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Le Bâtonnier Jacques Migan à propos de la décision DCC 15 -042 du 26 février 2015 : « La Cour Constitutionnelle a rendu une décision qui encadre voire limite indirectement la liberté des médias… »
Publié le vendredi 27 mars 2015  |  Visages du Benin





Toutes les démocraties contemporaines accordent une place de choix à la liberté de la presse. Cette liberté découle, en effet, de la liberté d’expression qui est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. En garantissant la clarté du débat démocratique, la liberté de l’expression sous toutes ses formes contribue au respect du principe de prééminence du droit. Il ne s’agit pas seulement de la liberté de chacun d’exprimer sa pensée, ses idées, ses croyances, mais aussi du droit de la presse d’informer et de distribuer de telles pensées sans restriction de la part des autorités. Considérée comme un des moyens de garantir les autres libertés, la liberté d’expression est protégée par les juridictions constitutionnelles nationales. Les différents moyens de communication qui permettent à cette liberté de s’épanouir connaissent des différences de traitement, pour des raisons diverses, techniques ou non.

Pour être à même de jouer son rôle de « chien de garde » de la démocratie, la presse doit rester à l’abri de toutes représailles venant du pouvoir politique et de toute autocensure. Cela dit, la liberté de la presse n’est pas absolue et l’activité des médias est encadrée afin de prévenir, d’éviter et de sanctionner les dérives auxquelles peut donner lieu sa jouissance anarchique.

De l’actualité récente au Bénin, il ressort que la Cour Constitutionnelle a rendu une décision qui encadre voire limite indirectement la liberté des médias d’informer au Bénin. La décision DCC 15 -042 du 26 février 2015 de la Cour Constitutionnelle a suscité un déchainement de réaction de la part des citoyens mais surtout des journalistes concernés au premier titre par ladite décision.

Alors que certains observent que la Cour dans sa versatilité caractérielle (Lire l’article intitulée « Cour constitutionnelle tantôt avec Jésus, tantôt avec le diable » parue dans la Nouvelle Tribune) alterne le souci de crédibilité et « la volonté de plaire au souverain », d’autres estiment que par sa dernière décision la Cour cautionne et consacre, ce qu’ils appellent le « bâillonnement » de la presse.

A l’argumentaire formellement séduisant des critiques (si l’on s’en tient au choix des mots), une analyse juridique et contextuelle profonde de la décision nous montre que la Cour « n’a pas erré », et que sa décision n’est pas arbitraire ainsi que semblent le conclure les gazettes ayant commenté la décision.

D’abord, conformément aux dispositions de l’article 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, « Toute personne a droit à l’information et du droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements». Par ailleurs, l’article 6 du Code de Déontologie de la Presse béninoise insiste sur un aspect du traitement de l’information. «Le journaliste publie uniquement les informations dont l’origine, la véracité et l’exactitude sont établies. Le moindre doute l’oblige à s’abstenir ou à émettre les réserves nécessaires dans les formes professionnelles requises. Le traitement des informations susceptibles de mettre en péril la société requiert du journaliste une grande rigueur professionnelle et, au besoin, une certaine circonspection ». Nous pouvons déduire de ces dispositions que l’exercice et la liberté de la presse n’est pas absolue et que sa jouissance peut faire l’objet d’un encadrement par des moyens contextuels (qui doivent s’apprécier in concreto) permettant de prévenir et d’éviter l’abus du droit d’informer reconnu aux journalistes ou des troubles à l’ordre public.

Sur la question de trouble à l’ordre public, notion dont l’appréhension prélude à la compréhension des motivations et du dispositif de la Cour, retenons qu’il existe peu de notions qui soient aussi difficiles à définir a priori que celle d’ « ordre public » qui se présente comme une « création continue de la doctrine ». On distingue ordre public de direction et ordre public de protection.

Dans le contexte qui est celui de la décision, l’appréciation de la sauvegarde de l’ordre public est laissée au jugement de la HAAC, institution de régulation des médias au Bénin. Fort de ce pouvoir d’appréciation, elle peut prendre toute mesure qu’elle estime nécessaire pour prévenir tout dérapage dans les médias de nature à mettre en péril l’ordre public ou l’unité nationale, dans la limite des dispositions de la Constitution. Ce qui est vrai est qu’à la période des faits, le Bénin traversait une période d’instabilité politique marquée par l’existence réelle ou supposée d’une liste électorale qualifiée à tort ou à raison de liste « tronquée et bâclée ».

Dans un tel contexte marqué par une atmosphère délétère, des déclarations contradictoires et véhémentes des principaux acteurs du COS-LEPI qui s’affrontaient quasiment par médias interposés, n’étaient pas de nature à éviter les polémiques. Il est tout aussi vrai que la démarche du Président de la HAAC n’a pas été diplomatique. Il eût fallu réunir les associations professionnelles des médias sur une telle situation avant la diffusion de son communiqué en date du 29 octobre 2014 (comme la HAAC a su le faire récemment en invitant les différents organes de presse à veiller à l’équilibre et au traitement professionnel de l’information pendant la période des campagnes des élections législatives le 24 mars 2015). Mais il s’agit là d’un argument d’opportunité qui n’entame pas fondamentalement le pouvoir d’appréciation dont dispose la HAAC pour prendre des mesures circonstancielles et préventives pour éviter à certains moments les dérives de la presse.

Le pouvoir souverain d’appréciation évoquée par la Cour constitutionnelle ne doit pas être compris comme un cautionnement pour étioler la liberté de la presse au Bénin. Toutes les administrations investies de pouvoir de régulation disposent d’un tel pouvoir dont le recours se fait au cas par cas. Ce qui est justifié par la Cour constitutionnelle comme un motif de trouble à l’ordre dans tel cas et dans tel contexte peut ne pas l’être dans tel autre.

Du reste, quand on sait que l’article 6 du Code de déontologie cité plus haut est l’une des dispositions les plus enfreintes par les journalistes au Bénin (si l’on se réfère aux chiffres fournis par le rapport sur l’état de droit et la démocratie intitulé « Les médias béninois à l’ère du changement », publié en septembre 2008 par l’ONG Droits de l’Homme, Paix et Développement, et en reprenant les bases de données de l’ODEM), l’on peut considérer que le communiqué du Président de la HAAC bien que présentant des allures attentatoires à la liberté de la presse au Bénin, s’analyse en dernier ressort comme une mesure conservatoire fondée en raison du contexte.

La Cour constitutionnelle l’a compris et validé. Elle a du arbitrer entre la nécessité d’encadrer ponctuellement la liberté de la presse et l’impératif de préserver la démocratie menacée par le risque réel de trouble à l’ordre public. Cette décision est la résultante de la recherche d’équilibre entre deux impératifs majeurs à la vitalité de la démocratie.

Nous saluons la décision d’une Cour équilibriste !

Maître Jacques A. MIGAN
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