Accueil    Shopping    Sports    Business    News    Femmes    Pratique    Benin    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Politique
Article



 Titrologie



Le Matinal N° 4245 du 10/12/2013

Voir la Titrologie

  Sondage



 Nous suivre

Nos réseaux sociaux



 Autres articles



Comment

Politique

Maurice Chabi au sujet de la non-extradition de Patrice Talon : « C’est une délivrance pour les suspects »
Publié le mardi 10 decembre 2013   |  Le Matinal


Patrice
© Autre presse par DR
Patrice Talon, un ancien proche du président Thomas Boni Yayi


 Vos outils




 Vidéos

 Dans le dossier

Le journaliste Maurice Chabi a apprécié dimanche dernier sur Canal 3 le verdict prononcé par la Cour d’Appel de Paris dans les affaires tentatives d’empoisonnement et de coup d’Etat. Selon lui, la décision de non-extradition des hommes d’affaires Patrice Talon et Olivier Bocco rendue par la justice française est une délivrance pour les intéressés. Il montrera également que le verdict qui reste un camouflet pour le président de la République, décrédibilise les autorités béninoises au plan international. Lire ses analyses.


Vous le savez sans doute, l’actualité, c’est le rejet de la demande d’extradition de Patrice Talon et d’Olivier Bocco. Votre réaction.

J’ai reçu comme tout le monde ce verdict. Il m’inspire deux sentiments. Dans un premier temps un sentiment de joie en pensant aux personnes victimes qui aujourd’hui grâce au verdict sont innocentées à savoir Talon et son second que je ne connais ni d’Adam ni d’Eve. Mais je me mets un peu à leur place. C’est comme quelqu’un qui est soupçonné d’un crime abominable. Dans ce cas particulier on parle de la suspicion d’empoisonnement.

Vous vous rendez compte que si les faits étaient établis, ce serait un crime abominable. Et depuis pratiquement un an, nous avons assisté à une partie de bras de fer entre d’un côté les accusateurs et les suspects qui s’acharnent à clamer leur innocence et les autres qui soutiennent qu’ils ont commis un crime que s’il avait été perpétré serait odieux. Et aujourd’hui, il y a un verdict qui tombe.

Cela veut dire que c’est la délivrance pour ces gens là. C’est la délivrance totale. Ils doivent se réjouir de ce qu’ils sont passés à côté du pire. Je pense que du côté de Talon, ce serait la joie ainsi que dans sa famille. En tant que Béninois, je me réjouis avec eux et je me joins à eux. Mais de l‘autre côté, j’ai un sentiment de honte et de tristesse pour mon pays par rapport à l’image qu’à travers cette affaire là mon pays a présenté à l’extérieur. Donc c’est des sentiments ambivalents qui sont les miens aujourd’hui à savoir que je suis content pour ceux qui ont été délivrés et de l’autre je suis triste pour l’image que mon pays a présentée à l’extérieur.

Vous parliez de délivrance mais la Cour d’appel de Paris ne s’est prononcé que sur l’extradition, elle ne connait pas du fond du dossier. Ce sont les juridictions béninoises et en l’espèce la Cour suprême est saisie d’un pourvoi en cassation et on attend. Mais est-ce que vous n’allez pas vite en besogne en vous réjouissant ?

Je suis comme vous journaliste et je lis ce que la presse relate. Ce qui est clair dans le verdict de la Cour que d’ailleurs j’ai sous les yeux, c’est que ces personnes sont relaxées des faits qui leur sont reprochés et qu’on ne pourra pas leur appliquer l’extradition comme le Bénin l’a demandé. En clair, cela veut dire que ces personnes sont aujourd’hui libres de leur mouvement. Vous ne pensez pas que ce soit une joie pour ces personnes là qui étaient en résidence surveillée ?

Leur déplacement était limité et ils ne peuvent pas sortir du territoire français. Aujourd’hui, toutes ces contraintes sont levées et c’est pourquoi je dis que c’est une bonne nouvelle pour eux. Maintenant, je ne vais pas entrer dans les débats techniques. D’abord, je ne suis pas juriste, je ne suis pas compétent pour. Je note simplement que le verdict de Paris a levé toutes les contraintes qui pesaient sur ces gens. Donc c’est un soulagement.

Vous aviez dit que cette affaire a terni l’image de notre pays. En quoi elle a terni l’image du pays.

Je dois vous rappeler une chose et c’est avec fierté et plaisir que je le dis. Le Bénin n’est pas n’importe quel pays en Afrique, ni à l’extérieur. Le regard que la communauté internationale porte sur le pays depuis la conférence nationale historique de février 1990, le Bénin est qualifié de tous les mots les plus élogieux de laboratoire de l’Afrique et compte tenu aussi de notre passé que je ne vous ferai pas l’insulte de rappeler ici à savoir que le Dahomey auparavant et ensuite le Bénin a toujours été considéré comme le quartier latin de l’Afrique. C’est le Bénin qui a l’habitude de fournir les plus hauts cadres qui ont pu distiller leur connaissance partout.

Le Bénin occupait de grands postes en Côte d’Ivoire, au Togo, au Niger, même jusqu’en Afrique centrale, et plus particulièrement au Gabon où certain ont fait leur vie. C’est dire donc tout le bien qu’on pense des béninois que nous sommes. Egalement, notre pays le Bénin a eu l’occasion de fournir au plan international, de très hauts cadres.

De grands professeurs, de grands chercheurs, de grands écrivains. Guy Hazoumé, Nouréni Tidjani Serpos, le Professeur Olabiyi Yayi, le Professeur Dramani Zachari et tous ces grands noms font l’honneur du Bénin. Or aujourd’hui ce n’est plus le cas dans la mesure où quand vous parlez aujourd’hui du Bénin à l’extérieur, on ne voit que les affaires qui sont sur la sellette au plan international et en particulier.

Grosso modo je résume « Or mais votre président à assigner en justice, il y a tentative d’empoisonnement chez vous, il y a tentative de coup d’Etat, il y a des journalistes à qui on intente un procès simplement parce qu’ils ont relayé un procès de quelqu’un qui a critiqué le Président. Tiens, chez vous, les opposants sont pratiquement bannis des médias de service public… », Autant de faits qui n’honorent pas la réputation de la démocratie béninoise.

Mais rien ne dispense pas le Président de demander réparation des dommages qui lui sont faits

Au plan strictement juridique, je dirai que rien ne l’empêche de porter plainte pour diffamation ou tout ce que vous voulez, rien ne l’empêche. Mais dans la réalité, en toute chose, il faut savoir raison gardée. Vous savez que nous n’avons rien inventé au Bénin. Notre Constitution est calquée sur celle des vielles démocraties occidentales.

Mais en tant que journaliste, est-ce que vous pouvez me citer les pays de grande démocratie dans lesquels les Chefs d’Etat portent plainte contre les journalistes simplement parce qu’ils ont été égratignés, qu’on a porté atteinte à leur honneur, ou on a fait des critiques qu’ils n’acceptent pas tellement ? Pourtant, vous le savez très bien, dans ces pays de grande démocratie, les journalistes ne restent pas toujours dans les limites fixées par la loi. Ils vont souvent au-delà. On les caricature, on les insulte même.

Vous vous rappelez sans doute, la Une d’un journal qui s’appelle Mariane en France qui a fait grand scandale il y a quelques années. Alors que le Président Sarkozy était encore au pourvoir, ce journal a titré à la Une ‘’le voyou de la République’’ en parlant du Chef de l’Etat. Dites-moi s’il ne s’agit pas d’une insulte. Et là on n’a pas porté plainte.

Comparaison n’est pas raison. Là-bas, c’est la France. Ici, nous sommes au Bénin et ce n’est pas la même culture démocratique.

Vous me permettrez de ne pas être tout à fait d’accord avec vous. Je ne pense pas que les Français soient plus intelligents que les Béninois et par conséquent, ils ne sont pas plus dignes de ce qu’on pourrait appeler une vraie démocratie d’un côté et de l’autre, une démocratie à petit pas. Non, je pense que du point de vue des valeurs auxquelles tous les êtres humains sont attachés et qui sont pour moi des valeurs universelles, tous les peuples sont égaux et les béninois ont droit à des informations fiables.

Le président béninois est aussi respectable que le président français, Italien ou autre. Donc de ce point de vue on ne peut pas appliquer au Bénin une démocratie à petit pas et qu’en France, elle serait avancée non. Vous et moi nous sommes journalistes et nous avons le droit de critique. Moi j’estime que ma liberté de presse m’autorise à pourfendre le Chef de l’Etat de la même manière que les journalistes italiens, français le font.

Vous savez que ces pays expérimentent la démocratie depuis des années. Nous, on l’a commencé en 1990. Pouvez-vous rapprocher les deux réalités alors qu’ici encore l’instruction pose problème. Ne faudrait-il pas voir la réalité en face ?

Vous avez tout à fait raison de dire qu’on ne peut pas faire de comparaison et j’évite justement de faire de la comparaison. Vous me verrez lorsque nous allons aborder des sujets qui touchent à la liberté d’expression d’une manière générale. Par rapport à cela, je deviens plus virulent. Pourquoi ? Parce que dans un passé récent, des dirigeants africains, des dirigeants béninois, des pouvoirs publics ont montré leur capacité à pouvoir se montrer à la hauteur des valeurs démocratiques. Avant le régime de Yayi Boni, nous avons eu quelqu’un qui a fait deux mandats.

Je veux parler du Président Mathieu Kérékou. Quelqu’un qui a cette réputation d’être un dictateur est venu, mais excusez moi, les faits militent en faveur de ce que je dis. J’ai travaillé comme journaliste, comme entrepreneur de presse. Et que pendant toute cette période avec un dictateur à la tête de l’Etat béninois, nous n’avons pratiquement pas eu une seule interpellation d’un journaliste. On était d’autant plus inspiré à user de notre liberté.

Beaucoup demandent au Chef de l’Etat de ramener la balle à terre. Mais en voyant les déclarations, on a l’impression que le camp du Chef de l’Etat ne faiblit pas. Comment entrevoyez-vous la suite.

Vous parlez de ramener la balle à terre. Cette balle aurait pu être ramenée à terre depuis bien longtemps déjà. Mais il se trouve que malheureusement, les qualités qui doivent caractériser un homme de la dimension d’un Chef d’Etat, ces qualités là ont déserté le forum au Bénin. Je pense que si on avait fait preuve de sagesse, ce dossier ne serait pas allé aussi loin. Le linge sale se lave en famille.

Je pense que nos dirigeants béninois en particulier, le Chef de l’Etat, le Président Yayi Boni, avait les moyens de tuer cette affaire là dans l’œuf et ne pas aller nous ridiculiser sur la scène internationale. Maintenant que nous avons poussé le ridicule jusqu’au bout. Le mot n’est as trop fort, c’est un camouflet que le Président de la République a subi avec ce verdict là. Maintenant que nous avons poussé le ridicule jusqu’à ce niveau là, heureusement que ça ne tue pas, j’espère que les gens vont revenir à la sagesse.

La sagesse, c’est de ramener la balle à terre, essayer de prôner vraiment la réconciliation, faire table rase du passé et se dire ‘’ok, les gars, voilà les choses se sont passés comme nous l’avons vu, bon, on m’a donné tort, on ne va pas plus loin, on est tous des filles et fils de ce pays, donnons-nous la main, on regarde devant. ça c’est ce que je souhaite pour mon pays. Maintenant vous avez fait cas d’un certain nombre de déclarations qui ne plaident pas en faveur de la remise de la balle à terre et que les gens sont encore prêts à déterrer la hache de guerre. En tout cas, on ne peut pas empêcher les gens de faire ce qu’ils veulent.

Moi personnellement, je ne dispose d’aucun moyen. Ce que je suggère est que les gens reviennent à de meilleurs sentiments et qu’ils fassent preuve un peu de bonne foi. Parce que j’ai entendu Monsieur le ministre de la Justice dans son commentaire du verdict. Je pense que c’est un homme intelligent qui a très bien compris la langue française comme vous et moi.

Mais, je considère qu’il a fait preuve d’une mauvaise foi manifeste dans l’interprétation qu’il a faite de ce verdict en disant ‘’Ils ont refusé l’extradition de Patrice talon, mais ils ont reconnu qu’il y a le crime d’empoisonnement. Cela, c’est une mauvaise foi manifeste qui n’honore pas l’intellectuel que je connais surtout quand on a la responsabilité politique, on n’a pas le droit de tronquer la vérité comme ça.

Le verdict est clair, moi je ne suis pas juriste, mais j’estime que modestement, je maîtrise la langue française pour comprendre qu’à Paris, le Juge ne s’est pas prononcé sur l’établissement de la tentative d’empoisonnement. Ils ont posé un certain nombre de préalable. Ils ne sont même pas allés jusqu’à ce niveau en disant : ‘’Le Bénin n’a pas été capable d’apporter la preuve qu’il est fondé à engager des poursuites pour des faits, des délits qui ont été commis en dehors de son territoire. Et à partir de ce moment là, nous on ne va pas plus loin. C’est ce que cela veut dire.

On va parler maintenant de l’organisation des élections. On sait qu’il y a des préalables notamment la correction de la Lépi. On était allés aux élections avec cette Lépi. Aujourd’hui, les tractations sont en cours pour sa correction. Pensez-vous que la liste sera bientôt corrigée ?

Je le souhaite et je l’espère. Mais tout ce que je peux dire, c’est que quand bien même elle ne sera suffisamment corrigée à temps pour nous permettre d’organiser des élections, si on n’a pas la volonté politique, si on n’a pas d’arrière pensée politique, l’Exécutif a les moyens pour que les élections soient tenues à de bonne date tel que c’est prévu par la Constitution. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

On donne l’impression comme on fait du dilatoire et qu’il y a des arrières pensées politiques. Et c’est pour cela qu’aujourd’hui la révision ou non de la Constitution pose aujourd’hui des problèmes parce qu’il y a une crise de confiance établie entre l’opinion publique béninoise et ses dirigeants aujourd’hui. Aujourd’hui, il dit une chose et le doute commence à envahir l’opinion sur le fait que peut-être qu’il est en train de mentir.

Sur la question de la Lépi, le gouvernement dit qu’il n’a pas les moyens.

C’est trop facile de dire cela. J’ai l’avantage d’avoir évolué dans ce pays et d’avoir vu beaucoup de régimes. J’ai aussi l’avantage d’avoir côtoyé les hommes politiques de très près. Et je sais comment ils fonctionnent. Je pense que tout cela relève du dilatoire. Dans un passé récent, notamment en 2006, avant que Kérékou ne s’en aille, vous savez les tractations qu’il y a eu. A un moment donné, il était question de dire qu’il n’y avait pas d’argent dans les caisses de l’Etat pour qu’on puisse organiser les élections présidentielles qui sont prévues par la Constitution. Nos hommes politiques sont incapables de prévoir parce que diriger, c’est prévoir. Ils sont tout à fait incompétents dans l’exercice de leur fonction. Donc on ne peut pas comprendre à un ou deux ans de la fin d’un mandat qu’on nous dise qu’ils n’ont pas d’argent pour organiser des élections.

C’est du dilatoire. Nous avons les moyens. Vous savez comment la démocratie béninoise a été sauvée en 2006 ? Tout simplement, on a brandi la menace des caisses de l’Etat qui sont vides, et les bailleurs de fonds ont compris avant les Béninois que les dirigeants sont en train de mettre en place quelque chose pour ne pas aller aux élections. Et si on n’allait pas aux élections en 2006, on serait dans l’impasse. Et en attendant, on va imposer une situation de transition.

Ce serait donc le président Mathieu Kérékou qui était là qui continuerait à exercer le pouvoir jusqu’à ce qu’on trouve de l’argent. J’ai peur que l’histoire ne se répète et que Yayi Boni ne nous conduise dans un schéma comme celui-là où il dira « je ne révise pas la Constitution mais je n’ai pas d’argent » En attendant qu’est-ce qui se passe ? Tout cela est prévu, on décrète une période transitoire en attendant de trouver de l’argent. Et c’est lui qui continue de régner. Qu’est-ce qu’on y pourra ? Rien.

C’est bien d’accuser le gouvernement et de dire qu’il fait du dilatoire. Mais nous sommes en démocratie et la Constitution a prévu le couloir de chacun. Si le gouvernement fait du dilatoire, pourquoi les autres acteurs notamment l’opposition, ne mettent pas la pression sur le gouvernement pour qu’on puisse organiser les élections ? Il y a un silence sur l’échiquier politique.

Je le constate avec vous. Et cela honore les jeunes confrères que vous êtes, de prendre votre responsabilité et de faire le travail des politiciens à leur place. Parce qu’effectivement, il y a un silence radio du côté de l’opposition. On ne s’exprime pas sur cette situation-là. L’opposition vous dira, on va s’exprimer en allant où ? Connaissez-vous beaucoup de médias au Bénin où l’opposition a accès facile ? Non.

Les seuls véritables médias qui devraient être ouverts à tout le monde, c’est-à-dire, les acteurs de la majorité présidentielle et de l’opposition, sont les médias du service public. Or, moi j’ai discuté avec certains membres de l’opposition. Et il faut la croie et la bannière pour avoir une petite tranche d’heure pour pouvoir s’exprimer. Ce qui est une entorse grave aux règles du jeu démocratique dans la mesure où ces médias du service public, contrairement à vous qui relevez de financements privés, sont payés avec l’argent du contribuable. Le minimum est qu’on puisse passer par ces médias-là pour apporter la contradiction aux dirigeants.

Ce n’est pas une démocratie. C’est une dictature lorsqu’on n’attend qu’une seule voix qui est la réalité qu’on impose à l’opinion publique… Aujourd’hui lorsque les gens ne sont pas d’accord avec le gouvernement et qu’ils s’autorisent à observer des marches de protection garanties par la Constitution, on leur tire dessus. Rappelez-vous l’épisode des mercredis rouges et tout ce qui s’en est suivi. Et tel que c’est ressenti à l’étranger, le Bénin n’est plus le laboratoire de la démocratie tel qu’on le disait il y a quelques années. Au niveau de la presse, c’est la dégringolade et nous avons une mauvaise image aujourd’hui.

Il y a un présidentiable qui propose que, pour mettre la pression sur le gouvernement afin qu’il organise les élections, que la plupart des Conseillers locaux et les maires démissionnent. Est-ce une bonne proposition pour contraindre le gouvernement à corriger la Lépi ?

J’ai lu effectivement ce que Victor Topanou a eu à écrire. Je me réjouis que des intellectuels comme lui, dans le rang desquels, il se trouve des gens qui ont fait leur preuve dans ce régime là, aient avec le recul, exploré cet aspect de notre Constitution et qu’ils proposent des choses qui méritent réflexion.

Pensez-vous que cet appel sera entendu ?

Je le souhaite profondément. Sinon, on sera toujours dans l’impasse. Je crois que nous sommes à un moment charnière aujourd’hui où le Chef de l’Etat et l’ensemble de l’Exécutif doivent prendre le temps d’examiner toutes les propositions d’où qu’elles viennent.

Les élections ne sont pas encore organisées. Mais en attendant, la classe politique est en mouvement. Vous avez pu noter la création d’un nouveau groupe parlementaire qui regroupe plusieurs hommes politiques venant aussi bien des rangs de l’opposition que la majorité présidentielle. Quelle est votre appréciation ?

A la lumière des expériences que j’ai vécues depuis 1990, c’est de bonne guerre que la classe politique se mette à s’agiter. Et vous savez pourquoi ? Simplement parce qu’il y a un point d’interrogation autour de 2016. Du coup, il y a une recomposition de la classe politique. Les centres d’intérêt commencent par bouger.

Et j’ai lu dans la presse des interventions qui sont tout à fait légitimes. Mais, à mon avis, il est un peu prématuré lorsque les gens demandent à ce qu’on sache Yayi Boni. Si on chasse Yayi Boni qui y-aura-t-il à sa place. La question ne se pose pas dans ce cadre. Nous sommes des démocrates. Et les gens demandent le respect de la Constitution. Et Yayi Boni n’est pas candidat à sa propre succession. Il y aura d’autres Béninois valables peut-être plus que lui qui vont se présenter. En ce moment-là, les Béninois feront leur choix.

2016 est encore loin. Mais déjà, il y a des tractations. Et des potentiels candidats se font annoncer. Comment analysez-vous cela ?

Le moment est très critique aujourd’hui. Le hasard de l’évolution de l’histoire politique de ce pays fait que les prochaines échéances présidentielles en particulier s’annoncent à un moment où la classe politique est en train de se renouveler. Vous savez que du fait des contraintes constitutionnelles, il y a un certain nombre de leaders de partis politiques qui ne pourront pas être dans la course en 2016. Et ces partis sont obligés de travailler pour l’émergence de nouveaux leaders. Et ce n’est pas chose facile. Si vous prenez l’exemple du Prd, il faudra encore beaucoup de temps à celui qui va remplacer Me Adrien Houngbédji. Le leader de proue du Psd, Bruno Amoussou et ne parlons pas de la Renaissance du Bénin de Nicéphore Soglo. Son fils n’arrive pas encore à avoir la main mise sur le parti. Ce qui lui crée visiblement beaucoup de problèmes.

Pensez-vous que ces leaders que vous venez de citer travaillent pour leur succession ?

Ils sont dans l’obligation de se trouver des successeurs.

Parlons de la situation au Prd.

La situation dans ce parti n’est pas pire qu’ailleurs. Même dans d’autres pays, la succession d’un leader comme Houngbédji n’est pas chose facile. Vous posez très bien cette question qui préoccupe les gens. Mais pour ma part, je n’ai pas d’éléments qui me permettent de mesurer la dimension des difficultés auxquelles ce parti est confronté. Mais je constate comme vous qu’ils sont dans l’impasse et que visiblement ils n’arrivent pas à trouver le bon candidat pour succéder à leur leader.

Il y a des noms qui circulent selon nos investigations. Il y a Joël Aïvo qui pourrait revenir et que le Prd pourrait présenter en 2016.

Pourquoi pas. Joël Aïvo, je le connais. Ce qui ne m’empêche pas de tenir compte des réalités de la situation politique au Bénin. Vous avez fait un petit clin d’œil en disant s’il revenait au bercail ; ça c’est très important. Ce qui veut dire qu’à un moment donné, il est parti. Pour ce que je sais de ce parti, il a sans doute des qualités et des compétences pour occuper ce poste, mais ce retour ne lui sera pas facile à cause des antécédents que vous avez brièvement soulignés. Il y aussi des militants qui ont de l’expérience.

Je ne dis pas que c’est l’ancienneté qui fait la qualité. Je ne pense que ces militants voient d’un bon œil un jeune qui arrive et qui bouscule tout sur son passage et qui va s’imposer. Ça va être difficile.

On ne sait pas encore qui va succéder à Boni Yayi. Dîtes-nous quel est le secret.
Je n’en sais pas plus que vous. Je dirai que s’agissant de 2016, le schéma est différent que celui qui s’est dessiné en 2006. En 2006, on pensait que c’étaient les vieux lourds de la politique qui allaient succéder à Mathieu Kérékou. Mais on avait rejeté toute la classe politique. Et il fallait donc un nouveau. Compte tenu de la configuration de la situation politique à l’époque, n’importe qui qui se serait présenté avec les mêmes trucs sans s’appeler Boni Yayi, serait passé, parce qu’il y avait une branche ouverte pour tourner le dos à la classe politique.

Pensez-vous que des personnalités comme Mathurin Nago ou encore Iréné Koupaki ont-il un destin de président de la République ?

Pour être franc, je vais vous dire une seule chose, s’il y a une chose que j’ai apprise dans ce métier, c’est la modestie dans les analyses, la prudence dans les projections. Et cela est valable dans un pays comme le Bénin est un pays à part. C’est un pays entièrement à part dans la mesure où, vous interviewez le Béninois dans l’isoloir, il ne vous dira jamais pour qui il a voté. Et je me suis tellement trompé dans mes analyses que je me hasarde plus. Le peuple, vous le connaissez pas autant que vous le croyez. Il nous réserve encore des surprises.

Récemment le président du patronat Sébastien Ajavon a rencontré le président de l’Assemblée nationale. Comment appréciez-vous sa démarche ?

C’est une démarche à encourager. Il n’y a personne d’autre que les Béninois pour connaître la situation. Quand un homme de cette envergure tire la sornette d’alarme, il faut l’écouter. Ses qualités sont connues, son patriotisme aussi. Il aurait pu partir comme beaucoup d’autres. Il investit dans son pays parce qu’il l’aime.

Il faut qu’on écoute ces hommes d’affaires, ils peuvent donner un coup de pouce décisif au développement du pays. Il y a beaucoup d’hommes d’affaires étrangers totalement inconnus qui défilent au cabinet du Chef de l’Etat, et qui sont totalement inconnus au plan international. Ils n’ont pas fait leurs preuves, et viennent jouer les sauveurs ici.

Sébastien Ajavon a échangé avec le président de l’Assemblée nationale à propos de la Sodeco. Que pensez-vous de la nationalisation de cette société qui appartient à Patrice talon ?

La nationalisation d’une société privée ne devrait pas faire l’objet d’un tabou. On peut décider de nationaliser ou de ramener dans le giron de l’Etat une société. Ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est les conditions dans lesquelles cela se fait, et surtout les motivations profondes qui motivent l’acte. Quand ces mesures sont dictées par la haine ou la vengeance contre un opérateur économique privé, un individu contre lequel on a eu maille à partir, cela est malsain.

Ce n’est pas l’acte lui-même qui est mauvais. Ce qui pose problème, c’est lorsque l’on pose des actes, qui laissent le goût amère d’une vengeance vis-à-vis d’un individu. Plutôt que la sauvegarde des intérêts d’une Nation. Cela est gênant et malsain, et pollue l’atmosphère. Cela est aussi à la base de la rupture de confiance entre les populations et les gouvernants.

Reprenons le fameux rapport de reporter sans frontière, selon vous, pourquoi le Bénin dégringole ?

Il y a des mesures de censure directe en complicité avec les patrons de presse. Par exemple, des redressements fiscaux à hauteur de 22 millions F Cfa. Vous, journalistes, vous vous demandez le chiffre d’affaires que vous avez fait pour payer un tel montant. Donc, là, vous comprenez le message. De même, on contraint les journalistes à une autocensure. A mon sens, c’est cela qui est plus dangereux parce que ça n’a pas de visage. Les pouvoirs publics pourront toujours se défendre. Je ne vous ai jamais dit de faire ça.

Mais, vous, vous savez qu’il y a la ligne rouge. Nous, à l’époque, nous avons connu un régime de contrainte. Je suis désolé de vous montrer ce que nous avons vécu à l’époque. Moi, j’ai été condamné à six mois de prison de façon régulière. Le juge qui a dit le verdict a estimé que celui qui a porté plainte est un ministre. Il s’est senti coupable de détournement de 60 millions, je crois. Avant d’écrire le papier, j’ai demandé à mon journaliste d’écouter son point de vue. Il me dit que votre journaliste peut écrire ce qu’il veut, mais je porterai plainte. Au tribunal, nous avons apporté des preuves. On m’a condamné à six mois de prison avec mandat d’amener.

Est-ce que la plainte a été exécutée ?

Le ministre de la Justice de l’époque, Joseph Gnonlonfoun m’a convoqué dans son bureau. Il dit : « Je voudrais qu’on discute parce que nous n’avons pas les moyens de mettre quelqu’un comme Maurice Chabi en prison. Ça crée trop de problèmes. Déjà, le fait de vous avoir condamné suscite un tollé général à l’international… ». J’ai dit au ministre que je suis prêt à respecter la justice de mon pays. Il m’a dit : « Nous sommes en train de chercher les moyens pour vous éviter d’aller en prison. ».

Mon avocat qui était Me Coovi a dit qu’on peut faire appel. Mais, il n’est pas suspensif de la décision. A l’époque, le président de la Haac, René Dossa, paix à son âme, a réuni les juristes de haut niveau. Il leur dit qu’on a condamné un journaliste. Il a dit comment faire pour sortir de cette histoire là ? Au finish, ils n’ont jamais appliqué la peine. Il y a eu une porte de sortie parce que mettre un journaliste en prison n’est jamais bon pour un pays. Le Président Yayi Boni n’a qu’à s’inspirer de ça.

L’Afrique a perdu une icône, Mandela s’est endormi jeudi dernier. Votre réaction à la suite du décès de ce baobab.

Je dirai comme tout le monde que cette mort ne m’a pas du tout surpris. D’abord c’est un sentiment de tristesse qui m’envahit de savoir que cet homme là qui est un grand combattant de la liberté, un homme qui a sacrifié ce qu’un homme peut avoir de plus cher c’est-à-dire sa vie avec 27 années de prison. Donc, un sentiment de tristesse et de l’autre côté, un sentiment de délivrance. Cet homme nous aura prouvés jusqu’au bout qu’il est un combattant même au seuil de la mort, il a continué de lutter.

Et vous remarquerez avec moi que sa mort avait été annoncée. Donc on s’attendait à sa mort depuis bien longtemps. On ne pensait même pas qu’il serait en bonne santé pour vivre la dernière coupe du monde en Afrique du Sud, non, il était là. Je dirai simplement qu’il est parti beaucoup plus tard qu’on ne l’attendait. Et cela, c’est encore la preuve que c’est un homme de combat, qui a lutté jusqu’au bout.

Quel enseignement peut-on tirer du parcours de Nelson Mandela.

Il y a beaucoup d’enseignements qu’on peut tirer de cet homme là. Vous savez toutes les qualificatifs dont on le gratifie. Mais la métaphore qui me semble la mieux adaptée à ce personnage c’est le mot baobab. C’est un véritable baobab qui est tombé.

Cet homme nous a montré toute sa vie non pas seulement par les discours mais par les actes qu’il était un grand homme. Voilà quelqu’un qui après 27 ans de prison commence à déclarer qu’il ne garde aucune rancune de ceux qui hier étaient ses bourreaux. Voilà un homme qui nous donne la preuve de sa sagesse lorsqu’il était porté à la tête de son pays, qu’il ne fait qu’un et un seul mandat.

Or, avec l’aura qu’on le connaissait, c’était un homme qui pouvait rester éternellement au pouvoir. Personne ne pouvait vraiment rien trouver à redire. Mais lui nous avait donné la preuve de son honnêteté, de son courage et de sa sagesse. Je crois que nos Chefs d’Etats particulièrement en Afrique ont beaucoup de leçons à tirer de lui. Ils devraient s’inspirer du parcours de cet homme là pour incarner la sagesse dans la gestion des affaires publiques en Afrique.

 Commentaires