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Le Confrère de la Matinée N° 942 du 29/1/2014

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A Capella: Mémoires de porc-épic d’Alain Mabanckou : Hypo-vérités ou versant existentialiste ?
Publié le lundi 15 septembre 2014   |  Le Confrère de la Matinée




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L’aventure littéraire de cette semaine nous mène à la rencontre d’un auteur d’un genre commun mais d’un style atypique. Nouveauté sur un théâtre intellectuel classique, ici l’anormal est célébré comme un art d’expressivité dans une parfaite imbrication parfois coupable du parlé et de l’écrit. Il est ici question du sulfureux Alain Mabanckou dans son compagnonnage heureux avec le porc-épic, le double du malheureux Kibandi. Mémoires de porc-épic, roman parut en France, en 2006, aux Editions du Seuil et couronné du Prix Renaudot en 2006 nous tiendra compagnie le temps de la route durant cette semaine.

Au soir de la vie, il sied au vivant de retourner dans l’antre de son voisinage intime pour conter les merveilles et les écueils qui ont meublé son parcours. Cela a forcément le mérite d’éclairer les autres sur les contours d’un certain nombre de faits ou de gestes dont ils n’auraient été que de tristes spectateurs ou de malheureuses victimes. Mémoires de porc-épic, comme son intitulé est un récit imagé des confessions du porc-épic, animal double du nommé Kibandi. L’auteur, Alain Mabanckou nous propose une parodie de cette légende populaire qui donne à chaque humain un correspondant animal. Les missions de ce dernier aux côtés de son maitre sont claires. Il n’est qu’exécutant.

j’appartiens plutôt au groupe des doubles nuisibles, nous sommes les plus agités des doubles, les plus redoutables, les moins répandus aussi, et comme tu peux le deviner la transmission d’un tel double est plus compliqué, plus restreinte, elle s’opère au cours de la dixième année du gamin, encore faut-il parvenir à lui faire avaler le breuvage initiatique appelé mayamvumbi, l’initié le boira régulièrement afin de ressentir l’état d’ivresse qui permet de se dédoubler, de libérer son autre lui-même, un clone boulimique sans cesse en train de courir, de cavaler, d’enjamber les rivières, de se terrer dans le feuillage quand il ne ronfle pas dans la case de l’initié, et moi je me retrouvais au milieu de ces deux êtres, non pas en spectateur puisque, sans moi, l’autre lui-même de mon maitre aurait succombé faute d’assouvir sa gloutonnerie, je peux te confier que si les parents des enfants à qui l’on transmet un double pacifique sont au courant de l’initiation et l’encourage, il n’en est pas de même lorsqu’il y a transmission d’un double nuisible, ici elle s’opère contre le gré du gamin, se déroule à l’insu de sa mère, de ses frères, de ses sœurs, les êtres humains dont nous devenons alors l’incarnation animale ne se laisseront plus habiter par les sentiments comme la pitié, la commisération, le remords, la miséricorde, ils jongleront avec la nuit et, une fois la transmission accomplie, le double nuisible devra quitter le monde animal afin de vivre non loin de l’initié, il remplira sans protester les missions que celui-ci lui confiera, depuis quand a-t-on vu d’ailleurs un double nuisible dédire l’homme de qui il tient son existence, hein, jamais vu de mémoire de porc-épic, et il n’y a pas que les éléphants qui possèdent une mémoire fiable, c’est encore un des préjugés de l’espèce humaine[1]

Il vous a été certainement aisé de constater la parodie orale dans l’écriture de cette histoire. Les phrases de l’auteur ne commencent pas par une lettre majuscule et n’admettent ni point-virgule, ni point. Comme un narrateur, il reprend son souffle a chaque virgule. Il a façonné son style scriptural sur ces voix traditionnelles qui l’habitent depuis sa tendre enfance. Mémoires de porc-épic, propose une autre version de ces nombreux récits relatifs à l’incarnation, mais surtout met en évidence dans une ambivalence de sens le rôle sinon les missions des « anges gardiens » et des « esprits maléfiques » affectés à notre compagnonnage terrestre.

Si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché est couché à ta porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi, domine sur lui. [2]

La personnification du péché ou du mal dans cet extrait biblique rejoint a priori le rôle incarné par ce double nuisible et malicieux, toujours tapis dans l’ombre de son maitre Kibandi aux fins d’exécuter sans murmures ni désapprobation les moindres ébauches du malséant que dessinerait la volonté de ce dernier.

Tout, porte à croire que Mabanckou nous a proposé une légende, comme il nous arrive de penser subrepticement que la Bible n’est pas moins qu’une légende. Et si c’est le cas, d’où vient-il alors que notre conscience soit si présente à nous pour nous éviter de concevoir notre vie comme un long rêve ?

Admettons. Mais si la vie n’est autre que de la matière mieux informée, d’où vient cette information ? Je suis frappé par le fait qu’aujourd’hui encore, nombreux sont les biologistes et les philosophes qui pensent que les premières créatures vivantes sont nées « par hasard » dans les vagues et les ressacs de l’océan primitif, voilà quatre milliards d’années.

Certes, les lois de l’évolution énoncées par Darwin existent et elles font une large part à l’aléatoire ; mais qui a décidé de ces lois ? Par quel « hasard » certains atomes se sont-ils rapprochés pour former les premières molécules d’acides aminés ? Et par quel hasard, toujours, ces molécules se sont-elles assemblées pour conduire à cet édifice effroyablement complexe qu’est l’ADN ? Tout comme le biologiste François Jacob, je pose cette simple question : qui a élaboré les plans de la première molécule d’ADN porteuse du message initial qui va permettre à la première cellule vivante de se reproduire ?

Ces questions _ et une foule d’autres_ restent sans réponse si l’on s’en tient aux seules hypothèses faisant intervenir le hasard ; c’est pourquoi, depuis quelques années, les idées des biologistes ont commencé à changer. Les chercheurs les plus en pointe ne se contentent plus de réciter les lois de Darwin sans réfléchir ; ils bâtissent des théories nouvelles, souvent très surprenantes. Des hypothèses qui s’appuient clairement sur l’intervention d’un principe organisateur, transcendant à la matière.[3]

Si les légendes nous apparaissent comme des hypo-vérités, elles reflètent quand même une large part de conscience qui nous fait dépasser la virtualité de cette perception que nous avons des choses qui vassalisent notre être à une logique d’intemporalité. Mémoires de porc-épic, et dans une commune mesure Alain Mabanckou nous mènent à la source de notre être. La compréhension du noumène rendra certainement plus facile à vivre les phénomènes qui nous échappent. Le porc-épic de Mabanckou a fait son bilan et nous le propose comme un mémoire. Il nous enseigne sans doute la rétrospection mais plus encore Alain Mabanckou nous invite à l’introspection pour savoir qui de notre double pacifique ou de notre double nuisible doit exécuter les choix de notre volonté et de nos dessins les plus intimes. L’écoute de la voix intérieure, la provision de la réflexion et une oreille inclinée vers le bienséant nous aideraient sans doute à suppléer à notre propre impotence spirituelle devant la tentation d’envoyer en mission notre double nuisible. L’auteur lève un coin de voile sur les questions existentialistes de sa culture.

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