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Aoualé Mohamed Abchir sur la désertification et la sécheresse : « La survie des populations, l’inclusion économique et la paix sociale en dépendent »

Publié le jeudi 17 juin 2021  |  Fraternité
Aouale
© Autre presse par DR
Aouale Mohamed Abchir, de nationalité djiboutienne, nouveau représentant résident du Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud)
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La communauté internationale célèbre aujourd’hui la Journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse. C’est une menace à laquelle le Bénin est exposé, à l’instar de nombreux pays de l’Afrique au sud du Sahara. Les indicateurs ne sont pas non plus rassurants pour l’avenir, si rien n’est fait. Le Programme des Nations Unies pour le Développement est résolument engagé dans la croisade aux côtés du Bénin. Dans cette interview, le Représentant Résident du Pnud parle des enjeux et des initiatives qui redonnent espoir dans les communautés.

Monsieur Aoualé Mohamed Abchir, vous êtes le Représentant Résident du PNUD au Bénin. Ce 17 juin, la communauté internationale célèbre la Journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse. Le Bénin est-il vraiment sous la menace de la désertification ?
Je vous remercie pour cette opportunité que vous m’offrez d’intervenir au sujet de la journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse, qui est une journée instaurée il y a vingt-six ans par l’Assemblée générale des Nations Unies afin de sensibiliser l’opinion publique internationale à la situation en la matière et aux mesures prioritaires à prendre à divers niveaux pour inverser non seulement la désertification et la dégradation des terres mais aussi pour élaborer des solutions plus efficaces face à la sécheresse. Cette année, le thème de la journée porte sur la restauration des terres dégradées. L’objectif est de démontrer qu’investir dans des terres saines dans le cadre d’un relèvement plus écologique est une décision économique judicieuse.
La désertification est un phénomène planétaire. D’après les statistiques de l’ONU, près des trois quarts des terres libres de glace de la planète ont été dégradés par les activités humaines, dans le but de répondre à une demande toujours croissante en matière de denrées alimentaires, de matières premières, de voies routières et de logements. Comme beaucoup de pays à travers le monde, je peux affirmer que le Bénin n’est pas épargné, au vu des statistiques qui ressortent des différentes analyses de situation au niveau national. Selon le plan d’actions nationale sur la gestion durable des terres 2018-2027, la dégradation des terres au Bénin se manifeste par une forte expansion des terres agricoles de l’ordre de 5% depuis 1975, pour compenser la baisse de la productivité par l’accroissement des superficies emblavées de l’ordre de 50000 ha environ par an. On assiste à la perte du couvert forestier ou végétal à 98% à cause de la forte conversion des forêts et autres écosystèmes naturels notamment les savanes, les zones humides en terres agricoles. En 35 ans, le Bénin a perdu 48% de sa forêt dense. Il est important donc de souligner également que les érosions des sols, la perte de la biodiversité, le comblement des plans d’eau et la pollution des ressources en eau et les inondations prennent également d’envergure. Tout ceci présage de l’avancée du désert qui se ressent dans certaines zones arides du Bénin et plus particulièrement dans la partie septentrionale du pays.

Comment sommes-nous arrivés à ce seuil critique de dégradation de nos terres ?
Je dois tout d’abord préciser que les sols dégradés sont des sols dépourvus de couvert végétal et exposés à l’érosion. Sans la végétation, le sol perd ses substances nutritives. Comme vous le savez, la surface de la terre n’est pas extensible. Il faut noter qu’avec la croissance démographique, les besoins des populations en terres agricoles et en habitation augmentent au fil des années. Je dois ajouter aussi que les pratiques agricoles à savoir la culture extensive, itinérante sur brûlis et l’utilisation massive d’herbicides et autres intrants chimiques ces dernières années contribuent également à la dégradation des terres au Bénin. Une fois que les terres deviennent infertiles du fait de l’exploitation ou de la surexploitation, les populations abandonnent ou bien transforment ces terres dégradées en habitation et recherchent de nouvelles terres fertiles au détriment des forêts, savanes, prairies, bas-fonds etc. Nous n’allons pas oublier les divers conflits ethniques, socioprofessionnels parfois mortels liés au foncier, à l’accès aux ressources naturelles qui en découlent et affectent davantage les terres et les formations végétales car débouchant sur les actes de destruction et de dégradation de ces dernières. Ce sont là quelques facteurs qui amplifient le phénomène de dégradation des terres.

Il est dit que si rien n’est fait, à l’horizon 2030, on pourrait assister à une régression de la savane arbustive de 26,2% et à une baisse des espaces forestiers de plus de 37,7. Sur quels leviers faut-il agir pour freiner la menace ?
Je pense que oui, comme je l’ai dit plus haut, les risques de régression des savanes et de baisse des espaces forestiers sont là. Pour freiner la menace, il s’agira de promouvoir des initiatives pour lutter efficacement contre la désertification, pour préserver l’environnement de ces régions où les terres sont dégradées et assurer une meilleure qualité de vie aux populations locales. Suite au diagnostic fait au Bénin, le Plan d’actions de gestion durable des terres préconise deux axes de solutions : premièrement, la restauration des espaces et écosystèmes dégradés à travers le reboisement intensif et des actions de gestion durable des formations végétales ; deuxièmement, la restauration des terres par des actions de gestion de la fertilité des sols et des normes de neutralité de dégradation des terres. L’éducation et la formation des populations vivant dans des zones arides sont également capitales. Ainsi, les populations concernées pourront développer par exemple des moyens de subsistance alternatifs, trouver des emplois dans les secteurs non-agricoles, ce qui permettrait de réduire la pression démographique sur les sols.

Que fait le PNUD pour faire reculer cette tendance et quels sont les acquis de vos interventions ?
Pour faire reculer cette tendance, le PNUD accompagne le gouvernement du Bénin dans l’atteinte des cibles nationales de Normes de neutralité de Dégradation des terres (NDT) à travers plusieurs interventions. Je peux citer l’élaboration et la mise en œuvre de plan de gestion intégré de l’utilisation des sols (PGIUS), la restauration des espaces dégradés pour une efficacité en bois énergie, la restauration des galeries forestières et la préservation et l’intégration des forêts sacrées dans le système des aires protégées au Bénin, le reboisement de certaines forêts communautaires et la promotion de l’agriculture biologique. Au nombre des projets, on peut citer le projet d’appui au développement des zones arides du Bénin (PADZAB), qui a touché de 2008 à 2013, les communes de Malanville, Karimama, Kandi, Banikoara et Kalalé. A travers ce projet, des centaines d’hectares ont été reboisés, un groupe d’enfants ambassadeurs de l’environnement (une centaine environ de jeunes écoliers et élèves) a été mis en place en 2008 pour la préservation de l’environnement dans leur milieu de vie. Ils sont formés sur l’importance de l’arbre, la reforestation, les questions de sécheresse..., prêtent serment et plantent dans leurs des arbres qu’ils entretiennent. Ils sensibilisent également leurs parents. Le PADZAB a aussi fait la promotion des plateformes multifonctionnelles et des fours à cuisson économiques.
Le Projet d’Appui à la Préservation et au Développement des Forêts Galeries et production de Cartographie de base numérique (PAPDFGC) appuyé par le gouvernement du Bénin, l’Union européenne dans le cadre de l’Alliance Mondiale contre le Changement Climatique (AMCC) et PNUD a permis entre autres de reboiser les berges de la basse vallée de l’Ouémé pour éviter l’encombrement du fleuve et limiter les inondations. Treize (13) Communes ont bénéficié des interventions de ce projet à savoir Zagnanado, Zogbodomey, Ouinhi, Kétou, Adja-Ouèrè, Akpro-Missérété, Adjohoun, Bonou, Aguégués, Sèmè-Podji, Dangbo, Sô-ava et Porto-Novo. C’est ainsi qu’une superficie totale de 188,75 ha ont été reboisés, soit environ 74,5 km de berge le long du fleuve Ouémé et ses affluents. A travers le projet PANA Energie, 750 ha ont été reboisés.
Dans le cadre d’autres projets, des centaines de producteurs sont appuyés à l’utilisation de l’engrais biologique pour améliorer la fertilité des sols dans deux communes d’intervention à savoir Djougou et Kalalé. Par ailleurs, 75 forêts sacrées ont été dotées d’arrêtés de reconnaissance légale dans 21 communes (Adjohoun, Adja-Ouèrè, Ifangni, Zangnanado, Pobè, Dogbo, Aplahoué, Djakotomey, Athiémé, Bopa, Kérou, Tanguiéta, Toucountouna, Cobly, Djougou, Bassila, Bantè, Glazoué, Ouèssè, Bembérékè, N’dali) et 6000 ha de superficie de Forêts Sacrées enrichies et 20 jardins de plantes médicinales installés dans 21 communes d’intervention. Ce sont là quelques exemples parmi tant d’autres de nos réalisations sur le terrain.

Êtes-vous satisfaits du niveau de prise de conscience des populations et du rythme de restauration des terres dans les zones d’intervention ?
Je dois saluer les actions que ne cessent de mener le Gouvernement et les partenaires techniques et financiers dans le domaine de la lutte contre la désertification et la restauration des terres. Le Benin dispose de textes législatifs visant à protéger l’environnement. Toutefois, quelques défis demeurent en ce qui concerne le respect de ces textes par les populations. La restauration des terres dégradées est une question de changement des comportements. De ce point de vue, nous ne devons pas baisser les bras, mais toujours continuer les actions d’information et de sensibilisation des populations au respect des textes et à une gestion durable des terres. Je me réjouis du niveau de prise de conscience de plus en plus des populations, de leur participation, leur implication dans la mise en œuvre des actions de restauration et surtout de l’internalisation manifeste des acquis des interventions. Toutefois, nous devons davantage renforcer les capacités techniques et accompagner les populations dans la mise en application des connaissances acquises en matière de restauration des terres dans les zones d’intervention afin d’accélérer l’utilisation des pratiques de gestion de la fertilité des sols, de gestion durable des terres, de gestion durable des forêts et de conservation des eaux du sol. Il faudrait qu’au niveau de tous les acteurs, des actions cohérences soient menées sans oublier le renforcement du suivi des actions de reboisement et autres.

Quels sont les prochains chantiers du PNUD pour la Gestion Durable des Terres ?
Le PNUD entend continuer et renforcer ses appuis au gouvernement du Bénin à travers une nouvelle initiative de gestion durable des terres. Il s’agit du « Projet intégré de restauration et de valorisation des terres et écosystèmes forestiers dégradés pour une meilleure résilience face au changement climatique au Bénin -PIRVaTEFoD Benin » est dans sa phase préparatoire, la note conceptuelle appelée PIF a été approuvée par le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) en novembre 2020 et nous avons reçu l’autorisation d’élaborer le document de projet. Le processus de formulation du document de projet est actuellement en cours. Le document de projet sera soumis au FEM avant la fin de l’année 2021. Ainsi le processus de mise en œuvre de ce projet pourra démarrer en 2022. Il faut dire que ce projet est très stratégique pour le gouvernement du Bénin, car il vise 10% des cibles de Neutralité de Dégradation des terres soit 15000 ha de Forêts et 15000 ha de terres à restaurer et l’installation d’une ceinture verte pour réduire l’avancée du désert dans le nord du pays. Il va faire bénéficier 12000 producteurs dont 40% de femmes dans 8 communes d’intervention dans les pôles de développement agricole PDA1, PDA2 et PDA5.

Mot de la fin
Je voudrais exhorter la communauté nationale et internationale à une attention plus accrue aux questions de restauration des terres et des forêts dégradées afin de venir à bout et d’inverser les tendances nationales car, la santé des terres et des forêts plus qu’une question environnementale est une question de développement humain, économique et socioculturel. La survie des populations, l’inclusion économique et la paix sociale en dépendent.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU
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