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Léon Comlan Ahossi fait le tour d’horizon: « Il faut que toutes les composantes de la nation se retrouvent»

Publié le jeudi 15 juillet 2021  |  Matin libre
Les
© Autre presse par DR
Les Démocrates (LD)
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La vague d’arrestations avant et après la présidentielle d’avril 2021, avec à la clé les dossiers Reckya Madougou, Joel Aïvo ; la réélection de Patrice Talon, sa gouvernance à la tête du Bénin, ce qui reste des « Démocrates ». Ce sont entre autres les sujets au menu de l’interview que l’ancien député Léon Comlan Ahossi a bien voulu accorder à votre journal, Matin Libre. Deuxième vice-président du parti politique de l’opposition Les Démocrates, il s’est également prononcé sur sa disparition de la scène, plusieurs mois avant la tenue du scrutin.

Honorable Léon Comlan AHOSSI, vous êtes deuxième Vice-président du parti Les Démocrates. Après un long silence, plusieurs mois avant la présidentielle d’avril 2021, vous avez rompu ce silence récemment en accordant une interview à un quotidien de la place. Pourquoi votre disparition entre temps de la scène, et doit-on considérer que vous faites là une rentrée politique ?

J’avais quelques contraintes qui m’ont éloigné momentanément des activités politiques, mais je participais quand même de loin aux activités du parti. Ce n’est donc pas une rentrée politique, même si je me fais à nouveau plus visible.

Comment appréciez-vous la réélection de Patrice Talon pour le second mandat à la tête du Bénin ?

La réélection du président de la République n’a a été une surprise pour personne d’autant que depuis son accession au pouvoir en août 2016, il ne s’est préoccupé que de cela. C’est passé par l’exclusion de l’opposition des législatives, des communales et municipales, bref le holdup était mis en chantier très tôt. Il n’y a pas eu de compétiteurs.

Quand on fait réellement le point de tout ce qui s’est passé pendant la période préélectorale, votre parti n’a-t-il pas une part de responsabilité ?

Part de responsabilité ? Je ne vois pas. Dans tous les pays, c’est l’exclusion qui est généralement l’élément déclencheur des crises. Notre parti a présenté une candidate qui a été lâchement exclue et arbitrairement jetée en prison. Où est donc notre responsabilité ?

Pourquoi Les Démocrates ne pouvaient-ils pas proposer un duo purement local ? Et d’aucuns se demandent aussi pourquoi vous ne pouvez chercher à dribbler le Pouvoir en soutenant l’un des duos challengers au duo Patrice Talon-Mariam Talata ?

Le choix de notre candidat a été opéré par le comité de désignation des candidats. C’est vrai que madame Reckya Madougou ne résidait pas en permanence sur le territoire, mais nos militants sont éparpillés partout à travers l’Afrique, l’Europe et ailleurs et ont les mêmes droits. Et puis, suivez mon regard, on peut quitter le pays, même en catastrophe, et revenir de l’étranger deux ou trois ans pour être candidat.

On ne pouvait pas soutenir les deux autres duos qui ont participé à la mascarade d’élection parce qu’aucun d’entre eux n’était de l’opposition. Ce sont des équipes préparées dans les antichambres du Pouvoir et à qui on a fait des facilités.

Selon vous, Reckya Madougou, Joël Aivo et consorts ont-ils été injustement arrêtés comme l’affirment certains citoyens ?

Reckya Madougou et Joël Aivo, même exclus de la compétition, donnaient de l’insomnie au Pouvoir. Ils appartiennent à la grande masse des mécontents, et le président de la République sait que leurs messages mettaient à nu la supercherie. Il fallait donc, après les avoir empêchés de compétir, les faire taire. Reckya Madougou a été accusée de financer le terrorisme parce que prétend-on, elle aurait donné quinze millions pour éliminer physiquement un dignitaire dans la partie septentrionale du pays alors qu’elle n’était plus en lice pour l’élection. Nous avons la mémoire courte. Celui qui a donné quatre cent millions à Monsieur Augustin Ahouanvoèbla pour une campagne électorale était-il candidat ? Et quand on veut remplacer un président, on va tuer ses prétendus soutiens? Le cas qui me vient à l’esprit est celui où on peut entrer en rapport avec son entourage pour tenter de le faire. Quant à Joël Aivo, inculpé pour blanchiment d’argent, je suis malheureux de me l’entendre dire, moi qui n’ai pas pu participer au téléthon qui lui permettait de sillonner le pays. J’en profite pour dire que la question de la drogue doit être prise très au sérieux, car elle commence à faire descendre notre pays très bas, bien que nous ne soyons plus dans les normes d’un pays modèle. En dehors du cas bien connu de la forfaiture contre l’opposant gênant Sébastien Ajavon, tout ne peut être invention, mais il faut rechercher les vrais criminels et ceux à qui profite le crime.

Que reste-t-il du parti Les Democrates ? Ses leaders, à savoir Yayi Boni, Éric Houndété, Moïse Kérékou, etc. sont introuvables… Que faites-vous pour la libération de tous les détenus ?

Le parti Les Démocrates tient bon malgré les soubresauts de ces derniers moments. Il a sa lecture de la vie politique qu’aucune représaille ne peut modifier. Nos camarades, et il y en a beaucoup au sein de la direction du parti, sont hors du territoire, en clandestinité ou en prison. C’est peut-être le prix à payer pour être libre de ses opinions, mais ils ne le regrettent pas pour autant, car suivez mon regard, ils auraient pu changer de discours, se renier et ils seraient accueillis à bras largement ouverts. Le président du parti dirige tous les jours nos réunions, le président d’honneur est absent pour des raisons de famille ; mais la troupe est là et ne désespère pas. Je puis vous dire que nous ne restons pas indifférents à nos camarades en difficulté.

Visiblement le parti ne s’est pas préoccupé du nombre de morts, de blessés, de dégâts matériels et des familles touchées lors des affrontements civilo militaires de la période électorale notamment dans la partie septentrionale du Bénin. Pas de message, pas de déplacement ou d’assistance envers les victimes.

Nous continuons de faire la comptabilité macabre. Nous tenons des chiffres de nos bases, mais des chiffres qui fluctuent. Nous avons fait des déplacements dans certaines régions, nous n’avons pas fini. Avouons aussi que nous n’avons pas les moyens de masse que les autres ont, mais ce n’est pas la volonté qui manque. Nous sommes et restons solidaires du malheur qui frappe notre peuple.

Avec du recul, ne voyez-vous pas que le militantisme et le système partisan posent encore problème au Bénin? On n’a pas encore de partis politiques forts, organisés. Je fais allusion au contexte de réélection de Patrice Talon et les arrestations à la pelle qui ont suivi, le tout dans une indifférence totale.

Le chef de l’État a annoncé à grand renfort de publicité qu’il voulait renforcer la classe politique et lui permettre de jouer pleinement son rôle. Vous constatez aujourd’hui que c’était des propos pour endormir la classe politique, la soumettre à sa solde et exécuter son plan d’asservissement du pays. Regardez comment le simulacre de campagne électorale s’est déroulé. Le chef de l’État est allé sortir une dame de son sommeil pour en faire sa colistière. Les prétendus partis politiques qui le soutiennent, qui étaient interdits de candidature, n’ont même pas pu placer de colistier. Pendant la campagne, les affiches de 2016 du chef de l’État étaient partout, avec la petite différence de la présence d’une dame, timidement contente de ce qui lui arrive. C’est la première fois que des partis n’ont pas pu présenter des candidats à l’élection présidentielle depuis la Conférence nationale. C’est ça la réforme ? Le chef de file de l’opposition, c’est qui ? Paul Hounkpè est-il de l’opposition ? Posez-lui la question, il vous dira le rôle qu’il joue. J’ai bon espoir que la politique retrouvera ses lettres de noblesse après la regrettable parenthèse que nous vivons. J’entends dire par ci, par-là ” nous sommes là pour vingt ans, nous sommes là pour trente ans ”. Cela ne démobilisera pas le parti Les Démocrates. Nous continuons de dire et de faire ce qui nous paraît être le meilleur pour la nation.

De toutes les façons, la réélection de Patrice Talon a été actée et il déroule son Programme d’action. Si je vous demande d’apprécier objectivement la gouvernance actuelle. Vous reconnaissez tout de même que le pays avance ?

Oui c’est vrai, la réélection du président de la République est effective. Mais vous avez pu observer sur les réseaux sociaux la particularité et la nouveauté de la méthode. Vous savez aussi que même après les coups d’État, après les contestations et les répressions, et pour l’intérêt du pays, on finit par s’asseoir pour se parler. Ce rôle revient naturellement au Pouvoir parce que cette réélection est un coup d’État, une élection sans compétition, puis un bourrage d’urnes à ciel ouvert. Par rapport au pays qui avance, je ne connais aucun pays qui stagne. Vous avez entendu critiquer les gestions des feu Mugabe, Nkurunziza et bien d’autres ; des pays sortis de la guerre, mais qui ont avancé. Et parfois mieux dans certains domaines. Cette question ne doit pas être un alibi pour la dictature. La corruption a atteint tous les compartiments de l’État. Quand on couvre et qu’on est débordé, on lâche et on sacrifie les menus fretins. La plus grosse corruption réside dans l’attribution des marchés publics, et c’est le gré à gré qui est la normale aujourd’hui. Pendant ce temps, le coût de la vie étrangle le citoyen moyen. Je me dois, à la vérité, de reconnaître que la situation n’est pas particulière au Bénin, mais les autres pays s’en préoccupent. Le Togo a déjà gratifié les ménages de trois factures d’eau et d’électricité. Et dans mon pays, on augmente les impôts, on torture les ménages pour renflouer les caisses de l’État. Hier, les députés avaient le droit d’opiner sur l’endettement du pays. Aujourd’hui, cela n’existe plus puisqu’ils savent qu’ils savent qu’ils ne représentent pas le peuple.

Pourtant les infrastructures routières, les logements sociaux par exemple, sont visibles.

On nous parle d’asphaltage comme s’il n’y avait pas jamais eu de route bitumée dans le pays. Chaque chef d’État choisit de faire quelque chose pendant son mandat. Le président Talon a opté pour l’asphaltage des rues secondaires, à des coûts inconnus. Est-ce à dire que quand il aura quitté la tête du pays, il n’y aura plus rien à faire?

Comment entrevoyez-vous l’avenir sur le plan politique ? Les Démocrates iront-ils aux législatives de 2023 ? Et vous, particulièrement, êtes-vous prêt à poursuivre l’aventure au sein de cette formation politique avec la même détermination qu’on vous connaît depuis 2016 ?

J’ai dit plus haut que même après les coups d’État les protagonistes doivent s’asseoir pour discuter de l’avenir du pays, surtout que le nôtre a besoin d’être remis sur les rails. Il faut que toutes les composantes de la nation se retrouvent et au plus tôt pour panser les plaies du pays. La violence ne peut nous sortir de la situation créée par le régime actuel. On accuse le parti Les Démocrates d’être un parti intransigeant, un parti de terroristes qu’il faut interdire. Il se susurre même qu’à l’occasion des procès qui s’ouvrent bientôt contre nos camarades, le parti sera dissout. Ce sont là des solutions éphémères, à courte portée. Les Démocrates continuent à animer sereinement et sainement la vie politique. Ce qui veut dire que le parti sera présent aux prochaines élections législatives même si on sait qu’on voudrait l’en empêcher. Pour ma part, je reste dans le combat politique, et ma candidature à une quelconque élection n’en sera pas la cause sine qua non.

Votre mot de la fin

J’ai entendu le chef de l’État parler à son peuple via la presse étrangère. Cela m’a fait penser à deux choses. Premièrement, cela a fait un peu trop une exhibition de muscles dans le refus de gracier, le refus d’amnistier, car dans la position de chef de l’État, il faut toujours un peu de réserve. La seconde chose que je voudrais évoquer est le de drame de Haïti. Ce pays est comme notre Guinée Bissau avec son instabilité permanente. Il est tout le temps en crise. Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de sang, c’est le refus de dialogue avec l’opposition, et la prorogation unilatérale du mandat du président Moïse Jovenel, venu à expiration depuis février 2021. Notre pays n’a pas besoin de ça. J’ai côtoyé à l’Assemblée nationale certains politiciens de la vieille classe qui s’investissent dans ce Pouvoir. Je sais qu’ils ne savent rien faire gratuitement, eux qui sont prêts à en découdre avec leur progéniture pour s’accaparer le dernier morceau du plat. Qu’ils réalisent enfin que les prébendes ne peuvent remplacer l’amour propre.

Propos recueillis par Jacques BOCO
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