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Du bon usage de la cour des comptes

Publié le mardi 26 mai 2020  |  Fraternité
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"La bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté si elle n’est pas éclairée." C’est à ce bout de phrase d’Albert Camus que j’ai pensé lorsque, par deux fois cette semaine, je suis tombé sur les séquences de plaidoyer (ONGs dont Social Watch, Rifonga, Alcrer, Fonac, etc.) pour l’installation de la Cour des comptes au Bénin. La chose a visiblement quelque chose de théâtral au sens qu’un professionnel de la communication y a mis sa touche pour surclasser la sirène hurlante du COVID19 qui nous est servie à une heure que les journalistes appellent le "Prime time." Plusieurs professions de foi se succèdent, avec tantôt des jeunes, tantôt des moins jeunes, tantôt des hommes, tantôt des femmes, mais avec toujours cet élan persuasif qui retient l’attention et suscite la réaction. Face à ce discours volontaire et orienté, il m’a plu, en ma qualité de Directeur du Centre d’études et de recherche sur l’administration et les finances (CERAF) de l’Université d’Abomey-Calavi, d’asséner quelques vérités qui gagneraient à devenir évidentes en elles-mêmes.
Primo, la création des Cours des comptes dans les pays membres n’a pas été voulu par l’UEMOA dans le dessein d’adresser la question de la corruption. Selon les termes de l’article 68 du Traité, la création d’une Cour des comptes nationale doit offrir les "garanties de transparence et d’indépendance requises" dans le but d’"assurer la fiabilité des données budgétaires nécessaires à l’organisation de la surveillance multilatérale des politiques budgétaires." En d’autres termes, pour l’UEMOA, la question des Cours des comptes se situe au niveau de la méthodologie d’agrégation des données macro-économiques et macro-financières qui fondent la dynamique de la convergence des politiques en vue de soutenir la monnaie commune et le marché unique en chantier. L’indépendance de l’organe qu’est la Cour des comptes doit servir les besoins de la fiabilité des données collectées. Somme toute, cette prescription qui date de 1994, mérite bien aujourd’hui une évaluation, vingt-cinq ans après. L’évaluation doit permettre de se poser les bonnes questions de Michel Crozier à savoir : "ça a marché" ou "ça n’a pas marché" ou encore "est-ce que tout cela a un sens ?". Seule une bonne évaluation peut nous convaincre que nous sommes toujours dans la bonne direction.
Secundo, l’impression que dégage les admirables contributeurs et contributrices aux séquences télévisées (je ne sais s’il y a une version radiodiffusée) est que du jour où la Cour des comptes sera rendue opérationnelle, datera le compte à rebours de la prégnance de la corruption dans la cité. On s’imagine un peu que les brigades de la Cour, à l’image des troupes d’élite d’Elliot Ness à la poursuite d’Al Capone, vont pourchasser dans les bureaux de Cotonou et d’ailleurs les corrompus et les corrupteurs de tout niveau et de toute espèce. On en oublie que la corruption et les délits voisins (le détournement, l’usage illicite de biens publics, le trafic d’influence, la fausse déclaration, la corruption dans le secteur privé, la corruption dans la passation des marchés publics, la corruption dans le recrutement des agents de l’Administration, le recel, etc.) sont, par essence, des infractions de nature pénale, prévues et punies par les articles 335 et suivants du Code pénal et qu’une juridiction spéciale a été mise sur pied pour connaître de ce genre d’infraction. Tour de Pise pour les uns, World Trade Center pour les autres, ce qui est certain c’est que la CRIET est restée constante dans son périmètre de compétence matérielle, à savoir la répression de la délinquance économique et financière. Et si l’on doit raisonner en termes d’efficacité, c’est-à-dire de peines rétributives et donc de dissuasion diffuse dans le corps sociale à l’attention de potentiels délinquants économiques et financiers, la CRIET constitue un outil institutionnel mieux indiquée qu’une future Cour des comptes. Pour la simple raison que la CRIET punit à un triple niveau : la peine privative de liberté (la prison), l’amende et, au besoin, la répétition de l’indu, c’est-à-dire le remboursement des sommes distraites au Trésor public. Aucune Cour des comptes dans aucun pays ne pousse aussi loin le curseur de la sanction. Et s’il ne s’agissait que de combattre la délinquance économique et financière, la question du bien-fondé d’une Cour des comptes indépendantes continuerait de se poser. J’avais, pour ma part, écrit en 2005, que le retour au "monisme juridictionnel, sous la forme d’une Cour suprême multicamérale, offrait l’avantage de régler, en interne, les questions de divergences de nature jurisprudentielle et de ne point offrir au citoyen l’image de la contradiction." (Revue française de finances publiques, n°90-2005). La multiplication des ordres juridictionnels fait craindre l’expansion du désordre juridique auquel nous sommes déjà exposés avec le duel entre la Cour suprême et la Cour constitutionnelle. Une manière de faire prendre conscience que la création d’une Cour des comptes ne sera pas sans effets secondaires désagréables sur notre ordonnancement juridique national.
Tertio, l’autonomie financière de la Cour est préconisée par le plaidoyer télévisé. Il faudrait, selon l’un des orateurs, que la Cour des comptes puisse disposer de ressources suffisantes, selon ses besoins et selon les recommandations de l’INTOSAI, pour pouvoir faire face à ses missions de façon indépendante. Une vue de l’esprit. La question de l’autonomie financière a déjà été réglée par la juge constitutionnel béninois dans la querelle qui portait sur l’autonomie financière du parlement. La Cour constitutionnelle avait jugé que l’autonomie financière contenue dans le règlement financier du parlement doit être comprise comme une autonomie de gestion financière (Décision DCC 10-144 du 14 décembre 2010, Raphaël Akotègnon). Ce qui, en langage simple, signifie "le gouvernement vous donne ce qu’il peut, vous vous débrouillez avec !" Cette jurisprudence est conforme au droit communautaire, qui, comme on le sait, a une préséance sur les droits nationaux des Etats. En effet, la directive communautaire relative aux lois de finances réaffirme le pouvoir de régulation budgétaire conféré au ministre en charge des finances. Il est celui qui fait les recettes, lui seul peut ensuite dire combien il peut donner à dépenser. Ceci est valable au cours de la préparation de la loi de finances mais aussi en cours d’exécution budgétaire, si des questions conjoncturelles venaient à fausser les prévisions initiales de recettes ou de dépenses. Il faut dire que la question de l’autonomie financière hante l’esprit dans les cours et tribunaux du monde. Le 16 octobre 2017, dans les locaux de la Cour de cassation française, rue de Lille, se tenait le colloque sur l’indépendance financière de la Haute juridiction judicaire française. Sur la base du rapport Michel Bouvier, les hauts magistrats s’aventuraient à revendiquer une autonomie financière au profit de leur Cour. L’obstacle à l’autonomie, et il est de taille, est que la Cour de cassation ne fait presque pas de recettes. Les débats sont restés pieux et ont fini de s’enliser dans les sables mouvants de la vie politique et parlementaire françaises. Il faut en prendre définitivement son partie, l’autonomie financière ne peut être revendiquée par celui qui ne fait pas de recettes propres. C’est une question de logique financière. C’est aussi une question de bon sens. Et la Cour des comptes du Bénin n’y échappera pas !
Quarto, il devient doublement pertinent de fixer quelques nettes idées sur le rôle et les missions d’une Cour des comptes. L’embrouillamini ambiante n’est pas de nature à éclairer une opinion drapée dans son espérance de lendemains meilleurs. Une Cour des comptes a vocation à exercer la police financière et comptable vis-à-vis des agents publics. Certes. Elle veille à la tenue régulière des comptes publics, exerce un contrôle de régularité à ce niveau. Certes. L’état de la tenue des comptes des communes depuis l’entrée en décentralisation en 2002-2003 fait de la police de légalité et de la régularité une urgence absolue. Certes. Au demeurant, la sanction des fautes de gestion est le deuxième volet de déploiement des activités d’une Cour des comptes attendue. Cependant, l’ensemble de ces missions vont paraître peut-être résiduelles comparées à l’immensité du chantier nouveau qui est la gestion performancielle des finances publiques. En effet, du point de vue des finances publiques, nous sommes aujourd’hui à la fin d’une époque et à l’entrée dans une ère nouvelle. Depuis l’adoption de la loi organique relative aux lois de finances (2013) le Bénin s’est offert, en 2020, ensemble avec d’autres pays de la sous-région (Sénégal, Niger) sa première loi de finances cousue en mode programme. Les idées-forces de cette nouvelle gestion budgétaire sont : le dépenser mieux, le programme budgétaire et ses rapports de performance, l’évaluation de la performance des programmes, les indicateurs de performance, etc. Le nouveau chantier est immense et requiert l’expertise et l’attention de toutes les institutions pour la mise au point des instruments opérationnels et l’invention des modes opératoires et des mécanismes de gestion. Il n’existe pas un kit de gestion par la performance qu’il suffit d’aller chercher et de mettre en œuvre. La gestion par la performance est d’abord une création endogène, dans un environnement social, culturel et économique de référence. Elle est le fruit du travail et de la réflexion de tous, acteurs de l’exécutif, du législatif, du juridictionnel et des milieux de la recherche académique. La Cour des comptes va devoir jouer sa partition surtout sur le volet de l’appréciation des rapports de performance et l’évaluation des politiques publiques, en synergie avec les cadres de l’exécutif. Séparation des fonctions mais congruence de l’action. La réussite de l’expérience en cours sur la gestion performancielle dépendra de la qualité du travail à produire par la Cour sur ce volet. Pour ce faire, elle a besoin d’un personnel jeune, expert et innovateur ; d’un Président tout aussi engagé et jeune (la quarantaine supérieure ou la cinquantaine inférieure, ce qui exclut ma génération des sexagénaires), tous mus par une foi dans cette mission de réinvention de l’Etat et du service public qui va nous faire passer de notre archaïsme actuel à un modèle postwébérien où triompheront les valeurs du management et de la performance. L’ambition est d’incruster dans nos têtes d’agents publics la culture du résultat et la culture de l’économie. Si du moins, nous arrivons à faire un bon usage de notre Cour des comptes nationale !
Abomey-Calavi le 24 mai 2020
Prof Nicaise MEDE
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