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La Presse du Jour N° 1860 du 5/4/2013

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Passage de la croissance économique du Bénin à 5,4%:Deux spécialistes relativisent et orientent le gouvernement Passage de la croissance économique du Bénin à 5,4%:Deux spécialistes relativisent et orientent le gouvernement
Publié le mercredi 17 avril 2013   |  La Presse du Jour


Jonas
© Autre presse par DR
Jonas Gbian
Ministre de l’économie et des finances


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Suite à l’annonce sur les ondes du taux de croissance économique du Bénin qui serait passé à 5,4% en 2013 selon le ministre de l’économie et des finances, deux spécialistes des questions économiques donnent leurs avis. Pour Soulé Bio Goura, ce taux est encore très faible vu les réalités socio-économiques du pays. Et pour Epiphane Adjovi, au-delà de ces 5%, la population béninoise qui souffre énormément depuis plusieurs années a besoin de voir sa situation s’améliorer de manière durable.

Soulé Bio Goura, agro-économiste au Laboratoire d’Analyse Régionale et d’Expertise Sociale (Lares)
C’est possible que le Bénin ait pu atteindre une telle croissance économique en un an. Mais il faudrait prendre ce chiffre avec pincette. Car, il faut vérifier d’abord si le taux d’inflation a augmenté avant de pouvoir affirmer que cela a influé sur le taux de croissance économique. Il est vrai que l’augmentation du prix de l’essence frelatée joue négativement sur le taux de l’inflation qui dans de pareille circonstance, est poussée à la hausse. Ce qui greffe sur le pouvoir d’achat des consommateurs et qui aurait donc pu jouer sur le calcul du taux de croissance. Mais il faudrait qu’une éventuelle montée de l’inflation soit effectivement démontrée par les structures compétentes tel l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (Insae), avant qu’on ne puisse valider ce nouveau taux de croissance. Toutefois, il faudra également d’une part, analyser très attentivement les performances du secteur agricole, précisément celles de la filière cotonnière et d’autre part, voir si les activités portuaires ont connu un réel dynamisme. Car, ce sont les deux principaux piliers de l’économie béninoise dont la forte performance peut permettre d’atteindre un taux élevé de croissance. Cependant, je tiens à indiquer que ce n’est pas le temps au cours duquel l’on est passé de 3,1 à 5,4 %, soit un an, qui doit préoccuper ; puisque la croissance économique d’un pays peut augmenter même en un temps relativement court. Il faut plutôt analyser de plus près les chiffres qui sont donnés en matière de production cotonnière, s’assurer que ces chiffres sont justes et voir s’il y a une nette évolution entre les chiffres de l’année dernière et ceux de cette année. C’est essentiellement de cela qu’il s’agit. Est-on sûr que les 250.000 tonnes de production cotonnière environ qu’on a affirmé avoir été enregistrées sont suffisantes pour impulser les 2 points de croissance annoncés ? Y a-t-il eu une nette augmentation du trafic portuaire et de combien ? Ce sont les interrogations que m’inspire cette augmentation de la croissance économique béninoise.

Par ailleurs en dehors de ces deux piliers économiques, quand l’on prend les autres activités secondaires de notre pays, telles le tourisme, les banques, il faut se demander si elles ont fluctué de sorte à favoriser une telle croissance. Par exemple, la production des noix de cajou a-t-elle augmenté ? L’Insae parle de 60.000 tonnes de production de ces noix et d’un taux d’inflation tournant autour de 3%, me semble-t-il. Ce sont des chiffres qui doivent être sérieusement interrogés. Car, le prix des matières premières n’a pas connu une augmentation extraordinaire, ce qui aurait notamment justifié l’augmentation du taux d’inflation. De plus, les contrepoids de l’économie que sont les produits manufacturés ne connaissent pas une situation avantageuse qui aurait pu provoquer par ricochet la hausse de notre taux d’inflation. Il faut donc dire, comme vous le demandez, que l’on pourrait se croire en face d’un jeu de chiffres visant à redorer le blason économique du Bénin. Vu qu’il a été récemment déclassé par l’Uemoa. Aussi, doit-on s’interroger, sur comment une telle croissance pourrait exister dans un contexte où la fourniture des énergies de base telles l’électricité et l’internet demeurent très insatisfaisantes dans notre pays.

Ce qu’il faut retenir est que même si l’on suppose que le Bénin a effectivement atteint un taux de 5,4% en terme de croissance économique, ce taux est encore très faible vu les réalités socio-économiques du pays. Car, ce qui est certain est que ce taux ne permet pas encore d’apporter un bien-être à la population. Avec un tel taux, on ne peut pas encore créer fondamentalement de la richesse, des emplois ni réduire conséquemment la pauvreté au Bénin. Pour un pays comme le nôtre qui a une base productive très faible, il faut au minimum, une croissance économique de 7% pour être sûr qu’on a une marge réelle de croissance nette susceptible d’impulser notre développement en terme de création de richesses, d’emplois et d’amélioration des conditions de vie des populations. Mais la réalité est que notre pays en est encore très loin.
Financer le développement

Au titre des réformes devant être menées par le gouvernement béninois pour améliorer le panier de la ménagère, le premier aspect est que l’Etat doit parvenir à financer le développement en veillant à l’instauration d’une réelle fiscalité de développement. C’est-à-dire alléger l’assiette fiscale de sorte à ce qu’elle ne pèse plus trop sur le petit nombre qui s’acquittent actuellement de leurs devoirs fiscaux. Ce, en élargissant le nombre de contribuables et en éliminant toutes sortes de fraudes fiscales. Pendant longtemps le gouvernement en a parlé, mais elle n’est jusque là pas encore une réalité. Le second aspect est que le budget d’investissement de l’Etat est dans une position si incongrue que plusieurs chantiers de développement antérieurement prévus n’ont jamais été achevés parce que l’Etat n’a pas pu mobiliser les ressources suffisantes. De plus, le peu de ressources dont il dispose, il l’attribue au paiement des salaires, à quelques dépenses de fonctionnement et principalement à la consommation. Le constat est donc que nos dirigeants préfèrent tirer la croissance économique du Bénin par la consommation. Or, dans le contexte béninois où il y a une base politique très faible, quand on veut accélérer la croissance par la consommation, on crée un autre type de perversion. En effet, une telle stratégie ne peut qu’entrainer l’investissement des nationaux dans les produits étrangers. Car, lorsqu’on augmente le salaire, la population active ayant ainsi un pouvoir d’achat élevé, aura plus tendance à délaisser la consommation des produits locaux tels le maïs ou l’ananas au profit de la consommation des produits importés comme les véhicules d’occasion, les téléphones portables, les réfrigérateurs,…. Du fait, en privilégiant une croissance par la consommation, on enrichit beaucoup plus l’extérieur à nos dépens. A cet égard, je dois affirmer qu’il s’agit d’une question de gouvernance et de reformulation de la politique économique. Il est important que la politique économique du Bénin favorise davantage une incitation dans le domaine agricole de sorte à augmenter significativement la production, surtout celle cotonnière et créer aussi de la valeur ajoutée au niveau local en revoyant notamment notre politique d’exportation.
Le Bénin doit également mieux exploiter son environnement en tirant davantage profit de sa proximité et des opportunités avec le géant que représente le Nigeria. Nous n’œuvrons pas suffisamment pour bénéficier de la richesse que constitue notre voisin, le Nigeria. Pourquoi ne pas instaurer, à l’instar de celui existant entre la France et l’Allemagne, un conseil des ministres conjoint entre le Bénin et le Nigeria. Soit deux conseils des ministres conjoints par an dont l’un à Badagri avec le gouvernement nigérian et l’autre à Porto-Novo ou à Kétou avec le gouvernement béninois, afin de débattre à bâtons rompus et de manière plus efficace pour notre pays, des grands problèmes telles les questions énergétiques qui minent l’essor effectif du Bénin. Par ailleurs, en prenant exemple sur le Ghana qui s’est récemment dotée d’une raffinerie en puisant dans les ressources pétrolières du Nigeria, il faut que le Bénin qui est d’ailleurs plus proche géographiquement du Nigeria que le Ghana, pense sérieusement à inciter le Nigeria à créer sur notre territoire une raffinerie qui est une industrie lourde pouvant sans nul doute créer beaucoup d’emplois et de richesses. Ce sont quelques pistes devant être exploitées au plus tôt par nos dirigeants dans la mesure où le Bénin en sortira gagnant. Car, cela lui permettra d’atteindre un taux de croissance économique élevé et de favoriser à long terme la réduction de la pauvreté dans notre pays.
Epiphane Adjovi, Directeur du Centre de Conception et d’Analyse des Politiques de Développement (Capod)

Il est vrai que ce taux peut apparaitre comme un pic exceptionnel, mais il n’y a rien de surprenant dans l’atteinte du taux de croissance de 5,4% au Bénin. Rien de surprenant parce qu’avec ce taux, l’économie béninoise ne fait que retrouver son sentier naturel de croissance qui tourne généralement autour de 5%. Par ailleurs, cette performance doit être relativisée puisque cette accélération de croissance nous rapproche de la moyenne des pays de l’Afrique subsaharienne (6%) mais sans réellement l’atteindre.
En réalité, avoir un gain de plus de 2 points de croissance en une année est possible surtout dans le cas des pays ayant une base de croissance très réduite. Il suffit d’une bonne performance dans le secteur qui domine l’économie pour qu’on ait un taux élevé. Le corolaire est que le taux peut chuter de manière drastique lorsque ce secteur fait l’objet d’une contre performance. En effet, l’enjeu a mon avis, n’est pas d’avoir un gain d’un peu plus de 2% de points de croissance en une année. La performance consisterait plutôt à maintenir un niveau élevé de croissance sur une longue période.
Parvenir à réduire la pauvreté
Avoir un taux de croissance élevé une seule année n’est pas une condition suffisante pour résoudre le problème de l’aggravation de la pauvreté dans notre pays. C’est plutôt en maintenant sur le long terme un niveau élevé de croissance que l’on parvient à réduire la pauvreté dans un pays. Or, jusqu’à présent, le Bénin n’est pas encore parvenu à soutenir durablement un niveau élevé de croissance économique. Il suffit pour s’en convaincre d’analyser la série des taux de croissance qu’il a atteinte sur une longue période. Le constat est qu’on a sur deux ou trois années, des taux acceptables ; puis on se retrouve quelques temps après, dans une logique de baisse des performances. Alors qu’il faut que notre pays ait au minimum 7% et si possible 8 à 9% de croissance pour prétendre réduire de manière sensible la pauvreté qui sévit depuis quelques années dans la couche sociale frappée par les affres de la crise économique mondiale et pour relancer l’emploi.
Par ailleurs, je dois également souligner que le Bénin a une base économique tournant essentiellement autour de trois secteurs d’activités. Il s’agit du secteur portuaire, du secteur du coton et des relations commerciales entre le Bénin et le Nigeria. En effet, vu la relance des activités du Port autonome de Cotonou, les bonnes relations avec le Nigeria et une production cotonnière qui serait autour de 250.000 tonnes cette année, on peut accepter que le taux de 5,4% reflète la réalité économique de notre pays. Toutefois, la faiblesse de la base de la croissance au Bénin exige de nous, la poursuite des efforts en vue :
- de trouver une alternative à la réexportation qui fragilise énormément notre pays ;
- d’élargir les bases de la croissance économique béninoise à travers la diversification des sources de cette croissance notamment en promouvant davantage la production des noix de cajou, de l’ananas ;

- de mettre en place des productions à écouler sur le marché nigérian : volailles, viandes, tubercules et même le gari (farine de manioc) pour lesquels la demande au Nigeria est énorme.
Aussi, les stratégies économiques ne doivent-elles pas négliger les pays de l’hinterland et plus précisément le Niger qui va connaitre les années à venir, une accélération de sa croissance (les prévisions tablent sur des taux de croissance supérieurs à 10 %). Le Bénin doit donc plus profiter de sa vocation naturelle en tant que pays de transit en continuant l’effort de mise en place d’infrastructures de transport et de facilitation des échanges (notamment en éradiquant les tracasseries policières et douanières qui s’y dénotent ) en vue de profiter pleinement de son port et des corridors béninois. Enfin, comme c’est le secteur privé qui crée les richesses, il est indispensable que le climat des affaires et l’environnement des investissements soient améliorés.

Mais j’aimerais finir mes propos en ajoutant qu’au lieu de chanter et célébrer d’un côté ce taux ou de le critiquer de manière stérile de l’autre, les responsables béninois à divers niveaux doivent s’évertuer à travailler davantage pour rendre soutenable la croissance économique. Car, au-delà de ces 5%, la population béninoise qui souffre énormément depuis plusieurs années, a besoin de voir sa situation s’améliorer de manière durable.

Propos recueillis par Monaliza Hounnou (Stg)

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