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Art et Culture

Arts et patrimoine Savalou: un potentiel culturel et touristique en quête de valorisation

Publié le jeudi 3 novembre 2022  |  La Nation
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© Autre presse par dr
les caïmans
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Par Josué F. MEHOUENOU,

La commune de Savalou recèle un énorme patrimoine culturel encore peu valorisé. Sites, monuments, forêts… vestiges de l’esclavage, Savalou la belle pourrait devenir une escale touristique privilégiée si l’investissement, l’ambition et la restauration suivent.

Quand les natifs de la commune de Savalou ou les acteurs touristiques vous content les attraits de la commune, cela donne une envie pressante de vous y rendre. On connait Savalou davantage grâce à la célébration du 15 août aux saveurs d’igname pilée. Mais ce qu’on sait moins, c’est que Savalou est une escale touristique qui vaut le détour. Pas moins d’une vingtaine d’attraits touristiques dont certains drainent toujours du monde. Paterne Djidéwou Tchaou, acteur culturel et natif de Savalou en a répertorié plusieurs. Au nombre de ceux-ci, on peut citer la statue du roi fondateur du Tchingoumin Adisso, la mare aux caïmans sacrés de Ouèssè, l’esplanade de l’homme magico-spirituel Agbakossian, le panthéon de la résistance panafricaine, l’avenue du colon, la prison coloniale, le musée de chasse et du Fa… A cette liste s’ajoutent le palais royal de Savalou situé au pied des collines, le mausolée du roi Soha à Zounzonkanmê, les collines jumelles de Kpataba, le palmier à sept branches (troncs) de Miniki, le vodoun Dankoli, la colline Allokpasso de Monkpa qui garde à ce jour les traces de la bataille entre un chasseur et un buffle, de même qu’une piscine naturelle centenaire. Si devant cette longue liste, on peut s’émerveiller, une descente sur les lieux a vite fait de décourager le visiteur. La plupart des sites sont en ruine ou à l’abandon. En lieu et place des guides touristiques, ce sont les hautes herbes qui accueillent les visiteurs. Les difficultés d’accès aux lieux témoignent de la quasi-absence de vie humaine à même d’entretenir les lieux pour les maintenir en état de fréquentation.

Entre ruine et abandon

Si la statue du roi fondateur du Tchingoumin Adisso tient encore debout, c’est sans doute parce qu’à un moment donné, certains esprits éveillés ont eu à ériger autour une baie vitrée pour la préserver des intempéries. Plusieurs fois, elle a été éprouvée et réhabilitée, d’où l’idée de la baie vitrée, confirme un habitant de Lowo dans l’arrondissement de Savalou-Aga, lieu de l’implantation. Des actions futures sont envisagées pour valoriser davantage ce site, confie Paterne Djidéwou Tchaou, acteur culturel. « Il est envisagé de déplacer les populations environnantes pour en faire un village artisanal », indique-t-il. Tous les autres sites de la commune n’ont pas cette chance. La prison coloniale de Savalou est tombée en ruine. Elle n’existe que de nom, regrette-t-on dans la localité.
Mais c’est surtout au niveau de la mare aux caïmans que la désolation est grande. Le « Dehouinzoun » comme on l’appelle en langue locale Mahi s’étend sur une superficie de 44 hectares. Dès son arrivée, le visiteur est accueilli par un défilé de petits et gros caïmans qui, lorsqu’ils n’en peuvent plus de l’eau, viennent se poster aux abords de la mare pour un bain de soleil. L’énorme reptile prend des airs pour le plus grand bonheur du visiteur qui ne peut se lasser du spectacle. Seul hic, le lieu est abandonné à lui-même. Pas de guide ni d’instructeur. L’accès n’est pas contrôlé. Qui veut, entre et en ressort. Au cours de notre reportage, Mahuton Alia, natif de Savalou en mission en Côte d’Ivoire et revenu au pays, était en visite avec des amis. Une vingtaine de touristes occasionnels dont la moitié est constituée d’enfants découvrent ainsi la marre aux caïmans. Les visiteurs déplorent l’absence d’un guide sur les lieux et se sont contentés du spectacle comme tout autre visiteur. Ce lieu aurait pu constituer une source de devises pour la commune, fait-il observer. Ce qui l’inquiète davantage, c’est la violation des règles qui devraient régir les lieux. « Pour ce que je sais par rapport à cette mare, il y a des interdits et des règles qu’il faut respecter parce qu’il s’agit avant tout d’un endroit sacré. En l’absence de toute présence recommandée (pas même un gardien), il est à craindre pour les exigences de ces lieux », se désole Mahutin. Selon lui, on aurait pu former un personnel d’accueil, réhabiliter les lieux, et mettre en place des pisteurs et guides qui travaillent sur un circuit touristique à faire visiter.
En novembre 2020, à l’occasion de la tournée nationale du chef de l’Etat dans les 77 communes du Bénin, Dèlidji Houindo, maire de la commune, avait clairement indiqué que « Savalou attend beaucoup du chef de l’Etat ». Savalou, c’est d’énormes potentialités touristiques, cultuelles, culturelles et économiques en quête de valorisation.
La cité des Soha entend se positionner comme une escale touristique incontournable au cœur du Bénin et attend l’appui du gouvernement à ce propos, avait clairement indiqué le locataire de l’hôtel de ville.

Un patrimoine à ne pas négliger

A l’instar de toutes les localités du Bénin, porteuses d’un patrimoine culturel et touristique grandeur nature, Savalou est riche d’un patrimoine culturel immatériel important. A cela s’ajoutent la fabrication du gari, et les spécialités gastronomiques autour de l’igname… « Savalou n’est donc pas un terrain à négliger », relève Pacôme Comlan Alomakpé, gestionnaire de patrimoine. Celui-ci reconnait, même s’il n’a pas eu l’occasion d’approfondir ses connaissances sur le cas spécifique du patrimoine culturel de la commune, qu’elle a été tout de même marquée par l’histoire des royautés et de l’esclavage. On lui doit aussi un paysage accidenté qui suscite ordinairement curiosité et émerveillement, indique-t-il.
On citera dans ce registre, la colline Allokpasso de Monkpa. Une merveille centenaire qui, à ce jour, continue d’être une grande curiosité.
Juché dans les hauteurs de la commune, la légende raconte que cet amas de pierres a été le témoin d’un farouche combat entre un chasseur et un buffle. Des traces d’animaux et de couteau, des pas d’homme et quelques autres indices témoignent de la présence humaine et animale sur les lieux. L’histoire racontée à propos est-elle la vraie ? Difficile à dire. Même Paterne Djidéwou Tchaou, qui travaille à la restauration du patrimoine savalois n’en sait pas plus. « Nous nous contentons de la version contée par les devanciers », note-t-il, avec sourire. Ce qui est certain, selon lui, c’est que ces traces ont une histoire. Pour se convaincre que ces lieux ont une histoire singulière, il faut gravir trois collines pour tutoyer une piscine naturelle. Une vaste étendue d’eau qui ne s’assèche jamais, selon les témoignages, peu importe les saisons. A la visite des lieux, une seule question demeure. Comment une étendue d’eau s’est-elle trouvée à des dizaines de mètres du sol sans jamais tarir depuis des centaines d’années ?
Autre vestige centenaire de la commune, le mausolée du roi Soha situé à Zounzonkanmê. Tout ici est histoire et se fait raconter avec aisance. Le village aux trois noms, Akpatagon, Yota et Zounzonkanmê, abrite plusieurs sites dont le plus important est celui d’intronisation des nouveaux rois de la commune. « Ne devient réellement roi de Savalou que le souverain qui est passé ici pour son rite d’initiation et d’intronisation »,
nous confie le gardien des lieux. Ici comme un peu partout sur les autres sites, la ruine dicte sa loi. L’état des lieux laisse lire l’abandon. Le chef de terre, las de remettre les lieux en ordre à ses frais, lâche prise à petits coups. Pis, «ce lieu se désacralise», laisse-t-il entendre. «Il fait l’objet de peu d’intérêt », poursuit-il. La mare à silures avec ses mille interdictions, le fétiche Bossikpon, le baobab centenaire qui perd de sa superbe de jour en jour… Le complexe culturel et cultuel qui ceinture le mausolée du premier roi de Savalou ne manque pas d’inquiéter les habitants de Zounzonkanmê. Les derniers travaux de réhabilitation des lieux remontent à 1986 grâce à l’appui de l’Unesco.

« Le délabrement, le manque d’entretien et l’insuffisance de la valorisation des sites touristiques et patrimoniaux sont notoires. Les actions concrètes réalisées restent bien insignifiantes face à l’abondance des sites à mettre en valeur », analyse le gestionnaire de patrimoine Pacôme Comlan Alomakpé. On découvre pourtant dans la plupart des localités du pays, « une richesse immense, des sites touristiques et patrimoniaux divers, variés et énormes. Mais très peu sont valorisés ». Cette situation, indique-t-il, est la conséquence de plusieurs paramètres. Il cite entre autres « l’inconstance de la volonté des autorités de l’Etat central et des collectivités locales, l’insuffisance des ressources humaines et financières affectées pour la cause des sites touristiques et patrimoniaux ». La part du budget national ou communal affectée aux actions de valorisation, d’aménagement ou d’entretien des sites touristiques est très faible, regrette-t-il.

« Les résultats ne sont pas de nature à nous enthousiasmer… »

Des efforts sont en cours depuis 2016. Une volonté politique clairement affichée, d’importantes ressources manifestement engagées pour la cause du patrimoine culturel, relève Pacôme Alomakpè.
« Nous voyons de plus en plus les résultats des projets phares et prioritaires du gouvernement actuel dont certaines villes notamment, Ouidah, Porto-Novo, Abomey portent les marques. J’ajoute à cela, les impacts de certains projets qui existent grâce à l’orientation politique mise en place par l’Etat en matière de valorisation du patrimoine culturel à travers le tourisme ». Ces observations, le spécialiste des questions patrimoniales les relève bien et en vient à la conclusion qu’il y a « une abondance de textes et de promesses … mais les résultats observés ne sont pas de nature à nous enthousiasmer, ni à nous satisfaire ». On pouvait mieux faire quand on sait que les chantiers sont énormes et que tout est à refaire en matière de protection du patrimoine culturel, souligne-t-il.
Contrairement à certains, celui-ci ne désigne pas l’Etat comme l’unique responsable de la situation. « Tous, coupables », lance-t-il. « Les responsabilités se situent à degrés divers. Ce qui incombe aux populations et aux gestionnaires du patrimoine est moindre par rapport à ce qui relève de l’obligation et des engagements de l’administration, qu’elle soit centrale ou décentralisée. Les premiers ne peuvent agir que si les derniers autorisent, motivent, organisent et mettent en place le cadre favorable ».
Pour inverser la tendance, suggère-t-il, il faut à la fois des actions organisées, des actions concertées et des actions renouvelées. Il faut surtout, selon lui, mettre à profit les compétences nationales.
« On doit déployer des moyens et ressources importants pour la cause tout en y faisant un usage et une exploitation conséquents », pense-t-il. Dans cette dynamique, les ressources humaines bien formées et qualifiées doivent être mises à contribution avec une logique de recyclage et d’adaptation aux réalités du marché. Les offres d’une destination moderne et améliorée se distinguent par la qualité des prestations des acteurs qui les proposent, plaide le gestionnaire de patrimoine.
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