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Serge Prince Agbojan au sujet du fonctionnement de la justice :« Il y a encore trop de dysfonctionnements »
Publié le mardi 7 avril 2015  |  Le Matinal




L’émission « Cartes sur table » de la radio Océan fm du dimanche 5 avril 2015, a reçu le juriste Serge Prince Agbojan. Connu pour son activisme, le juriste a analysé l’évolution de la justice béninoise à travers les rapports 2013 et 2014 de l’Observatoire de la justice au Bénin. Il appelle à une prise de conscience des pouvoirs publics, pour mettre effectivement en œuvre les réformes prévues dans les nouveaux codes.


Océan Fm : Comment est né l’observatoire de la justice au Bénin ?

Serge P. Agbodjan : Je souhaite tout d’abord une bonne fête de pâques à tous les Béninois. Cela dit, la Conférence nationale de 1990 a opté pour la construction d’un Etat de droit. Depuis lors, les gouvernements successifs ont œuvré pour cet objectif, avec l’aide des Ptf. En 1996, il a été organisé les Etats généraux de la Justice. Il a été décidé, à l’issue de ces assises, d’instaurer une justice de qualité, crédible et accessible aux justiciables, en vue de contribuer à la paix et à une justice sociale. Après les Etats généraux, les Ptfs ont continué par soutenir la justice béninoise. Plusieurs projets ont été mis en place dont le Programme intégré de renforcement mis en place par l’Union européenne. Il y a aussi eu le Programme d’appui aux réformes judicaires. Avec le soutien des Américains, il y a eu le programme du Mca qui a construit des tribunaux, le centre d’information situé à la Cour d’appel et qui a renforcé plusieurs secteurs. Il fallait mesurer l’impact de tous ses investissements. D’autre part, pour savoir si notre justice est crédible, il ne faut pas se fier aux sources de l’Etat, et aux statistiques données par les Directions de programmation. C’est là que l’idée d’une structure indépendante, qui aille contrôler l’évolution des réformes sur le terrain, est née. Ensuite, le concours d’ Osiwa a été sollicité. Parmi les missions de l’observatoire, il y a le suivi des données statistiques sur la justice béninoise. L’observatoire peut déployer des enquêteurs sur le terrain pour recueillir des données précises. Chaque année, l’observatoire produit un rapport périodique sur le fonctionnement de la justice. Pour finir, il y a des plaidoyers. L’observatoire est constitué de personnalités respectables, dont la compétence et l’honneur ne peuvent être remises en cause, et qui ont beaucoup contribué au secteur de la justice. Il y a le président de l’observatoire, Capo-Chichi. Il y a des huissiers dont Me Bankolé de Souza. Il y a l’avocat Angelo Hounkpatin. Il y a le notaire Akankossi Deguénon ; Il ya des commissaires priseurs, des greffiers. Il y a les Ptf qui y siègent, dont le Mca, l’Union européenne, La Chambre d’industrie et de commerce.

L’observatoire a vu le jour 4 octobre 2012. Que peut-on retenir d’essentiel des 2 rapports ?

Le 1er rapport fait un état des lieux, avec la perception des justiciables. Le rapport passe en revue tout le système judiciaire et mentionne les problèmes qui se posent. Il fait 200 pages. La première partie est consacrée à l’administration de la justice, et la deuxième à la jouissance de son droit. Nous avons constaté beaucoup de problèmes. La première recommandation faite, est qu’il est nécessaire de renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire à travers des actions précises. En effet, l’indépendance de la justice, c’est l’indépendance de la personne de la justice. Les acteurs de la justice doivent eux-mêmes être indépendants. A ce propos, le premier problème, c’est le Parquet. Au niveau du tribunal, il y a le magistrat du siège qui est indépendant et inamovible, et le juge du parquet qui est sous la responsabilité du ministère, et donc, pas indépendant. Il y a une règle selon laquelle le juge du Parquet est libre, mais quand il reçoit des instructions il doit y déférer. Au cours d’une audience, le juge du parquet peut faire une réquisition pour que quelqu’un soit mis sous mandat. Mais, il peut ajouter qu’il n’est pas d’accord, et la personne n’est pas qualifiée pour être détenue. Mais au Bénin, il y a une influence du garde des sceaux sur le fonctionnement des Parquets. Ce qui fait qu’on ne sent pas l’indépendance des magistrats. Alors que comme professionnels, ils devraient donner leur avis sur des situations. Il y a beaucoup de situations qui soutendent cela. Le statut des magistrats leur permet de demander un accord ou une directive écrite. Ils peuvent exiger de l’autorité supérieure une note, pour que leur responsabilité soit dégagée une fois qu’un problème se pose. Mais combien de magistrats réclament. Le rapport propose que le cordon ombilical soit coupé, pour renforcer l’indépendance du magistrat. Nous avons aussi proposé une refonte urgente du Conseil de la magistrature. Nous l’avons dit dans le rapport 2013, le conseil tel qu’il est aujourd’hui ne peut pas aider à une plus grande indépendance de la justice. Parce qu’il y a beaucoup de membres qui ne sont pas professionnels. Or selon l’Uemoa, les Nations-Unies, et l’Union européenne, il faut qu’il y ait beaucoup plus de professionnels au niveau du conseil. D’ailleurs, les journalistes vivent la même chose au niveau de la Haac. Il faut réformer ce conseil pour que le président soit un praticien, et un professionnel. Même si le chef de l’Etat est membre du conseil, il n’est pas un professionnel. Son titre est purement honorifique. Dans les pays qui ont fait des réformes, par exemple au Togo, ils ont déjà dépouillé le titre de son contenu. Parce que cela pose problème que le Chef de l’Exécutif, soit encore le président du Conseil de ma magistrature. Au même moment, le ministre de la Justice est l’adjoint. Or, le conseil joue aussi le rôle de conseil de discipline.

Qui peut alors réformer le conseil ?

Il faut qu’il y ait une volonté de réformer. Et cela doit venir du gouvernement. Chaque fois qu’on nomme quelqu’un, l’Unamab réagit. Il y a beaucoup de règlements de compte. C’est pour cela qu’il faut dépouiller le Conseil supérieur de la magistrature de ce qui est politique. S’il y a plus de professionnels, cela va renforcer la discipline. Par exemple, les rapports de l’Inspection des services judiciaires sont adressés au Garde des sceaux, le conseil peut avoir son mot à dire, et demander des enquêtes sur le terrain. Il y aussi le problème de l’autonomie financière de la justice. La justice souffre de manque de moyens et de manque de ressources humaines. Il n’y a pas assez de magistrats. Il y a un programme qui recommande qu’on recrute 40 magistrats par an. Si cela continue, il y aura un temps où nous n’aurons plus de magistrats. A cela s’ajoute, ce que les justiciables eux-mêmes ont dit. Ils proposent une Cour constitutionnelle dont le président n’a pas un parcours politique, ou qui a renoncé à ses ambitions. Ils demandent d’informatiser le système de production des actes judiciaires. Il y a aussi le problème de l’accueil.

Est-ce que le gouvernement est informé de ce rapport ?

Le gouvernement est informé. Le Secrétaire exécutif du ministère est membre de l’observatoire. Le rapport a été validé. Une copie est déposée au ministère de la Justice. Le rapport a été présenté au président de la Cour suprême. Le rapport est bien connu, c’est l’application des réformes qui tardent à venir. On soulève des questions de financements. Mais, ils n’ont pas besoin de tergiverser pour faire les réformes au niveau du conseil. Il y a même une action qui est introduite au Parlement. Nous allons continuer le plaidoyer. La responsabilité d’appliquer les réformes, revient aux acteurs politiques.

Le rapport 2014 propose quoi ?

Nous avons décidé de vérifier l’application des codes. Mca et l’Union européenne ont aidé à la prise de certaines lois. Il y a le Code des procédures. Il y a notamment le code de procédures pénales. Le rapport est consacré aux innovations des codes, et la réalité de leur application. Nous avons constaté que les textes ne sont pas appliqués. Nous n’avons pas de problème de textes, mais de têtes. L’application des textes est difficile. On dit que c’est sociologique, mais pour moi, c’est de l’indiscipline. Il est difficile de comprendre que des lois soient votées, mais pas appliquées. Selon notre Constitution, seuls le président de la République et le Parlement ont l’initiative des lois. La plupart des textes dont je parle, sont des projets de loi, donc venant du gouvernement. Pourquoi en amont, le gouvernement ne peut pas se préparer à leur mise en application ? Dans le code de procédure pénal, l’un des meilleurs textes que nous avons, la protection du justiciable est renforcée. C’est un code moderne et pratique. Aujourd’hui, il n’est plus possible de mettre n’importe qui en prison. Le code a mis toutes les dispositions pour tout réglementer. Par exemple la garde à vue. Les conditions de la garde à vue sont définies dans la Constitution. Mais, elles sont renforcées par le code. Le justiciable a aujourd’hui les moyens d’empêcher les garde à vue abusives. Seuls les Opj sont habilités à mettre en garde en vue, sous la protection du Procureur. Même lorsque vous êtes en garde en vue, il y des obligations envers vous qui doivent être respectées. Vous avez le droit d’être assisté. L’ordre des avocats a été plus loin, en mettant à disposition dans tous les commissariats les numéros de téléphones. Ensuite, on doit vous notifier ce pourquoi vous êtes interpellé. Ce n’est pas lorsqu’on vous arrête qu’on doit commencer par chercher l’infraction. L’infraction doit exister avant. Le droit exige aussi que vous appelez votre famille. La visite d’un médecin est également permise. Le justiciable peut également interrompre l’interrogatoire, pour souffler, si sa fatigue est élevée. Le non respect de ces principes, peut entraîner l’annulation de la procédure. C’est une grande innovation.

L’observatoire doit faire une vulgarisation.
Nous sommes dans la veille. Sinon, le code de procédure est disponible. Il est surprenant que parfois, même des journalistes n’aient pas connaissance de ce qu’il dit. La réalité, c’est la détention provisoire. Le législateur a été très ferme là-dessus. Vous êtes toujours innocent tant que le juge n’a pas apprécié votre dossier. Vous pouvez être en arrêt dans une maison ou en prison, le temps que la procédure aille à sa fin. Or, depuis les Etats généraux de 1996, 75% des détenus sont en détention provisoire. Ce qui va à l’encontre de ce qui est prévu. La détention provisoire ne devrait pas excéder 45 jours, ou 6 mois, selon les cas. Mais aujourd’hui, des gens qui devraient faire 6 mois, ont déjà fait 8 ans en prison. Il y des gens qui sont oubliés dans les juridictions. Nous l’avons mis dans les rapports. Les statistiques pour étayer cela sont aussi dans les rapports. Pour certains dont les peines n’excèdent pas la détention, le code a prévu des dommages et intérêts. Mais, nous avons constaté que la commission ne siège pas. Il y a des dysfonctionnements au niveau des services. Il y a des situations d’encombrements, mais aussi des cabinets qui sont sans juge d’instruction. Certains ont été affectés, sans jamais être remplacés. Alors que certains juges peinent à s’en sortir avec plus de 200 dossiers sous les bras , on leur demande d’assurer l’intérim de ceux qui ne sont pas remplacés. Selon le code, les procureurs généraux, et les présidents des chambres de liberté devraient faire des inspections pour constater des difficultés qui se posent. Par exemple, il y a un enfant qui a été oublié dans la prison de Ouidah. C’est un apprenti. Il disait avoir vu une jeune qui est égarée. Les enquêtes ont révélé qu’il fallait l’interpeller, parce que c’est lui qui a porté l’information. On l’a interpellé. Il a été mis sous mandat de dépôt. Quelques mois après la fille a été retrouvée, celui qui l’a retenue aussi. Les deux ont été déférés à la prison de Ouidah. Malgré cela, l’enfant est toujours en détention. Nous avons attiré l’attention des autorités. Il y a plein de cas comme cela dans les prisons. Le rôle de l’Observatoire, c’est de faire des recommandations. Il y a d’énormes dysfonctionnements.

Qu’est ce que vous pensez du cas Dangivo ?

C’est difficile d’opiner sur une question d’actualité. Si c’est un crime, la procédure se fait aux assises. L’assise s’organise avec l’autorisation du ministère de la justice. Ailleurs, l’assise c’est du droit de la Cour d’appel. On n’a pas besoin d’en faire une solennité. Il s’agit souvent de crime économique ou de « sang » pour voir l’inculpation. C’est la Cour d’appel qui fait les procédures pour les assises. Comment elle fonctionne ? Les postes au niveau de la Cour d’appel ne sont pas incitatifs, et les magistrats n’y vont pas. Les présidents de juridictions aussi refusent d’y aller, parce que ce n’est pas un poste avantageux. Certains ont fait 20 ans au Tribunal de Cotonou, parce qu’ils ne veulent pas bouger. A quelques mois de leur retraite, cela se comprend. Encore qu’il n’y a pas un moyen après la Cour d’appel, d’aller à la Cour suprême. Il y a des cours d’appel qui sont complètement vides, comme Parakou. Ils faut parfois d’aller chercher des juges qui sont en instance pour renforcer les cours d’appel. C’est au gouvernement de prendre des mesures incitatives pour régler cela. Ce n’est pas une promotion, si on vous nomme aujourd’hui à la Cour d’appel.

Un problème de bulletin se pose à la Céna. Quel est votre avis sur la question ?

Il faut le respect des lois. On ne fait de jonglage au niveau des lois de la République. Il faut suivre ce que dit la loi. La loi dit qu’il faut des cachets d’authentification au niveau de chaque bureau de vote. Le code a aussi bien organisé la distribution des cartes d’électeurs. La Loi oblige le Cos-Lépi à distribuer les cartes pendant 15 jours ininterrompus de 8h à 18h. Les cartes non distribuées doivent être affichées et envoyées à la Cena, qui a 8 jours pour les distribuer aux retardataires. L’élection doit se tenir le 26 avril, mais quand est-ce que les cartes seront distribuées. Ce qui est sûr, les 8 jours de la Cena ne seront pas respectés. La distribution est même couplée avec un appel de fonds. Or, la loi ne dit pas cela. Les citoyens doivent lire le code électoral, ils seront qui dit la vérité. Nous avons actuellement l’un des meilleurs code pour avoir des élections transparentes. Il ne faut pas biaiser les dispositions du code.

Transcription : Wilfrid Noubadan
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