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Visite de Francois Hollande au Bénin Décryptage d’un chercheur français
Publié le vendredi 3 juillet 2015  |  Nord Sud
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© AFP par Alain Jocard
Le Président français François Hollande au Bénin, première étape d’une tournée africaine
Mardi 2 juillet 2015. Cotonou. Le Président français François Hollande et son homologue Thomas Boni Yayi pendant une cérémonie d’accueil tenue au palais présidentiel.




Spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, Richard Banégas professeur à Sciences-Po Paris analyse dans une interview l’enjeu de la visite du chef de l’Etat français au Bénin, d’où il se rendra ensuite au Cameroun et en Angola. Il n’a manqué d’égratigné le mythe du « modèle démocratique » béninois. Lire dans les lignes qui suivent les réponses aux questions à lui adressées par notre confrère Jean-Louis LE TOUZET

Comment qualifier la visite de François Hollande ?
On peut y voir un salut au modèle démocratique soulignant, après les expériences sénégalaise, burkinabé mais aussi burundaise et bientôt congolaise, la nécessité de se plier au respect des règles du jeu constitutionnel. Cette visite pourrait se résumer ainsi : attention au respect des Constitutions et des échéances électorales et ce, en dépit de toutes les dérives autoritaires du pouvoir béninois, dont l’Elysée est tout à fait au courant. Autre chose déterminante : l’appui du Bénin à l’intervention au Sahel. Quand les forces françaises interviennent en 2013 [dans le cadre de l’opération « Serval », ndlr], c’est Boni Yayi [le chef d’Etat béninois] qui préside l’Union africaine. Il y a une sorte de gratitude côte français. Dans le contexte très tourmenté de l’Afrique de l’Ouest, il reste des petits piliers, dont le Bénin, sur lequel la France peut s’appuyer.
La démocratie béninoise est souvent perçue comme un exemple. Est-ce vraiment le cas ?
Derrière l’image de la transition modèle du Bénin, il faut bien comprendre que le processus a été plus complexe et ambivalent. Cette transition présentée comme une concorde nationale vers la démocratie s’est en fait opérée à travers une série de conflits. Des luttes intestines traversent encore aujourd’hui l’expérience démocratique. L’autre caractéristique, c’est que ce modèle de démocratisation s’est aussi opéré de manière très paradoxale par la généralisation de la corruption, par la marchandisation du vote et par tout un ensemble de collusions entre élites. De fait, personne, au bout du compte, ne s’est senti lésé dans cette expérience, chacun « mangeant » à son tour dans ce régime de démocratie électorale. Les citoyens ordinaires se sont aussi approprié le multipartisme par l’instrumentalisation du clientélisme. Le pluralisme s’est construit sur ces modalités paradoxales a priori éloignées de l’idéal démocratique. Ce sont ces paradoxes, ces tensions, qu’il faut avoir à l’esprit au moment où François Hollande se rend au Bénin.
Comment qualifier le régime de Boni Yayi ?
Avec sa réélection, en 2011, au terme d’un scrutin contesté, on bascule dans une tentative de verrouillage du pouvoir. Avec des arrestations politiques, une criminalisation accrue du régime et des tensions autour de l’affaire Patrice Talon [du nom de cet homme d’affaires béninois soupçonné d’avoir voulu empoisonner Boni Yayi] qui a véritablement ébranlé le sommet de l’Etat.
Le Bénin est alors entré dans une phase incertaine qui se manifeste par un bunkérisation du pouvoir et une montée des contestations. La colère populaire et les oppositions politiques se cristallisent autour de l’affaire du troisième mandat et de la révision de la Constitution. Quand, en 2013, Boni Yayi a laissé entendre qu’il envisageait une révision constitutionnelle pour briguer un troisième mandat, une partie de la société s’est levée pour s’y opposer.
Depuis, avec la chute de Blaise Compaoré [au Burkina Faso] qui visait le même objectif et a dû fuir devant la foule en colère, il semble que le président béninois ait fait machine arrière. Dans l’histoire politique béninoise, il faut souligner l’attachement très profond à la Constitution, aux acquis de la Conférence nationale de 1990. Ce modèle démocratique acquis de haute lutte – qui est aussi devenu une rente –, les Béninois y sont très attachés. Au fond, le rejet de l’homme ne signifie pas le rejet de ce modèle, même s’il existe une forme de désenchantement quant aux retombées du pluralisme dans le pays. Comme dans bien d’autres pays, on s’est vite rendu compte que la démocratie ne permettait pas de régler tous les problèmes de la vie quotidienne.
Lionel Zinsou, banquier d’affaires, économiste franco-béninois, vient d’être nommé Premier ministre le 15 juin. Cela vous a-t-il surpris ?
Je le connais mal, mais nous nous sommes croisés à quelques reprises dans un cadre académique. Ma première réaction à sa nomination fut de dire : mais qu’est-ce qu’il va faire dans cette galère, dans cette barque qui prend l’eau de toutes parts, avec une impopularité croissante de l’exécutif, à quelques mois de la fin du mandat présidentiel ? Il a beaucoup de coups à prendre. Surtout dans un contexte institutionnel où le poste de Premier ministre, qui n’est pas inscrit dans la Constitution, est soumis au bon vouloir du président. Seconde réaction, qui rejoint beaucoup de commentaires locaux : c’est aussi un tremplin pour la présidentielle de l’an prochain, un moyen pour Boni Yayi de se choisir un dauphin. On peut dire que c’est un homme de grande qualité et aux nombreuses connexions à l’international.
C’est un as de la finance et un promoteur inlassable de l’Afrique qui réussit. Les jeunes Africains sont avides de ce discours-là, celui de la réussite de l’Afrique, même s’ils ne sont pas dupes des fables de l’émergence. Zinsou a un discours sur l’avenir qui peut séduire. Reste qu’il devra affronter des obstacles de taille car il est vu comme français, malgré sa filiation. Il est déjà attaqué sur son profil d’homme de l’extérieur, de Paris, qui ne connaît pas le pays qu’il vient gouverner. Ceci n’est pas nouveau car Zinsou perpétue ce modèle du technocrate internationalisé et des prétendants à la présidence venus de l’extérieur, comme Soglo et Boni Yayi. En clair, la cooptation des élites par le biais des circuits multilatéraux. Et cette figure-là est récurrente dans l’histoire du Bénin.
Le Bénin vit-il toujours « comme une tique sur le dos de l’éléphant nigérian », selon votre expression ?
L’essentiel des ressources du pays provient de ses relations avec l’extérieur. C’est un pays « entrepôt » qui a une fonction d’intermédiation avec l’hinterland sahélien mais aussi avec le grand voisin nigérian. L’économie est aussi nourrie par les réseaux de commerce informel à la frontière nigériane. Il s’agit du pétrole de contrebande mais aussi du riz. C’est une économie qui vit sur le rapport à l’extérieur. C’est donc un Etat « entrepôt », mais aussi un Etat contrebandier. Ces derniers temps, on a noté la nette importance prise par les trafics de narcotiques dans la sous-région. Fait inquiétant, surtout quand on sait l’articulation étroite du pouvoir avec tous les réseaux commerçants… C’est un motif d’inquiétude dans un contexte de déstabilisation du modèle démocratique.
Réalisation Jean-Louis LE TOUZET
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