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Pourquoi la révision de la Constitution ne passera pas : le point de vue d’un constitutionnaliste
Publié le mardi 6 aout 2013   |  La Croix du Bénin


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© Autre presse par DR
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L’envie m’en vient, et c’est presque une audace, de paraphraser un humaniste du 19e siècle : un spectre hante le Bénin, le spectre de la révision constitutionnelle. Le pouvoir veut changer certaines dispositions du texte de 1990 et a enclenché, pour y arriver, la procédure que la loi prescrit. L’exercice est si communément admis en droit et en pratique constitutionnels que Nicolas Sarkozy et Abdoulaye Wade y ont recouru aussi souvent qu’ils se rasaient la barbe. Exercice banal donc. Et pourtant, la société civile (un nonsense opérationnel) et la classe politique sont en ébullition. Aux marches de soutien et aux meetings d’explication répondent en écho, et surtout en défi, les affiches géantes du «Touche pas à ma constitution». Les apartés des uns trahissent leurs prises de position officielle. Tandis que le bon peuple béninois médusé et goguenard fait mine de se concentrer sur l’essentiel à ses yeux : la pâte, la route et les cérémonies.

Le sentiment premier qui se dégage de l’observation lucide des choses et des hommes est la volonté forcenée qui est développée et les moyens mis en œuvre pour arriver à la modification de la constitution. Et c’est cet élan débridé du pouvoir qui rend la suspicion des autres légitimes. Au palais de la Marina, se dit-on, il y a un agenda secret. Les philosophes appellent cela le principe de la raison suffisante : si les choses se passent ainsi, c’est-à-dire dans le forcing, c’est qu’il y a une explication sous-jacente, que l’opposition subodore malgré les dénégations de vierge effarouchée que l’on prononce en face.

Un premier constat s’impose : un des ressorts essentiels de la démocratie est cassé, brisé. C’est le ressort de la confiance. Le pouvoir vit un déficit de confiance d’autant plus énorme qu’il développe lui-même le syndrome de l’autruche. Il ne voit pas ou fait semblant de ne pas voir.

De ce décor général où les politiques sont en désamour évident avec leurs mandants, emportant dans leur fracture ce que le Bénin compte de force citoyenne, il convient d’assener quelques vérités de spécialiste de la question juridique.



Prolégomènes pour une non-révision future

Le principe de revisiter notre texte constitutionnel est acté depuis que le Professeur Maurice Glélè-Ahanhanzo a réuni, autour de lui, juristes, sociologues et historiens pour en définir et circonscrire le contenu. Ce fut un bel exercice de transparence et de professionnalisme qui a réussi le tour de force de mettre tout le monde d’accord.

Le débat actuel et futur ne porte pas sur la norme constitutionnelle projetée mais sur l’environnement politique et sociétal qui préside à la mutation normative voulue. Et c’est ici qu’il convient de rappeler quelques balises posées par la juridiction constitutionnelle du Bénin, en termes de digue de protection contre les vagues révisionnistes mal inspirées.

La première digue est celle du consensus national. « La loi n’est pas tout le droit» écrit Hans KelsenLe développement des juridictions constitutionnelles en Afrique au cours des dernières décennies vient conforter cette thèse. Garante de l’Etat de droit mais aussi et surtout garantes de la démocratie, les juridictions constitutionnelles africaines ont développé, au cours des dernières décennies, une démarche qu’on dit audacieuse mais aussi contingente pour consolider les édifices démocratiques qui menaçaient ruine par la faute des premiers acteurs, les politiques. Ainsi est née la jurisprudence du consensus national, en 2008, lorsque la Cour constitutionnelle a été amenée à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi constitutionnelle n°2006-13 portant révision de l’article 80 de la Constitution du 11 novembre 1990 votée par l’Assemblée nationale votée à une majorité écrasante (Décision DCC 06-074 du 8 juillet 2006 Président de la République, Ahossi Jean Irénée et consorts). La Cour a eu à se prononcer à nouveau sur la notion de consensus national dans ses décisions DCC 10-025 du 11 mars 2010, Razack Amouda et DCC 10-049 du 5 avril 2010, Président de la République, Rachidi Gbadamassi et consorts.



De cette série de décisions, il ressort que la Cour distingue deux types de consensus : le consensus fondateur et fondamental d’une part et d’autre part le consensus gestionnaire. Le consensus fondateur est celui qui s’attache aux fondamentaux de la République à commencer par le texte fondateur de la République : la constitution. Selon un auteur «La constitution est, (…) la loi fondamentale de la république. (…). Elle est la première source de légalité (lato sensu) et son respect fonde la légitimité du pouvoir, l’adhésion populaire qui traduit ce consensus sur les institutions et les valeurs (…). La constitution apparaît ainsi comme le référentiel, la matrice d’un consensus fondateur, d’un consensus fondamental, d’un consensus essentiel, celui qui porte sur les fondements de notre vouloir-vivre-ensemble. Dans la jurisprudence de la Cour, ce texte là et surtout sa révision doivent échapper à la petite légalité du respect des procédures prescrites par la constitution elle-même et le règlement intérieur de l’Assemblée. Elle exige la grande légalité, celle qui accompagne le respect de la petite légalité par la grande adhésion des forces vives de la nation dans un consensus national qui communie légalité et légitimité démocratiques (…)» (in N.M., Les grandes décisions de la Cour constitutionnelle du Bénin, Saarbrücken, EUE, 2012, p….). Quand au consensus gestionnaire, il est, selon la Cour constitutionnelle, un consensus sur «des points techniques d’exécution» d’une loi. La doctrine ajoute que c’est «un consensus du possible, un consensus désirable mais non indispensable (…). En un mot, le consensus gestionnaire, le consensus d’administration des affaires publiques n’est pas un consensus de valeur constitutionnelle ; il ne signifie ni unanimisme ni unanimité et s’accommode bien de dissensions ou même d’affrontements des idées et des approches, ce qui est de l’essence du pluralisme démocratique. (in N.M., Les grandes décisions de la Cour constitutionnelle du Bénin, Saarbrücken, EUE, 2012, p….). En termes imagés, on peut dire que la Cour enseigne et dicte la règle que les fils doivent s’entendre, dégager un consensus sur l’architecture de leur maison commune mais que pour ce qui est du rangement des meubles, de la place du lit et de la table, le garçon du jour peut valablement prendre une décision.

La révision constitutionnelle projetée relève de l’architecture de la maison commune des 9 millions de Béninois. Elle exige ce consensus fondamental, ce consensus fondateur, ce consensus républicain qui est la première digue de protection de notre loi fondamentale.

La seconde digue est celle du rejet du fétichisme du principe majoritaire. La démocratie repose sur la règle de la majorité. Cependant, avertit, la Haute juridiction béninoise «la constitution, norme fondatrice de l’Etat, ne se réduit pas à la détermination des règles relatives à la dévolution et à l’exercice du pouvoir dans l’Etat ; (…) elle met toujours en œuvre une certaine idée de droit, c’est-à-dire, l’image de l’ordre social qu’il conviendrait de réaliser en vue du bien commun du peuple ; (…) elle est donc porteuse d’un idéal de société qui doit inspirer toute l’activité politique de l’Etat» (Décision DCC 09-016 du 19 février 2009, Assouan Comlan Dègla). Selon cette jurisprudence, la décision majoritaire n’est pas forcément la bonne décision. Il faut aussi et surtout savoir rester fidèle à «l’idéal de société» que les Béninois se sont donnés depuis une double décennie, c’est-à-dire un «État de droit et de démocratie pluraliste» qui implique et exige une «opposition fondamentale à tout régime fondé sur l’arbitraire, la dictature, (…) la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel». (Préambule de la constitution). En un mot et en termes clairs, une révision constitutionnelle qui ouvrirait la voie à une corruption de la démocratie ne passerait pas la censure de la juridiction constitutionnelle.

Certes, pourrait-on rétorquer, un revirement de jurisprudence est toujours de l’ordre du possible. La Cour peut valablement changer sa perspective et sa perception des choses avec la même force exécutoire attachée à ses décisions antérieures. Cela s’est déjà fait avec la question du droit de grève au Bénin. D’abord posé comme un principe absolu (Décision DCC 06-034 du 4 avril 2006, Président de la République) puis déclaré principe sans valeur absolu (Décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011, Louis Vlavonou), le droit de grève a fait l’objet d’un ajustement conceptuel plutôt bienvenu. En effet, comment absolutiser un fait de l’homme (le droit de grève) alors que le fait de Dieu, le droit à la vie, ce que Victor Hugo appelait «l’irréparable, l’irrévocable et l’indissoluble», qui doit être soustrait selon le poète français à la législation des hommes, n’est pas absolu ! Le droit américain nous offre aussi un de ces cinglants exemples de revirement de jurisprudence Entre l’arrêt the Plessy V. Ferguson (1896) et l’arrêt Brown/Board of Education (1954) la constitution américaine n’a subi aucun amendement qui justifie une évolution de la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis en matière de ségrégation raciale dans les universités et collèges. Mais la Cour a cependant infléchi sa décision pour tenir compte d’un contexte, celui de la seconde guerre mondiale, la guerre qui fut celle de la liberté contre les tyrannies, celle du refus de la ségrégation raciale qui a fait six millions de victimes juives. Le contexte a changé, la Cour s’adapte, avec d’autant plus de hardiesse qu’elle fonde sa décision de 1954, non pas sur des dispositions pertinentes de la constitution mais sur les valeurs qui fondent l’Amérique des libertés et de la recherche du bonheur.

Au total, que ce soit pour le droit de grève ou la ségrégation raciale, le revirement de jurisprudence n’est pas un geste léger pour une Haute juridiction. Il a des mobiles sérieux et des fondements logiques. Le texte de la constitution de 1990 et le contexte de 2013 plaident pour une constance dans la défense du consensus national et la préservation de «l’idée de droit» que nous dessine le préambule du texte constitutionnel.

Ce qui fait l’histoire, c’est la rencontre d’un homme avec l’évènement, disait Charles de Gaulle. Et nous voilà à nouveau à la croisée des chemins. Les grands moments révèlent les grands hommes, les hommes avec un grand «H» comme disait Justin Tomety Ahomadégbé. L’occasion est donnée aux acteurs de la scène juridico-politique de rester fidèle à une certaine tradition républicaine et de choisir d’entrer dans l’histoire en grand !


Nicaise MEDE

AGREGE DE DROIT PUBLIC

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