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Art et Culture

Interview avec l’artiste plasticien Basile Moussougan: « Notre culture est déjà trop vendue à l’extérieur »

Publié le vendredi 1 octobre 2021  |  Matin libre
Basile
© Autre presse par DR
Basile Moussougan,artiste plasticien béninois
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Parler de l’art, c’est parler de la culture. Et si les Béninois ont un désintéressement envers ce qui fait partie de leur identité culturelle, plusieurs raisons sont à évoquer. Pour l’artiste peintre, sculpteur, décorateur, designer et diplômé du « Collège of Art and Design » du Ghana, Bamouss, il est impérieux qu’on intègre et accentue la chose artistique à l’éducation à la base.



Pourquoi la valeur des œuvres d’art n’est-elle pas la même ailleurs au Bénin ?

Je pense que le problème vient de l’éducation. S’il y avait une éducation à la base, les choses auraient pu être tout autre aujourd’hui. À titre illustratif, quand un enfant ignore tout de l’art, il évoluera avec l’idée que l’art n’est rien. Pour lui, l’art se résume juste à la musique ou à l’artisanat. Malheureusement, ils sont très nombreux à avoir cette perception dans notre pays depuis bien des années.

Quelle différence y a-t-il entre l’art et l’artisanat ?

Quand il s’agit de l’artisanat, il est question des réalisations qui peuvent être faites à une certaine échelle donnée. Il peut s’agir de statuettes ou autres choses en un nombre illimité avec une même similarité. Mais quand on en vient à l’art, la reproduction parfaite d’une œuvre d’art est impossible. Me demander de reproduire une de mes œuvres me serait compliqué, voire impossible. Tout simplement parce que l’art est l’expression du génie et se fait grâce à une inspiration unique et spontanée. Que cela soit au Bénin ou même partout ailleurs.

L’absence d’école des beaux-arts est-elle la raison pour laquelle la plupart des artistes béninois sont autodidactes ?

Je crois que oui, il est évident qu’on le dise ainsi. Parce qu’il n’y a jamais eu d’école des Beaux-Arts arts dans une sphère du Bénin. Et c’est la raison pour laquelle la plupart des artistes plasticiens béninois ont été formés sur le tas. Soit ces artistes plasticiens vont à l’école de leurs aînés, soit ils s’y mettent seuls. Cependant, nombreux d’entre eux ont fait leurs expériences aux côtés du grand Joseph KPOBLI. S’il y avait une école des Beaux-Arts dans notre pays, je ne crois pas que l’art béninois serait au stade de développement et de visibilité qu’il est aujourd’hui. Toutefois, il est vrai et nous sommes heureux que les prémices d’implantation d’une école des Beaux-Arts s’annoncent et se font sentir dans notre pays, le Bénin. Mais il est à noter qu’avant d’être artiste accompli, et confirmé, on est d’abord artiste. Je m’explique, cela veut tout simplement dire qu’il faut que tu aies l’art dans le sang et ce, de façon naturelle. Par exemple, en étant enfant, il faut qu’on puisse voir en toi les aptitudes d’artiste et que cela ne disparaisse pas en grandissant. Quelqu’un peut dire qu’il est artiste, qu’il aime l’art et l’a même appris. Mais je suis certain que celui dont l’expression artistique vient du profond de son être s’exprimera à travers son art avec facilité. Juste parce qu’il l’a tout simplement dans le sang. Il ne suffit pas seulement d’aller dans une école des Beaux-Arts pour être artiste. Être artiste, c’est d’abord avoir un don.

Comment insuffler l’éducation à la chose artistique au Bénin ?

Il faut le faire depuis le bas âge dès l’école primaire. Et cela ne pourra être effectif que si une bonne politique y est menée. Je ne dirai pas seulement au Bénin, mais plutôt dans tous les pays qui veulent connaître un réel développement dans tous les secteurs. Vous voyez, parmi les pays colonisés par la France, il n’y a qu’une petite minorité qui a réussi à atteindre un niveau remarquable. Il faut voir et agir comme les Anglais. Dans le système anglophone, quand un enfant va à l’école, il n’est pas obligatoire que ce dernier ait de grands diplômes. Non ! Chaque enfant est suivi. Si l’on constate que l’enfant a une certaine habileté dans la technicité, par exemple, dans le domaine de l’art, de l’informatique, ou dans tout autre domaine, on l’oriente très tôt. Pas pour qu’il laisse l’école, mais on fait en sorte qu’il puisse élever son talent de façon très hautement, et qu’il réveille le génie qu’il a en lui. C’est le cas du Ghana parmi tant d’autres. Là-bas, c’est de cette manière que les choses évoluent.

Le sous-développement joue-t-il un rôle dans le désintéressement des Béninois à l’art ?

Qu’il y ait sous-développement ou pas, l’art au Bénin sera tel qu’il est aujourd’hui. Si on est sous-développé, cela nous concerne tous; et les citoyens, et les dirigeants. Déjà, notre culture est trop vendue à l’extérieur. Et des fois, j’en déduis que c’est nous Béninois qui ne voyons et n’accordons aucune importance à la chose artistique. Par exemple, lorsqu’on fait sortir nos Guèlèdè et qu’on dise que c’est payant; nos populations y voient un certain illogisme. Alors que les étrangers sont prêts à débourser des centaines de francs pour voir toute la beauté qu’incarne ce patrimoine. Nous sommes riches culturellement, et cela, nous le savons. Juste que nous n’accompagnons et ne valorisons pas comme il se doit notre culture. Le comble, c’est que lorsqu’il s’agit d’une chose ou d’une réalisation importée, que cela soit un objet, de la musique ou un rythme, ou de la danse, nos jeunes sont prêts à s’égosiller avec. Par conséquent, il faut que l’État œuvre efficacement pour que nos jeunes puissent saisir et comprendre la valeur de nos cultures depuis le bas-âge. Au Ghana par exemple où j’ai passé une bonne partie de ma jeunesse, les boissons qu’ils consomment sont pour la plupart produites chez eux. Il en est de même pour certains médicaments. Je pense que, quand nous aurons saisi l’importance du « consommons local », la donne changera tant sur le plan économique, culturel, social et j’en passe.

Que pensez-vous du fait que le Vodoun soit diabolisé par les Béninois eux-mêmes ?

C’est bien dommage cette réalité. Je l’avoue. Dans la Bible, il y a deux choses qui doivent nous interpeler parfois. Il s’agit du bien et du mal. Ce qui voudrait dire que sans le plus et le moins, rien ne pourra exister. Il faut un peu de tout pour faire un monde. Cette théorie doit être expliquée à tous ceux qui diabolisent le Vodoun. Cette réalité existe avant même l’existence de l’homme sur la terre. N’oublions pas, si l’homme veut faire du mal, il le fera. Et il en est de même pour le bien. Il est à noter que ce n’est pas le Vodoun qui fait du mal, ce sont plutôt les individus. Il faut comprendre que là où il y a le mal, il y a aussi le bien. Et seuls les Hommes sont responsables.

Qu’est-ce qui expliquerait la recherche de reconnaissance des artistes plasticiens béninois dans leur pays d’origine?

Il y a manque de connaissance à la chose. Manque de connaissance parce que nos dirigeants n’ont pas permis à ce que l’art puisse connaître son réel essor. Et c’est pour cela qu’aujourd’hui les artistes béninois au lieu de se pencher plus sur l’extérieur, optent pour la valorisation et la promotion de leur art dans leur pays d’origine. Retenez que l’art s’apprend depuis le bas âge et on grandit avec. Du coup, très peu au Bénin reconnaissent la valeur de l’art. Et ceux qui s’y connaissent en art sont pour la plupart ceux-là qui ont voyagé et ont eu des contacts avec l’art à l’étranger.

A.KASSOUIN(Coll.)
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