Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment

Art et Culture

Entretien avec Mireille Normande Songbé, activiste de la valorisation du patrimoine culturel: « L’éducation à la culture est quasi absente dans les foyers »

Publié le vendredi 12 aout 2022  |  La Nation
Mireille
© Autre presse par DR
Mireille Normande Songbé, activiste de la valorisation du patrimoine culturel
Comment


Par Joel TOKPONOU,

La valorisation du patrimoine culturel national est le leitmotiv de Mireille Normande Songbé. En marge de ses activités professionnelles, elle est une passionnée de la culture et œuvre pour l’expansion de ce patrimoine. Initiatrice du projet « Sauvons nos panégyriques » qui se propose d’aider chaque famille béninoise à retrouver, à reconnaître et à valoriser ses panégyriques, elle s’étend dans cet entretien sur ses motivations et projets.


La Nation : Quelles sont les raisons qui sont à la base de la disparition des panégyriques claniques ?

Mireille Normande Songbé : Il est a priori difficile d’identifier une raison précise comme étant à la base de cette situation. En plus, je ne parlerais pas de disparition mais plutôt d’une sorte de négligence ou de désintérêt. Et cela ne concerne pas que nos panégyriques. Il en va de même pour les contes, les histoires sous l’arbre à palabres et bien d’autres choses touchant à notre patrimoine, à nos us et coutumes, à notre art et plus généralement à notre culture.
Pour en revenir aux raisons, nous pouvons les scruter ensemble. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde hyper connecté. Nous avons dépassé le 2.0. Les réseaux sociaux occupent une majeure partie de notre temps et les exigences de la vie quotidienne absorbent les parents à telle enseigne que l’éducation culturelle est quasi absente dans les foyers. Or vous savez qu’il suffit de réciter les panégyriques d’un enfant pour parfois le soulager d’une douleur, de ses pleurs ou même d’un mal.
Notre combat consiste à remettre les panégyriques au cœur de la vie quotidienne. C’est un challenge énorme mais je pense qu’il n’est pas impossible.

Depuis quand avez-vous commencé le travail pour la promotion des panégyriques?

Je peux dire que nous y sommes depuis longtemps à travers de petites actions. Mais depuis deux ans, nous avons formalisé nos actions à travers le projet «Sauvons nos panégyriques » dont la première action phare a été d’amener les populations à prendre conscience de l’importance de ce pan de notre patrimoine. Beaucoup n’y ont pas cru au départ mais avec le temps, ils ont compris combien fier on peut être de se faire appeler « Aziman», « Sadonou», « Agli », « Houègbonou », «Djèto», et que sais-je encore ? Pour le moment, nous focalisons notre action sur des campagnes de proximité et nous avons pour cœur de cible les géniteurs. On ne s’en rend pas toujours compte mais dans la génération d’avant nous, il y a également beaucoup de parents qui ignorent non seulement leurs panégyriques mais aussi l’importance que cela revêt pour la famille. Dans ces conditions, on ne peut rien espérer de bon pour les générations à venir. Cela ne veut pas dire que nous ne travaillons pas non plus pour les plus jeunes. Non. Nous sommes très présents dans le milieu scolaire pour permettre aux plus jeunes d’emprunter la bonne piste et de se mettre très vite dans la danse.


Qu’est-ce qui vous a motivée à vous engager dans ce travail ?

Vous savez, je suis d’Agonlin et j’ai eu la chance de grandir dans une famille qui met un point d’honneur à ces choses-là. Je suis Aziman, Azimanvi Houèkonou, Aziman Gancica. Et c’est une grande fierté pour moi lorsqu’on m’appelle ainsi, ou lorsqu’un ami ou un collègue, au lieu de mon prénom, me salue avec un « Aziman, bonjour ». Pendant mon cursus universitaire, j’ai observé que la plupart de mes camarades de promotion qui ont grandi à Cotonou ou dans les grandes villes ne savaient rien de leurs panégyriques. Certains n’en avaient jamais entendu parler. On s’est donc lancé de petits challenges entre étudiants et cela a permis à certains de connaître non seulement les leurs, mais aussi leurs villages et d’y faire même un tour, la signification de leurs noms de famille, etc. Le déclic est parti de là et je me suis promis, depuis lors, de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que ce pan de notre vie culturelle soit entièrement restauré et valorisé.

De manière concrète, par quels moyens ou actions faites-vous la promotion des panégyriques claniques ?


Nous fonctionnons avec des moyens de bord. A ce jour, nous sommes dans l’autofinancement. Mon salaire y passe, les avoirs des autres membres du creuset aussi. Comme je vous le soulignais tantôt, nous menons des actions orientées vers des cibles bien précises. Nous communiquons beaucoup sur les réseaux sociaux aussi parce que la jeunesse est au cœur de nos actions et nous pensons ainsi pouvoir les toucher plus facilement. Nous sommes dans des budgets limités. Mais il arrive que nous frappions à des portes pour demander des soutiens. Sauf qu’entre les attentes et les avoirs, le fossé est souvent énorme. Mais cela n’émousse en rien notre ardeur. Actuellement, nous sommes en pleine mobilisation de ressources pour une action d’envergure dans les écoles. Nous lancerons sous peu le projet « L’école du panégyrique » avec des clubs dans les écoles, lycées et collèges. Ce qui demande des moyens plus importants et vous me permettrez de saisir l’opportunité que vous m’offrez pour demander à toutes les bonnes volontés de nous venir en appui pour donner corps à ce grand et beau rêve.

Quel point pourriez-vous faire de vos activités ?

Je pense qu’il est précoce de vouloir dresser un bilan à l’heure actuelle. Comme je le soulignais, notre travail est une œuvre de longue haleine. On peut même dire qu’il s’étend à l’infini. Tant que toutes les familles de notre pays n’auront relevé le challenge de l’apprentissage et de la maitrise des panégyriques, tant que de génération en génération, on ne sera pas en mesure de transmettre ce savoir de père en fils, de mère en fille, des arrière-grands-parents aux arrière-petits-enfants, on ne peut logiquement faire aucun bilan. Mais cela ne veut pas dire que nos actions manquent d’impact. J’ai évoqué tantôt le cas des parents qui eux-mêmes doivent faire un effort pour se ressourcer, se mirer à travers ce pan de leur culture pour mieux le transférer à leur progéniture. Ce travail, nous l’avons conduit pendant plus d’un an et nous sommes très heureux des retours qui nous parviennent, de gens qui se sont reconnectés avec leurs origines parce qu’ils ont pris part à notre campagne ou à nos projets, ou même parce qu’ils ont été touchés par nos sensibilisations. C’est déjà un début de soulagement pour nous. Aujourd’hui, certains parents peuvent, lorsqu’on demande à leurs enfants à l’école, leur origine ou la signification de leurs noms, leurs panégyriques, les orienter sans souci.


Quelles sont vos perspectives ?

Nos perspectives sont à court, moyen et long termes. Dans les semaines à venir, donc à court terme, notre prochain projet intitulé « L’école du panégyrique» va se déployer. Dans les lycées et collèges, puis dans les écoles primaires, nous allons lancer des activités dont la finalité sera de relever le défi : « Tous les écoliers et élèves du Bénin connaissent leurs panégyriques». Le même projet va s’étendre par la suite aux artisans parce qu’il ne concerne pas que les scolaires. Nous avons ciblé certains corps de métiers que nous voulons bien inclure dans cette phase d’apprentissage des panégyriques. Vous imaginez bien que ce n’est pas un travail facile, d’où la difficulté à vous présenter un bilan. Ce que je peux vous dire, c’est qu’à ce jour, près d’une centaine de familles au moins ont été impactées avec l’initiative. Mais notre vraie difficulté reste la mobilisation des moyens.

Quel appel avez-vous à lancer ?

Ce sera un appel au soutien. Nous voulons que toutes les personnes qui aiment la culture se joignent à nous pour permettre aux plus jeunes de se baigner dans la richesse culturelle et linguistique que constituent les panégyriques. Nul ne sera de trop.
Commentaires