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Art et Culture

Ministère de la culture : 2015… année de l’artisanat ?
Publié le mercredi 4 fevrier 2015  |  Fraternité
Le
© Autre presse
Le ministre de la Culture et de l`Alphabétisation, Jean Michel Abimbola.




Les artisans béninois auront-ils un jour le privilège d’être mieux lotis en ce qui concerne les actions prioritaires de leur ministère de tutelle ? Bien malin qui pourra le dire. Pourtant, la réponse devrait être sans ambigüe au regard de ce que le secteur de l’artisanat contribue à hauteur de 11% au Produit intérieur brut (Pib) du Bénin. 2014 n’aura pas permis aux acteurs de ce secteur, de bénéficier d’actions significatives allant dans le sens de l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Les problèmes demeurent les mêmes depuis des lustres et les réalités contrastent avec les discours officiels, souvent pensés dans des bureaux climatisés, bien loin des misères de l’artisan. Misères aggravées ces derniers temps par l’avènement du virus Ebola. ‘’Les demandes pour l’Afrique de l’Ouest ont chuté de manière drastique : moins de 70% ’’, a rapporté France inter. Au Centre de promotion de l’artisanat (Cpa), seul centre de référence au plan national en la matière, le sourire est devenu rare sur les lèvres des artisans. Ceci n’empêche pas l’augmentation des prix des loyers des boutiques. ‘’Quoi de plus normal’’ quand l’on sait que la Direction doit rendre comptes à la hiérarchie. Toutes les tentatives à l’endroit du Directeur du centre, pour en savoir plus sur cette curieuse politique sont restées vaines. Il n’est visible qu’au podium à l’occasion de certaines manifestations officielles. Rien qui mérite qu’on s’y attarde. L’épineux problème d’approvisionnement en matière première demeure. La problématique de la qualité des ressources humaines, le financement des artisans, la question de la relève dans nombre d’activités du secteur de l’artisanat sont autant de terrains à défricher par ceux qui ont à charge la destinée du secteur. Mais, de bonne ou de mauvaise foi, l’on assiste souvent à du saupoudrage à travers entre autres l’organisation d’un salon qui peine à prendre ses marques tant au plan national que régional, l’organisation de colloques dont les résultats n’ont jamais permis de sortir le secteur de l’ornière. Et n’allez pas demander pourquoi ce mépris vis-à-vis d’un secteur pourvoyeur de richesse. L’on vous dira que les réformes sont en cours et que le ministre est à pied d’œuvre. L’artisanat se meurt au Bénin, il faut en prendre la mesure. Vivement que 2015 soit l’année de l’artisanat.

Constant Adonon au sujet des problèmes qui minent le secteur de l’artisanat
« Ceux qui gèrent l’art… n’ont pas un coefficient intellectuel dans le domaine »

Constant Adonon tisserand au Centre de promotion de l’artisanat (Cpa), Secrétaire de l’association des artisans et locataires du Cpa, passe en revue les maux qui minent l’artisanat au Bénin.
Comment se porte le secteur de l’artisanat au Bénin ?

L’artisanat, c’est l’un des enfants pauvres du ministère de l’artisanat. L’art au Bénin aujourd’hui souffre de beaucoup de problèmes. La chance qu’on a, c’est qu’on a pu faire la nomenclature au ministère pour donner tous les démembrements de ce qu’est le secteur de l’artisanat. Mais de quoi souffrent les artisans ? D’abord, quand on veut définir l’artisan, la première définition vulgaire que tout le monde donne, l’artisan, c’est quelqu’un qui a abandonné les cours, qui n’a pas pu supporter les études scolaires, qui s’adonne à des métiers manuels pour survivre. Mais aujourd’hui, ce n’est plus ça, l’artisan, c’est l’homme qui réfléchit, qui travaille, c’est l’homme qui produit au quotidien et qui montre plus l’image du Bénin.

Quand on revient au Centre de promotion de l’artisanat, normalement vitrine de l’artisanat béninois, de quoi souffrent les artisans ?

Il y a le problème de qualité de leurs œuvres, le problème de la monotonie de la production. Si tu parcours X boutiques, tu retrouveras presque les mêmes articles et à côté de ce problème, il y a la qualité de la production. Les artisans, quand ils doivent terminer un produit, il faut qu’ils se disent, dans la main de celui où il doit échouer, on doit me dire, il y a zéro défaut. Mais ce n’est pas de leur faute, c’est aussi faute de la pauvreté, faute de ‘’je veux vite faire pour recevoir l’argent et m’en sortir,’’ on le fait comme ça, ou d’autres le font par liquidation, parce que ici, on ne le lui paie plus à juste valeur. Là, c’est le problème de la production et de la qualité.

Qu’en est-il de la matière première ?

Le deuxième problème, c’est le problème de la matière première. Et là, on ne peut pas tout énumérer, mais je vais prendre deux exemples. Le 1er exemple, c’est le coton. Le coton est cultivé en quantité au Bénin, mais la quantité qui vient dans la main des artisans pour la transformation est insignifiante, puisque la seule usine qui était patrimoine de notre pays, qui est Coteb, a aujourd’hui presque fermé la porte, ou est en agonie totale, la Sitex qui est de l’autre côté de Lokossa ou la Cbt qui appartient aux Chinois ne veulent pas vendre de fibre. Ils veulent vendre des tissus tissés pour la teinture. Et quand je vois le Chef de l’Etat, tous les jours, lancer la campagne cotonnière où on éjecte des milliards, alors que la quantité qui est transformée sur place est de l’ordre de 0,0%, je conclus que l’or blanc est bradé, et ce n’est qu’un exemple. Le second exemple, cette invasion chinoise en Afrique et au Bénin montre aujourd’hui que nos sculpteurs n’ont plus de bois, les menuisiers n’ont plus de bois, ils achètent un madrier ou une bille de bois à 17 000 Fcfa, le Chinois qui passe par là mettrait 25 000 Fcfa. Ce qui fait que les artisans n’ont plus de moyens. Quand nous prenons le travail des Dakpogan, c’est la récupération des fers. Il y a un système de récupération des fers, de bronze, mis en place aujourd’hui par les Chinois, où vous voyez les ‘’Gankpo-gblégblé’’ (collectionneurs de fers usagers en langue fon) partout, et qui ramassent des fers, alors que ces fers ne sont rien d’autres que la matière première que ces forgerons (les Dakpogan) utilisent pour réaliser des objets d’art. Donc, quand on prend déjà trois domaines, le textile, le bois et le fer, le cuivre aussi, parce qu’ils ramassent tout ça, c’est que nos artisans n’ont plus de matière première et il faut qu’on corrige cela. Voilà en gros de quoi souffrent les artisans. Je me résume pour dire qu’on a des problèmes de productivité et de matière première.

Les artisans se plaignent aussi de la mévente. Quelles en sont les raisons ?
Déjà, vous produisez mal, vous n’avez pas de matière première, donc le produit final a déjà trop d’entorses, donc pour la vente, c’est un peu difficile. Les artisans arrivent ainsi au marché, restent pendant des jours et des mois et n’arrivent pas à vendre. Cette situation est aussi imputable au gouvernement parce qu’il n’y a pas une politique culturelle, une politique touristique pour faire venir du monde au pays.
Les pays comme le Sénégal, le Burkina ont les meilleurs salons, les meilleures visibilités en matière de tourisme. Au Bénin, ça n’existe pas. Le seul Festival, Fitheb va mal. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas une politique de développement du tourisme pour faire venir les gens qui vont acheter. Déjà qu’au même moment, on ne consomme pas béninois. Et quand vous allez voir les rideaux, les maisons, les décors sont à la chinoise, à l’italien. On préfère ce qui est venu d’ailleurs, c’est déjà un défaut qui donne encore la main à la mévente des artisans, qui de jour en jour, semblent vivre un peu mal.

Quelle est la part de responsabilité de l’artisan dans cette situation préjudiciable au secteur de l’artisanat ?
Les artisans font aussi une mauvaise politique de gestion. Il y a à leur niveau une confusion du bénéfice et du capital. Un artisan qui vend aujourd’hui, peut dépenser tout son revenu, oubliant qu’il lui faut reproduire en lieu et place. Et, il faut aussi noter que les artisans dans leur grande majorité, n’ayant pas un grand niveau intellectuel, une notion de la saison touristique, se trompent aussi. Donc, il fallait monter un système d’étude et d’éducation au niveau de l’artisanat. Il faut montrer aux artisans, comment ils peuvent mieux terminer leurs produits, comment lutter pour avoir de la matière première. Et montrer aussi qu’on peut faire une forme d’éducation dans le domaine de la vente et du marketing. Aujourd’hui, la technique évolue, tout évolue à grands pas, l’artisan qui ne sait pas naviguer, qui n’a pas un site, qui ne sait pas prendre une commande par site internet, ça sera difficile pour lui de vivre dans ce système, beaucoup de choses restent à faire, mais il faut une formation. C’est un peu l’idée que moi, j’ai particulièrement eu avec Wallonie Bruxelles international, dans ce qu’on appelle Salon du design africain où on organise des séances de formation à l’intention des artisans, ne serait-ce que pour leur donner une notion de visibilité sur leur travail, sur la politique de vente. Voilà en gros ce que je peux vous dire sur cette maison, qui est le Centre de promotion de l’artisanat, je ne dirai pas une maison malade, mais une maison à regarder avec un angle de générosité, de formation pour que les artisans puissent vivre mieux.

Le problème de la vente des articles est aussi lié au coût qui n’est pas forcément accessible aux Béninois mais plutôt aux étrangers ?
Nul n’est prophète chez soi, tu produis, le béninois ne te consomme pas. Ce n’est pas seulement dans le domaine de l’artisanat, c’est le cas dans les domaines de la musique, du textile, de l’habillement, du décor. On préfère aller ailleurs. Le problème de la vente est aussi lié à une crise qui touche tout le monde. Et il faut que l’artisan aussi intègre ce paramètre dans sa production. Je veux produire une pièce, est-ce que le client peut l’emporter dans sa valise, à quel coût je peux le vendre, est-ce que c’est utile pour lui ? On doit se poser toutes ces questions autour des pièces. Sinon, quand on produit, ça reste dans les boutiques. Le problème de la mévente, il faut savoir gérer cela de façon quotidienne et il faut être derrière les artisans pour leur montrer un peu le chemin.

Le Centre de promotion de l’artisanat porte-t-il vraiment son nom ? Avez-vous l’impression qu’on y met tout en œuvre pour la promotion de l’artisanat ?
Promotion, je vais en donner une définition très simple : aider un artisan, l’assister. Si on le faisait réellement, cela devrait aller dans le sens de la formation, dans la promotion de l’artisanat et de l’artisan. Si on le formait à mieux finir son produit, si on le formait au marketing…, c’est faire sa promotion. Faire la promotion d’un artisan, c’est le prendre à un moment donné dans la courbe, dans le repère où il est, au bas de l’échelle, mais à un moment donné on le retrouve sur une courbe très ascendante et là on peut notifier qu’il y a eu une promotion. En réalité, la promotion des artisans est faite par eux-mêmes.

En parcourant les boutiques du Cpa, c’est la plainte en général. Qu’est-ce qu’il faut à l’interne pour améliorer les conditions de vie et de travail des artisans ?
C’est un peu critique, mais ceux qui gèrent l’art et la culture n’ont pas pour la plupart, un coefficient intellectuel dans le domaine. Je ne dirai pas que c’est un abandon, on peut corriger le tir. Aujourd’hui, si les artisans disent que ça va mal, cela est aussi lié à la crise, à une monotonie de leur production, à la qualité de leur travail, cela est lié au temps de production. Il ne faut pas produire aujourd’hui des objets qui pèsent, parce que le jeune touriste, qui est un jeune vacancier qui vient de Paris, au retour, a envie de faire quelques cadeaux aux parents. Si tu réalises un objet qui pèse plus de 24 kg, ce n’est pas sûr que tu puisses le vendre. Parce qu’il a envie de s’acheter 3 ou 4. Mais l’artisan n’a pas cette notion de créativité, de design. Il a besoin d’un encadrement.

Est-ce à dire que le marché du Cpa se meurt ?
Je ne dirai pas que le marché du Cpa se meurt. Vu le nombre de clients qui rentre et qui sort (le flux clientèle), on peut dire que la maison qui reçoit le plus de touristes au Bénin, c’est le Centre de promotion de l’artisanat. Mais, il y a aussi un problème de moyens, l’artisan n’a pas de moyens. Il faut qu’on ouvre une porte pour les aider à accéder aux moyens. En fait, il faut une assise pour passer au peigne fin le problème des artisans au Bénin. Le problème n’est pas le même pour celui qui est à Cotonou, que pour celui qui est à Abomey. Celui qui est à Abomey doit produire pour celui qui est à Cotonou parce que lui n’a plus de touristes. A cause de l’état de la route, il n’y a plus aucun touriste qui prenne la route pour Abomey. Et pareil à Allada, où l’artisan produit pour le Cpa. Donc, cette maison n’est plus seulement une maison de promotion à 100%. Elle ouvre la porte sur le Bénin.

Pourquoi n’a-t-on pas érigé d’autres Centres de promotion de l’artisanat à l’intérieur du pays ?
Au Sénégal par exemple, les centres d’exposition d’art sont multiples et multiformes. D’abord, le grand problème c’est qu’il y ait des acheteurs. Que le gouvernement arrive à sortir de l’araignée, cette décision du général Kérékou qui disait dans une radio communautaire : ‘’… ce mercredi, il faudrait qu’à partir de maintenant, tous nos bureaux soient aménagés par des artisans, les fauteuils, les rideaux, les nappes de table, que cela soit l’œuvre des artisans’’. Il faudrait que cette décision présidentielle soit remise sur les tables. Que l’artisan soit rémunéré à sa juste valeur.

Propos recueillis : Arnaud DOUMANHOUN

Arnaud DOUMANHOUN
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