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Bénin : le business de l’adoption des enfants en situation difficile

Publié le vendredi 19 mars 2021  |  Fraternité
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© aCotonou.com par DR
Les enfants de la rue
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Arnaud DOUMANHOUN


Les enfants en situation difficile sont des proies pour nombre de parents ou d’individus en quête de gain facile. Ils sont parfois pris en charge, dans le vil dessein de les échanger, dans une transaction inhumaine. En dépit d’une législation bien fournie en matière de protection des enfants aux plans national et international, les enfants béninois ne sont pas épargnés par ce trafic sous le couvert de l’adoption censée plutôt offrir un cadre familial.


Le 4 août 2020, trois membres d’une famille sont accusés d’exploitation d’enfants dans la banlieue de Chicago. L’affaire est passée inaperçue au Bénin. Les accusés, Nawomi Awoga, 71 ans, et ses deux filles, Marina Oké également connue sous le nom de Marina Fandohan, 34 ans, et Assiba Lea Fandohan, 31 ans, sont accusées de conspiration visant à cacher, héberger et mettre à l’abri deux enfants du Bénin. Awoga a entraîné les victimes, alors âgées de 14 et 12 ans, à mentir au service d’immigration de l’Ambassade américaine au Bénin sur leurs liens avec ces enfants afin d’obtenir des visas de tourisme. Ce qui leur a permis d’emmener les enfants aux Etats-Unis. Arrivés à destination, les victimes ont été soumises à un véritable esclavage car elles ont été forcées de travailler et leurs « maîtresses » béninoises encaissaient la rétribution. Plusieurs enfants sont victimes de ces situations en dépit de l’armada juridique mise en place pour leur protection au Bénin. Ces pratiques sont bien souvent la conséquence de la démission partielle ou totale des parents. Les enfants se retrouvent sans famille, sans toit, sans soins et abandonnés dans la rue.
Au Bénin en 2005, la Brigade de protection des mineurs a recensé 45 bébés abandonnés, 319 enfants errant dans la rue et 186 cas d’abandon de famille par le chef de ménage. Pourtant, l’article 20 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant indique que : « les parents se doivent d’assumer, compte-tenu de leurs aptitudes et de leurs capacités financières, les conditions de vie indispensables à l’épanouissement de l’enfant ». Certains géniteurs démissionnaires usent donc de subterfuge pour placer leurs progénitures dans des familles contre de l’argent. Privés de la scolarisation, ces enfants sont commis à des tâches domestiques ardues et interminables. Pour pallier ces genres de malheur, et aux fins d’assurer pleinement sa responsabilité face aux lois dont il s’est doté conformément aux instruments internationaux ratifiés, l’Etat béninois supplée la démission des parents. La réinsertion à travers une adoption légale devient une nécessité. Elle est régie par les lois n° 2002-07 du 24 août 2004 Portant Code des personnes et de la famille et n° 2015-08 portant code de l’enfant en République du Benin à laquelle est intégrée la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale.

Un arsenal juridique huilé mais…
Selon l’article 336 du Code des personnes et de la famille, l’adoption crée, par effet de la loi, un lien de filiation indépendant de l’origine de l’enfant. Et plénière ou simple, elle ne peut avoir lieu que s’il y a de justes motifs et si elle présente un intérêt certain pour l’enfant adopté. Mais dans les faits, l’adoption donne lieu à un véritable trafic des enfants. « Il y a effectivement de la traite d’enfants voilée sous couvert de l’adoption. Cela s’explique par le manque d’accompagnement de l’Etat », soutient Claire Houngan Ayemona, présidente de la Fondation Regard d’Amour et ancienne ministre de la famille. Madame Véronique Tognifodé, ministre des Affaires sociales du Bénin a fait fermer des orphelinats pour des pratiques peu orthodoxes. « Des étrangers par exemple venaient au Bénin, prenaient des enfants et s’en allaient de manière clandestine en passant par les pays voisins… », témoigne Salimane Issifou, Directeur national de SOS village d’enfants Bénin, et ex-rapporteur de l’Autorité centrale en matière d’adoption internationale du Bénin. Pourtant, l’article 393 de la loi n° 2015-08 portant code de l’enfant en République du Benin dispose : « Quiconque déplace ou tente de déplacer ou accompagne hors du territoire de la République du Bénin, un enfant autre que le sien ou un enfant sur lequel il a autorité sans accomplir les formalités administratives en vigueur, est puni d’un emprisonnement de deux (02) à cinq (05) ans et d’une amende de cinq cent mille (500 000) à deux millions cinq cent mille (2 500 000) francs CFA ».
En 2018, un homme a changé l’identité d’un enfant, en remplaçant les noms sur son acte de naissance, en vue d’une adoption par un couple français. Mais les adoptants ont été bloqués lorsque l’Ambassade de France a refusé de leur délivrer les papiers devant leur permettre de partir avec l’enfant. « Le consulat leur a répondu que cela ne peut se faire sans passer par l’Autorité centrale. C’est ainsi que nous avons été alertés… », ajoute Salimane Issifou.
Une assistance sociale révèle sous anonymat qu’entre 2013 et 2015, environ 100 dossiers d’adoption vers l’Europe ont été déposés sur la table du juge par l’Ong Arbre de vie de Sakété dont l’orphelinat est baptisé Yédidja. L’enquête sociale a révélé que 40% des enfants avaient des parents vivants. « Les parents ne savent rien de ce qu’on appelle adoption plénière (l’enfant porte le patronyme de l’adoptant). On leur a dit que l’enfant reviendra après 18 ans. Alors qu’après les enquêtes, nous avons appris qu’il fallait 7.000 euros (soit plus de 4 millions de francs Cfa) pour ouvrir un dossier… », a confié l’assistance sociale. Toutes les tentatives pour recueillir la version de l’Ong sont restées vaines. Mais pour le juge des mineurs au tribunal de première instance de première classe de Cotonou, Arnaud Toffoun, il y a pire que l’exploitation des enfants pour des travaux domestiques. « D’autres conduisent les enfants vers des circuits d’adoption où on peut prélever leurs organes ou les utiliser dans la pédopornographie », alerte Arnaud Toffoun. La Directrice de la famille, de l’enfance, et de l’adolescence (Dfea), organe de mise en œuvre de la politique de l’État relative à la famille, à l’enfance et à l’adolescence, Mondoukpè Grâce Kouton révèle quelques pratiques en termes de contournement des dispositions légales en matière d’adoption. Il s’agit entre autres, de l’établissement frauduleux d’actes de naissance aux enfants abandonnés avec la prise en compte des informations des futurs parents adoptifs comme père et mère ; les sorties irrégulières des enfants des CAPE et leurs placements sans aucune formalité judiciaire auprès des familles. « La délégation de l’autorité parentale d’enfants béninois abandonnés à des étrangers ce qui leur permet, arrivés chez eux, et après 6 mois, de donner leur nationalité aux enfants », a insisté Mondoukpè Grâce Kouton. Les différentes tentatives pour avoir la version de l’Office central de protection des mineurs (Ocpm), unité de la police criminelle béninoise chargée de la protection des mineurs et des enquêtes policières relatives aux enfants sont restées sans suite.

Affaire Etiréno
« Nous avons véritablement mauvaise presse en matière d’adoption internationale parce que pendant longtemps, il y a eu comme un réseau qui a opéré », dénonce Arnaud Toffoun. On avait pensé qu’après la controverse suscitée par l’affaire Etiréno, un navire refoulé en Afrique centrale en avril 2001 avec des dizaines d’enfants béninois à bord, le Bénin saurait mettre un terme au trafic des enfants. Mais les adeptes de ce dangereux business n’ont pas raccroché : « Ce sont des réseaux très bien organisés. Tout est bien huilé et ça se fait de sorte que vous ne pouvez rien soupçonner si vous n’êtes pas du milieu. En somme, tout est fait dans les règles de l’art. Mais derrière ces règles qui sont biaisées, si vous ne faites pas attention ça passe », prévient le juge Arnaud Toffoun. Au regard de l’article 6 du décret 2020-522 du 4 novembre 2020, c’est l’Autorité centrale en matière d’adoption internationale en République du Bénin, qui assure également la phase administrative de l’adoption nationale. En définitive, le fonctionnement effectif de cette autorité est attendu pour impulser une nouvelle dynamique et renforcer le contrôle. Sinon, des truands continueront d’enfiler des manteaux de bons samaritains pour faire périr les enfants béninois.
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