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Yayi Boni ou la tentation du départ anticipé
Publié le jeudi 15 aout 2013   |  24 heures au Bénin


Thomas
© Autre presse par DR
Thomas Boni Yayi, président de la République du Bénin


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Poser la question de la possibilité pour le président Yayi Boni de ne pas terminer son deuxième et – en principe – dernier mandat à la tête du Bénin peut être considéré aujourd’hui comme une prémisse sérieuse, quoique difficile à démontrer, de prime abord.

A moins de trois ans de la fin de son mandat, il est permis de dire que Yayi Boni flirte avec l’échec.

En sept ans, le président a réussi à cristalliser autour de lui toute la rancœur d’un peuple qui s’était jeté corps et âme dans ses bras, hypnotisé par sa carte de visite : homme de rigueur, carrière exceptionnelle et – qui plus est -, titulaire d’un doctorat en économie.

Là se trouvait, aux yeux de tous les Béninois, le mot-clé : la révolution démocratique, ils l’avaient réalisée, en 1990, en montrant la voie à toute l’Afrique ; l’enracinement des mœurs démocratiques s’est traduit en réalité, avec le rappel d’un ancien dictateur, Mathieu Kérékou, qui a su jouer le jeu et s’en est allé après deux mandats à la tête de l’Etat…

Restait la Révolution économique, qui devait passer par un certain… Yayi Boni.

Il se trouve, hélas, que c’est précisément dans ce domaine où, mauvaise conjoncture ou manque de vision, le docteur a cassé son thermomètre.

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans le pays : le Bénin, après sept and de yayisme, est le troisième pays le plus pauvre d’Afrique, en termes de PIB par habitant...

Un salaire béninois équivaut à un per diem ivoirien

Certes, sept ans, c’est trop peu pour redresser une économie dont la principale vertu n’a jamais été d’être parmi les plus performantes du continent, en dépit des apports massifs de« democracy dollars » en provenance des pays riches, notamment les Etats-Unis et l’Union Européenne ; certes, le pays, en dépit des nombreuses recherches effectuées, ne produit toujours pas la moindre goutte d’or noir, même s’il entretient à grands frais un ministère des recherches pétrolières ; certes, les salaires des fonctionnaires sont versés régulièrement –encore qu’en termes comparatifs, ce qui tient lieu ici de salaire est considéré dans les pays voisins, notamment en Côte d’ivoire, comme un per diem.

La réalité, hélas, est là, têtue : le Bénin ne décolle pas, même avec à la barre un économiste rompu.

Mais les déconvenues de Yayi Boni ne s’arrêtent pas là : sur le plan politique, après avoir fait preuve d’une grande habileté en mettant d’office à la retraite l’ensemble de la vieille garde – les Bruno Amoussou, Nicéphore Soglo, et autres Albert Tévoèdjrè, sont depuis longtemps au tapis -, soit en les phagocytant ou en en faisant des alliés, le président a très tôt sombré dans une forme de nombrilisme fatal, où le culte du chef est exalté comme au bon vieux temps du père Eyadéma au Togo (beaucoup d’analystes estiment du reste qu’il en a fait son modèle d’action politique, dans les limites imposées par le cadre politique béninois).

Les Béninois ont découvert la mue d’un homme qu’ils croyaient moderne et profondément démocrate ; ils ont découvert un féodal doublé d’un politique rétif à toute critique, avec une forte tendance à l’embastillement.

Tous les verrous anti-liberté savamment mis en place par les constitutionnalistes ont ainsi sauté l’un après l’autre, sous les coups de butoir d’un président déterminé à lever tous les obstacles à sa mission salvatrice.

La Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, censée garantir la liberté d’expression dans les médias, dans le respect de la loi ? Elle ne représente plus que l’ombre d’elle-même ;

L’ORTB, l’Office de Radiodiffusion et de Télévision du Bénin ? Il ne représente plus que l’ombre de lui-même ;

L’Assemblée Nationale ? La caisse de résonnance du gouvernement ;

La Cour Constitutionnelle ?

Un cas intéressant. Sous Me Robert Dossou, qu’il conviendrait bien d’appeler le président le plus calamiteux de l’histoire de cette institution, la Cour était devenue la risée de tout le pays.

A l’Assemblée nationale, les députés de la mouvance présidentielle se moquaient comme de l’an quarante des textes de loi passés par l’opposition et une fois défaits, avaient ce mot cruel : « de toutes façons, la Cour va casser votre loi. »

La cour était sortie de son rôle et devenue l’instrument de la dictature à la sauce Yayi.

Il est vrai qu’avec l’avènement d’un nouveau président, les choses semblent changer…

Mais de tous ces travers, celui qui focalise l’attention de tous les Béninois, c’est bien évidemment le dernier chantier engagé sous la Refondation – les Béninois n’ont pas peur des slogans : la réforme constitutionnelle.

« Arnaque Compaoré »

Las, le projet de Yayi Boni présente tous les symptômes d’une arnaque politique classique qui a fait florès en Afrique : l’arnaque à la réforme constitutionnelle ou « arnaque Compaoré », du nom de l’homme qui l’a théorisée pour la première fois sur le continent, après la vague de démocratisations des années 1990.

Il s’agit de faire voter « de bonne foi » un amendement constitutionnel pour ensuite constater benoîtement que l’amendement ouvre de jure la voie à sa réélection, soit parce que la loi ne saurait être rétroactive, soit parce que le pays serait entré de fait dans une nouvelle République et par conséquent, le compteur du nombre de mandats doit être remis à zéro.

Les blogs d’Afrika 7 sont revenus en abondance sur ce sujet ; je n’en dirai pas trop, si ce n’est juste pour relever ceci : Yayi Boni, s’il a, au fond, raison de vouloir d’une nouvelle constitution, s’y prend mal.

La République des « tentatives »

D’un côté, l’initiative de la révision intervient dans un contexte des plus explosifs, marqué par les bulles puantes des « affaires Talon » : tentative d’empoisonnement, tentative de coup d’état, tentative de déstabilisation, etc.

Dans cette République des tentatives, les juges sont montés au créneau et ont refusé de se laisser instrumentaliser ; la justice aura sûrement été l’une des institutions de la République à s’émanciper bien rapidement d’un pouvoir devenu paranoïaque.

Dans cette République des tentatives, si on lançait ne serait-ce qu’une tentative d’initiative de développement, le Béninois lambda y trouverait sûrement son compte…

De l’autre, après que le même Talon eut dit et haut fort que Yayi Boni l’avait sollicité pour corrompre les députés, afin de faire passer en douce une réforme constitutionnelle à l’assemblée nationale, il était pour le moins maladroit que le président fonce, tête baissée, dans ce chantier de trop.

Mais les préoccupations de Yayi Boni et de ses crânes d’œuf semblent être à mille lieues de ces jérémiades dont le prince n’a cure.

C’est que le pouvoir a des longues-vues ; les objectifs sont braqués sur une date fatidique : 2016, date de la fin du mandat présidentiel.

Après tant de dirigeants africains à courte vue et probablement à force de les côtoyer, Yayi Boni a donc la tentation du pouvoir éternel.

Le drame, pour lui, c’est que le Bénin n’est pas le Burkina Faso, le Togo, le Gabon ou le Congo-Brazzaville.

Ici, on sait que si les salaires sont versés régulièrement, c’est précisément, dans une certaine mesure, grâce à cette prime à la démocratie que les Béninois perçoivent depuis 20 ans ; ici, on a tellement goûté aux délices de la démocratie qu’on estime qu’un retour aux années de plomb, dans le style « PRPB » (Parti de la Révolution Populaire du Bénin, ancien parti de Mathieu Kérékou), serait suicidaire.

Alors, la contestation a commencé à se réorganiser de plus belle.

Comme en 2006, du temps de Mathieu Kérékou, la société civile est aux avant-postes ; les syndicalistes les ont rejoints.

« Le président ne veut voir personne en rouge »

Ce cocktail explosif ferait partir n’importe quel gouvernement, surtout s’il s’avisait de jouer les gros bras, comme Yayi Boni en a été tenté, le 1er août dernier, en essayant d’embastiller des manifestants, au domicile de l’ancien ministre de Mathieu Kérékou, Gaston Zossou.

Dans un climat marqué par la cherté de la vie, des scandales à répétition, au plus haut sommet de l’Etat, et pour tout dire, une navigation à vue, point n’est besoin d’être devin pour savoir que la partie est mal engagée pour le président béninois.

A raison d’une manifestation par semaine (les fameux « mercredis rouges »), les Béninois, même affamés, disent à Yayi Boni – et c’est un acte de courage, vu le contexte : « nous n’en pouvons mais. »

Le drame, c’est qu’en face, il y a une telle panne d’idées et une telle volonté d’en découdre qu’on en vient à poser des actes grand-guignolesques : c’est ainsi que, comble du ridicule, lors de la tentative d’arrestation du 1er août, le commissaire central de Cotonou, faute de mandat d’arrêt, n’a pu justifier son acte que par les mots suivants : « Le président ne veut voir personne en rouge. »

Pathétique, pour un pays avec deux décennies de pratique de la liberté.

C’est que la liberté de porter des couleurs de son choix est, elle aussi remise en cause.

Et les manifestants de clamer : « le rouge est l’une des trois couleurs de notre drapeau » ; « pourquoi le président porte-t-il une cravate rouge et interdit aux autres de porter le rouge ? », ou encore : « Est-ce que nous lui interdisons de porter le bleu ? », etc.

Yayi Boni, on le voit, a fait tomber très bas le niveau du débat politique au Bénin et, au regard de la gravité de la situation, il est bien permis, aujourd’hui, de s’interroger sur sa capacité à finir son mandat.

La question peut faire sourire, mais la poser, c’est aussi en prévenir les conséquences potentielles pour l’avenir de cette jeune démocratie.

L’hypothèse d’une guerre civile est à écarter : le Bénin ne possède en effet aucune ressource naturelle susceptible de l’alimenter ; celle d’une démission du président n’est pas à exclure : on dit de Yayi Boni qu’au-delà de ses apparences d’homme de poigne, c’est une délicatesse de la nature et il pourrait bien ne pas résister à cette tentation ; s’il se retrouve trop acculé, il pourrait jeter l’éponge, comme dans un baroud d’honneur ;

Mais l’hypothèse la plus triviale est celle d’un coup d’état.

A première vue banale, elle est aussi, de loin, la plus redoutable. Nul ne pouvait penser qu’au Mali, Amadou Toumani Touré, le père de la démocratie, ancien officier de l’armée qui plus est, aurait été balayé par un coup d’état, à quelques mois de la fin de son mandat, même si les deux situations sont radicalement différentes.

Mais la vérité est que la mauvaise gouvernance, incarnée ici par une politique de la tension permanente, finit par faire naître des vocations de putschiste.

Les observateurs les plus pessimistes estiment du reste que Yayi l’imprévisible est capable d’organiser sa propre destitution, ne serait-ce que, pris dans la tourmente de l’entêtement, pour éviter le risque de voir le pouvoir échoir à un inconnu qui pourrait alors lever le lièvre sur des actes de gestion des plus répréhensibles…



Kevin Quenum / Afrika 7.com

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