Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Santé
Article
Santé

Homologation Des Produits De La Médecine Traditionnelle: Dans Les Méandres D’un Processus « Stressant » Et « Méconnu »

Publié le jeudi 3 mars 2022  |  Matin libre
Journée
© aCotonou.com par Didier ASSOGBA
Journée nationale de la médecine traditionnelle: Le Gouvernement réaffirme son soutien aux acteurs de la pharmacopée
Abomey-Calavi, le 17 juin 2021.Le Ministre de la Santé Benjamin Hounkpatin a procédé le au lancement des activités marquant la 20e édition de la Journée nationale de la médecine traditionnelle.
Comment


Les produits de la médecine traditionnelle pullulent dans toutes les localités du Bénin. S’ils constituent les premiers recours des populations pour se soulager d’un malaise ou d’une maladie, ceux-ci ne sont toujours pas contrôlés dans des laboratoires ou ne subissent pas des examens cliniques. Et pour cause, le processus d’homologation desdits produits reste méconnu de certains tradi-thérapeutes et « stressant » pour d’autres.



Tradi-thérapeute depuis de longues années et résidant au quartier Foun-foun à Porto-Novo, Toussaint Dékanmèholou arrive à peine à faire la nuance entre les analyses de toxicité dans les laboratoires et l’homologation d’un produit de la médecine traditionnelle. Le processus de certification de ses produits se limite généralement aux analyses au niveau du Centre béninois de la recherche scientifique et technique (Cbrst), un centre de recherche public sous-tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

Président de l’Union des associations de santé en médecine traditionnelle, Dah Kouglo Mitôdjrado, de son vrai nom Augustin Hontongnon Kouglo, a, lui, connaissance du processus d’homologation mais admet qu’il est complexe. A en croire ce tradi-thérapeute résidant à Djègan-Kpèvi dans le département de l’Ouémé, « faire homologuer un produit de la médecine traditionnelle n’est pas facile au Bénin ». Outre sa complexité, la procédure se révèle être coûteuse, confie celui qui se réclame serviteur de la nature. Malgré sa volonté de franchir le cap, ce praticien de la médecine traditionnelle n’a toujours pu se faire délivrer l’Autorisation de mise sur le marché (AMM), consacrant l’homologation d’un phyto-médicament.

Au Bénin, 70% des populations ont recours à la médecine traditionnelle pour leurs besoins de santé, selon le document sur les lignes directrices de l’Oms pour l’enregistrement des médicaments traditionnels dans la Région africaine. Pour Dre Matshidiso Moeti, Directrice Afrique de l’Oms, la médecine traditionnelle constitue le principal recours de la population africaine, en matière de soins de santé, « car il est reconnu que la médecine traditionnelle est fiable, acceptable, d’un prix abordable et accessible. »

Dans les coins de rue, des petites boutiques ou même dans les bus de transport en commun notamment ceux en partance vers la partie septentrionale, des produits de la médecine traditionnelle sont proposés aux populations. Ceci, sans aucune assurance de leur innocuité quand bien même des témoignages attestent de leur « efficacité ».

« Des guérisseurs ont bien la volonté de faire certifier leur produit. Convaincus de l’efficacité de leurs produits contre telle ou telle maladie, certains nous donnent des échantillons et nous demandent de les tester nous-mêmes pour nous assurer de leur efficacité. Mais comment allons-nous les tester? Dans quels labos? Qui va financer les analyses? C’est toujours difficile pour un guérisseur. Nous n’avons pas les conditions réunies pour accompagner les guérisseurs dans le processus d’homologation. Et ce n’est pas qu’au Bénin », regrette un ancien cadre du ministère de la santé.

Ce que prévoient les textes

Selon l’arrêté 017 du 15 Février 2017 portant modalités d’homologation des médicaments à base de plantes en République du Bénin, les produits de la médecine traditionnelle sont classés en quatre catégories selon le mode de préparation, l’indication et le degré d’innovation. Alors que la catégorie 1 regroupe tout médicament préparé par le praticien de la médecine traditionnelle pour un patient suivant des caractéristiques données, la catégorie 2 regroupe tout médicament issu de la pharmacopée traditionnelle et utilisé dans la communauté (médicament traditionnel amélioré). La catégorie 3 elle, concerne tout médicament à base de plantes issu des instituts de recherche ou de l’industrie pharmaceutique. Les médicaments préparés par des structures de fabrication agréées ou des industries pharmaceutiques sont rangées dans la catégorie 4.

Ledit arrêté renseigne également sur les conditions d’obtention de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM). Le respect des conditions d’exercice de la médecine traditionnelle et de la règlementation régissant la fabrication de médicament à base de plantes est l’exigence suffisante pour la catégorie 1. Des conditions précises sont fixées pour l’homologation des produits appartenant aux catégories 2, 3 et 4.

Valable pour une durée de 5 ans renouvelable sur demande du fabricant, l’AMM est accordée à un fabricant de médicament à base de plantes dont le nom commercial, la formule, la présentation, les indications et les contre-indications sont bien précisées, selon l’arrêté.

« Le dossier de demande de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) est constitué par dénomination, par forme, par dosage et par présentation du médicament et comprend un dossier administratif, un dossier pharmaceutique et un dossier toxico-clinique », précise l’article 9 de l’arrêté. Toutefois, les pièces constitutives des dossiers sont spécifiques à chaque catégorie de médicaments.

Quant aux droits d’homologation à payer par le requérant, il est exigé, selon l’article 14, le paiement d’une somme de cent-mille (100 000 FCFA) pour les médicaments de la catégorie 2, cent-cinquante mille (150 000 FCFA) pour les médicaments de la catégorie 3 et deux-cent-cinquante mille (250 000FCFA) pour ceux de la catégorie 4. Le double du montant par catégorie est exigé pour les étrangers.

Les dossiers de demande de l’AMM font l’objet d’une évaluation administrative, d’une évaluation technique par le Comité des experts des médicaments sans oublier qu’en dehors du rapport d’expertise, il est également produit un rapport d’inspection des sites de fabrication des médicaments à base de plantes.

Selon une source proche de la Commission d’homologation, les dossiers sont évalués suivant cinq modules notamment celui relatif aux informations administratives et sur le produit ; le document technique ; le document sur la qualité du produit ainsi que des documents sur les essais cliniques (documentation pharmacologique et toxicologie, documentation clinique, données de bioéquivalence ou des tests de dissolution pour un médicament sous dénomination générique).

L’obtention d’une AMM donne droit à l’inscription du médicament concerné sur la nomenclature nationale et à sa distribution à travers le circuit formel.

La peur d’un investissement à l’eau…

Alors que très peu de praticiens de la médecine traditionnelle ont franchi le cap de l’Autorisation de mise sur le marché, beaucoup se contentent des analyses de toxicité en laboratoire. Des explications de Dah Kouglo, il ressort qu’il faut transmettre à un laboratoire homologué par le ministère de la santé, cinq (05) échantillons de médicament de traitement amélioré préparé suivant des normes. Il faudra ensuite payer la somme de 300 000 FCFA à la banque et ramener le reçu pour la constitution du dossier.

En laboratoire, le produit est soumis à plusieurs analyses notamment de toxicité, de screening pour déterminer les principes actifs, de microbiologie, etc. « Des gens ont peur de réaliser ces investissements et que le laboratoire leur révèle une toxicité par exemple de leur produit. Bien que celui-ci soit efficace, votre investissement tombe à l’eau », fait remarquer Dah Kouglo.

« Après les analyses au labo, tu peux te dire au moins détenteur d’un produit de médecine traditionnelle amélioré (MTA) », nuance le tradi thérapeute. Ce que confirme Toussaint Dékanmèholou qui n’exclut pas la possibilité de sauver des vies avec, même si, à cette étape le produit n’est pas encore autorisé pour la commercialisation.

Selon Gabriel Salavi, Président de l’Association nationale des praticiens de la médecine traditionnelle du Bénin (Anaprametrab), lesdites analyses y compris celle des résidus et des métaux lourds, bien qu’elles soient primordiales, ne représentent qu’une simple formalité. Il faudra après recourir à l’expertise d’un consultant pour déclencher le processus d’obtention de l’AMM. Il a pu se faire délivrer cette autorisation pour l’un de ses produits, il y a quelques mois.

A quoi servent alors les analyses réalisées dans ces laboratoires notamment au Cbrst ? Dr Pierre O. Agbani, botaniste-conservateur des ressources naturelles et en service au Cbrst estime qu’il est indispensable que tout produit à base de plantes subisse des analyses. Selon le Conservateur des jardins botaniques et zoologique Edouard Adjanohoun de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac) et du Jardin national des plantes médicinales du Bénin, ces produits sont des extraits aqueux ou alcoolique (éthanol ou méthanol) obtenus par décoction, infusion ou cataplasme contenant des principes actifs de plusieurs plantes. « Il est donc important de connaitre la composition chimique de ces extraits utilisés dans la médecine traditionnelle », défend-il.

Des propos de cet expert associé à l’Organisation Ouest-africaine de la santé (Ooas) pour le développement de la médecine traditionnelle, il ressort que ces produits sont soumis à plusieurs analyses dont, entre autres, la pharmacognosie, une analyse des substances naturelles de la plante par fractionnement ou chromatologie et la vérification de la toxicité des molécules. A cela s’ajoute, la purification du produit afin de l’éliminer des contaminations des microbes.

Prof Roch Houngnihin, ancien Coordonnateur du Programme national de la pharmacopée et de la médecine traditionnelle (Pnpmt) fait savoir que les produits à base de plantes doivent répondre à trois dimensions importantes avant l’attribution de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM). Il s’agit notamment de l’efficacité du produit, sa qualité et son innocuité afin de s’assurer que cela n’ait d’autres répercussions sur d’autres organes. « C’est de longues études », a-t-il fait savoir.

Quand l’AMM se refuse au grand nombre…

« Pour jouir du fruit de leurs efforts, les praticiens de la médecine traditionnelle doivent nécessairement aller vers l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) », déclare une source proche de la Commission d’homologation des médicaments de l’Agence béninoise de régulation pharmaceutique (Abrp). Et au Prof Kogblévi Aziadomè de renchérir « si votre produit n’est pas homologué, il peut bien être efficace, il ne sera jamais reconnu comme médicament administrable aux patients, nulle part ».

Selon l’article 7 de l’arrêté 017 du 15 Février 2017, « les médicaments à base de plantes des catégories 2,3 et 4 ne sont débités à titre gratuit ou onéreux qu’après la délivrance à leur profit d’une Autorisation de mise sur le marché (AMM) ».

Et les avantages qui résultent de l’AMM sont énormes et « colossaux », selon Prof Aziadomè. Outre le fait que le produit sera accessible et vendu sur le marché, il peut être prescrit comme un médicament essentiel et la Société béninoise pour l’approvisionnement en produits de santé (Sobaps) peut s’en approvisionner.

Cependant, la marche vers l’AMM se révèle être pénible pour plusieurs praticiens de la médecine traditionnelle quand bien même beaucoup ignorent ou méconnaissent la procédure. « C’est très difficile le processus », lance Toussaint Dékanmèholou qui ignore toutes les étapes pour y parvenir. « C’est un processus qui n’est pas facile. A un moment donné, l’Etat béninois a voulu nous aider…mais le protocole nous dépasse. Quand tu as l’AMM, ton produit peut se retrouver dans les pharmacies, centres de santé. Mais c’est de gros investissements et il faut recourir aux experts », lâche Dah Kouglo qui avoue avoir essayé sans réussir à se faire délivrer le sésame.

Pour le Prof Kogblévi Aziadomè qui a pu se faire délivrer l’AMM pour un de ses produits alors que d’autres sont en attente, peu importe les difficultés, il faut les surmonter pour se conformer aux normes. Avec la création de l’Abrp, la procédure a été simplifiée et dans un délai de trois mois, l’avis notifié de la Commission d’homologation parvient au promoteur du phyto-médicament, ajoute Gabriel Salavi qui dit avoir même exhorté ses pairs à vendre des parcelles pour faire homologuer leurs produits.

Si pour Gabriel Salavi, il faut l’expertise d’un consultant pour le montage du dossier après des essais cliniques et autres analyses et payer une somme de 150 000FCFA par produit, le Professeur Kogblévi lui, évoque une somme de 250 000Fcfa qui serait revue à la baisse afin que cela ne constitue un frein à l’homologation des produits.

Lueur d’espoir

Dr Pierre O. Agbani, botaniste-conservateur des ressources naturelles et en service au Cbrst annonce que des travaux sont en cours au niveau du Cbrst pour faciliter l’acheminement des produits efficaces vers l’AMM. Il s’agira pour le Cbrst de proposer des contrats aux tradi-thérapeutes dont les produits se révèlent efficaces afin que l’Etat, à travers le Centre, se porte garant pour porter le produit, réaliser tous les investissements nécessaires et développer le produit. Ceci, tout en garantissant un pourcentage sur la durée au praticien de la médecine traditionnelle. Ceci, conformément au Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique.

« On ne pouvait pas rêver mieux car les médecins ne pouvaient s’y attendre…Nous avons une chance extraordinaire ces dernières années », se réjouit Prof Kogblevi Aziadomè, microbiologiste, biologiste et Fondateur de l’Institut de recherches en naturo-thérapie (Irena). Ceci, en faisant allusion à deux lois qu’il juge « fondamentales » pour encadrer la pratique de la médecine traditionnelle au Bénin. Il évoque la loi reconnaissant la pratique de la médecine traditionnelle et celle portant création de l’Ordre de la médecine traditionnelle.

De son côté, Gabriel Salavi se réjouit également de la prise de trois arrêtés qui ont véritablement fait bouger les lignes. Selon lui, il s’agit des arrêtés concernant l’identification du praticien lui-même ; l’autorisation d’ouverture de cabinet de la médecine traditionnelle et celui portant homologation des produits.

Une avancée saluée dans la médecine traditionnelle, pourtant considérée comme un enjoliveur dont on ne s’occupe pas, selon Prof Kogblévi Aziadomè qui aura consacré 60 années de sa vie à la recherche en médecine traditionnelle. A l’en croire, tout était mis en place pour protéger la médecine conventionnelle de sorte à ce que les praticiens de la médecine traditionnelle ne puissent se frayer un chemin.

« J’ai mis dans la médecine traditionnelle, plus d’un milliard de Fcfa de ma poche. Je n’ai jamais eu de subventions ou autres contributions…Je n’ai jamais vu de ligne budgétaire pour la médecine traditionnelle et s’il y en avait eu, je l’aurai su et je crois que j’en aurai eu », a-t-il déploré, se disant rassuré quant à l’impulsion d’une nouvelle dynamique.

Alors qu’autrefois, les produits soumis au processus d’homologation peuvent trainer durant des années sans que la Commission d’homologation ne statue, désormais elle siège quatre fois l’année soit chaque trimestre, se réjouit celui appelé le « Patriarche de la médecine traditionnelle ». Plus important, un représentant des praticiens de la médecine traditionnelle siège désormais au sein de ladite Commission, poursuit Prof Aziadomè.

Et pour Gabriel Salavi, Président de l’Anaprametrab, la procédure est désormais davantage allégée pour permettre à plusieurs praticiens de la médecine traditionnelle de faire homologuer leur produit. Seulement, bien qu’elle soit allégée, elle reste inaccessible au grand nombre, selon des témoignages.

Selon une source proche de la Commission d’homologation, la procédure a été davantage allégée depuis 2020 avec la modification en septembre 2020 du Règlement relatif aux procédures d’homologation des produits pharmaceutiques à Usage humain dans les Etats membres de l’Uemoa. « Il y a désormais moins d’exigences pour l’homologation des phytomédicaments que pour les produits pharmaceutiques industrielles », confie la source.

Une année après l’obtention de l’AMM, poursuit-elle, le laboratoire national de contrôle de qualité a l’obligation de prélever des échantillons qui sont sur le marché afin de s’assurer que la qualité demeure. Face aux difficultés souvent rencontrées par les praticiens, cette source préconise une collaboration avec des universitaires ou encore des étudiants qui pourraient les aider à réaliser les analyses au cours des travaux de mémoire. Elle admet, par ailleurs, que plusieurs produits de la médecine traditionnelle sont efficaces et de très bonne qualité.

Le Bénin, faut-il le souligner, s’est doté depuis 2013 d’une Politique nationale de la médecine traditionnelle dans l’optique de l’amélioration de la couverture des besoins sanitaires de la population par une prise en compte effective et efficiente de la médecine et de la pharmacopée traditionnelle dans le système national de santé.



Aziz BADAROU
Commentaires