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Interview exclusive avec Mo Ibrahim, fondateur et président de la Fondation Mo Ibrahim

Publié le mardi 15 juin 2021  |  financialafrik.com
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© aCotonou.com par DR
Mo Ibrahim, milliardaire soudanais qui a fait fortune dans la téléphonie mobile
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Publié par la Fondation Mo Ibrahim en amont de l’Ibrahim Governance Week-end (IGW) 2021, tenu du 3 au 5 juin 2021, le rapport intitulé «Un an de COVID-19 en Afrique : impacts et perspectives» met en lumière les vulnérabilités structurelles révélées par la pandémie et souligne l’importance pour le continent de définir un modèle de croissance plus autonome. Pour Mo Ibrahim, fondateur et président de la Fondation Mo Ibrahim, dans cet entretien exclusif accordé à ‘Financial Afrik’, les dirigeants africains doivent saisir l’occasion de la période de relance post-pandémie, pour définir et porter un nouveau modèle de croissance pour le continent.

Quelles sont les principales conclusions du Rapport du Forum Ibrahim 2021 « Un an de COVID-19 en Afrique: Impacts et perspectives »?

Le Rapport du Forum Ibrahim 2021 démontre notamment que l’impact de la pandémie sur le continent africain a été particulièrement sévère sur les plans économique et social, que cette crise a mis en exergue les vulnérabilités structurelles des systèmes sanitaires et du modèle de croissance économique du continent, et qu’il faut donc saisir l’opportunité de reconstruire sur les bases d’un modèle rénové.

L’impact de la pandémie a en effet mis en évidence la crise sous-jacente profonde des systèmes de santé africains, due à un manque crucial d’engagement politique et budgétaire de la part des gouvernements africains. Par ailleurs, les jeunes et les femmes ont été les plus durement touchés, et les reculs enregistrés en matière d’éducation et de perspectives d’emploi aggravent les défis existants, au risque de créer de nouvelles sources d’instabilité. Enfin, le choc économique provoqué par la pandémie a mis en évidence les fragilités structurelles des économies africaines, trop souvent excessivement dépendantes de l’extérieur, tant en termes d’offre que de demande.

Cependant, je suis convaincu que toute crise présente une opportunité de changement. L’Afrique peut définir et concentrer ses efforts sur une reprise post- COVID-19 durable, à condition de renforcer l’intégration du continent, de mettre la jeunesse au cœur de la relance et de renforcer la bonne gouvernance. Cette crise mondiale est l’occasion ou jamais de construire une Afrique plus forte, plus rassemblée, plus autonome et plus autosuffisante. Il est à cet égard extrêmement encourageant de constater combien les dirigeants des institutions continentales, notamment l’Union africaine (UA) et la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), ont réagi de manière rapide et coordonnée à la pandémie.

Le Rapport fait état d’une récession sur le continent pour la première fois depuis 30 ans. L’Afrique a-t-elle les moyens de faire face alors que l’inflation s’emballe dans plusieurs pays ?

Les pays dotés d’une monnaie stable, d’une banque centrale forte, d’une marge de manœuvre budgétaire conséquente et de chaînes d’approvisionnement domestiques sont certainement mieux préparés à gérer le risque d’inflation. L’Afrique du Sud et le Maroc sont probablement de bons exemples.

Mais, et c’est là un sujet de préoccupation, la plupart des pays africains demeurent excessivement dépendants des importations, ce qui rend l’inflation probable lorsque leur devise perd de sa valeur. Presque toutes les monnaies africaines non ancrées au dollar se sont dévaluées par rapport au dollar en 2020, tandis que de nombreux pays ont vu les prix des produits alimentaires et de l’énergie augmenter. À l’avenir, la capacité de remplacer les principales importations par des biens produits localement pourrait atténuer l’impact inflationniste des dépréciations monétaires, tout en améliorant la sécurité alimentaire et énergétique du continent. L’Accord sur la Zone de libre-échange continentale africain (ZLECAf) est essentiel pour mettre en place les chaînes d’approvisionnement locales et régionales nécessaires.

La faible capacité fiscale est un autre problème qui a eu un impact à double tranchant pendant la pandémie. Le Nigéria, par exemple, dont la marge de manœuvre fiscale est limitée, a été amené à faire marcher la planche à billets pour financer sa réponse à la pandémie, tout en s’évertuant à récupérer des fonds par le biais de taxes supplémentaires. Si l’on ajoute à cela la perturbation des circuits d’approvisionnement, cela signifie qu’il y a plus d’argent pour moins de biens, ce qui alimente l’inflation. Il pourrait s’avérer plus difficile pour un pays comme le Nigeria de maîtriser la spirale inflationniste sans accroître sa capacité fiscale.

La pandémie de COVID-19 a mis en exergue l’insuffisance des moyens affectés à la santé publique par les pays africains. Quelles sont vos recommandations pour résorber ce déficit ?

En 2018, l’Afrique subsaharienne a consacré en moyenne 1,9 % de son PIB à la santé publique, soit bien moins que la moyenne mondiale de 5,9 %. Cette même année, aucun pays africain n’a respecté l’engagement pris en 2001 lors du sommet de l’UA d’Abuja d’allouer au moins 15 % de son budget à la santé. Les gouvernements africains sont restés excessivement dépendants de donateurs extérieurs – multilatéraux, bilatéraux, philanthropiques – lorsqu’il s’agit de la santé de leur propre population. Les succès obtenus, principalement grâce à ces aides, dans des indicateurs spécifiques liés aux précédents Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), comme la vaccination contre la tuberculose ou la mortalité infantile, ont occulté la nécessité de se concentrer sur les capacités sanitaires locales et les soins de santé primaires pour tous. En conséquence, les dépenses de santé à la charge des patients en Afrique subsaharienne s’élevaient, en 2018, à 33,3 % en moyenne des dépenses courantes de santé, contre 18,1 % en moyenne mondiale.

Les gouvernements africains doivent de toute urgence donner la priorité à la santé. L’engagement d’Abuja doit être tenu dans les plus brefs délais. Il s’agit d’une urgence vitale. Il n’y aura pas de redressement économique sans redressement sanitaire préalable. Pour y parvenir, il est essentiel d’augmenter les capacités fiscales. Comme l’a souligné le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS, lors du Forum Ibrahim 2021, la priorité est d’investir massivement dans la couverture sanitaire universelle (CSU) pour tous nos concitoyens. C’est essentiel si l’on veut aborder convenablement les prochaines pandémies.

Le faible taux de contaminations constaté sur le continent procure-t-il un avantage de croissance à l’Afrique ?

Je ne suis pas sûr d’y voir un rapport. En 2021, même si l’Afrique devrait connaître une croissance plus rapide que des régions telles que l’Europe, l’Amérique latine et les Caraïbes, qui ont subi un impact sanitaire plus lourd, il reste que cette croissance sera plus lente que celle prévue en Asie du Sud ou en Amérique du Nord, régions qui ont également connu des taux de mortalité élevés. Selon les dernières analyses, certains pays africains pourraient même mettre près de sept ans à retrouver un niveau de croissance pré-pandémique.

Par ailleurs, la plupart des régions présentant les niveaux les plus élevés de contamination par la COVID-19 ont aussi un meilleur accès aux vaccins et à la vaccination, préalable indispensable à toute reprise économique.

Ceci étant dit, au-delà de la reprise immédiate post-COVID-19, je dirais que les tendances démographiques donnent à l’Afrique un avantage de croissance par rapport aux autres régions, à condition que les gouvernements sachent tirer parti du potentiel de la jeunesse de leur pays. Les tendances démographiques actuelles signifient que la population africaine a vocation à constituer une proportion de plus en plus forte de la jeunesse et de la main-d’œuvre mondiales, ce qui devrait placer l’Afrique au centre de l’économie mondiale dans les années qui viennent.

Le tourisme est le secteur qui a le plus souffert de la pandémie. Quel tribut en a payé l’Afrique ?

Avant la COVID-19, le secteur du tourisme africain était le deuxième au monde en termes de croissance.

La pandémie a brutalement enrayé ce progrès. Dans pas moins de 18 pays, les recettes du tourisme international représentaient plus de 10 % des exportations totales en 2019. Les arrivées de touristes non-continentaux en Afrique en 2020 ont chuté de près de 70% par rapport à 2019. Le tourisme étant un important créateur d’emplois, ce ralentissement a naturellement entraîné de très nombreuses pertes d’emplois. En termes de PIB, les économies africaines dépendantes du tourisme ont été parmi les plus touchées, les destinations touristiques de Maurice, du Cap-Vert, des Seychelles et de la Tunisie ayant subi certaines des plus fortes contractions économiques du continent. En outre, la réduction des recettes du tourisme international a entraîné une baisse des entrées de devises étrangères. La demande de voyages aériens ne devrait pas retrouver les niveaux pré-pandémie avant 2023, de sorte que les économies dépendantes du tourisme pourraient mettre un certain temps à se relever.

Là encore, c’est peut-être l’occasion de stimuler le tourisme régional et national, trop négligés jusqu’à présent. Le potentiel est là, à condition de mettre en place les infrastructures adéquates.
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