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De Lomé à Cotonou, tours de passe-passe à la douane

Publié le mardi 14 decembre 2021  |  La Nation
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© Autre presse par DR
Lutte contre la pandémie de la Covid-19 au Togo : Les risques encourus par ceux qui violent les frontières
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Par La Redaction

Une partie des marchandises entre le Bénin et le Togo passe frauduleusement la frontière. Ce qui constitue un manque à gagner pour les deux pays.

« Adieu mon rêve » soupire Omolou. L’air hagard, ce jeune Nigérian peine à réaliser ce qui lui arrive. Interpellé sur une plage de Hillacondji, à proximité du poste frontalier togolais avec le Bénin, Sanvee-Condji, il s’est vu confisquer ses bijoux et parfums haut de gamme par la douane togolaise, ce samedi 6 novembre. Il a l’habitude d’écouler ses marchandises sur le marché togolais sans les déclarer, sous la conduite d’un entremetteur censé maîtriser le circuit par lequel on peut échapper au contrôle de la douane.
En dépit de la fermeture des frontières terrestres togolaises depuis mars 2020 pour cause de crise sanitaire liée au Covid-19, Sanvee-Condji demeure l’épicentre du commerce transfrontalier avec le Bénin. Et la fraude douanière est répandue.
Si la contrebande existe dans le sens Bénin-Togo, elle est plus importante dans l’autre sens. La principale raison ? La plus grande attractivité du port de Lomé par rapport à celle de Cotonou.
« Certains commerçants préfèrent dédouaner leurs marchandises au Togo, car la taxation sur le dédouanement est moins élevée » explique le macroéconomiste béninois, Ange-Marie Codo, « ils les acheminent ensuite vers d’autres pays, comme le Bénin frontalier, par voie terrestre ou autres ».
« Comme les deux pays sont dans le même espace économique régional (Uemoa – Union économique et monétaire ouest-africaine) qui a adopté un tarif extérieur commun, c’est la compétitivité des deux ports, de Lomé et de Cotonou, qui fait la différence », rappelle le spécialiste en gestion de politique économique.
Au 3e trimestre 2021, le Togo maintenait sa première place parmi les fournisseurs du Bénin, à l’origine de 47,4% de ses importations, selon l’Institut national de la Statistique et de la Démographie.
A la frontière entre le Togo et le Bénin, « des passeurs facilitent la contrebande des bonneteries, tissus imprimés, bijoux, produits pharmaceutiques et pétroliers »,
liste un douanier du poste de Sanvee-Condji, qui a requis l’anonymat.
Le convoyage des marchandises se négocie suivant la taille et la nature des produits. « Les produits, comme les médicaments contrefaits, sont dissimulés dans des véhicules », explique le chauffeur de taxi Koffi (nom d’emprunt), « ils peuvent être cachés dans le tableau de bord, le volant, le repose-tête, le compartiment, le toit et même la batterie ».
Il y a d’autres façons de faire.
« Des marchandises sont aussi transportées par des femmes qui les portent dans des bassines sur leurs têtes ou par des conducteurs de moto, ils passent inaperçus en traversant la frontière », confie Kouami Aziagblé, un conducteur de moto qui a l’habitude de ce trafic. « Pour transporter une marchandise, ça coûte entre 2 000 et 20 000 francs Cfa » ajoute-il.
C’est pendant la nuit que les passages frauduleux sont les plus nombreux. Et pas seulement sur la voie terrestre. « Des produits à forte valeur marchande traversent aussi la frontière par les cours d’eau », témoigne Amanvi Amégnanglo, un riverain.
Il existe un tentaculaire réseau de rivières entre les villages frontaliers béninois comme Djanglanmé, Athiémé ou Batoto, et leurs voisins togolais Agbanakin, Djéta, Agokpamé, Agomé-Glozou ou Séko. Il est très difficile pour les forces de sécurité de pouvoir surveiller les allées et venues.
« Aussitôt débarquées, les marchandises sont dissimilées dans des abris de fortune (buissons, cases, tanières), en attendant le moment propice pour les convoyer nuitamment »,
révèle Anoumou, un pêcheur (et passeur la nuit) rencontré sur la rive de la lagune d’Agokpamé.
Les marchandises repartent ensuite par des petits chemins. « C’est un trafic aussi lucratif que périlleux », confie Koffi qui est souvent sollicité pour récupérer les marchandises qui ont traversé la frontière. « La mission est souvent exécutée dans la nuit profonde », raconte-il, « il faut avoir une bonne maitrise de la région pour emprunter des pistes quasi-impraticables, avec le risque permanent de crevaisons ». Mais le jeu en vaut la chandelle : chaque course peut lui rapporter entre 100 000 et 200 000 francs Cfa.
Les douaniers sont parfois eux-mêmes de connivence. En août, des agents ont été épinglés au Bénin pour une affaire de corruption au poste de Hillacondji, impliquant un transitaire. La fraude se serait élevée à plus de 380 millions de francs Cfa. Cette affaire, en cours de traitement devant la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’enrichissement illicite de certains agents douaniers. Des mutations d’agents de postes frontaliers sont occasionnellement décidées pour limiter le problème.
La fraude douanière permet d’éviter en partie le paiement des droits et taxes à l’importation et à l’exportation des marchandises, ce qui entraîne un manque à gagner conséquent pour les deux Etats. Les diligences et relances faites auprès de l’Office togolais des recettes (Otr) et de Bénin Control, structures en charge de la perception des droits et taxes douaniers, pour répondre à nos questions, n’ont pas abouti.
Selon les estimations rendues publiques le 4 novembre par l’Otr, les évasions et fraudes fiscales liées aux importations conduisent chaque année à une perte d’environ 20 milliards de francs Cfa pour l’Etat togolais. Les fraudes douanières en sont l’une des causes. Lors d’une réunion, le même jour, dans le cadre de la concertation Etat-secteur privé, le gouvernement a annoncé qu’il était en train de renforcer les moyens de la brigade de contrôle douanière de l’Otr.
Au Bénin, les autorités tentent aussi de lutter contre la fraude douanière. La loi sur la corruption a été renforcée en 2020. Mais les auteurs des méfaits, qu’ils soient opérateurs économiques, trafiquants, intermédiaires ou même douaniers, ne cessent d’innover pour trouver des stratégies pour ne pas se faire prendre.
Faute de pouvoir compter suffisamment sur les recettes de la fiscalité douanière, les autorités compensent en augmentant la fiscalité intérieure, au grand dam des populations.

Par Kokouvi EKLOU & Isidore AKOLLOR



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