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Lutte contre la corruption sous la Rupture: Un chantier incohérent

Publié le mercredi 16 fevrier 2022  |  aCotonou.com
Richard
© aCotonou.com par Didier ASSOGBA
Richard Boni Ouorou, politologue béninois
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(Une opinion de Richard Boni Ouorou)

Le mois dernier, le Président Talon a créé un guichet à plaintes et à dénonciations qui se veut être la Cellule d’analyse et de traitement des plaintes et de dénonciations (CPD), nouvelle arme gouvernementale dans la lutte contre la corruption .



Si l’objectif semble noble dans un pays où corrupteurs et corrompus sont toujours nombreux, je crains qu’il ne s’agisse en fait d’un paravent destiné à cacher d’autres intentions, plutôt inquiétantes celles-là. Au demeurant, en tant que structure bureaucratique, la CPD apparaît d’entrée de jeu problématique par rapport aux dispositifs anticorruption déjà en place .

La « cellule » du Président est présentée comme une solution rationnelle à un problème réel et comme un outil de coopération citoyenne. Alors que l’attention médiatique est portée sur le sort des prisonniers politiques, d’aucuns ont d’ailleurs reçu l’annonce de la création de la CPD comme une bonne nouvelle. Car, enfin, ce geste concret du Pouvoir pour assainir les mœurs économico-administratives n’est-il pas le bienvenu? N’est-il pas la preuve que le Pouvoir accorde une place préférentielle à la démocratie ? Je me permets de penser qu’il s’agit peut-être d’un leurre et que la CPD pourrait faire partie d’une stratégie visant au contraire à diviser… pour mieux régner.

Lutte contre la corruption : les résultats se font attendre

Les faits sont têtus. Même si certains politiciens béninois s’ingénient à voir du progrès en ce domaine, le score concernant la lutte contre la corruption reste globalement médiocre au pays. En 2021, en effet, la note obtenue par le Bénin n’est que de 42%, ce qui le situe au 78e rang sur 180 pays évalués . Nous ne figurons donc pas parmi les plus mauvais élèves, mais il s’agit bel et bien d’un échec. Si le Bénin est monté au classement depuis l’arrivée de Patrice Talon au pouvoir (2016), passant de la 95e place à la 78e, sa note ne s’est améliorée que de 6 points de pourcentage (de 36% à 42%), et ce, en dépit de tout ce qui a été supposément fait par le gouvernement pour lutter contre la corruption.

On peut dès lors se poser des questions. On peut par exemple s’interroger sur l’efficacité et sur l’existence même des structures et des lois béninoises visant à contrer la corruption. À l’inverse, en admettant que l’élan correcteur soit pris, qu’un revirement de situation soit en cours, on peut s’interroger alors sur la nécessité de créer une structure supplémentaire (la CPD). On peut également se demander si cette dernière ne risque pas d’entrer en conflit d’attribution avec des institutions anticorruption déjà en place.

Redoublement de structures et de prudence

Ce dernier point mérite une attention particulière. Ici aussi la réalité vient « s’opposer » au discours que certains élus tiennent sur elle. En fait, à ce que l’on peut comprendre, la nouvelle cellule du Président Talon jouera sur un terrain où se trouve déjà un dispositif de contrôle, le HCPC , dont les attributions, selon l’Article 2 de la Loi 2020−09 , sont pratiquement les mêmes que celles données à la CPD. On n’est jamais trop efficace, penseront certains. Le problème, c’est que la CPD relève du Secrétaire général du Gouvernement et du Coordonnateur du Bureau d’analyse et d’investigation, deux postes rattachés à la Présidence. Va-t-il y avoir parfaite entente entre le HCPC et la CPD? À première vue, il y a surtout apparence d’un manque de séparation des pouvoirs .

La lutte à la corruption ne signifie pas simplement pincer et punir les contribuables qui fraudent, qui trichent, etc. Elle veut dire rendre efficaces, transparentes, indépendantes (du politique) et pleinement opérationnelles les structures administratives et judiciaires de contrôle et de normalisation des activités des fonctionnaires, des politiciens et de tous ceux et celles qui ont à traiter avec l’État. Autrement dit, lutter contre la corruption, c’est aussi laisser le pouvoir exécutif faire son travail de saine gestion et d’application rigoureuse de la loi.

Mais la réalité va encore plus loin. Et là, on est dans la mascarade complexe et dans la « grande prudence »! Car il faut savoir que le Haut-Commissaire à la tête du HCPC a été nommé par le Président et qu’il relève également de ce dernier. De surcroît, même si cela fait deux ans que le HCPD existe, rien n’y est encore opérationnel — à l’image de la Cour des comptes du Bénin, créée en 2019, mais toujours à peu près fantôme.

Alors qu’est-ce à dire? Que voilà des structures improductives, d’une part, inefficaces à lutter contre la corruption en même temps que de jolis paravents cachant les libres entrées du Président dans les officies de ceux qui décident de ce qui est corrompu ou corrupteur. Que Patrice Talon, d’autre part, était peut-être las d’attendre après le HCPD et qu’il a créé la CPD pour obtenir autre chose, tout en projetant l’image d’un chef d’État préoccupé par l’intégrité.

Apparence d’efficacité, incohérence et piège réel

Dans leur communiqué, les autorités gouvernementales ont pris soin de préciser que le fonctionnement de la CPD serait irréprochable dans la mesure où les dénonciateurs seraient protégés et que les accusations fausses seraient punies. Comme c’est le cas avec la CRIET et la BEF , autres dispositifs anticorruption déjà existants, tout citoyen peut aller librement livrer de l’information à la cellule, laquelle a pour mission d’analyser les preuves avant de donner suite aux dénonciations.

Je ne reviendrai pas sur l’aspect redondant de ces guichets, hormis pour souligner qu’ils trahissent la troublante obsession du Pouvoir pour la délation. Cela dit, aussi nombreuses qu’elles soient, ces structures sont littéralement en porte-à-faux — et la CPD vient en ajouter une couche à cet égard — dans la mesure où il n’existe plus aucun fondement législatif à la lutte contre la corruption au Bénin. En effet, les 156 articles de la Loi 2011−20 ont tous été annulés lorsque celle-ci a été déclarée nulle le 21 septembre 2020. Cette loi n’a pas été remplacée par une autre du même ordre.

L’article 31 de la Loi 2011−20, soit dit en passant, portait sur la protection des dénonciateurs et leur garantissait des droits. Un décret d’application avait même été voté, très clair et fouillé, et qui mettait les informateurs à l’abri d’éventuelles représailles revanchardes. Avec la loi abrogée, ce décret est également tombé. Par conséquent, il n’y a plus aujourd’hui au Bénin de protection légale pour ceux et celles qui donnent de l’information aux instances de surveillance et de contrôle.

Par ailleurs, ceux qui pensent que la Loi 2020−09 instaurant le Haut-Commissariat à la prévention de la corruption (HCPC) a pris le relais sont dans l’erreur. D’abord parce que cette loi date du 23 avril 2020 et que la loi d’abrogation de la Loi 2011−20 est venue après, soit le 29 septembre 2020. Ensuite parce la Loi 2020−09 ne porte que sur la création, la mission, l’organisation et le fonctionnement du HCPC; elle n’a pas plus de portée.

Des mailles calibrées en toute conscience

Je m’en voudrais d’être trop technique, mais je me dois de souligner d’une autre manière le fait que le Bénin, dans la réalité législative, est en net recul par rapport à ce qu’il a déjà été concernant la lutte contre la corruption. Un recul qui trahit la tendance de la gouvernance Talon. Voici pourquoi.

La Loi 2011−20 faisait écho notamment à une disposition de la Convention de l’ONU contre la corruption selon laquelle les délais de prescription en matière de corruption devaient être les plus longs possible de manière à donner le temps aux inspecteurs de faire leur travail et pour que les fautifs n’échappent pas à la justice. Aussi la Loi 2011−20 avait-elle prévu que les délits de corruption se prescrivent par 20 ans (après la date de découverte du délit). Cette loi ayant été abrogée, c’est le Code pénal béninois qui s’applique depuis en matière de délit de corruption. Or, la durée de prescription prévue au code n’est que de 6 ans (après le moment où le crime a été commis, de surcroît).

Autre exemple réel qui défie le discours officiel : au Bénin, actuellement, et ce contrairement à ce que l’Article 8 de la Convention de l’ONU contre la corruption stipule, les députés, les élus locaux, les maires et autres conseillers sont dispensés (encore plus facilement depuis l’abrogation de la 2011−20) de faire leur déclaration de patrimoine. À ce jour, le Bénin est le seul pays francophone de l’Union africaine à permettre la chose. Pourquoi? Il faudrait que les députés s’expliquent à ce sujet.

Bref…

Toute cette incohérence et ces inconsistances en matière de lutte contre la corruption au Bénin laissent pour le moins perplexe. Qu’est-ce qui se cache derrière cette décision de création de la CPD? L’ouverture démocratique du chef de l’Etat serait-elle finalement qu’une manière de détourner l’attention du peuple béninois? Pourtant les Béninois souffrent, peinent à joindre les deux bouts, ne récoltent pas suffisamment les bénéfices de leur labeur… Le sentiment d’injustice et de faire les frais d’une corruption faussement combattue, ne doit cependant pas les désunir. Le salut des Béninois passe par leur esprit critique, leur vigilance, mais aussi par leur solidarité et leur convergence sur le changement.



Richard Boni Ouorou
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