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Education à la santé sexuelle et reproductive : Les jeunes des couvents vodou, une cible marginalisée

Publié le mardi 15 decembre 2020  |  Fraternité
Enfants
© aCotonou.com par DR
Enfants initiés au vodoun
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Bergedor HADJIHOU,

Les jeunes et adolescents issus des couvents vodou au Benin évoluent dans un monde ésotérique où tout comportement hors des normes établies est objet d’ostracisme. Ils sont à l’opposé de leurs congénères, marginalisés dans l’accès aux méthodes modernes de contraception et l’accès à l’éducation à la santé sexuelle et reproductive.

Les traits endurcis, elle fixe le lointain d’un regard qui ne laisse transparaitre aucune émotion. L’histoire de Véronique qui a commencé dans un couvent à caractère féminin est celle de 92 autres filles victimes de séquestration et d’enlèvement dans les départements de l’Ouémé et du Plateau, selon les cas de violences basées sur le genre enregistrées par les services d’écoute du Ministère en charge de la famille en 2015 et relatées par le document de stratégie nationale multisectorielle de la santé sexuelle et de la reproduction des adolescents et jeunes 2018-2022. Certains de ces rapts d’enfants sont opérés à destination des couvents. « C’est comme quand on veut vous violer. Vous vous débattez, vous criez à l’aide, vous giclez mais on finit par vous prendre sans votre consentement. Le couvent est censé, selon les anciens, réparer les gens, moi il m’a déconstruite », relate la victime. Après avoir été cloitrée à 14 ans malgré sa volonté, Véro comme l’appellent anonymement ses copines, veut passer inaperçue. Des scarifications sur le bras droit, une couronne de cauris sur la tête, la taille ceinte d’un tissu traditionnel, des chapelets de perles bigarrées au cou et aux poignets : sur une photo sortie du carton des vieux souvenirs, Dansi (la femme du serpent) nous replonge dans son passé. Par crainte d’être stigmatisée, l’initiée qui a trouvé refuge dans un quartier populaire de Cotonou ne pratique plus l’art vestimentaire recommandé. C’est en jean et sandalettes en cuir qu’elle nous accueille. « Je le reconnais, dans ces milieux-là, la tenue vestimentaire revêt un caractère d’une importance capitale. Mais si je m’en tiens au sujet, vous me voyez me présenter dans une pharmacie pour dire que je veux acheter un préservatif ou des pilules par exemple habillée en vodounsi ? (femme de divinité). Les coutumes s’accommodent difficilement des pratiques modernes », confie-t-elle à nouveau. A 25 ans, Véro qui rêvait de la médecine dans son enfance fait partie de ces jeunes mamans qui ne peuvent offrir dans la métropole, un cadre familial décent à leurs progénitures pour s’être offertes naïvement au premier venu. « Aucun des pères de mes deux enfants n’assume véritablement. Il y a un qui a carrément renié sa paternité. J’aurais souhaité comme ça se fait aujourd’hui, coupler l’école et le couvent. Je serais peut-être devenue une femme qui sait comment se protéger contre les personnes toxiques et les grossesses non désirées », se désole-t-elle. En effet, la quasi-totalité, 94,6% des enfants sont obligés d’abandonner le cursus scolaire dès qu’ils entrent au couvent pour se consacrer à l’initiation. A l’intérieur, il est difficile ou quasi-impossible de leur apporter l’information sur la santé sexuelle et reproductive.

Nul n’entre ici s’il n’est initié
10h. Ouidah, cité vodou par excellence. Une troupe d’adolescents bruyants envahit la devanture d’un couvent peint en blanc avec des chants et danses. Après le rite initiatique, ils sont à la phase de révélation. C’est ici que commence l’éducation proprement dite. Le cours de cette matinée du 08 février 2020 porte sur l’érection des divinités et la gestion des menstrues. Il s’agit de l’une des rares occasions où le sexe a droit de cité dans l’apprentissage. Mais un malaise serait survenu chez un adolescent de 17 ans admis dans ce couvent à caractère masculin pour des raisons de santé. Dans la cour qui donne sur le pensionnat, le chef traditionnel effectue des va-et-vient à pas pressants. C’est le seul endroit du couvent où les visiteurs peuvent accéder librement. Cinq aller-retours déjà. L’inquiétude se lit sur les visages. Il a été demandé à une prêtresse d’un âge canonique d’intervenir. Les plantes médicinales et les incantations semblent pour le moment infructueuses. « Le médecin sera là dans combien de temps ? », lance la prêtresse devant les regards perplexes mais intrigués de ces jeunes assistantes. Le médecin qui est attendu est un initié, l’accès aux couvents n’étant pas réservé aux communs des mortels. C’est le premier obstacle à l’insertion des pratiques de l’école moderne dans les couvents. « Le couvent a ses codes, ses entrées. Et peu de gens peuvent accepter venir au couvent pour un sujet parce qu’ils pensent que là-bas, c’est le vodou, le mal, eux ont grandi dans la pratique des religions importées. L’enjeu maintenant, c’est de convertir les chefs religieux traditionnels à la cause pour qu’ils puissent transmettre la bonne information aux initiés », confie le prêtre vodou après des heures d’atermoiements et de frayeurs. Le projet d’implication des leaders religieux dans la promotion de la santé reproductive financé par les Pays-Bas au profit du gouvernement convient de lever les barrières religieuses et socio-culturelles en touchant 3000 adeptes des couvents vodou à travers des séances et 90 chefs coutumiers formés et impliqués dans les activités de sensibilisation. « L’objectif est d’engager et de soutenir les confessions religieuses traditionnelles en faveur de la santé sexuelle et reproductive (SSR) et la planification familiale pour la création d’un environnement plus respectueux des droits », martèle le président de la plateforme nationale des structures religieuses engagées pour la santé au Bénin, sa majesté Dada Daagbo Hounon Hounan 2. Mais pour le président du Bureau du conseil national des cultes endogènes du Bénin, pas question de faire la part belle aux droits des adolescents. Le couvent ne doit pas reproduire les erreurs de l’école moderne. « Est-ce que laisser l’adolescent à la dépravation des mœurs et à une sexualité irresponsable constitue le respect de ses droits ? Au niveau de nos couvents, on éduque les enfants surtout aux devoirs envers la société. C’est ce qu’on observe dans nos centres académiques où on passe tout le temps à parler des droits de l’homme aux enfants, qui fait que la société se dégrade de jour en jour », critique David Koffi Aza.
Et pourtant, les couvents ont des atouts propres sur lesquels ils peuvent s’appuyer pour une éducation à la sexualité efficace. Comme le dit Jean Pliya (qui il est, son titre), contrairement à la pédagogie de l’école moderne, qui se fait par la transmission de connaissances livresques, la pédagogie au couvent prend appui dans l’éducation traditionnelle et est transmise par la parole, sous forme d’initiation. C’est donc déjà un point fort pour l’éducation à la santé sexuelle et reproductive qui se construit de plus en plus par le dialogue pérenne avec les jeunes et les enfants sur des concepts uniques et des approches nouvelles en l’occurrence les méthodes contraceptives modernes. Certains prêtres vodou approuvent cette solution. Ils alternent dans leurs couvents éducation sexuelle traditionnelle à base de l’oralité et sensibilisation aux nouvelles approches modernes.

Une persistance des inégalités
Ce jour de jeudi du mois de janvier 2020 ! C’est la veillée d’armes dans les couvents du département du Zou en prélude à la fête des religions endogènes, célébrée chaque 10 janvier au Bénin. Ce territoire du Sud-Bénin compte la majorité des mineurs internés dans le pays soit 30% de l’effectif selon l’étude de référence sur la situation des enfants dans les couvents des départements du Mono, Couffo, Zou et des Collines réalisée en mai 2018 par l’Observatoire de la Famille, de la Femme et de l’Enfant avec le soutien de Plan International. Dans la commune de Bohicon située à 124,5 km de Cotonou, une procession d’adeptes devant le couvent mixte de Hounnongan Gbédiga marque la sortie d’une dizaine d’adolescents dont l’âge est compris entre 15 et 18 ans. Certains ont suivi 3 mois d’initiation, d’autres plus de trois ans. Ils ont en commun le fait de n’avoir jamais été à l’école. Et quand on leur demande ce qu’ils pensent des journées spéciales dédiées aux campagnes de gratuité des méthodes modernes organisées à quelques encablures d’ici par l’Union des communes du Zou (Ucoz) qui s’est donné pour défi de dépasser le taux de prévalence contraceptive national de 20 % d’ici à 2021, c’est l’indifférence : « Les enfants de chef de collectivité comme moi doivent faire très attention. Ce serait un déshonneur pour ma famille si je devais aller au sexe sans le mariage traditionnel. Je m’abstiens. C’est la première des vertus qu’on nous apprend ici au couvent : honorer son père et sa mère », confie l’une des pensionnaires. Pour imposer leur vision et des pratiques ancestrales à ceux qui s’écartent des règles, les gardiens de la tradition usent parfois de tous les moyens. Il arrive qu’ils arrachent les cibles à l’apprentissage scolaire à travers des rapts bien planifiés avec la complicité des géniteurs. Il ressort de ce mode opératoire, un recul des droits y compris sexuels. Une frange non négligeable d’adolescents (26,4% selon le ministère des affaires sociales et de la microfinance) ne savent quasiment pas d’où est venue la décision de leur internement. Ces derniers disent s’être retrouvés dans le couvent sans s’en rendre compte. Ces jeunes ne reçoivent donc pas la moindre préparation psychologique par rapport à ce changement de mode et de condition de vie ; ce qui les rend encore plus vulnérables à la sortie.

Les statistiques
45% de la population béninoise est âgé de moins de 15 ans. Les adolescentes âgées de 15 à 19 ans sans éducation sont 10 fois plus susceptibles d’avoir déjà procréé que celles qui ont achevé leurs études secondaires. Seulement 5,4% des adolescents et jeunes de 15 à 24 ans ont accès aux méthodes contraceptives en 2017. Le Bénin envisageait faire passer ce taux de prévalence contraceptive pour les adolescents et jeunes de 15 à 24 ans à 10% en 2020 mais la Covid-19 entre autres vient compromettre cette ambition.
Source : Enquête démographique et de santé au Bénin (Edsb-V 2018).
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