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La proposition de loi n’honore point notre démocratie" affirment les Magistrats de la Cour Suprême
Publié le jeudi 17 juillet 2014   |  24 heures au Bénin


Bénin
© Autre presse par DR
Bénin : les autorités appelées à sursoir à l`étude du projet de loi portant interdiction de droit de grève aux magistrats


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Le collectif des Magistrats de la Cour Suprême s’est prononcé sur le projet de suppression du droit de grèves des magistrats en cours d’examen au Parlement.

Il n’échappe plus à personne aujourd’hui que la Justice de notre pays traverse une crise majeure que les pouvoirs publics semblent avoir du mal à juguler.
L’appareil judiciaire de notre pays reste, en effet, caractérisé, depuis de longs mois, par des mouvements de débrayage répétés observés par les principaux animateurs de l’Institution que sont notamment les magistrats.
Nul doute que cette situation de grève met dangereusement à mal, l’Etat de droit que s’efforce de construire le peuple béninois depuis l’historique Conférence des Forces Vives de la Nation de février 1990.
Cet état de fait interpelle gravement la conscience collective nationale pour peu que l’on réalise ce que représente la Justice pour l’Etat de droit.
Par son indépendance clairement affirmée par la Constitution du 11 décembre 1990, la Justice reste, en effet, l’épine dorsale de notre système de gouvernance et le pilier essentiel de l’Etat de droit perçu, il faut bien le souligner, comme l’affirmation, au quotidien, par le juge, du règne du droit.
En un mot, l’Institution judiciaire est l’arbitre du jeu démocratique.
Comment comprendre qu’avec un tel environnement institutionnel et un rôle aussi capital dans la réalisation de l’idéal démocratique, la Justice béninoise soit aujourd’hui en proie à une crise aussi profonde et à des attaques préjudiciables à son image et à sa mission républicaine ?
Vivement préoccupés par le développement d’une telle conjoncture qui jure avec le climat de sérénité nécessaire à l’accomplissement efficient de l’œuvre de justice, les magistrats de la Cour suprême, réunis au sein de leur Collectif, le mardi 07 juillet 2014, au siège de la Haute Juridiction, ont décidé, dans le strict respect de l’obligation de réserve à laquelle ils sont assujettis, de rendre publique, la présente déclaration.

I- DES CONSTATS


Il est revenu à tout observateur averti de la vie politique nationale que, depuis quelques semaines, la justice est au cœur d’initiatives parlementaires.
Deux (02) propositions de loi ont, en effet, été introduites à l’Assemblée Nationale par des députés ou des groupes de députés, la première relative à la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, la seconde portant modification de l’article 18 de la loi n°2001-35 du 21 février 2003 portant statut de la magistrature et qui consacrerait, si elle était adoptée et promulguée, la suppression du droit de grève et de la liberté d’association reconnus aux magistrats par la Constitution du 11 décembre 1990.
A l’analyse, ces deux (02) propositions de loi apparaissent, tant dans leur nature que dans leur présentation, comme les seules réponses du politique à la grave crise qui secoue le secteur judiciaire depuis quelques temps.
Les conditions dans lesquelles ces deux (02) textes concernant un secteur aussi sensible que la Justice, ont été déposés à l’Assemblée Nationale et leurs contenus, aujourd’hui plus que sujets à caution, laissent à tout le moins interrogatif sur les réelles intentions de leurs auteurs.
La Justice n’est et ne saurait être un enjeu politique.
Il n’est nullement de notre intention à nous, de contester aux députés, le droit à l’initiative des lois. L’Assemblée Nationale dont les attributions et les prérogatives, aux termes de la Constitution, sont de voter des lois pour la République, est incontestablement dans son rôle lorsqu’elle décide d’adopter tel texte ou tel autre dans l’intérêt général.
Les magistrats de la République, profondément attachés au principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs et jaloux de l’indépendance de leur Institution, ne sauraient s’attaquer à toute autre composante du pouvoir d’Etat, encore moins, à la Représentation Nationale dans l’exercice normal de son office et de ses prérogatives.
Il y a cependant à s’interroger, d’une part, sur l’efficacité des remèdes proposés à la guérison du mal profond qui mine le secteur judiciaire, en convenant qu’on ne fait pas baisser la fièvre à un malade, en brisant le thermomètre, d’autre part, sur l’opportunité et la constitutionnalité des propositions de loi dont les remous, en disent d’ailleurs long, sur leur caractère non consensuel.
Il y a lieu de s’interroger d’autant plus que d’autres projets de loi concernant la justice, notamment le projet de loi portant statut des magistrats de la Cour suprême, celui relatif au barreau du Bénin attendent, depuis de longues années, d’être examinés par la Représentation Nationale.
S’agissant plus particulièrement du projet de loi portant statut des magistrats de la Cour suprême, prévu par les dispositions de l’article 134 alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre 1990, il convient de signaler qu’il a été déposé à l’Assemblée Nationale depuis plus de dix (10) ans.
Programmé à plusieurs sessions de l’Assemblée Nationale y compris celle dont les travaux viennent de s’achever, ce projet de loi fait l’objet de renvois successifs, donnant l’impression de n’intéresser nullement les députés.
Et pourtant, il s’agit là, d’une loi concernant les magistrats animant la plus haute Juridiction de l’Etat en matière administrative, judiciaire et des comptes de l’Etat, Juridiction au sommet de la pyramide judiciaire dans notre pays ; loi dont l’adoption aura forcément un impact bénéfique sur le service public de la Justice.
Les démarches officielles du Président de la Cour suprême et du Collectif des magistrats de cette Haute Juridiction, tant à l’endroit du Président de la République, Chef de l’Etat, que du Président de l’Assemblée Nationale en vue de l’examen, enfin, de ce texte, sont restées étonnamment vaines.
Aujourd’hui, un coin de voile semble lever sur les intrigues dont fait l’objet ce projet de loi. Les magistrats de la Cour suprême ne sont plus dupes des péripéties que traverse ce projet.
Aussi, voudraient-ils, au regard de leur serment et de la dimension sacerdotale de leur office, s’en remettre à l’histoire qui, elle, parlera et jugera le moment venu. On ne peut tromper tout un peuple, tout le temps.
Ce qui est préoccupant, à ce jour, reste l’état de notre Justice dont la grandeur et la noblesse de la mission ne s’accommodent guère de bruits et autres agitations.
Il faut, dans le calme, la sérénité et la vérité, puiser au plus profond de la conscience nationale, les ressources nécessaires au meilleur fonctionnement de notre justice.


II- DES AVIS ET PROPOSITIONS


II1- Sur la proposition de loi modificative de la loi organique relative au Conseil Supérieur de la Magistrature
La majorité des acteurs de la justice s’accordent aujourd’hui sur la nécessité de réformer le Conseil Supérieur de la Magistrature.
Déjà en 2002, l’Union Nationale des Magistrats du Bénin (UNAMAB), à l’issue du séminaire qu’elle a organisé sur « L’indépendance du pouvoir judiciaire » à l’INFOSEC de Cotonou recommandait, entre autres, la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature tant dans sa composition que dans ses attributions.
En 2007, la Cour suprême, réagissant sur le document intitulé « Plan de Renforcement de l’Indépendance et de la Responsabilité des Magistrats » que lui a adressé le Ministère de la Justice pour avis, a insisté sur la nécessité des réformes hardies à entreprendre par notre pays afin de garantir l’indépendance réelle de la justice qu’il importe de mettre au diapason des exigences de l’Etat de droit.


Les pistes de réformes proposées touchent notamment à :
¬ la suppression de la diarchie à la tête du pouvoir judiciaire ;
¬ la redéfinition des attributions du Ministère en charge de la Justice ;
¬ la coupure du cordon ombilical entre les Parquets et le Ministère de la Justice ;
¬ la redéfinition des attributions et de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature ;
¬ l’autonomie budgétaire du pouvoir judiciaire.
Au total, le document de la Cour suprême invite à engager des réformes dans l’esprit des dispositions de l’article 125 de la Constitution du 11 décembre 1990 dont il convient de tirer toutes les conséquences de droit afin d’édifier, au soutien de l’Etat de droit, une justice véritablement indépendante, forte et crédible.
La réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature doit s’inscrire dans cette vision plus large de réformes cohérentes et profondes à engager courageusement dans le secteur judiciaire.
La proposition de loi modificative de la loi organique sur le Conseil Supérieur de la Magistrature, introduite à l’Assemblée Nationale, ne nous semble pas épouser cette orientation et son contenu est en deçà des progrès significatifs qu’elle se devrait de porter.
Du reste, des réflexions sérieuses sont en cours avec les partenaires au développement dans le cadre du « Programme National de Développement du Secteur de la Justice ».
Il faudrait, à notre sens, capitaliser toutes les réflexions menées afin de faire de cet important organe de discipline et de gestion de la carrière des magistrats, le véritable garant de l’indépendance de la Justice.
Nous devons le réformer à l’aune des standards internationaux et éviter d’en faire une institution corporatiste.
Le texte en étude à l’Assemblée Nationale mérite par conséquent d’être revu tant dans son articulation que dans son contenu.


II2 - Sur la proposition de loi portant modification de l’article 18 du statut de la Magistrature


La loi portant statut de la magistrature énonce en son article 18 : « Comme tout citoyen, les magistrats disposent de la liberté d’expression, de croyance, d’association et de réunion. Ils sont libres de se constituer en association ou en toute autre organisation ou de s’y affilier pour défendre leurs intérêts, promouvoir leur formation professionnelle et protéger l’indépendance de la magistrature. Toutefois, dans l’exercice de leurs droits, les magistrats doivent se conduire de manière à préserver la dignité de leur charge et à sauvegarder l’impartialité et l’indépendance de la magistrature ».
Ces dispositions reflètent bien la volonté du peuple béninois affirmée à la Conférence des Forces Vives de la Nation de février 1990 et traduite dans la Constitution qu’il s’est librement donné en ses articles 23, 25 et 31. Elles postulent la garantie à tous les citoyens, entre autres, du droit à la liberté d’association, de réunion, de pensée, d’opinion et d’expression, du droit de grève et de manifestation.
C’est pourtant la suppression de ces droits fondamentaux que poursuit la proposition de loi introduite par un groupe de députés. En effet, dans sa version actuelle, la proposition de loi modifie l’article 18 du statut de la magistrature en ces termes :
« Les fonctions judiciaires sont incompatibles avec tout mandat électoral ou politique. Toute délibération politique est interdite au corps judiciaire. Les magistrats sont inéligibles aux assemblées politiques.
Les magistrats, même en position de détachement, n’ont pas le droit d’adhérer à un parti politique. Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions.
Les magistrats ne peuvent se constituer en syndicat, ni exercer le droit de grève. Il leur est interdit d’entreprendre toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions ou d’y participer.
Tout manquement par un magistrat aux dispositions du présent article est sanctionné par la mise à la retraite d’office ».
Au-delà d’une privation du droit de grève, il s’agit, en vérité, d’une entreprise visant à ôter aux magistrats les droits les plus élémentaires pourtant reconnus à tout citoyen et protégés par la Constitution.
Ces droits constitutionnellement reconnus et protégés peuvent-ils être systématiquement et radicalement supprimés à un moment où le peuple béninois aspire à plus de démocratie, à un moment où le Bénin poursuit inexorablement sa marche vers l’édification d’un Etat de droit ?
Disons-le clairement, cette proposition de loi n’honore point notre démocratie.
D’où la nécessité de fermer rapidement la parenthèse.
Il serait, par conséquent, souhaitable que la Représentation Nationale n’adopte point une telle loi qui ne résoudrait aucunement la crise à laquelle elle est supposée mettre fin.
Les graves dysfonctionnements qui ont cours dans la « maison justice » et qui datent de longues années, résultent d’un manque réel de volonté politique à promouvoir au Bénin, une justice de qualité, animée par des professionnels bien sélectionnés et bien formés et disposant d’un statut à la hauteur des ambitions que le peuple se doit d’avoir pour ses juges. Pendant longtemps, les différents régimes qui se sont succédé à la tête de notre pays n’ont pas pris la mesure des enjeux liés à la mission du juge au sein de la cité.
Longtemps considérée comme une administration ordinaire, la Justice n’a pas toujours bénéficié de la part des pouvoirs publics, de toute l’attention requise. Certes, des avancées notables ont été enregistrées ces dernières années, mais elles sont loin de combler les attentes.
L’accumulation pendant de longues années, de frustrations, de situations mal réglées ou pas du tout abordées, le manque criard de moyens humains, matériels et financiers, les promesses non tenues et les immixtions répétées dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire, expliquent le ras-le-bol de ces jours où l’esprit de sacrifice a atteint ses limites et où l’attachement à la dimension sacerdotale de l’office du juge bat de l’aile.
Devant une telle situation, les magistrats de la Cour suprême voudraient recommander, à l’endroit de l’Exécutif et du Législatif, une réaction plutôt empreinte de responsabilité à la mesure des défis qui sont ceux de notre justice.
Il faut ouvrir, au plus vite, un vrai débat national sur le pouvoir judiciaire afin d’aller au fond des questions qui se posent aujourd’hui dans leur acuité.
Il faut nourrir un dialogue sincère avec les acteurs du pouvoir judiciaire.
Aussi, voudrions-nous en appeler à l’investissement personnel du Président de la République en sa qualité de Chef de l’Etat, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, afin que, sans plus tarder, la justice retrouve ses lettres de noblesse.
A tous les magistrats de la République, les magistrats de la Cour suprême lancent un appel confraternel au respect de notre serment, au respect des exigences de notre office.
La Justice n’a pas vocation à fonctionner pour elle-même. Elle est un service public, un service public éminent.
Le combat que nous menons est juste et noble. Il relève même d’un devoir exigeant que notre statut nous impose. Il est mené dans l’intérêt de l’Etat de droit qui proscrit aussi les collusions contre nature.
Il nous faut, à tout prix, préserver l’indépendance de la magistrature.
Soyons vigilants et lucides !
Donnons au monde entier et surtout à notre pays, l’exemple réussi d’une lutte efficace menée dans le droit, avec le droit et pour la Justice.

Fait à Porto-Novo, le 16 juillet 2014.

Les magistrats de la Cour suprême.

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