat peut saisir l’occasion du projet «Réinventer
Ganvié» pour ordonner une bonne politique de gestion des déchets ménagers et de lutte contre les jacinthes d’eau. L’Etat peut aussi faire construire des toilettes publiques pour les populations lacustres.
Ce sont sans ambages tous ces facteurs de pollution qui entraînent le phénomène de comblement et d’ensablement du lac Nokoué. Le barrage construit dans les années 1978 sur le chenal de Cotonou, disions-nous, est un facteur favorisant le comblement du lac Nokoué. Par ailleurs, la plupart des rigoles à Cotonou et à Abomey-Calavi sont construites et orientées vers la lagune et le lac. De la sorte, elles déversent d’importantes quantités de sable et d’eaux usées dans la lagune et le lac. «Les exutoires de plusieurs collecteurs des eaux usées de la ville de Cotonou débouchent dans le chenal et le lac, rendant le degré de pollution très alarmant» . Il s’ensuit que les caniveaux sont aussi responsables du phénomène d’ensablement et du comblement du lac Nokoué.
L’expérience des praticiens de la pêche «acadja» que nous avons contacté pour appréhender le phénomène montre que la nature elle-même procède périodiquement à l’épuration du lac. Pendant la crue, la montée des eaux, par un système naturel de purification et d’assainissement, fait décanter et emporter les résidus de branchages «acadja». Qui plus est, la présence dans le lac Nokoué des huîtres qui sont des organismes sessiles aux branchages «acadja» revêt une grande importance écologique. Elles participent à la bonne santé des écosystèmes aquatiques. Sans les pêcheries «acadja», on n’aurait pas d’huîtres dans le lac Nokoué. Selon des études, elles jouent un rôle d’épurateur dans l’eau (Newell 1988). Elles représentent un facteur nonnégligeable de l’assainissement des eaux prévu naturellement par l’écosystème lui-même. Il va sans dire que, par leur présence au lac Nokoué, les huîtres contribuent déjà à la purification de ses eaux.
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4- «Acadja» : facteur de déforestation ou valorisation de la jachère?

La déforestation désigne le phénomène de régression durable des surfaces couvertes de forêts, qu’il soit d’origine anthropique ou naturelle. Si une forêt repousse après une coupe, une attaque d’insectes xylophages ou un feu, on ne parle pas de déforestation. Toute coupe de bois n’est pas déforestation…Pourtant,
«acadja» est malheureusement perçu comme un facteur de déboisement ! A contrario, l’abattage des branchages «acadja» se passe dans des forêts secondaires sur des terres incultes, des terres en friche, ou dans des champs en jachère…La forêt secondaire est – par opposition à la forêt primaire- une forêt qui a repoussé (plantée ou de manière spontanée) par régénération naturelle, en une ou plusieurs phases après avoir été détruite ou exploitée par l’homme.
La jachère désigne une terre non cultivée temporairement pour permettre la reconstitution de la fertilité du sol ; elle est aussi une terre non ensemencée pour la faire reposer pendant un temps relativement long. La jachère peut s’étendre sur 2 ans, 4 ans voire 8 ans. Une friche est un terrain précédemment exploité, mais qui a été par la suite abandonné par l’homme et envahi par une végétation spontanée. C’est une terre inculte. Elle n’est ni entretenue, ni cultivée, ni productive. Si des parties sont accessibles sur la terre en friche, on peut y exercer des activités marginales comme pâturage, cueillette, braconnage, chasse, pêche ou autres activités…
Dans un travail de recherche sur acadja portant le titre
«Acadja, un système traditionnel de pisciculture extensive dans les eaux lagunaires d’Afrique de l’Ouest et son importance pour la végétation en jachère au Bénin», Stephanie Weinzierl, de l’université de Hohenheim en Allemagne, Département de l’écologie agricole, démontre comment «acadja» peut être un facteur de valorisation de la jachère et des terres en friche. Dans la même dynamique, un autre travail de recherche intitulé l’origine des branches «acadja» et les routes de transport dans la province Atlantique et portant la signature de Weinzierl et de Karsten Vennemann, mentionne la provenance et le processus d’acquisition des branches «acadja». Celles-ci viennent des soles où prédominent les bosquets. Les branches «acadja» sont prélévées sur les sols en friche: «Les champs autrefois étaient cultivés pour plusieurs années permettant une restauration de la fertilité du sol par la jachère. Les «acadja» sont actuellement coupés sur les terrains en friche où les buissons et arbustes poussent après cultures. Les branches de 3 à 4 mètres de longueur et 1 à 2 cm de diamètre sont coupées sur les friches de plusieurs années». Les investigations ont pu répertorier différentes espèces de branches d’arbustes que les pêcheurs utilisent habituellement pour construire les parcs «acadja». Il s’agit de: Dialiumguineense(assossoètin), Lecanoidiscuseupanoides (ganhotin), Psidiumgoyavapomiferium (kinkountin), Uvariachamae (gbannantin), le niaouli, le palmier, le bambou (gbaglo), le Leuceana (Aglatin)…
En revanche, la croissance démographique du milieu lacustre a suscité un grand besoin des activités de pêche pour survivre socialement et économiquement. Etant donné que «Acadja» est la technique la plus prometteuse, les acquéreurs de parcs «acadja» sont devenus nombreux. Le besoin de branches d’arbrisseaux se manifeste de façon accrue; cela a donné lieu à la sollicitation poussée et intempestive des champs en friche ou en état de jachère. Vu la demande massive en branches et bosquets, le temps de jachère pour permettre la restauration de la fertilité du sol n’est plus respecté. L’espacement entre les périodes de coupe s’amenuise de plus en plus. Dans le cours du temps, la technique de pêche «acadja» a évolué en se perfectionnant. Sous l’angle de l’acquisition des branchages, les pêcheurs eux-mêmes ont eu l’intuition d’une solution alternative.
De nos jours, pour éviter toute tendance au déboisement, la majorité des pêcheurs et les grands praticiens d’«acadja» au lac Nokoué ont acquis, selon l’Union nationale des pêcheurs continentaux et assimilés du Bénin (Unapecab), des terrains dans les villes environnantes et y font des plantations pour extraire au temps opportun les branchages «acadja» dont ils ont besoin pour la pêche.

Cette alternative écarte toute opinion de déboisement portant atteinte à l’écologie et s’inscrit bien dans la droite ligne des recherches de pistes de solution en faveur de l’exploitation des parcs en branchages. A propos du projet de la réorganisation de la pêche au Nokoué, ces suggestions de Principaud méritent d’être prises en grande considération pour sauvegarder et promouvoir les pêcheries «acadja» : «En toute objectivité, il faudrait que la direction des Eaux et Forêts mette en œuvre des programmes de reboisements à proximité du lac, dans les régions d’Abomey-Calavi, de Zè et de Tori. La coopération allemande dans cette région du Sud-Bénin va dans ce sens. Il faudrait que les différents acteurs trouvent des essences à croissance rapide et convenant à l’édification des acadja. Ainsi, le Leucaena, souvent cité par les spécialistes et connu sous le nom d’Aglatin, peut atteindre 7 m dès la première année de la plantation et repousse très vite lorsqu’ il est coupé. Il est déjà en partie utilisé pour les acadja sur le lac.Il revient donc au Carder Atlantique d’aider les Groupements à Vocation Coopérative (G.v.c) dans la région à avoir leur propre plantation afin de sauvegarder les acadja qui, (…), font du lac Nokoué un des lacs les plus productifs du continent africain».

5- Pour une écologie intégrale

L’écologie est la science qui se consacre au rapport entre l’homme et son environnement naturel. Il n’y a pas et ne peut y avoir d’écologie environnementale sans écologie humaine. En fait, les approches de réflexion autour des activités de pêche au lac Nokoué gravitent autour des préoccupations écologiques. L’on se montre soucieux de la protection de l’écosystème. Mais, l’on paraît peu attentif au sujet central de l’environnement. «Respecter l’environnement ne veut pas dire que l’on considère la nature matérielle ou animale comme plus importante que l’homme» .La dignité humaine fait partie intégrante des questions de protection de l’environnement. Dans tout projet écologique, l’on ne doit ni oublier, ni sous-estimer la primauté de l’homme dans la création. Cette dernière n’est pas plus importante que l’être humain. Toute écologie environnementale exprime sa pertinence quand elle embrasse les dimensions sociale, spirituelle, matérielle, économique et culturelle de la personne humaine… Avec le lac Nokoué exploité au moyen des diverses techniques de pêche, les «Toffins» parviennent à joindre les deux bouts et à répondre convenablement aux besoins fondamentaux de la vie. C’est au moyen des produits de pêche que le «Toffin» se prend socialement en charge, se nourrit, se loge, se vêtit, se soigne, fréquente l’école…
De nos jours, l’accent est beaucoup plus porté sur une gestion rationnelle et intégrée des ressources naturelles. Cette gestion rationnelle et intégrée suggère de prendre en compte aussi bien les réalités sociale, économique et culturelle du milieu humain que les réalités écologiques dans la planification de l’exploitation des ressources naturelles. «Aujourd’hui, l’analyse des problèmes environnementaux est inséparable de l’analyse des contextes humains, familiaux, de travail, urbains, et de la relation de chaque personne avec elle-même qui génère une façon déterminée d’entrer en rapport avec les autres et avec l’environnement». La gestion intégrée des ressources insinue d’associer l’ensemble des acteurs sociaux à la gestion des ressources. Le projet de réforme concernant la pêche au lac Nokoué, tout en recherchant la protection de l’écosystème, veillera à tenir compte de la dimension socio-économique de la vie des «Toffins». Installés au lac Nokoué depuis le XVIIe siècle, les «Toffins» se sont adaptés à la vie aquatique et ont acquis de l’expérience en matière de pêche. Il va sans dire qu’il est bienséant qu’on implique les praticiens de la pêche dans le déroulement des futures réformes halieutiques au Nokoué. A cet effet, les membres de l’Unapecab et de l’Association Tofin-Djlado sont très indiqués. Ce serait inconvenant de les écarter.
Pour ne pas conclure : «Sauvegardons acadja» pour un développement intégral de l’homme…
Après le parcours panoramique (cf. l’article précédent) sur l’importance socioéconomique du lac Nokoué, le génie créatif des «Toffins», le fonctionnement et la rentabilité d’Acadja, l’impact du chenal et du port de Cotonou sur le lac, la pollution, le comblement du lac et l’instabilité des saisons sur la productivité du lac…, on se rend compte que la pêche artisanale reste à promouvoir. Les divers engins et techniques de pêche artisanale évoqués précédemment relèvent du génie créatif des populations du Lac Nokoué qui se sont installées dans cette région et s’y sont adaptées depuis le XVIIe siècle. Sans circonspection ni perspicacité, on fait tôt de taxer ces techniques et engins artisanaux de pêche d’engins prohibés ou illégaux. La grande majorité des recherches scientifiques explorées ne suggèrent pas de les prohiber, mais de les promouvoir tout en visant à les perfectionner.
Le «quick scan» sur «acadja» en particulier révèle qu’il fait plus de bien que de mal. De ce fait, il est à promouvoir. «La technique des acadja a incontestablement des effets positifs dans cette partie du sud-est du Bénin aussi bien sur le lac Nokoué et la rivière Sô que sur les populations. Elle demeure la technique de pêche la plus satisfaisante. Il va donc de l’intérêt de ce pays de sauvegarder cette originalité dont l’environnement reste à maîtriser. Par surcroît, l’organisation adéquate de l’exploitation des acadja sur le lac Nokoué contribuera au bien-être des Toffins. (…)

En effet, les Toffins, si les acadja étaient plus efficaces encore, pourraient mieux se soigner, se loger, senourrir et même s’instruire (…)» .
Dans le même ordre d’idées, David Hounguê, Président de la Fédération nationale des pêcheurs du Bénin renchérit : «Sans l’acadja, il n’y aura plus de poissons dans le Nokoué parce que les espèces qui vont quitter la mer ne trouveront plus de refuge pour se reproduire. De même, celles qui quitteront le fleuve Ouémé via la lagune de Porto-Novo vont devoir repartir faute d’abri» . Pour lui, la généralisation de l’interdiction d’«acadja» à tous les plans d’eau du pays a été une monumentale erreur dans la loi 2014. David Hounguê martèle:«L’acadja était déjà interdit dans le lac Ahémé parce que ce plan d’eau est un creux. Ce n’est pas la même configuration que le Nokoué. Ce sont les cadres qui ont mené des études pour conclure que
l’acadja ne peut pas quitter le Nokoué parce qu’il permet la reproduction des ressources halieutiques. Aujourd’hui, les jeunes cadres, par alchimie, estiment que l’acadja est un problème pour le Nokoué. Même nos parents nous ont toujours enseigné que celui qui va demander qu’on détruise l’acadja veut la mort du Nokoué» .
Dans l’optique d’une pêche durable, la restauration de l’alternance des échanges entre la mer, le chenal et le lac Nokoué puis la dépollution du chenal et du lac constituent prioritairement de nos jours les défis les plus urgents à relever pour le succès du projet d’assainissement du lac Nokoué et de réorganisation de la pêche qui doit s’y exercer. Cependant, ledit projet ne se limitera pas à la seule quête de la protection de l’écosystème du Nokoué, mais, dans la perspective d’une écologie intégrale, il tiendra aussi bien compte de la situation socioéconomique précaire des «Toffins». L’écologie environnementale ne va pas sans l’écologie humaine. Une bonne politique de pêche considère à la fois, et la situation écologique du plan d’eau, et la personne humaine dans ses dimensions socio-économiques. Pour un développement intégral de l’homme, et en particulier des «Toffins», l’écologie environnementale et celle humaine doivent être tenues en tandem. Cela est gage d’une pêche durable, d’une aquaculture intégrée et d’une situation sociale humainement digne.

Abbé Anicet HOUENOU

Prêtre
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