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Le politiste Richard Boni OUOROU, adresse une lettre au Président Patrice Talon

Publié le mercredi 2 fevrier 2022  |  aCotonou.com
Richard
© aCotonou.com par Didier ASSOGBA
Richard Boni OUOROU,politologue et consultant
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Montréal, QC, Canada,
29 janvier 2022


Monsieur Patrice TALON
Président de la République
Chef du Gouvernement
Chef de l’État, Chef suprême des Armées

Présidence de la République du Bénin
GOUVERNEMENT DU BÉNIN


Objet: Être dans le coup en étant dans le camp de la démocratie

Monsieur le Président,

En ces temps difficiles un peu partout sur la planète, particulièrement dans les pays pauvres qui doivent composer avec une calamité sanitaire de plus, l’équilibre dans la gouvernance politique n’a jamais été aussi requis, essentiel.
Apôtre moi-même, si je puis dire, de l’approche équilibrée en toute chose, je me permets ici en ce début d’année 2022, que je vous souhaite par ailleurs édifiante et plus éclairée, de vous faire part de mes craintes, critiques et considérations à propos de la situation béninoise actuelle dont on peut dire, hélas! qu’elle n’est ni reluisante ni préservée du délitement démocratique qui sévit en Afrique de l’Ouest.
Je vous le concédais dans une précédente lettre, ami compatriote, le Bénin, qui a un énorme défi à relever (celui de se développer économiquement et socialement alors que la mondialisation et le néolibéralisme avec lesquels il se croyait bien outillé lui montrent leurs limites et leurs failles), n’est pas un pays facile à gouverner, et ce, pour toutes sortes de raisons historiques, culturelles, constitutionnelles, etc.
Mais je vous disais aussi à cet égard qu’il ne fallait pas pour autant négliger la démocratie et que, somme toute, la présence de l’État devait se faire sentir aux bons endroits et de la bonne façon, sans quoi le peuple aurait grand-peine à se motiver, à se dépasser et à transcender ses contradictions. C’est pourquoi d’ailleurs je vous exhortais d’être le maître d’œuvre d’un grand réajustement politique, d’une grande dynamique collective basée sur la collaboration, le débat et la synergie des forces vives béninoises — ce que j’ai appelé la « convergence » —, seule avenue à mon avis pour que le pays croisse à tous les niveaux et pour que les intérêts divergents soient délibérés et hiérarchisés rationnellement au bénéfice de la toute la communauté.
Bien sûr, au timon de l’État la mollesse n’est pas de mise. Aussi, dans un système capitaliste évolué, le problème n’est pas qu’il y ait du dirigisme à certains moments, qu’un gouvernement national intervienne dans l’économie tant réelle que financière, qu’il réglemente, normalise, investisse et taxe même. Au contraire, en orientant le développement économique et en encadrant des secteurs industriels pour inverser les tendances négatives, pour stimuler l’investissement étranger, pour susciter la R&D et la prise de risques, pour aider les travailleurs, les petits entrepreneurs, pour subventionner les paysans, pour financer les hôpitaux et les écoles, etc., un tel gouvernement (interventionniste) « s’impose » de la bonne manière, c’est-à-dire au bénéfice de toute la collectivité. Il n’est pas alors un frein au développement ni une entrave à la liberté, comme le supposent les chantres furieux du néolibéralisme.
Je ne vous reprocherai donc pas, Monsieur le Président, de forcer les choses à ce chapitre, de faire preuve de leadership, de vous introduire dans quelques casiers administratifs, voire de prendre certaines libertés gestionnaires. Pourvu, cela dit, que les manœuvres de votre gouvernement ne conduisent pas à normaliser la corruption d’un bord contre l’autre, ni à accroître les inégalités sociales et la pauvreté en bout de piste. Dès lors, intervenez, Monsieur le Président, si c’est pour le compte de la population béninoise et au profit de la solidarité! Mais est-ce bien le cas?
Un État « fort », en contrôle, n’est pas un État intrusif et autoritaire. C’est en cela qu’il est équilibré. J’écris le mot et je ne peux m’empêcher d’avoir à l’esprit certaines idées de Benjamin Constant pour qui le peuple, s’il doit à la fois être écouté et protégé (parfois de lui-même), ne peut être instrumentalisé aux fins d’une volonté de puissance, d’un pouvoir déraisonnable sur les individus. Pour être légitime, porteuse et fructueuse, toute Autorité doit être l’émanation de la volonté générale.
Mais cette Autorité (comme forme d’opérationnalisation du peuple souverain) n’est pas sans limites; des garanties constitutionnelles, des structures démocratiques et des droits et libertés (d’expression, de la presse, de religion, etc.) doivent être présents, irrécusables. La « liberté des Modernes », si elle repose sur la participation, la représentation et la délibération politique, tient également aux choses que les lois et le Pouvoir n’ont pas le droit d’interdire et que les individus d’une communauté ont ontologiquement le droit de faire, comme donner son point de vue, critiquer les dirigeants, déplorer une situation, proposer des solutions différentes, débattre, accepter la différence, le pluralisme, etc. Le Pouvoir est une arme, disait Constant, et c’est cette arme plus que la main qui la tient qu’il faut « calibrer ».
Monsieur le Président, la viabilité, la vitalité et la stabilité politiques, économiques et sociales du Bénin sont dans le contexte actuel impossibles à réaliser. L’équilibre n’y est pas. Ou plutôt, votre gouvernance est à l’envers du bon sens : vous tendez vers le laisser-faire économique, mais aussi vers le contrôle des esprits et la répression, alors que c’est l’économie qu’il faut contrôler et que c’est le pluralisme et le progressisme qu’il faut encourager et laisser s’épanouir.
Je crois vous l’avoir aussi déjà mentionné, cher compatriote, dans une société hypertendue, clivée et manquant d’espaces de liberté pour exprimer frustrations et critiques, au demeurant sans pistes politiques et idéologiques réellement possibles, sans libre circulation de l’information médiatique et, surtout, où l’espoir de pouvoir s’extraire de l’exploitation et de la pauvreté est très mince, les gens peuvent basculer désespérément du côté des options dures, plus éloignées encore, il va sans dire, de l’équilibre. La situation explosive au Mali, en Guinée et au Burkina Faso en témoigne.
En tant que détenteur du pouvoir, garant de la stabilité politique, porteur de l’identité béninoise et protecteur de la démocratie que le peuple béninois a choisie il y a plus de trente ans, vous vous devez maintenant de faire plus de place à la consultation populaire, aux idées provenant de la société civile, aux jeunes, anciens et aux guides traditionnels ainsi qu’à la diversité des opinions en général, relayées notamment par une presse libre.
Sinon, j’ai bien peur que la masse se radicalise, qu’elle se mette à croire que les coups d’État violents et que les juntes militaires (ayant récupéré la révolte populaire) constituent une solution salvatrice. Ou encore qu’elle voit dans les méthodes terroristes un moindre mal — les opposants politiques béninois au départ pacifistes, mais traqués et affamés depuis les législatives de 2019 et la Présidentielle de 2021 constituent des cibles faciles pour les organisations djihadistes très présentes en périphérie du Bénin.
Monsieur le Président, agissez en bon père de famille. Le Bénin est l’endroit de vos racines, des gens comme vous y vivent et interagissent entre eux; leurs sentiments naissent de cette interaction, tissant une vie commune qui donne aussi du sens à la vôtre et dont les institutions vous survivront. Bref, vous appartenez à une communauté de destins qui nolens volens vous lie aux autres, vos frères et sœurs. Prêtez donc attention à l’humeur de « votre monde » et intervenez de la bonne façon. Pourquoi pas dès maintenant d’ailleurs, en leader que vous êtes, et ce en ordonnant la libération de Joël Aïvo, de Reckya Madougou, de Nadine Okoumassou et de tous les autres prisonniers politiques que compte le Bénin.
Libérer Loth Houénou serait également raisonnable… À votre niveau, Monsieur le Président, on ne doit pas descendre plus bas et s’en prendre aux gens du spectacle; cela vous déprécie. Pour ma part, cet acteur ne saurait troubler mon sommeil.
On a le droit de changer d’idée, ami compatriote, spécialement quand c’est un devoir. Dans les yeux de vos concitoyens, vous verrez ce qu’ils verront, pas ce qu’ils ont vu.
Avec le respect dû à vos fonctions,

Richard Boni OUOROU
Politologue et consultant
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