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La Cour constitutionnelle sous Djogbénou: des habitudes brisées, une empreinte laissée

Publié le vendredi 22 juillet 2022  |  La Nation
1ère
© aCotonou.com par Didier ASSOGBA
1ère audience publique à la Cour constitutionnelle. Les sept sages de la Cour constitutionnelle ont siégé
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Par Anselme Pascal AGUEHOUNDE,

Instauration des audiences publiques, évolutions jurisprudentielles, modification du cadre juridique, modernisation des procédures, célérité dans le traitement des requêtes, réhabilitation du cadre institutionnel… Sous le leadership du Professeur Joseph Djogbénou, la Cour constitutionnelle, en quatre ans, a fait une mue profonde.
Un mandat sous le sceau de la bonne santé ! Pour Gilles Badet, secrétaire général de la Cour constitutionnelle, toutes les actions et réformes engagées sous la présidence de Joseph Djogbénou ont eu pour finalité la bonne santé physique, juridictionnelle, institutionnelle et sociale.
« A son arrivée, le président a instauré un sport matinal les samedi matins pour que les esprits soient dans des corps parfaits. Cette même ligne de conduite a amené le président à recruter un médecin de travail, ce qui est une première dans la vie de l’institution… Toujours pour le bien-être des travailleurs, le président a œuvré à la réhabilitation de la Cour constitutionnelle avec des bâtiments en hommage aux anciens présidents de la haute juridiction », a rappelé Gilles Badet lors de la passation de charges mercredi 13 juillet dernier. Au titre des actions entrant dans le cadre de la bonne santé juridictionnelle, il évoque la modification du règlement intérieur puis de la loi organique sur la Cour constitutionnelle. Toutes choses qui ont établi une meilleure transparence dans les procédures avec l’adoption d’un manuel de procédures, la prise en compte du caractère contradictoire dans le traitement des requêtes à travers des audiences publiques, la mise en place d’un greffe animé par des greffiers professionnels, une meilleure motivation du personnel à travers l’augmentation des primes et la récompense au meilleur agent. « La bonne santé s’est poursuivie sur le plan social avec la mutuelle mise en place par le président pour faire face aux événements heureux et malheureux. Chacun connaît la solidarité du président quand arrivent des situations qui nécessitent son soutien. La mutuelle est également une innovation sous sa mandature », a ajouté Gilles Badet. Le secrétaire général de la Cour constitutionnelle n’a pas occulté le devoir de mémoire qui a marqué la présidence de Djogbénou notamment à travers les bâtiments qui ont été dédiés aux anciens présidents et les études réalisées en hommage aux présidentes Elisabeth Pognon puis Conceptia Ouinsou; ainsi que celles lancées pour Robert Dossou et Théodore Holo…
« En moins de cinq ans, la Cour constitutionnelle a battu tous les records », va attester Razacky Amouda Issifou, président par intérim de la Cour constitutionnelle, avec la certitude que l’institution gardera longtemps le souvenir et les marques du président réformateur.

Sans tabou !

Au centre de l’attention dès son installation, la Cour constitutionnelle sous Joseph Djogbénou a brisé des habitudes et démystifié ce que d’aucuns prenaient pour sacré et immuable.
Entrée en fonction le 8 juin 2018, il n’a fallu qu’une séance de la Cour pour que les réformes soient lancées. Mardi 12 juin 2018, le secrétaire général de la haute juridiction Gilles Badet annonce les innovations: «La procédure devant la Cour constitutionnelle n’est plus secrète, elle est publique et contradictoire ». Il est créé deux chambres de mise en état et les parties antagonistes sont invitées à présenter leurs arguments, à solliciter au besoin les offices d’un avocat ou à se faire représenter. Les audiences de mise en état ont lieu habituellement les mardis et parfois les vendredis; et l’audience délibérative se tient les jeudis. La Cour constitutionnelle s’ouvre ainsi au public et suscite l’engouement de nombreux requérants qui semblaient impatients d’exercer, au su de tous, leurs droits constitutionnels de saisine. Les requêtes se sont multipliées et les décisions de la Cour ont été diligentes !
Dès la première audience publique, jeudi 21 juin 2018, douze décisions sont rendues parmi lesquelles, des évolutions mémorables. Donnant réponse aux requêtes de certains citoyens, la Cour Djogbénou revient sur des décisions rendues par la mandature Holo. Elle entérine l’encadrement du droit de grève et le retrait de ce droit à certains corps sensibles en déclarant conformes la loi n° 2017-43 modifiant et complétant la loi n° 2015-18 du 13 juillet 2017 portant statut général de la fonction publique, la loi n° 2017-42 portant statut des personnels de la Police républicaine, la loi modifiant et complétant celle n°2001-09 du 21 juin 2002 portant exercice du droit de grève…
Les premières audiences publiques ont été marquées par des décisions qui ont nourri les débats politiques. L’on se souvient du contrôle de conformité de la loi n°2018-31 du 09 octobre 2018 portant code électoral en République du Bénin ; de la loi 2018-23 du 17 septembre 2018 portant charte des partis politiques en République du Bénin; de la loi n° 2018-01 portant statut de la magistrature en République du Bénin ; de la loi n° 2018-13 modifiant et complétant la loi n° 2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire en République du Bénin et création de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme ; de la loi n° 2018- 02 modifiant et complétant la loi organique sur le Conseil Supérieur de la Magistrature… Des textes qui ont soulevé de vives polémiques quant à l’animation de la scène politique, la démocratie et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Plusieurs recours ont été formulés par des citoyens pour attaquer ces différents textes. L’autorité de la chose jugée a été invoquée pour débouter les requérants.


Malaise !

C’est avec l’ère Djogbénou que les décisions pourtant sans recours de la haute juridiction sont remises en cause. Un malaise pour beaucoup de juristes et observateurs qui y voient un piétinement du principe de l’autorité de la chose jugée. Interrogé sur la question après les décisions d’annulation de la prorogation du mandat du Cos-Lépi, puis de retrait du droit de grève aux magistrats et au personnel de la santé, le professeur Joël Aïvo va s’indigner: « Le revirement a des critères : le temps et les circonstances. De plus, il n’affecte jamais la même décision. Ce n’est pas crédible pour un juge constitutionnel de revenir sur ses propres décisions alors que le temps qui sépare l’ancien jugement est extrêmement court et qu’il n’y a eu ni changement de circonstance, ni nouvelle législation ». Mais rectifier une erreur ne vaut-t-il pas mieux que la laisser empiéter sur l’ordre social pendant des générations, pour le seul argument de préserver des susceptibilités ?
En revenant sur ses décisions qu’il pense préjudiciables, le juge constitutionnel ne fait-il pas preuve d’ouverture d’esprit en prenant parti pour l’intérêt supérieur ? C’est sous ce sens de responsabilité que le professeur Djogbénou entrevoit ces revirements. Et c’est d’ailleurs en raison de cette ouverture d’esprit que la même Cour s’est prononcée d’office sur les recours de certains avocats relatifs à la loi portant création de la Criet qui avait déjà connu un contrôle a priori et qui bénéficiait donc de l’autorité de la chose jugée. Une décision de la Cour qui aura permis d’épurer ladite loi de l’alinéa 2 de son article 12 déclaré contraire à la Constitution, puis d’établir ensuite un double degré de juridiction. Dès ses débuts, la Cour a été maintes fois critiquée pour ses décisions jugées partisanes. Mais les critiques n’ont pas ébranlé la détermination et la proactivité de la Haute juridiction.


Face aux échéances électorales !

Juge souverain de la régularité des élections législatives, la Cour a été au cœur des processus électoraux qui ont conduit aux urnes en avril 2019 pour les législatives et en avril 2021 pour la présidentielle.
Dès sa première année d’exercice, la mandature Djogbénou a été confrontée au défi de l’encadrement des élections législatives d’avril 2019. Un défi de taille au regard du contexte marqué par l’adoption de nouvelles lois électorales qui, pour la première fois, furent éprouvées. La réforme du système partisan a emporté beaucoup de partis politiques qui ont dû se mettre sous l’ombrage de géantes formations politiques. De plus de deux cents partis et mouvements politiques, le Bénin s’est retrouvé, dès le début de cette année 2019, à une dizaine de partis politiques. Mais pour les partis rescapés, il fallait encore passer le défi de la mise en conformité à la nouvelle charte. Juge souverain de la régularité des élections, la Cour sort sa première décision électorale, EL 19-001 qui oblige les partis candidats à se faire délivrer, auprès du ministère de l’Intérieur, un certificat de conformité : preuve légale de leur qualité. Mais cette décision a été vivement décriée par les forces politiques dites de l’Opposition, qui y ont vu une voie d’exclusion. Pour l’ancien bâtonnier Jacques Migan, loin s’en faut : « Cela va de soi tout simplement parce que le certificat de conformité est une pièce qui justifie que vous appartenez à un parti et que ce parti est conforme à la Constitution. Ce n’est donc pas une décision qui pourrait être, comme les gens semblent le dire, injustifiée. Au contraire, sa logique tient. Vous ne pouvez pas dire que vous allez à une compétition sans appartenir à une équipe…». Les positions sur l’opportunité du certificat de conformité sont restées étanches jusqu’au terme du processus électoral. Sans désemparer, la haute juridiction a conduit le processus jusqu’à son terme, gérant les contentieux pré-électoraux nés des rejets de certaines candidatures puis les recours post-électoraux nés de la contestation de certains sièges, selon une procédure publique et contradictoire. C’est avec la décision EL 19-030 qui rétablit le député Benoît Assouan Dègla dans son droit de siéger, que la sixième mandature a fermé, le 23 mai 2019, l’éprouvante page de sa première expérience électorale. En 2021, ce sera le grand rendez-vous de l’élection présidentielle où l’obligation du parrainage prévue par le législateur et entériné par la Cour constitutionnelle va disqualifier plusieurs candidats. En dépit des tensions, les élections se sont déroulées et la Cour, conformément aux résultats, a proclamé Patrice Talon, président de la République, en l’absence de contentieux.
Comment ne pas évoquer les citoyens à qui la Cour a restauré le droit de vote. Ils sont bien nombreux ceux qui, grâce à la haute juridiction, ont pu ainsi exercer leur droit de vote lors des différentes élections. C’est avec célérité que la haute juridiction a examiné et rendu ses décisions sur la kyrielle de requêtes d’inscription sur la liste électorale, les demandes d’établissement de la carte Lépi, de modification, de mutation de centre de vote…

Ouverte aux débats scientifiques

En quatre ans, la haute juridiction a connu des milliers de recours et rendu plus de 2 000 décisions. Ces recours étaient parfois formulés en méconnaissance des compétences de la Cour. Soucieuse de ne pas empiéter sur le champ judiciaire des autres juridictions, elle se déclare incompétente pour tout ce qui relève du contrôle de légalité. Mais garante des droits fondamentaux, elle se prononce d’office dès lors que la requête relève une atteinte aux libertés fondamentales.
Au regard de la limite parfois serrée entre les deux types de contrôle, la haute juridiction va organiser en août 2018 une première rencontre thématique intitulée « Contrôle de constitutionnalité et contrôle de légalité : quelles frontières? », animée par le Professeur Ibrahim Salami. Pour en expliquer le bien-fondé, le président de la Cour constitutionnelle a soutenu à l’occasion : « Pour éclairer, il faut être éclairé. Pour apporter une contribution de qualité à la formation du droit, à la protection juridique des personnes et de l’Etat, toute formation juridique doit faire preuve de l’humilité nécessaire et ouvrir les fenêtres… ». Ouverte sur les débats scientifiques, la haute juridiction va également s’investir dans l’organisation de plusieurs autres rencontres thématiques, colloques scientifiques et congrès sous régionaux. Le dernier en date, c’est l’organisation conjointe des 30 ans de la justice constitutionnelle au Bénin puis du Congrès des hautes juridictions constitutionnelles de l’espace Cedeao à Cotonou. Au terme de ce congrès, la Cour constitutionnelle du Bénin a été désignée pour présider le comité de mise en place d’un réseau ouest-africain des hautes juridictions constitutionnelles.

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