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L`événement Précis N° du 24/10/2014

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Echanges « Sous l’Arbre à Palabre » avec le Colonel Marcellin Zannou, Fondateur de l’ISMA au siège de l’Evénement Précis: « L’ISMA est une fierté pour l’Afrique et le Bénin »
Publié le mercredi 5 novembre 2014   |  L`événement Précis




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Il jouit de sa retraite, mais est toujours actif sur d’autres fronts. Au point de susciter l’intérêt de la rubrique atypique et prisée du journal l’événement précis, «sous l’arbre à palabre » dont il est d’ailleurs le 84ème invité . Le Colonel des douanes à la retraite, Marcellin Zannou ne rate pas l’occasion de la rubrique phare de votre journal. « Sous l’Arbre à Palabre », le Président Fondateur de l’Institut des métiers de l’audiovisuel (l’Isma), Colonel Marcellin Zannou, a véritablement livré son cœur à l’occasion de l’entretien. De son parcours professionnel en passant par les bons et mauvais souvenirs qui ont jalonné sa vie, l’invité au parcours exceptionnel, a échangé avec les journalistes sur divers sujets et a partagé avec eux sa vision sur l’homme et sur le comportement attendu chez un citoyen… Tout a été dit par celui qui durant trente ans, a géré à plusieurs postes, les affaires des douanes béninoises avec rigueur, fermeté et méthode. Ce sont d’ailleurs ces mêmes valeurs qu’il dit déployer à la tête de l’Institut des métiers de l’audiovisuel (l’Isma) qu’il a créé, il y a 7 ans, et qui en peu de temps a acquis une notoriété mondiale, avec des prix et autres distinctions à n’en plus finir au point de réjouir son promoteur qui est désormais heureux de constater que l’ISMA est une fierté pour l’Afrique et le Bénin . Côté privé, Marcellin Zannou ne fait pas non plus la langue de bois et proclame avec bonheur et enthousiasme à qui veut l’entendre, qu’il est un polygame heureux.

Et si on en parlait !

Du colonel des Douanes très actif au citoyen ordinaire : comment gérez-vous votre nouvelle vie de retraité?

Avant de répondre à votre question, étant entendu que je me trouve devant des professionnels de la presse, je voudrais saisir l’opportunité pour rendre un hommage mérité à François Mensah qui s’en est allé à son Créateur. Il faut avouer que c’est douloureux, parce que c’était quand même une étoile. Etant entendu que les étoiles sont au ciel, je suppose qu’il est allé là où il devait aller, mais nous avons perdu quand même une star et nous allons souhaiter qu’après lui, Dieu puisse susciter d’autres stars dans la presse béninoise, pour que ce qu’il a su toujours bien faire puisse l’être davantage par d’autres. Ceci étant, je reviens à votre question. De colonel actif à simple citoyen, il faut avouer que dans la vie, chaque chose a son temps. Il y a un temps pour exercer une profession telle que je l’ai fait à la douane. Mais quand je rentrais à la douane en 1984, je savais que j’en avais pour 30 ans, et qu’après je serais appelé à faire valoir mes droits à une retraite. Je me suis préparé en conséquence, parce qu’en réalité, l’homme a deux dimensions. Il y a la dimension matérielle à laquelle vous faites allusion, à savoir douanier, mais il y a pour moi ce qui est plus important, la dimension spirituelle : quelles sont vos relations avec votre Dieu ? Et les relations avec Dieu sont des questions de vie, des questions permanentes. Il n’y a pas de retraite à ce niveau. Et aujourd’hui, j’avoue que je suis dans cette deuxième dimension qui appelle l’homme à agir au profit de ses semblables. Je pense que c’est ce à quoi je me donne le plus maintenant. Il faut avouer que je le fais avec beaucoup de plaisir et de bonheur. Parce que, dans la vie professionnelle, quand on prend la douane, il y a beaucoup de préoccupations à gérer à la fois, ce qui crée autant de plaisir, de stress et parfois la frustration. J’avoue qu’aujourd’hui, je suis totalement libéré de ces plaisirs, ces stress et frustrations. J’en suis libéré et j’avoue que c’est une très belle vie que d’aller à la retraite.



Il y a déjà huit ans que vous avez créé l’Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel (ISMA). Comment se porte aujourd’hui cette grande structure que vous avez réussi à installer ?

L’ISMA se porte aujourd’hui très bien. Et j’en veux pour preuve la consécration internationale que nous avons eue au mois de septembre dernier, où nos étudiants, pour le compte de leurs pays, à savoir la Côte d’Ivoire, le Togo et le Bénin, sont allés à une compétition internationale, CLAP IVOIRE INTERNATIONAL à Abidjan en Côte d’Ivoire, et sur les neuf (09) prix en compétition les quatre (04) étudiants en ont remporté sept (07). Pour moi, il n’y a pas meilleure preuve pour nous confirmer que ce que nous faisons porte déjà de bons fruits. Mais, une chose est qu’on arrive à ce niveau de performance, et pour moi aujourd’hui, un autre défi est de s’y maintenir, et au besoin, d’aller de l’avant. Donc, la situation actuelle de l’ISMA est plutôt reluisante, mais nous ne voulons pas nous contenter de cela, nous voulons aller de l’avant, et je sais que la possibilité existe d’aller de l’avant.

Quel est donc votre secret ?

Il n’y a pas un secret. Ce qui se fait, tout le monde le connaît. Je me suis souvent employé à dire que le succès n’est jamais l’enfant naturel de l’improvisation et de l’inorganisation. Lorsque vous mettez en place une organisation que vous gérez avec rigueur, avec méthode, avec des procédures bien définies, il est rare que vous n’ayez pas le succès. Malheureusement, dans beaucoup d’entreprises en Afrique, on fait de très belles choses, mais il n’y a pas de rigueur dans la gestion, il y a du copinage, du sentimentalisme ; il n’y a pas de procédures pour la gestion des choses, chacun fait ce qu’il veut comme il veut et cela conduit beaucoup d’entreprises à l’échec. Moi je me suis dit que je ne ferai pas cela. J’ai mis en place une organisation. Je n’étais pas personnellement à l’ISMA, parce que j’avais ma profession que j’exerçais, mais j’ai mis en place un manuel de procédures administratives, financières, comptables et pédagogiques. Ce que chacun doit faire à l’ISMA, il le sait ; à qui il doit rendre compte, il le sait ; comment il doit faire ce qu’il a à faire, c’est déjà dans un manuel de procédures, de façon que celui qui est placé à un poste sait ce qu’il doit faire. Et nous avons des méthodes de suivi-évaluation, tout ce qui se fait est régulièrement évalué et nous procédons aux ajustements. Donc, dans cette organisation, nous avons créé les fondements du succès. Deuxièmement, nous avons recherché dans le monde, les compétences avérées qui peuvent en trois (03) ans pour les Licences et en cinq (05) ans pour les Master, apporter quelque chose de bien pour nos apprenants. Cela coûte cher, mais c’est le prix à payer pour le succès. Le luxe a un prix et il faut le payer. C’est ce que nous avons fait. Lorsque nous avons une bonne organisation, des méthodes et des procédures de performances, lorsque l’encadrement pédagogique a la compétence requise, vous avez absolument le succès. Donc, ce n’est pas un secret. Cela s’enseigne dans toutes les écoles. Cela s’enseigne dans la vie, cela s’enseigne dans le management. Donc, voilà un peu ce que nous avons mis en place et qui nous a conduits à ces résultats-là.



Quelles sont les conditions qu’il faut remplir pour étudier à ISMA ?

L’ISMA est une entité d’enseignement supérieur. Nous nous sommes engagés dans le système LMD (Licence, Master, Doctorat). Ce qui fait que pour s’inscrire à l’ISMA, il faut avoir, pour la formation initiale, le baccalauréat. Mais le système LMD a mis en place un dispositif qui permet à qui veut, à tout professionnel qui veut avoir une formation qualifiante d’avoir la possibilité d’aller à l’école. C’est pour cela que le système CAMES a mis en place la validation des acquis d’expériences. Cela veut dire que quelqu’un qui n’a pas le baccalauréat, mais qui est dans la presse, dans les médias, qui n’a que le BEPC et qui a déjà fait 10 ou 15 ans dans la profession, et qui se rend compte qu’aujourd’hui, il faut aller en formation pour s’améliorer, pour avoir beaucoup plus de qualifications professionnelles, lorsqu’il envoie son dossier avec son niveau BEPC et que l’expérience accumulée pendant plusieurs années est certifiée ou confirmée par son employeur, le dossier est étudié et il peut être autorisé à s’inscrire en première année pour faire son cursus. C’est ce qui se fait en Europe, aux Etats-Unis et partout dans le monde et qui permet à des gens relativement âgés de poursuivre leurs études pour s’améliorer, pour être davantage utiles à leur communauté. A l’ISMA également, il y a cette possibilité pour ceux qui n’ont pas le baccalauréat mais qui sont déjà dans les médias. C’est la première condition. Deuxième condition, il y a un test qui se fait, parce que quand on parle, que ce soit de journaliste, de réalisateur ou de technicien, il y a une bonne dose de culture générale. La culture générale est fondamentale. Donc, on fait un test pour jauger l’aptitude de nos candidats à une inscription, pour voir quel est leur niveau en matière de culture générale. Donc, il y a une épreuve de culture générale. Ensuite, il y a ce que nous appelons un entretien de motivation : il veut être journaliste, mais pourquoi veut-il être journaliste ? Est-ce qu’il en a les réflexes ? Donc, on fait un test. Après ce test, ceux qui peuvent fréquenter à l’ISMA sont clairement identifiés et ils s’inscrivent. Ceux qui n’ont pas été retenus, chaque année on en a, ils sont remerciés et nous leur donnons des conseils parce que la formation professionnelle exige des pré requis.

Quelles stratégies mettez-vous en place pour soutenir les jeunes qui désirent suivre les formations de l’ISMA, mais qui ne disposent pas des moyens nécessaires ?

Soutenir c’est possible parce qu’il est difficile d’admettre que certains ont des compétences, des aptitudes, et que des raisons économiques leur imposent la contrainte de ne pas faire ce qu’ils veulent faire. C’est difficile. Nous avons souvent à l’ISMA beaucoup de cas de ce genre. Nous avons mis en place un dispositif, un service social qui étudie ces dossiers. C’est ainsi, par exemple, qu’il y a au Bénin un organisme de solidarité qui est géré par M. Gatien Houngbédji [Haut Commissariat à la Solidarité, Ndlr], qui chaque année recrute des candidats qui n’ont aucun moyen mais qui ont pu avoir le baccalauréat et qui veulent poursuivre dans les métiers du cinéma et de la télévision. Par ce biais, on nous envoie chaque année des étudiants que nous prenons. Il y a également les Fondations qui s’occupent des orphelins qui envoient chaque année des candidats à qui nous accordons des réductions substantielles. Et au niveau de l’école, lorsqu’on se rend compte que quelqu’un n’a pas du tout de moyens mais qu’il veut étudier, on a un système pour l’aider. On a également le cas des mairies qui veulent promouvoir l’excellence et qui nous sollicitent pour accorder des bourses à leurs étudiants.

Aujourd’hui, l’ISMA a fait ses preuves aussi bien ici qu’en Afrique et dans le monde. S’il vous était donné de parler du palmarès de votre école, qu’allez-vous dire ?

Je vais donner le palmarès en quelques chiffres. Je dirais simplement que nous avons commencé notre participation aux les festivals en 2009. De 2009 à 2014, nous avons envoyé 13 films pour les festivals. Et ces 13 films ont rapporté 41 prix. Sur ces 41 prix, quand je prends le festival Clap Ivoire, nous avons remporté trois fois le grand prix Kodjo Eboucle. Donc en six participations, nous avons remporté trois fois le plus prestigieux prix.

Au FESPACO àOuagadougou, nous avons également eu des prix. Au festival international de l’environnement de Paris, nous avons également eu des prix. Au festival Cinéma pour tous, qui a lieu à Tiznit au Maroc, sous l’autorité du roi Mohamed VI nous avons également eu plusieurs prix.

A travers ce palmarès, nous avons eu la consécration et la reconnaissance internationale, ce qui fait que beaucoup de pays nous font confiance et nous envoient leurs étudiants. Nous avons près de 20 pays qui ont leurs étudiants à l’ISMA. Nous avons également les religieux de l’église catholique et des églises évangéliques qui ont envoyé des prêtres et des pasteurs pour une formation à l’ISMA parce que justement on sait que désormais, c’est la communication à travers l’image et le son, qui atteint beaucoup plus les cibles. Et il est fortement question pour les religieux d’assurer la propagation de la foi à travers les ondes. Ce qui fait que nous avons aujourd’hui beaucoup de religieux et religieuses qui sont à l’école pour faire la réalisation, le journalisme et tout ce qui peut concourir à communiquer par l’image et le son.

A l’ISMA vous avez créé en juin dernier une fondation pour booster l’industrie cinématographique. Quel est le fondement de ce concept ?

Oui, à l’Isma nous avons élaboré un deuxième plan quinquennal qui part de 2013 à 2018. C’est dans ce plan que nous avons programmé qu’en 2014, nous allons créer une fondation parce que nous avons déjà sorti de l’école près de 223 journalistes réalisateurs et techniciens qui sont très occupés sur le terrain, sur les télévisions et dans les radios. Nous avons estimé qu’il faut ajouter une corde complémentaire à leur arc, en créant une fondation qui va rechercher et mobiliser des ressources financières pour le financement des projets conçus par nos étudiants ou des projets dans lesquels ils auront un rôle prépondérant à jouer. Donc, dans un premier temps, ce sont des projets conçus par les étudiants diplômés de l’ISMA. Dans un second temps, ce sont des projets conçus par des professionnels avérés même non formés à l’ISMA. Mais, la condition pour bénéficier des ressources de cette fondation, c’est de faire exécuter le projet essentiellement par les techniciens, journalistes professionnels formés à l’ISMA. Donc, si vous concevez un projet, ce peut être vous ici, la fondation vous apporte les ressources financières nécessaires, que ce soit l’apport en industrie ou l’apport en numéraire, pour financer votre projet. Voilà ce en quoi consiste cette fondation.

Après avoir obtenu une subvention de la fondation, vous en devenez membre. Et un membre ayant bénéficié du soutien ou de la subvention de la fondation est appelé à y cotiser chaque année, mais une cotisation spéciale, c’est-à-dire lorsque vous avez réalisé, sur subvention de la fondation, une œuvre qui va à un festival, sur ce que vous gagnez en numéraire, vous devez verser 20% à la fondation. Deuxièmement, si votre œuvre est commercialisée, vous allez également verser 20% à la fondation pour lui permettre de continuer à financer d’autres projets aux côtés de nos sponsors traditionnels qui nous apportent les financements nécessaires.

Déjà, trois mois de vie de cette fondation, est-ce que vous pouvez nous faire aujourd’hui un petit bilan ?

Oui, en trois mois d’existence, nous avons passé le peu de temps à nous formaliser, à avoir notre déclaration d’existence, à avoir notre déclaration au journal officiel. Nous en avons ensuite fait le lancement officiel le 26 juillet 2014. Et à partir du premier Octobre, nous avons lancé le premier appel à projet, copie sera également envoyée à nos partenaires de la presse écrite, dont vous, afin de faire une large diffusion de cet appel à projet dont la date de clôture est prévue pour le 20 octobre 2014. Après cela, nous allons mettre en place deux comités de lecture, un pour le cinéma et un autre pour l’audiovisuel. Il y aura dans ces comités de lecture des professionnels béninois, nos sponsors seront représentés, nos partenaires seront également représentés pour sélectionner les meilleurs projets. Et lorsque ces projets auraient été sélectionnés, la fondation qui dispose déjà des fonds, va financer leur réalisation.

A la création de l’ISMA, nous avons eu la chance de tomber sur quelques bribes de projet initial qui est une vaste ambition. Déclinez-nous un peu la philosophie qui sous-tend l’Isma

Qu’il vous souvienne que dans les années 1960, la France a aidé les pays africains à développer leur cinéma. Et à l’époque je voudrais vous rappeler que le premier cinéaste en Afrique au sud du Sahara, est un Béninois. C’est Paulin Soumanou Vieyra, le frère de Mme Rosine Vieyra Soglo. C’est lui qui a réalisé le premier film en Afrique au sud du Sahara. Ce film s’appelle « Afrique sur scène ». Mais, il s’est installé au Sénégal et c’est lui qui a développé le cinéma au Sénégal. Dans cette période, il y a Ousmane Sembène qui a réalisé « La Noire de …. ». Après, nous avons eu au Burkina Faso Mamadou Djim Kola qui a réalisé « Le sang des parias ». Au Bénin ici, nous avons notre compatriote Pascal Abikanlou qui a réalisé « Sous le signe du vodoun ». Après cette première génération de cinéastes africains, on s’est rendu compte que le cinéma africain n’a pas connu la promotion souhaitée. Il n’y a pas eu la relève au point où certains pays produisent aujourd’hui moins d’un film par an. Ce qui est une aberration. Alors, si on considère que le cinéma est une manière élégante de communiquer aux populations les comportements souhaitables qui concourent au développement, au bien-être, à l’hygiène et à tout ce qui est utile pour le développement de nos pays, il va de soi qu’on n’aurait dû jamais laisser tomber le cinéma. La preuve aujourd’hui est que vous voyez comment nos écrans sont inondés des films qui nous viennent d’ailleurs. Vous vous rendez compte de comment les gens sont attachés à aller suivre les séries les soirs. Vous voyez l’engouement que cela provoque. Mais quand cela se passe de cette manière, il y a un danger. Vous voyez des films dans lesquels la belle fille gifle sa belle-mère, ce qui est inadmissible dans la culture africaine. Si je prends l’habillement, vous voyez comment nos jeunes s’habillent aujourd’hui avec des pantalons qui sont d’une certaine dimension et qui tombent des fesses : C’est comme ça que les homosexuels et les prisonniers s’habillent dans un pays développé que je me garde de nommer. C’est devenu une mode pour notre jeunesse. Alors que chaque peuple a besoin de s’affirmer. On ne peut s’affirmer qu’à travers sa culture. Il n’y a aucun développement sans la culture. Si la Chine s’est développée aujourd’hui, elle a tiré le ressort de son développement de sa culture. Vous voyez comment ils inondent le monde aujourd’hui, c’est grâce à leur culture qu’ils s’imposent. Nous avons aussi besoin de nous affirmer. Mais nous devons le faire à travers quoi ? Notre culture. Il n’y a que la communication par l’image et le son pour le faire. Mais l’image et le son sont des questions de normes. On ne met pas une caméra à l’épaule pour filmer ce qu’on veut pour prétendre qu’on a fait un film. Et les normes s’enseignent à l’école.

D’un autre côté, il faut avouer que lorsqu’on est à l’extérieur, on a soif des images d’Afrique. Malheureusement, si jamais il y a une image de l’Afrique qui est projetée sur un écran en Europe, c’est soit un coup d’Etat, ou un président qui a été corrompu, ou la famine qui sévit en Afrique où vous voyez des enfants maigrichons, plus morts que vivants, le ventre bien ballonné, et vous voyez la Croix Rouge qui distribue du lait avec des traces de lait autour des lèvres puis de grosses mouches vertes qui sucent le lait séché aux lèvres des enfants. Voilà l’image qu’on donne de l’Afrique. Ou, comme c’est la mode maintenant, c’est Ebola qui tue en Afrique, voilà les images qu’on montre de l’Afrique.

Mais quand on montre notre continent, voilà le schéma qu’on en donne. Cela frustre. Il faut être là-bas pour vivre ces choses. Mais mon continent n’est pas un continent où il y a tout le temps la guerre et la famine ! Il y a aussi de bonnes choses qui se passent en Afrique. A travers la télévision, on connait parfaitement l’histoire et la géographie de la France et d’autres pays développés. Nous apprenons ces choses à l’école. Mais ceux des pays développés ne connaissent ni notre histoire ni notre géographie, au point où quand une fois là-bas vous dites que vous êtes du Bénin, ils se demandent si le Bénin est le Zaïre, le Nigéria ou autres. Voilà les pays qu’ils connaissent là-bas. Quand tu dis que tu es du Bénin, ils vont t’appeler le nom de quelqu’un qui est peut-être à Johannesburg pour savoir si tu le connais. Donc, ils ne savent pas où se situe le Bénin. Ce sont des choses qui vous frustrent. Mais le tort nous revient parce que nous n’avons pas assez ou pas du tout communiqué sur notre pays ou notre continent.

C’est dans ces conditions que vous avez décidé d’inverser la tendance ?

Ce qui m’a le plus déterminé, c’était lors des mouvements de démocratisation consécutifs à l’effondrement du mur de Berlin. Les reportages relatifs à ces mouvements par la presse internationale montraient que le peuple bosniaque est un peuple barbare qui tuait sans discernement les hommes de l’ancien système. Les Bosniaques ont décidé d’assurer par eux même, la médiatisation des évènements liés au mouvement de démocratisation et d’en livrer les reportages aux organes de presse étrangers.

Alors, le même événement qui donnait une impression de barbarie lorsqu’il est traité par la presse internationale, donne une impression d’acte de nationalisme lorsqu’il est traité par la presse nationale. Lorsque vous laissez d’autres assurer le rôle de fournisseur de votre propre information, ils manipulent les images et en donnent, en vos lieu et place, leurs orientations et leurs interprétations, ce qui est souvent contraire à la réalité.

Au Bénin, lorsque le président Soglo a créé la fête des religions endogènes, les reporters de la presse internationale arrivent très nombreux chez nous pour prendre les images et en faire des reportages. Mais, savez-vous ce qui se montre ensuite? On ne montre pas la femme qui danse avec souplesse et habileté ni les rythmes des tams-tams, mais on montre plutôt comment un bœuf est terrassé, comment on l’égorge avec le sang qui gicle pendant que le boucher est insensible aux derniers soupirs de l’animal agonisant : c’est l’image qui est donnée de la religion endogène ici au Bénin.

Il faut inverser la tendance et comme l’a dit Wolé Soyinka, « le tigre ne proclame pas sa tigritude mais vit et bondit ».

N’y a-t-il pas aussi des raisons liées à la demande qui expliquent aussi la création de l’ISMA ?

J’ai remarqué qu’en Afrique, nous passons tout le temps à critiquer, à dénoncer mais sur le terrain de l’action, nous sommes totalement absents. Nous avons la capacité et la compétence pour critiquer et démolir avec le verbe mais sur le terrain de l’action, nous sommes totalement absents. Si je me suis laissé frustrer par ce que je vois, que faut-il faire pour inverser la tendance.

Il faut faire produire les informations de l’Afrique par les africains. Pour le faire, l’image et le son étant des questions de norme, il faut former des gens dans ce sens. Si nous voulons inverser la tendance et faire occuper à notre culture sa place de choix sur l’échiquier mondial, il faut former des techniciens. C’est là que l’idée de créer l’ISMA a germé et j’ai dit qu’il faut aller le plus loin possible. J’ai pris contact avec la Continental Bank, aujourd’hui UBA, qui m’a appuyé.

Pour les programmes et la pédagogie, j’ai décidé de nouer des partenariats avec les écoles étrangères qui ont déjà une solide tradition en la matière.

Comment avez-vous procédé ?

J’ai eu une idée précise de l’école : je veux former sur le même campus tous ceux qui concourent à la production de l’image et du son : les techniciens, les journalistes et les réalisateurs. Alors je suis allé sur Internet et j’ai vu une école appelée EICAR (Ecole Internationale de Création audiovisuelle et de réalisation) à Paris en France.

Je me suis rendu en 2006 à Paris pour aller dans l’école et j’ai eu la chance qu’il y avait un Béninois du nom de Babylas Boton qui a fait cette école. Je lui ai demandé de m’emmener dans l’école où j’ai rencontré la directrice, Mme Christina REID, une américaine à qui j’ai expliqué que je veux créer une école comme la leur au Bénin. Ils ne croyaient pas à ce que je disais mais, je leur ai confirmé que je voulais créer vraiment une école. Je leur ai confirmé mon intention d’aller en partenariat avec l’EICAR, ce qu’ils ont accepté. Monsieur Alain Dejean a été envoyé en mission à Cotonou pour étudier la qualité de la télévision, la nécessité d’une formation de ce type au Bénin en particulier et en Afrique en général, etc. Le rapport de cette mission en est arrivé à la conclusion que la demande de formation était très forte et le 28 avril 2006, nous avons signé la convention de partenariat.

En ce moment, j’étais déjà allé voir une structure qui s’appelait la SAV en France. C’est elle qui m’a fait le plan de l’ISMA.

Nous avons construit une école de cinéma et de télévision avec des studios et tout le dispositif d’accompagnement pédagogique.

Tout ce qu’il faut pour tourner un film est déjà construit dans le plan. On a commencé comme ça en 2006 et progressivement, nous avons fait notre petit bonhomme de chemin et je pense plutôt que j’ai eu raison d’avoir créé l’ISMA

Etes-vous arrivé à réaliser 100% des objectifs initiaux ?

Vous voyez, il faut toujours viser loin. J’avais au départ un objectif. Je voulais que les films béninois et africains soient diffusés sur les chaines internationales de télévision pour que le cinéma africain occupe sa place sur l’échiquier international afin que la culture et le mode de vie des Africains connaissent la même promotion que les cultures asiatique, européenne et américaine. Et pour cet objectif, je suis comblé parce que sur Canal +, TV5 et d’autres chaînes de télévision européenne, nos films sont diffusés. «Rencontres virtuelles » passe très souvent sur Canal + Horizon et TV5, « Nanas Benz, les reines du textiles » passe aussi. De ce point de vue, notre culture est exportée et peut être appréciée par d’autres. Il y a eu également un documentaire sur la santé qu’on appelle « L’ulcère de Burili » que l’étudiante Estelle Akplogan a réalisé.

Le prochain objectif est d’inonder ces pays-là avec nos films qui reflètent nos réalités culturelles.

Pourquoi pas le Bénin ?

Inonder le Bénin est une réalité. Aujourd’hui, nous avons dans notre base de données plus de 250 films réalisés par les étudiants de l’ISMA. Ce sont des reportages, des documentaires et des fictions déjà réalisés. En 2009, j’ai eu un partenariat avec Canal 3 Bénin qui a diffusé nos films pendant quelques mois. Nous avons encore noué un partenariat maintenant. La deuxième phase consistera à ce qu’il soit connecté à notre base de données pour diffuser nos films.

J’ai également envoyé un projet de convention à l’ORTB pour la diffusion de nos films. J’ai bon espoir que ce projet aboutira le plus rapidement possible.

Nous avons également un partenariat avec LCF au Togo qui est la première chaine sur satellite du Togo. Là également, nos films sont diffusés et c’est bien parce que c’est vu par le monde entier.

Parlez-nous de la formation théorique et pratique à l’ISMA

Nous avons adopté un système qui conduit à un diplôme professionnel. Dans nos curricula, c’est le binôme 30-70, à savoir 30% pour la théorie et les notions basiques qui permettent d’appréhender la réalité pratique et nous avons 70% de pratique. C’est cela notre système parce qu’au commencement était le verbe. Parce que le verbe, c’est la théorie et c’est la théorie qui génère la pratique et de la pratique, on tire des éléments pour enrichir la théorie. Nous sommes dans cette dynamique-là. Ce n’est pas comme dans des écoles où on vous juge uniquement sur la base d’un devoir écrit parce que si on a ce système-là, nous avons des personnes qui sont très fortes dans la tête mais médiocres en pratique, des gens qui sont prêts à vous réciter les théories mais qui ne sont pas prêts à vous faire un petit film. On n’en veut pas. Nous voulons former des professionnels qui ont une maitrise de la théorie et qui dans la pratique, seront imbattables. C’est ce qui a fait le succès de l’ISMA. Aujourd’hui, tous les professionnels formés à l’ISMA qui sont sur le marché de l’emploi sont recrutés par les télévisions, et aussi à l’extérieur. Donc, voilà un peu le premier paramètre à savoir 30-70.

Mais, dans le cursus, chaque étudiant doit faire un projet professionnel de synthèse. A la fin de la deuxième année, vous devez faire un film ou un documentaire de votre filière où on voit comment vous avez pu faire la synthèse des connaissances acquises pour y accéder. En troisième année, les étudiants produisent également un documentaire ou une fiction et soutiennent un mémoire qui va contribuer à enrichir le domaine spécifique où ils ont choisi d’exercer leur carrière.

Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées ?

J’ai ma philosophie des choses. Et lorsque je me rends compte qu’une difficulté se crée, je rends grâce à Dieu, parce que depuis 2006, toutes les difficultés ont été, pour moi, des opportunités pour aller de l’avant. Et je dis que, par la force des choses, Dieu a toujours su transformer les difficultés en opportunités pour moi. Et à la fin de chaque difficulté, l’ISMA sort toujours vainqueur. Vous savez que les matériels en audiovisuel coûtent très cher. Lorsqu’on donne nos coûts de formation ici au Bénin comparativement à ce qui se paie simplement en Afrique du Sud où j’étais, à Johannesburg, pour une conférence du 15 au 17 septembre dernier, ils disent que ce n’est pas possible que l’école résiste pendant deux ans. Mais pourtant nous sommes là. Justement face à ces difficultés, il y a des sponsors qui surgissent. Des gens qui voient que ce que nous faisons est très important et nous viennent en aide. Ils nous appuient et j’avoue que cela est déterminant et nous permet d’aller de l’avant avec beaucoup plus de sérénité.

Une délégation de l’ISMA est invitée au grand congrès des écoles et universités du cinéma et de la télévision qui se tient en ce début d’octobre à Los Angeles aux Etats-Unis. Quelle est la contribution de votre structure à ce grand rendez-vous ?

Los Angeles, nous y allons pour le congrès du CILECT. Je vais vous parler du CILECT en quelques chiffres. Le CILECT, c’est 160 grandes écoles et universités venant de 60 pays du monde entier. C’est 9.000 enseignants, 55.000 étudiants en formation initiale, et 1.330.000 anciens étudiants qui ont déjà fini et qui apportent leurs contributions à l’accompagnement du CILECT. 65% des meilleures productions au monde ont été réalisées par des professionnels qui ont fait des écoles du CILECT. C’est un puissant réseau qui a été créé en 1955 à l’occasion du festival de Cannes et qui aujourd’hui cultive la célébrité. C’est pour cela qu’il s’est réparti en région et nous appartenons à la région africaine. Dans la région africaine, il n’y a que sept écoles qui appartiennent à ce réseau-là. Il y en a une au Bénin, une en Egypte, une au Ghana et les quatre autres sont en Afrique du Sud. Les sept écoles de l’Afrique se sont réunies à Johannesburg pour préparer le congrès de Los Angeles. Au CILECT, nous avons beaucoup de possibilités. Nous rencontrons beaucoup de fondations qui veulent investir dans le cinéma. Je voudrais vous rappeler que lorsque nous étions au congrès de Cape-Town, du 1erau 05 mai 2012, nous avons pu entamer un partenariat avec une fondation espagnole qu’on appelle Mujerespor Africa qui assure la promotion des femmes. Lorsque les femmes sont dans une école de cinéma, et qu’elles n’ont pas les moyens, la fondation peut financer leurs études. Lorsque les femmes finissent et veulent réaliser un film ou un documentaire, et en assurer la promotion, la fondation peut apporter les subventions. Lorsqu’un homme a conçu et réalisé un film qui assure la promotion de la femme, la fondation finance.

Donc, nous voulons rencontrer ces genres de fondations au congrès.

Il y a aussi beaucoup d’enseignants qualifiés de ce réseau dont nous négocierons l’arrivée à l’ISMA et le CILECTva financer leur mission.

Le CILECT nous assure également la formation des formateurs à travers des workshops, c’est-à-dire des séminaires-ateliers où les enseignants se regroupent pour échanger sur les outils et moyens pour être plus performants dans leur secteur.

Il y a aussi les projets communs d’étudiants. On peut dire que ceux de l’ISMA avec ceux d’une école de la Norvège, ou ceux d’une école américaine peuvent concevoir ensemble un projet qui sera réalisé dans les trois pays sur financement du CILECT.

C’est immense. Lorsqu’une école a des principes de gestion, des méthodes et des procédures avérées, que le CILECT accepte que l’école adhère à ce réseau international, il y a de nombreux avantages. A l’occasion de la conférence à Johannesburg, les écoles africaines ont déjà arrêté des projets pour nos écoles et nous allons à Los Angeles pour les présenter au CILECT.

Comment se porte l’Eglise du Christianisme céleste du Bénin aujourd’hui ?

L’Eglise du Christianisme céleste est une église de Dieu et toute œuvre de Dieu ne peut que bien se porter. Donc, l’église se porte très bien.



Que dire de Marcelin Zannou et le monde politique ?

Je ferai une observation qui me parait capitale. Je me rends compte que les médias accompagnent beaucoup les politiciens au point où aujourd’hui, les politiciens ont pris le devant des choses. Ce qui nuit gravement à notre pays. Il faut comprendre que n’est pas politicien qui veut. La politique a ses normes. Mais ceux qui n’ont pas été formés à ces normes, nous conduisent dans des situations où les valeurs sociales désertent le forum.

Vous voyez, par exemple, comment les politiciens s’insultent à la télévision. Des propos outrageants et diffamatoires sont tenus à l’égard de personnalités qui sont à respecter dans une République pour ne citer que ce cas-là. En politique, au Bénin, le franc jeu, c’est la trahison. C’est pourquoi, après les élections législatives de 2007 où j’ai été élu député FCBE de Cotonou, j’ai renoncé à mon mandat parce que j’ai eu l’opportunité de côtoyer les politiciens et de découvrir exactement ce qu’est la politique. Moi, j’ai constaté que la politique telle que cela se pratique au Bénin, c’est l’art d’être convaincu de quelque chose et d’en dire ou d’en faire exactement le contraire. Conçue comme cela, la politique n’est pas un idéal pour moi chrétien. C’est pour cela que, officiellement, que je me suis retiré définitivement de la chose politique, et là, je suis sincère. Simplement parce que je ne supporte pas qu’on voit la réalité, mais pour des intérêts inavoués, qu’on procède à des dramatisations calculées dans la perspective d’avoir accès à un poste, soit un poste ministériel ou de direction. On peut renverser quelqu’un pour prendre son fauteuil. Et cela devient le travail quotidien des Béninois. C’est ce qui a fait l’échec de notre développement au Bénin. J’aurais souhaité que vous qui êtes des professionnels des médias, que vous travailliez à nous sortir des exemples de réussite, peut-être sur le plan économique ou sur le plan social. Faites leur promotion et celava accrocher d’autres. Ce qui se passe aujourd’hui avec la politique est un drame pour le pays.

Vous êtes pourtant un membre fondateur des FCBE. Que s’est-il passé ?

Oui en 2007, j’ai fait une incursion dans la politique. D’abord, je vous dirai que FCBE, qui est créé en son temps est parti de CBE (Convention pour un Bénin Emergent) qui a été un regroupement de partis et de forces politiques que j’ai initié, pour accompagner le président Boni Yayi avec qui j’ai des relations d’amitié qui datent de très longtemps. Lorsque les élections législatives s’annonçaient, je me suis dit qu’il ne fallait pas aller en rangs dispersés. Et c’est dans la salle de Conférences de l’ISMA que nous avons fait les concertations qui ont conduit à créer CBE. Maintenant, comme il y a d’autres forces qui concouraient également, on s’est entendu pour aller créer un seul groupe. C’est comme cela que nous avons créé FCBE. Donc ils sont partis de notre sigle pour créer FCBE. Nous étions, à l’époque, avec Mme Vicentia Boco, Edgar Alia et bien d’autres ténors de la politique béninoise.

Mais dès que nous avons fini avec les élections législatives, j’ai tiré beaucoup de leçons à travers les tractations, les coups-bas où des gens qui n’avaient joué aucun rôle deviennent subitement des courtisans bavards. J’ai compris par là ce que c’est que la politique, j’y ai renoncé.

C’est pourquoi, depuis 2007, vous ne m’avez plus jamais vu dans les meetings, les marches et les mouvements politiques en salle ou dans les rues. Je préfère m’investir dans d’autres secteurs qui sont directement plus utiles pour mon pays, à sa jeunesse et à mon continent l’Afrique. En réalité, le président Boni Yayi a été élu président parce que la situation sociale de l‘époque était très tendue et le peuple ne faisait plus confiance aux politiciens. Tout s’achetait et se vendait, y compris les consciences. Il faut inverser la tendance. C’est comme ça que nous avons vu en Boni Yayi quelqu’un qui incarne le changement souhaité par le peuple et j’ai décidé de l’accompagner. C’est là que le mot « changement » est sorti. Donc, j’ai participé à cela. Mais depuis 2007, j’ai renoncé à faire la politique.

Quel est donc votre bord aujourd’hui, mouvance ou opposition ?

Je vous dirai que l’environnement politique n’étant pas le mien, il est évident que je ne saurais me retrouver ni dans la mouvance ni dans l’opposition. Dans le schéma politique, il y a la mouvance, l’opposition et ceux qui cherchent la moindre opportunité pour sauter à gauche ou à droite. Je ne suis dans aucun camp. Le camp que j’ai choisi est celui de tous ceux qui peuvent apporter une lumière au peuple afin qu’il trouve un chemin. Et je crois que par l’ISMA, j’ai apporté une lumière au Bénin et à l’Afrique si bien que beaucoup de jeunes se sont identifiés et réussissent aujourd’hui avec beaucoup de bonheur. Oui, parce que, par l’ISMA, l’Afrique aura de nouveaux talents dans le cinéma et en journalisme. Si vous allez aujourd’hui à Africa 24 à Paris, 55% des JRI ont été formé à l’ISMA. A Canal 3 Bénin, à GolfeTV, à LC2, beaucoup ont pris par là, et je veux nommer, par exemple, Christian Adandédjan, Laurence Ngandou, Hanniath Bello, Jerôme Houngbo, Emmanuel Sèbo, et bien d’autres. A l’ORTB également, je peux citer plusieurs anciens, à savoir, Marc Tchanou, Francis Zossou, Abiath Oumarou, Jemima Catraye, Loukiath Dangou-ZATO et bien d’autres qui sont tous venus à l’ISMA pour densifier leurs qualifications puisque c’est un métier où on ne va pas à la retraite tant qu’on a encore quelque chose dans la cervelle. Donc, j’ai créé une lumière qui a éclairé un chemin et ils ont tous découvert qu’ils peuvent aller par cette lumière-là. Je suis de ce parti et je préfère rester là. Et je vous invite à m’accompagner en m’évitant d’aborder les questions politiques, parce que cela détruit. Cela crée des clivages, des frustrations et notre pays est devenu une marmite sociale qui peut exploser à tout moment parce qu’on donne trop la parole aux politiciens qui attisent le feu, soufflent sur les braises mal éteintes qui peuvent faire exploser à tout moment.



Si on vous nommait ministre des finances ou de la communication. Vous déclinerez l’offre ?



Pourquoi voulez vous que je sois ministre. Je n’ai pas besoin d’être ministre avant de faire ce que j’ai fait à la douane et qui est incontestable. Allez voir ce que j’ai fait au port, à l’aéroport, à la Brigade mobile, à la Direction. J’ai marqué mon passage. Je suis fier de l’avoir fait. J’ai été le rapporteur du comité de pilotage des réformes douanières du PRCC. Je n’ai pas besoin d’être ministre parce que je ne veux pas jouer à l’hypocrisie de célébrité. Quand vous devenez ministre, à peine vous vous installez qu’un autre commence par convoiter votre siège et par le secouer. Et là, vous passez tout le temps à lutter pour conserver ce fauteuil au lieu de contribuer au développement de votre pays, vous vous exilez involontairement ou volontairement de vos amis, vous vous faites des ennemis, vous perdez votre liberté. C’est cela, les réalités politiques du Bénin. Dieu a fait de moi ce qu’il veut et cela me suffit largement.

Des réformes et pourtant, les douaniers se plaignent toujours?

Le douanier est un soldat du fisc et à ce titre, l’Etat ou le législateur a tout fait pour le mettre à l’abri de la tentation. Si je vous énumère les primes, indemnités et avantages que nous obtenons à la douane, si vous avez un enfant qui est douanier, vous allez commencer par lui en vouloir. Mais, il n’en demeure pas moins qu’à côté de ceux qui font ce travail avec rigueur, abnégation et une bonne dose de morale, il y en a d’autres qui aiment flirter avec les mauvaises manières de servir, qui adoptent des comportements contraires à l’éthique et aux bonnes mœurs.

Cela voudra-t-il dire que le douanier est à l’abri de la corruption ?

Il y en a qui peuvent travailler correctement parce qu’ils ont été mis à l’abri de la tentation. Il y en a qui travaillent honnêtement, ils sont nombreux à la douane et on ne les connaît pas toujours. Mais il y en a de l’autre côté qui ont du plaisir à jouer dans la corruption.

Malheureusement, au Bénin, tous ceux qui emploient le mot corruption n’en connaissent pas la définition. C’est pour cela que nous souffrons jusqu’à aujourd’hui. La corruption a un contenu et quand on ne le connait pas on combat tout sauf la corruption. Au Bénin, c’est quoi ? Je vais vous donner une image de la façon dont nous luttons contre la corruption au Bénin. Imaginez un arbre qui porte des fleurs et qu’il y a déjà des prémices qui annoncent qu’il y aura beaucoup de fruits, et que subitement, on se rend compte que les feuilles sont envahies par les chenilles farineuses qui les noircissent, vous constatez que les feuilles sont noires et que la belle récolte est compromise. Ceux qui sont chargés de lutter contre le fléau montent dans l’arbre et coupent toutes les feuilles noircies prétendant ainsi avoir éradiqué le mal. Mais les feuilles repoussent quelques mois plus tard et les chenilles reviennent encore avec une plus grande densité. C’est cela, la lutte contre la corruption telle qu’elle se passe au Bénin. Il est utile de considérer que la corruption représente pour la société ce que le microbe représente pour l’organisme. Les professionnels de la santé vous diront que vous ne verrez aucun organisme sain sans microbe. Donc, la corruption existera toujours dans nos sociétés, c’est pourquoi ceux qui tiennent des discours selon lesquels ils vont éradiquer la corruption, ne connaissent pas ce qu’ils prétendent vouloir éradiquer. Ils se trompent de cible et la lutte échoue lamentablement pendant que la corruption se développe.

Alors, pour créer un environnement défavorable à la corruption, il faut aller à la base. La base, ce sont les salaires que les fonctionnaires gagnent. La faiblesse des salaires constitue la première cause de la corruption au Bénin. Prenez le salaire que les travailleurs gagnent et prenez le mode de vie du Béninois : il doit louer une maison, donner à manger à sa famille et quand il devient fonctionnaire, les parents lui confient un neveu ou une nièce dont il doit assurer les charges de subsistance et de scolarisation. Chaque weekend, il y a des décès, anniversaires, mariages, baptêmes et autres. Il faut de l’argent. Si tu ne contribues pas aux dépenses, dans la culture africaine, tu es mal perçu. De sorte qu’il y a une forte pression qui s’exerce sur les maigres salaires au point où la seule issue que les travailleurs trouvent, c’est de mettre la main dans les caisses qui ne leur appartiennent pas ou se servir de leur position pour s’abstenir d’exercer un pouvoir de contrôle contre ou non gratification. C’est la corruption. Donc, c’est l’insuffisance et le niveau des salaires qui en sont les premières causes. Les travailleurs, comme on le dit en fon, ne vont pas nouer le pagne au cou pour aller au service. Ils vont s’habiller. Tu dois bien t’habiller pour aller au service et il faut de l’argent pour cela. Si vous voulez lutter contre la corruption, il faut commencer par agir sur les salaires afin que chacun ait un niveau décent de vie. Qu’il y ait ce qu’on appelle une indexation des salaires sur le coût de la vie. Mais si le salaire a été indexé sur le coût du maïs, du poisson de la tomate ou autres, il faut qu’il évolue dans la même fourchette. C’est la meilleure politique pour lutter contre la corruption. Du point de vue des autres facteurs, il faut penser globalement et agir localement. Qu’est-ce qui fait qu’il y a corruption à la douane ? On pense local et on trouve la solution au phénomène de la corruption à la douane. Dans le secteur des marchés publics, aux services des impôts et partout où le phénomène se développe, nous devons rechercher les solutions propres à chaque secteur. Si on prend le secteur de la douane, on dit qu’il faut informatiser pourqu’il n’y ait plus de contact avec les usagers. Cela a été fait et a fait reculer la corruption à la douane cependant la lutte contre la corruption est une lutte permanente. Vous voyez, on a créé un organe qui peut lutter contre la corruption. Le moment venu, nous allons apprécier. On a vu dans ce pays Anne Cica Adjaï, elle a été le chantre de la lutte contre cette corruption, elle a fait beaucoup de choses courageuses qui auraient pu faire reculer la corruption. Est-ce que le phénomène a reculé ? Chaque année, on reprend avec la même litanie mais le problème demeure. Donc, il faut trouver des solutions et les solutions commencent par les salaires.

Les recettes douanières ont drastiquement baissé en 2014

Vous dites que je suis un douanier à la retraite et c’est vrai. A la retraite, on demeure douanier. « Douanier un jour, douanier toujours », comme le DG des Douanes nous dit à l’occasion de la cérémonie d’hommage qui nous a été rendu pour notre départ à la retraite. Je suis dans la douleur et je l’ai exprimé au directeur général. J’ai pu échanger avec lui par rapport à nos expériences de terrain pour voir par quels voies et moyens, par quelle méthode, quelle forme de communication interne on peut mettre en marche maintenant pour faire remonter les 21 milliards avant la fin de l’année. Je partage ses douleurs et j’avoue que je suis très mal à l’aise, je ne le cache pas. J’ai pu appeler le directeur général pour lui dire d’agir sur certains cadres à divers niveaux. J’ai apporté comme d’habitude ma contribution. Je ne veux pas faire une appréciation sur les causes parce que je ne suis pas là aujourd’hui pour cela.

Mais, on dit qu’il y a beaucoup trop d’exonérations…

L’Etat, pour apporter sa contrepartie à un projet, accorde des exonérations et ce sont des hommes qui gèrent ces exonérations-là. Ce sont les hommes qui en sont bénéficiaires. Vous avez appris ici en son temps quand on faisait la CEN-SAD, ce qui est sorti comme exonération. Certains auraient construit des villas partout dans le Bénin. Ce sont là les avatars, ce sont les errements qu’il faut contrôler maintenant.

Que faut-il faire concrètement ?

D’abord, il faut réduire comme les collègues l’ont dit, les exonérations et mettre en place un mécanisme pour mieux contrôler la destination des produits exonérés. Cela fait appel à beaucoup de choses : qui sont ceux qui bénéficient de ces exonérations ? Quelles sont leurs influences sur les uns et les autres ? Il y a beaucoup de facteurs qu’il faut maîtriser et les choses pourront aller mieux.

Et s’il vous était donné de conclure ?

Je vous remercie parce que vous m’avez offert l’opportunité de me prononcer sur mes convictions. Vous savez, si je n’étais pas avec vous ici, je serais peut-être à l’ISMA avec les étudiants. Vous m’avez invité ici pour me faire évader. C’est tant mieux pour ma santé. Donc, je vous remercie pour m’avoir donné l’opportunité de soigner ma santé. Deuxièmement, vous m’avez permis de vous donner des éléments qui vous permettront de mieux me connaitre, parce qu’on dit que la créature révèle le créateur. Il y a peut-être ceux qui me connaissent vaguement et ne savent pas de quoi je nourris mon moral et mes sentiments. Nous avons parlé à cœur ouvert et ce que j’ai créé ici maintenant permet de me révéler à beaucoup d’entre vous qui d’ici, me connaitront mieux. J’en suis plus heureux parce que comme l’a dit Seydou Badian dans Sous l’orage, « la meilleure des relations est celle qui mène l’homme vers les hommes ». Si je dois ajouter quelque chose, c’est de vous inviter à gérer votre vie individuelle et professionnelle avec beaucoup de rigueur et de méthode. Mettez-vous dans un état d’esprit de rigueur et vous réussirez dans la vie.

Carte d’identité

Trente années de douane

Marcellin Zannou est né le 6 mars 1959 à Porto Novo. Maternelle et primaire dans la même ville, puis à Dassa où il fait son CEP et le BEPC. Après la seconde, il retourne à Porto-Novo au Lycée Béhanzin où il décroche son baccalauréat, série D en 1979. Il passe ensuite par Bassila où le conduit en 1980 la mission d’enseignement. Une fois à l’université, il s’inscrit à l’Institut national des sciences juridiques et administratives, option Douane. Le 6 avril 1984, il fait son entrée à la douane béninoise qu’il quitte le 30 juin 2014, pour faire valoir ses droits à une pension de retraite. Ce sont trente années de service au cours desquelles on l’aura vu sur plusieurs fronts. Port de Cotonou, Brigade mobile de l’Atlantique et du Littoral, Direction de la lutte contre la fraude, Direction de la gestion des ressources, ce sont quelques-uns des postes de responsabilité qu’il a occupés durant sa carrière. Bien sûr, on aura retenu qu’il fut pendant longtemps le porte-parole de la Douane béninoise, poste qu’il a quitté volontairement en 2012 après quinze années pour préparer la relève. Ses plus grandes joies, ce sont les réformes auxquelles le colonel a participées. «Nous avons cousu, détaillé et disséqué ce qu’il faut faire. Ce qui veut dire que si n’importe qui vient à la douane, ce qu’on doit avoir en matière de réforme jusqu’en 2020 est déjà établi », rappelle-t-il. Mais, il y eut aussi des douleurs dont la plus vive est certainement celle qu’il connut en septembre 2007 lorsque le colonel a été brutalement révoqué de son poste de chef brigade port. Pour avoir participé activement aux réformes douanières, il a, en effet, été affecté au port en tant que chef Brigade. Une fois en poste le 18 août 2006, Marcellin Zannou met en place les réformes qui ont été conçues par le Comité dont il était le rapporteur. « Comme je connaissais les systèmes de fraude, j’ai verrouillé tous les robinets d’où la fraude pouvait couler, confie-t-il. Il y a eu des pressions, mais je n’ai pas cédé par acquis de conscience, par ma foi. » Il rappelle alors les statistiques. A partir d’août 2006 et jusqu’en septembre 2007 où il quittait le port, la douane faisait un excédant mensuel de 4,5 à 6 milliards de FCFA. « Chaque mois, on dépassait le quota mensuel de 4,5 milliards à 6 milliards sauf en juin 2007 où il y a eu des élections au Nigéria où on a fait un excédant de 2 milliards, parce que nous avions mis en marche les réformes. » Mais, il y avait « la machine de la mafia » à laquelle il devait faire face. « Quand j’ai commencé et que l’argent qui allait dans les poches privées a commencé par rentrer dans la caisse du trésor, j’ai commencé par avoir des pressions, explique le colonel à la retraite. J’ai dit non parce que je sais ce qui a amené le président Yayi au pouvoir et je ne devais pas trahir la confiance que le peuple avait placée en lui et dont il m’avait délégué une partie ». C’est sans compter avec ce qu’il appelle mafia et qui a réussi à le noircir auprès du chef de l’Etat. « J’ai fait quelque chose qui aurait permis à mon pays de me décorer. Mais en lieu et place de la décoration, c’est l’humiliation », dit-il amèrement. Il rapporte avoir mis la main sur une fraude pour laquelle il a infligé plus de 600 millions de FCFA d’amende. Le prévenu a reconnu sa faute et s’est engagé à payer. Contre toute attente, le chef brigade et le Directeur général des Douanes sont accusés d’en être les complices et ont été révoqués de leurs fonctions en septembre 2007. « Franchement, la mafia est très puissante », reconnaît-il, avant de montrer d’un doigt accusateur l’enquête de l’Inspection générale d’Etat « qui a fait un rapport qui n’a pas résisté à l’épreuve des textes règlementaires », selon ce qu’il rapporte. Après une confrontation entre l’inspecteur général d’Etat et ses cadres enquêteurs devant le chef de l’Etat, les conclusions de l’IGE ont été battues en brèche. Le conseil des ministres du 19 juin 2009 lui donne raison et le chef de l’Etat a exigé sa réhabilitation en 2010. Nommé à nouveau chef de la Brigade mobile Atlantique-Littoral en avril 2010, il renoue avec les résultats. « Allez voir encore les chiffres. Allez vérifier ces informations et vous comprendrez que si on veut faire son travail, on le fait consciencieusement. Mais tenez compte désormais du paramètre que la mafia existe et peut vous fragiliser à tout moment. Pour cela, il faut vous en remettre à Dieu. Priez pour que même si la mafia veut vous humilier, Dieu puisse faire jaillir sa lumière et sa puissance qui vous élèveront et vous serez honoré », confie-t-il.

INTIMITE

Un polygame heureux

Marcellin Zannou ne le cache, il est polygame et heureux de l’être. « La polygamie est un acte d’honnêteté, de sincérité, de notoriété et de charité », confie-t-il. Après le travail, il aime bien s’amuser à la maison avec ses enfants qui lui procurent une joie pure. « J’ai beaucoup de plaisir à m’amuser avec mes enfants et ils se prêtent franchement à ce jeu. C’est ma source principale de joie », dit-il avant d’ajouter son amour pour la lecture. A table, le colonel ne prend jamais de boisson, sauf les jus naturels non réfrigérés. Amoureux de la pâte de riz, il aime volontiers l’accompagner de la sauce d’arachide aux poissons séchés.

Réalisation : La Rédaction

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