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Journalisme international des reportages inventés de toutes piėces
Publié le samedi 23 mai 2015  |  Autre presse
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© aCotonou.com par DR
François Bugingo, journaliste




ISABELLE HACHEY
LA PRESSE
C’est « l’un des moments les plus douloureux » que François Bugingo ait « jamais vécu dans [sa] carrière de journaliste et de témoin de toutes les guerres qui ont endeuillé le monde dans les 20 dernières années ».

À Misrata, en Libye, « l’un des tortionnaires les plus zélés du régime du dictateur Kadhafi » est sur le point d’être exécuté par des miliciens triomphants. L’homme, menotté, dégage une odeur fétide : sans doute s’est-il fait dessus. Son visage est boursouflé des coups qu’il a reçus. Alors que des combattants surexcités l’entraînent vers son lieu d’exécution, il se tourne vers François Bugingo et lui crie : « I hate the bad man the Guide made of me. »

Cette histoire a été relatée par François Bugingo lui-même dans son blogue, hébergé sur le site internet du Journal de Montréal, le 11 février 2014. Une scène d’une grande violence, sûrement douloureuse pour tout journaliste qui aurait eu le malheur d’y être confronté.

Le problème, c’est que François Bugingo n’a jamais mis les pieds à Misrata. Il n’a jamais vu un tortionnaire du régime Kadhafi sur le point de se faire exécuter par des milices rebelles en Libye.

Il n’a pas davantage trinqué avec les tireurs d’élite serbes de Sarajevo en 1993.

Il n’a pas négocié la libération d’un journaliste otage avec des terroristes d’Al-Qaïda en Mauritanie en septembre 2011.

Il n’était pas représentant de la Commission européenne auprès du ministre égyptien de l’Intérieur au Caire, en février 2011.

Il n’était pas à Mogadiscio, en Somalie, le 4 août 2011.

François Bugingo a pourtant publiquement prétendu tout cela, au cours des dernières années, dans différents médias – y compris La Presse, Radio-Canada, TVA, Télé-Québec, Le Devoir, le 98,5 FM et le Journal de Montréal. Le reporter dispose d’une large tribune au Québec. Notre enquête démontre toutefois que ses faits d’armes journalistiques sont parfois très romancés, quand ils ne sont pas carrément faux (voir l’onglet suivant).

Dans le cas de Misrata, François Bugingo a lui-même nié s’y être rendu, au cours d’une longue entrevue avec La Presse, le 15 mai dernier : « Non, je ne suis pas allé à Misrata », a-t-il dit. Lorsque nous avons évoqué la « douloureuse » scène du tortionnaire bientôt mis à mort par les milices de la ville, le journaliste a continué à nier : « Non, non, non. J’ai dû le lire quelque part. »

LA FABLE DE SARAJEVO
De passage à l’émission Deux filles le matin à TVA, le 14 octobre dernier, François Bugingo a évoqué le siège de Sarajevo lorsque l’animatrice lui a demandé de parler d’un « moment marquant, une rencontre qui a changé [sa] vision de la vie ».

« Je dirais, en 93, dans la guerre de Bosnie, a-t-il répondu. Je me rappellerai toujours, à Sarajevo, cet homme-là qui, tout l’après-midi, avait passé le temps à tirer, à tirer, à tirer. Et puis le soir, il a sorti une bouteille de slivovitz [alcool slave] et il s’est mis à jouer de la guitare, et je me suis rendu compte que c’était un artiste exceptionnel. »

Interrogé à ce sujet, François Bugingo a précisé qu’il s’était plutôt rendu à Sarajevo en 1995 avec les journalistes français Thierry Cruvellier et Patrick Muller, afin d’y mettre en place une publication, l’International Justice Tribune (IJT). « Je suis allé là pour eux, avec eux. »

Joints par La Presse, Patrick Muller et Thierry Cruvellier ont tous deux déclaré qu’ils ne s’étaient jamais rendus à Sarajevo avec François Bugingo. En fait, M. Cruvellier a fondé l’IJT en 2004 et s’est rendu pour la première fois en Bosnie en 2005. M. Muller est bien allé à Sarajevo dans le cadre d’un projet média en 1995, mais pas avec François Bugingo.

DES REPORTAGES INEXISTANTS
François Bugingo, 41 ans, prétend avoir visité 152 pays et couvert la majorité des grands conflits qui ont ravagé la planète au cours des deux dernières décennies, notamment en Irak, en Afghanistan, au Liberia, au Rwanda, en Algérie, au Sierra Leone, en Colombie, au Liban, en Bosnie, au Sri Lanka. Mais les reportages émanant de cette impressionnante couverture sont rares, et souvent même inexistants.

C’est le cas de la guerre en Irak, en 2003. En entrevue, François Bugingo a juré qu’il y était bel et bien, mais que le magazine L’actualité n’était pas intéressé par l’achat de son reportage. À L’actualité, on n’a pas pu confirmer, puisqu’on n’a pas souvenir de cette proposition de pige.

Dans le numéro juillet-août 2008 du magazine Réussir ici, François Bugingo raconte qu’avant son arrivée au Québec, en 1997, il était pigiste à RFI, à l’Agence France-Presse (AFP) et à l’Agence panafricaine de presse (PANAPRESS). Aujourd’hui, il nie avoir été pigiste pour ces trois agences.

François Bugingo a souvent répété être « devenu un homme » lorsqu’il s’est rendu au Rwanda, à 20 ans, pour couvrir le génocide du printemps 1994. Ses reportages sont introuvables. Il dit en avoir écrits – sans les signer – pour un défunt hebdomadaire burundais, en plus d’alimenter le journaliste français Jean Hélène, de Radio France Internationale (RFI).

Jean Hélène est mort en 2003.

François Bugingo soutient avoir écrit des « résumés » que Jean Hélène intégrait à ses reportages sur le génocide. « Je fournissais pas mal Jean Hélène, pour ce qu’il faisait lui, au groupe RFI dans son ensemble. »

« Jean ne nous a jamais demandé de rémunérer l’un de ses informateurs », s’étonne Christophe Boisbouvier, reporter vétéran de l’Afrique à RFI. « Le nom de M. Bugingo ne dit rien aux anciens comme moi, qui travaillais déjà à RFI en 1994. Ce nom n’apparaît à aucun endroit dans nos archives écrites et sonores. Nous avons même fait la recherche dans les deux volumes de retranscription des archives rwandaises de RFI. Il n’y a aucune trace de M. Bugingo. »

En tant que vice-président international de Reporters sans frontières (RSF), François Bugingo a souvent affirmé avoir mené des missions secrètes ou des opérations sensibles pour négocier la libération de journalistes otages à travers le monde – ce que nient catégoriquement quatre dirigeants de RSF, anciens et actuels, que nous avons contactés en France.

« Il n’a jamais eu de mandat pour négocier avec des preneurs d’otages, des terroristes », tranche Hervé Deguine, ancien secrétaire général adjoint de RSF.

« Tout cela, c’est du matériau pour un bon roman de kiosque de gare. »

— Hervé Deguine

UNE LARGE TRIBUNE
François Bugingo est une figure médiatique très présente au Québec. Il collabore au bulletin télévisé Le TVA 22h, tient une chronique quotidienne sur les affaires internationales à la radio 98,5 FM, en plus d’alimenter un blogue et une chronique au Journal de Montréal.

Dans le passé, il a travaillé pour de nombreux autres médias. Il a notamment été animateur de Points chauds, à Télé-Québec, et de la Course évasion autour du monde, au Canal Évasion. En 2010, il a réalisé un documentaire sur le Rwanda, diffusé à Radio-Canada. Par ailleurs, il a animé plusieurs conférences, entre autres au Musée de la civilisation de Québec.

Ses employeurs actuels, au 98,5 FM, à TVA et au Journal de Montréal, ont refusé de commenter notre enquête, hier. « Permettez-moi, par contre, de préciser que François Bugingo est un de nos collaborateurs depuis 2013. Il n’est donc pas un employé du Groupe Média », a souligné Véronique Mercier, vice-présidente, Communications, Groupe Média et Groupe TVA.

François Bugingo est membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, dont le Guide de déontologie stipule que « les journalistes ont l’obligation de s’assurer de la véracité des faits qu’ils rapportent au terme d’un rigoureux travail de collecte et de vérification des informations ».

Dans son blogue au Journal de Montréal, le 19 janvier, François Bugingo condamne un « grave délit de mensonge ou de fabulation » commis par la chaîne américaine Fox News, estimant qu’il était du « devoir professionnel et éthique » des médias de dénoncer ces dérives. « Il en va de notre crédibilité auprès de nos publics », écrit-il, avant de conclure :

« Dans les guerres et autres tragédies du monde, la vérité est la première victime, a-t-on souvent dit. Il serait dramatique que ceux qui se disent défenseurs de cette vérité (et Dieu sait si nombre de nos collègues sont morts en recherchant la vérité) contribuent à son enterrement. »
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