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La Presse du Jour N° 2074 du 18/2/2014

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Réflexions du Père Alphonse Quenum sur l’article de Albert Tévoédjrè : « Le 10 janvier au Bénin : une épiphanie prolongée ? »
Publié le mercredi 19 fevrier 2014   |  La Presse du Jour




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J’ai lu avec intérêt et une attention curieuse l’article que le 10 janvier a inspiré à M. Albert Tévoédjrè, Frère Melchior, Sma (La Croix du Bénin n° 1230 du 24 janvier 2014). Il est sans doute bien placé, compte tenu de la trajectoire de sa propre histoire, pour sentir les choses comme il l’a fait et les évoquer à sa manière.

S’il faut savoir se laisser surprendre par des rêves étonnants, surtout s’ils se réclament de « l’audace prophétique », en ces temps de confusion, il faut aussi avoir le courage critique pour ne pas laisser l’ivraie avoir raison du bon grain.

Chaque partie de l’article mériterait débat à cause du désir de dialogue interreligieux qui semble préoccuper l’auteur. En effet, je sens un grand besoin de clarification du contenu des textes évoqués par Frère Melchior pour soutenir l’œcuménisme théiste que sa réflexion semble développer.
1. « Rien de plus sommaire »

Après avoir égrené quelques événements qui ne sont pas du même ordre (Colloque, anniversaire de missionnaire de renom chez nous et honneur rendu aux religions traditionnelles) et qui feraient selon lui, du 10 janvier un jour de « prolongement épipha-nique », le Professeur Albert Tévoédjrè semble se refuser à l’amalgame entre célébration des religions traditionnelles et fête du Vodun. Il tient cet amalgame pour du sommaire.

Mais on peut regretter que ce qui rend sommaire le passage de la proclamation de la fête des religions traditionnelles à la célébration de la fête du Vodun n’ait pas été explicité. Mais il a continué sa démonstration pour dire ce qu’il ressent ou en définitive, ce qui le préoccupe, laissant au lecteur de deviner sa pensée sur ce qui paraît sommaire. La suite du texte annonce ce qui conviendrait selon l’auteur : « le juste et le vrai ».
2. « Dire le juste et le vrai »

Qu’est-ce qui est juste et qu’est-ce qui est vrai ? Il est important de savoir de quel lieu on part et de quel lieu on parle. « Donner aux religions traditionnelles et endogènes un caractère de reconnaissance officielle qui manquait et qui désormais permet d’élargir l’espace d’adoration du Dieu vrai, unique et tout-puissant », pour qui cela est « juste et vrai » surtout s’il s’est agi en son temps, avant tout d’un acte de besoin de clientèle politique ?

Cette affirmation n’est pas sans problème lorsqu’on en induit qu’il s’agit de la « fête du Dieu unique, créateur de la vie et de toutes choses, célébré glorieusement par les religions traditionnelles répandues à travers le pays, y compris celles se référant à une force spécifique appelée Vodun ».

Etablir le 10 janvier comme date de célébration du Dieu unique qui offre un piédestal particulier au Vodun qui aurait « ses particularités de culte, de savoir ou de science et de comportement social » dans le cadre du Bénin, pose profondément problème à ma conscience chrétienne invitée à annoncer la Bonne nouvelle à temps et à contretemps à tous les mondes et donc à mon monde.
3. Le baptême des adultesle 10 janvier ?

Je m’en voudrais de laisser croire que je n’aime pas l’Epiphanie qui est pourtant l’une des fêtes du calendrier liturgique qui me séduit à cause de sa profonde symbolique d’universalité. L’épiphanie qui révèle l’engagement serein des Mages, intrépides chercheurs d’un « Absolu » et qui apparaît comme une discrète préfigure de la Pentecôte flamboyante n’est pas le lieu de structuration des actes initiatiques de la Tradition chrétienne. Il faut le dire clairement.

Depuis les origines de l’Eglise, ce moment revient à Pâque. C’est elle qui donne naissance au baptême d’adultes. C’est le temps qui donne sens et contenu à tout le reste, y compris à l’Epiphanie. La quête d’une interculturalité ne peut être le rendez-vous de multiples initiatives fantaisistes qui finissent par faire perdre de vue ce qui fonde l’irréductible spécificité de la Tradition chrétienne.
4. Epiphanie, chemin de conversion

L’Epiphanie dans la lecture de l’Evangile mathéen (Mt 2, 1-12) est un rendez-vous de conversion et non de simple cohabitation contemplative. En effet, les sages portés par la lumière de leur conscience éveillée, ont fini par se retrouver dans la nuit ; il leur a fallu aller à Jérusalem pour retrouver dans les Ecritures la suite du chemin illuminé et ayant vu le Fils bien-aimé de Dieu, ils se sont convertis en retournant par « un autre chemin ». C’est dire que la rencontre avec le Christ, même à la crèche, provoque un retournement chez ceux qui sont en recherche honnête.

5. Les limites de l’audace
L’audace qui est souvent sollicitée par le Frère Melchior pour diverses formes d’engagements personnels est en soi un sentiment ambivalent. Comme tel, elle peut orienter vers le bon comme vers le moins bon.

Qui doit l’éclairer pour qu’il ne prenne pas ce dernier chemin ? Le respect que nous croyons devoir aux religions traditionnelles et à leur expression spécifique du Vodun, surtout à l’endroit de leurs adhérents, n’induit pas une uniformité de croyance qui gomme la spécificité de la Révélation chrétienne. Jésus Christ se laisse appréhender dans « la nudité du sanctuaire de la conscience » c’est vrai ; mais la conscience peut être aussi le lieu de toutes les manipulations occultes.

Jésus Christ cependant n’est connu que par l’annonce d’une Bonne Nouvelle qui établit son identité dans un message qui ne se réduit à aucun autre. C’est l’affirmation de cela qui fait problème et qui ne permet pas une communion automatique qui émergerait de la proclamation d’un Dieu unique « Père de tous », ni d’une coexistence pacifique entre croyants.

Le « sanctuaire de la conscience » ne suffit pas à nous ouvrir sur les chemins d’une proximité confiante et apaisée car on sait que si ce tabernacle de l’intériorité mérite respect, il ne permet pas a priori de structurer la communion que sollicite le vivre ensemble des communautés humaines, même en religion.

Il faut le respect des règles pour tous et la tolérance qui ne provient pas automatiquement du fait d’appartenir à une même confession ou adorer un Dieu que l’on déclare comme unique. Si la proclamation d’un Dieu unique même à l’intérieur d’une confession pouvait suffire à cela, les Chiites et les Sunnites n’en seraient pas à s’étrier en Irak et ailleurs, et les guerres de religions n’auraient pas eu lieu en Europe, ni nulle part ailleurs.

6. La portée ou le sens du ‘‘prophétique’’
Le 10 janvier présenté comme une « chance d’une réalité prophétique à sublimer » invite à un certain questionnement sur le sens du qualificatif ‘‘prophétique’’. Que nous révèle-t-il ou que nous annonce-t-il ?

La coexistence des cultes traditionnels ou du Vodun avec le christianisme est sans nul doute un passage obligé compte tenu de la composition sociologique de notre pays et de son histoire. Mais cette coexistence ne peut être perçue comme l’adhésion à un Dieu semblablement exprimé surtout si l’on prend en compte les peurs que suscitent et entretiennent les cultes traditionnels dans notre société.

Je comprends que la geste chrétienne aux multiples facettes dont se réclame le Frère Melchior lui ait servi d’antidote contre toute apostasie mais il n’est pas évident que dans la confusion actuelle, cela puisse apparaître pour tout le monde comme un lieu de témoignage lumineux. Il faut tenir compte des limites de bien des gens moins éclairés et de la fragilité de tant de néophytes. Le mal-être actuel ne peut s’accommoder d’ambiguïté.
7. La nécessaire clarification des leçons de l’histoire

La position du Père jésuite Denis Maugenest qui rappelle que « bien des tragédies eussent pu être évitées si, pendant la Révolution française, on avait mieux cerné les révélations cachées dans le clair-obscur des mots et des symboles » et qui « rappelle la déclaration des Droits de l’homme datant de cette époque » semble faire l’économie du contexte historique bien loin du nôtre. Sans tenir compte de ce contexte, il est difficile d’exploiter de façon instructive les réactions iconoclastes du siècle des Lumières dont la Révolution française est l’aboutissement politique.

Si « l’histoire est maîtresse de vie » et donc peut nous servir de boussole comme semble l’indiquer cette évocation du Père Maugenest, il doit toujours s’agir d’une histoire contextualisée. « L’Etre suprême des Révolutionnaires » sous le couvert duquel s’est proclamée la déclaration des Droits de l’Homme exprime une prise de distance claire à l’endroit du Dieu de la Révélation de Jésus-Christ qui ne se confond ni avec « Allah le Miséricordieux, ni avec le Mahou ».

Jésus-Christ, Dieu fait homme, mort et ressuscité pose problème au Dieu adoré par toutes les autres religions. Nous savons par ailleurs que la logique des Lumières a secrété en France la laïcité la plus agressive d’Europe qui jusqu’aujourd’hui a du mal à offrir aux Français de confessions différentes, un espace de pratiques religieuses sans anicroches.
8. Le dialogue interreligieux

Il faut se poser ici la question de savoir ce que peut être un dialogue interreligieux « intelligent et sincère ». En effet, pour ceux qui croient vraiment, la religion est un lieu de structuration de convictions fortes. Les uns peuvent y puiser fanatisme et d’autres en faire une école de recherche de sérénité et de fraternité avec les autres.

Dans tous les cas, les choses sont rarement simples et il n’est aucun espace de notre planète Terre qui n’en donne des exemples déroutants. Le Dieu de Jésus-Christ qui nous invite à édifier un amour sans frontière nous indique le caractère crucifiant de cette marche et de cette démarche.

La Nouvelle Evangélisation nous tire précisément des enfermements du passé et veut éclairer l’horizon de l’avenir. Elle ne signifie nullement le renoncement à l’annonce du Christ comme unique Sauveur, ni une uniformisation, encore moins une acceptation d’illusions convenues.

Dans ce domaine, il nous faut travailler à semer une culture voire un culte de tolérance par une éducation ouverte depuis l’enfance jusqu’à l’université pour que le dialogue interreligieux ne soit pas seulement ni un contrat de dupes, ni le fait d’une cooptation de leaderships au sommet qui vole en éclats en fonction des intérêts inavoués de ceux-ci.

Pour éviter les tragédies du passé et celles qui menacent l’avenir, ce qu’il nous faut chercher à conjurer ici et maintenant, c’est l’instrumentalisation de la religion à des fins socio-politiques où des leaders insatiables de pouvoir et d’avoir exacerbent la crédulité des populations rongées par de multiples frustrations et abîmées par la misère. Dans tous les cas, la recherche de la vérité d’un mieux faire ne sera jamais de trop. C’est en ce sens que j’ai lu le texte du Frère Melchior. Il m’excusera si je ne l’ai pas assez compris.

Père Alphonse QUENUM
RECTEUR EMERITE DE L’UCAO/ ABIDJAN

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