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Après la dernière visite de Talon en France: Hugues sossoukpè écrit à Macron

Publié le vendredi 17 mars 2023  |  Matin libre
Comlan
© aCotonou.com par DR
Comlan Hugues Sossoukpè,le web activiste beninois
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Lettre ouverte au Président Emmanuel Macron.

Monsieur le Président,

Je l’avais déjà fait lors de votre dernier passage à Cotonou, mais il serait sans doute nécessaire que je me rappelle à votre bon souvenir. Je suis Comlan Hugues Sossoukpè, journaliste citoyen et défenseur des droits humains. Je suis en exil depuis mai 2019. J’ai dû m’en aller à cause de la violente répression qui a accompagné les législatives de 2019, et pour échapper au sort funeste que le régime de votre nouvel allié, monsieur Patrice Talon, réservait à toutes celles et ceux qui avaient vu, avant tout le monde, son appétence pour l’autoritarisme. Je vous écris donc depuis mon lieu d’exil d’où j’espère retourner un jour auprès de celles et ceux qui me sont chers et qui désespèrent de me revoir. J’espère le faire une fois que les libertés publiques seront rétablies et notre démocratie restaurée.

Malheureusement, les derniers signaux qui nous parviennent ne nous invitent pas à l’optimisme, et il semble que dans cette entreprise de consolidation de son pouvoir autoritaire, le président de France, que vous êtes, soit devenu l’un de ses meilleures cautions.

Monsieur le président, le 8 mars dernier, l’opinion publique béninoise et plus largement africaine a été fort embarrassée de vous voir recevoir en grande pompe un chef d’État africain qui est ouvertement fâché avec la démocratie et les droits de l’homme, et qui l’assume sans la moindre forme de complexe. Ils sont inquiets de voir le chef du pays des droits de l’Homme se sentir autant à son aise avec ce dirigeant qui maintient en captivité ses opposants, quand ils n’ont eu la chance de partir en exil, qui intimide les médias et menace les acteurs de la société civile, qui s’accapare du tissu économique national et jette sur la paille ses concurrents en affaires. Ils se demandent ce qu’il a pu vous donner personnellement ou à votre patrie pour devenir aussi fréquentable à vos yeux, alors que rien n’a changé de la situation que vous avez déplorée du bout des lèvres le 27 juillet dernier.

Monsieur le président, lors de votre dernier passage à Cotonou en juillet 2022, j’avais déjà attiré votre attention sur le risque que comportait pour votre image et celle de votre pays, de vous accoquiner avec un autocrate, sans être en mesure d’obtenir de lui le respect des valeurs et des principes humanistes sur lesquels le peuple de France a bâti sa réputation. Huit (08) mois après votre passage à Cotonou, et alors que vous aviez réussi à emmener avec vous votre compatriote Hubert Goutay, poursuivi par la Justice béninoise dans une affaire de trafic de cocaïne, les lignes ont à peine bougé. L’ancienne garde des sceaux, Reckya Madougou et le professeur Frédéric Joël Aïvo enlevés dans la foulée de l’élection présidentielle de 2021 sont toujours en captivité avec des dizaines d’autres militants de l’opposition, et humiliés tous les jours. Dans le même temps, le harcèlement contre l’homme d’affaires Sébastien Ajavon n’a jamais été aussi fort.

Se peut-il, cher monsieur Macron, que votre unique motivation dans ce regain d’intérêt pour votre homologue béninois soit les défis de plus en plus complexes auxquels vous exposent les rivaux géopolitiques de la France ? Se peut-il, comme le prétendent de plus en plus d’analystes, que les difficultés de l’armée française dans le Sahel et son besoin de redéploiement dans le nord du Bénin aient eu raison des valeurs qui ont longtemps fait le charme de la France ? Permettez-moi, monsieur le Président, d’attirer votre attention sur ce que vous savez sans doute déjà : les contradictions de votre diplomatie qui prône d’un côté la fin de la Françafrique mais de l’autre embrasse des dictateurs et des putschistes (armées ou constitutionnelles), sont en vérité les premières causes du recul de la France dans l’estime de la jeunesse africaine. Une jeunesse de plus en plus informée et dont l’aspiration à la Liberté est inexpugnable. Oui, Monsieur le Président, il existe aujourd’hui sur notre continent une opinion publique plus forte et plus exigeante que celle d’il y a trente (30) ou quarante (40) ans, et que vous auriez tort de ne pas prendre en compte. Elle n’attend de la France et de l’Occident en général, que de la cohérence entre le discours et les actes, pour retourner à ces anciens amours.

Pour être en contact avec elle tous les jours, pour connaître ses rêves et ses aspirations, pour savoir ce qu’elle se dit au quotidien, je connais assez la jeunesse béninoise pour vous prévenir de ce que la France perdra définitivement son soutien dans cette rivalité géopolitique avec d’autres puissances, si elle se rend compte que, comme au Burkina de Blaise Compaoré, comme au Gabon, au Tchad, au Cameroun, en Guinée, en Centrafrique ou au Congo Brazzaville, le gouvernement français est le premier soutien et la principale caution diplomatique d’un régime qui l’oppresse. Vous la perdrez et ne la récupèrerez peut-être jamais. Elle est pourtant le levier le plus fiable sur lequel la France pourrait agir pour normaliser ses rapports avec les africains et par la même occasion, contrer ses adversaires géopolitiques.

Je sais néanmoins que votre travail n’est pas facile, que pour maintenir à flot une puissance aussi importante que la France, il est parfois nécessaire de faire des choix difficiles. Celui de vous concentrer sur le redorage de l’image de la France en fait partie. Il me paraît même plus urgent que la recherche de solutions immédiates ne peut qu’agrandir le fossé que vos dernières décisions ont creusé entre les opinions publiques africaines et votre pays.

C’est sur ces mots que je voudrais vous souhaiter pleins succès dans votre mandat, et vous prier de recevoir mes sentiments distingués.

Comlan Hugues Sossoukpè
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