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Entretien de Joël Aïvo sur la gouvernance au Bénin :« Il faut tout changer »
Publié le mardi 22 septembre 2015  |  Actu Bénin
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© Autre presse par DR
Le Professeur Joël Aïvo représente le Bénin au congrès américain




Le professeur, agrégé de Droit, Joël Aïvo, était lundi 21 septembre 2015, sur les écrans de la Télévision Canal 3. C’était dans le cadre d’un entretien qu’il a accordé à la presse. Faisant le bilan de la gouvernance au Bénin ces neuf dernières années, l’invité d’Annick Balley et de Joël Akoffodji a relevé des notes de satisfaction et beaucoup de points d’insatisfactions. Lesquelles insatisfactions sont imputables à tous les citoyens. A cet effet, il suggère de tout changer. Il s’engage aussi à mener un combat citoyen en vue de la restauration des valeurs d’amour, de patriotisme, de solidarité, de respect du bien public et autres qui ont déserté le forum. Lire ci-dessous, l’intégralité de l’entretien.


Nous sommes à la fin de la deuxième mandature de Yayi Boni. Quelle appréciation faites-vous de la gouvernance actuelle ?

Le moment est opportun de pouvoir jeter un regard sur la gouvernance de notre pays. Nous sommes à la croisée des chemins. Il y a une mandature qui s’achève, il y a une ère qui s’achève et une nouvelle mandature va s’ouvrir dans quelques semaines. C’est le moment de regarder ce que nous avons fait en 10 ans de gouvernance avec le président de la République qui a été élu par les béninois, que nous avons choisi, avec qui nous avons fait du chemin, qui a mis dans le débat un certain nombre d’idées, de thématiques, qui a proposé à ses compatriotes un projet : le Changement, l’Emergence, la Refondation. Est-ce que nous avons obtenu du président de la République ce qu’il a promis. Je dois avouer, très sincèrement, que le regard que je porte est un regard du citoyen engagé pour son pays, qui a refusé de rester en retrait de la vie politique, mais de regarder et éventuellement de porter mes débats, ma contribution, mes idées dans le champ politique et qu’il y a incontestablement, ce qu’on peut considérer comme les acquis de ces 9 dernières années de la gouvernance du président Yayi Boni. Mais, en même temps, il y a des insatisfactions. Il y a des inquiétudes, des doutes et des points sur lesquels on est resté sans satisfaction.

Parlant d’acquis ?

Parlant d’acquis, j’ai toujours considéré que, même si je n’ai pas contribué à élire le Président, je n’ai pas été dans son camp. Je n’ai pas fait partie de ses soutiens, mais j’ai été plutôt très critique à l’égard du chef de l’État et de son élection. Toutefois, je trouve qu’il y a quelques points très clairs. Sur le plan des infrastructures, je considère qu’à la suite du travail de pionnier de Nicéphore Soglo et de ce que le Général a fait, il y a une continuité. Au-delà de la continuité, je crois que le Président Yayi Boni a vraiment intensifié les grands chantiers du pays. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la ville de Cotonou, et au-delà de Cotonou, c’est de rentrer à l’intérieur du pays. Vous avez des infrastructures. Ce que certains ont appelé les panthères ou les dragons. Il y a une continuité, une intensification des grands chantiers dans le pays qui, incontestablement, sont à mettre à l’actif du président Yayi Boni. En dehors de cela, il y a le domaine de la santé. Dans ce domaine, on ne peut pas parler de réussite totale, mais il y a quelques actions. Par exemple, le Ramu. Avant l’assurance maladie universelle, il n’y avait rien. Je ne dis pas que le Ramu, à l’étape actuelle, est une réussite. C’est une idée. C’est la nécessité que les plus aisés d’entre nous au sein de la République puissent manifester la solidarité agissante au profit de ceux qui ont moins de moyens, les plus démunis, et que leur santé soit une préoccupation pour nous tous. Allez dans les hôpitaux, allez dans les urgences et vous verrez qu’il y a de vraies urgences. Là, le Ramu, pour moi, à l’étape actuelle, reste à parfaire, à consolider. Il y a eu des erreurs sur le plan du montage, de l’encadrement juridique. Il y a aussi des efforts au niveau des infrastructures sanitaires. Sur le plan de l’investissement dans nos hôpitaux, de rapprochement des hôpitaux, de dispensaires pour que beaucoup de nos compatriotes ne décèdent pas en chemin. On peut multiplier. Un autre point que je considère comme étant un acquis, ces 9 dernières années, c’est le Guichet unique. C’est le fait d’avoir doublé le budget de l’État et de le porter à 1600 milliards, presque le double. Même si je suis d’accord que les 1600 milliards sont un budget formel ! Quand vous regardez dans l’espace Uemoa, tous les budgets qu’on a, sont des budgets formels. Il y a le budget adopté dans la loi des finances et le budget exécuté. Mais, au moins, formellement, il y a une envie, une volonté de la part du gouvernement. Et cela, je le mets toujours à l’actif du Chef de l’Etat. Je disais même, étant le porte-parole du Président Houngbédji, qu’il y a une chose qu’on ne peut pas contester. C’est l’envie, le volontarisme qui a incarné ce pouvoir, cette sensibilité à l’égard des plus souffrants, à l’égard de la pauvreté du pays et de vouloir faire quelque chose. Est-ce que la volonté seule a permis d’atteindre les résultats ?

Au-delà de cette volonté, il y a eu beaucoup de scandales financiers

Je suis d’accord ! Je fais partie de cette race de nos compatriotes qui sont restés sur leur faim concernant beaucoup de choses. Et c’est sur cela que j’entretiens des désaccords avec le gouvernement. Je pense que là où notre gouvernance a le plus péché ces 9 dernières années, c’est au niveau de l’État. L’Etat béninois, en 9 ans, est aujourd’hui un Etat rongé par la corruption. C’est un État qui est complètement devenu sans morale, sans valeur. La gestion que l’on a fait des héritages forts de la conférence nationale que sont le mérite, l’excellence, l’égalité, je trouve que sur ces points, il y a une désarticulation de l’État. Ces 5 ou 4 dernières années ont davantage déstructuré l’État béninois. Le président a eu la faiblesse de croire que n’importe qui peut être à n’importe quel endroit. Il a contribué à la banalisation des fonctions de l’État, à la banalisation parfois de l’État lui-même. S’il y a un chantier pour demain, ce serait de remettre l’État à l’endroit et de combattre véritablement ce que j’appelle l’obésité de l’Etat, le cancer administratif. Parce que ces dernières années, on a constaté une multiplication de cellules administratives, d’organes qui ne servent à rien. Les Institutions de la République qui marchent sans donner le sentiment d’atteindre un objectif, de ne plus viser un objectif, de fonctionner à vide, de devenir pratiquement une machine sans âme, une mécanique qui n’a plus d’objectif, qui fonctionne dans le vide, qui ne fonctionne plus pour atteindre des résultats ou de régler les problèmes que génère la société. Voilà les échecs de cette gouvernance. Sans oublier la lutte contre la corruption. C’est un gouvernement qui est complètement englué dans la corruption, sans que le gouvernement n’ait vraiment rien pu faire.

Mais au-delà de l’Etat ce sont les valeurs qui ont manqué aux gouvernants. Quelle analyse faites-vous de cette perte de valeurs qui a ébranlé toute la société au-delà de ceux qui sont au Pouvoir ?

Vous avez raison ! C’est le cœur du système. Si nous en sommes là aujourd’hui, après 25 ans de la conférence nationale, à constater que la machine ne tourne plus dans le bon ordre, c’est parce que notre système est devenu une mécanique sans âme. L’esprit de la Nation, l’esprit de l’État l’a quitté. Les valeurs ont déserté le forum. Quand je parle de valeurs, je ne rends pas seulement responsables ceux que nous avons élus pour montrer le chemin, pour drainer le pays vers un objectif. Je nous désigne tous. Avons-nous tous été à la hauteur des valeurs de citoyenneté, de discipline, de valeur d’amour du pays, de l’intérêt général, du respect du bien public ? Avons-nous été à la hauteur, cette fois-ci ? Je pense que non. C’est un diagnostic qui doit s’étendre au rôle que chacun doit jouer. C’’est la raison pour laquelle je pense que l’un des points sur lesquels j’entends inscrire mon engagement pour le pays est de ressusciter ces valeurs de citoyenneté, d’amour du pays, de patriotisme. Je compte drainer les Béninois à se réapproprier les couleurs de notre drapeau, à se réapproprier les symboles et les valeurs de la République. Cela, je pense que c’est un challenge. C’est un projet qui peut être mis au service du développement de notre pays.

C’est ce qui justifie le drapeau national dans le décor de l’émission certainement ?

Je vis avec le drapeau national. Je travaille avec les couleurs du pays. J’ai inscrit en moi, dans ma pensée, dans tous les actes que je pose les symboles de la République. La fraternité, la justice, le travail, je fais l’effort de vivre avec eux à l’intérieur comme à l’étranger. Je souhaite que nous devons tous faire en sorte que la défense du pays, l’intérêt du pays et la foi en la grandeur de notre pays dans son dessein ne soient pas seulement confiés aux 30 ministres qui siègent au conseil des ministres, aux préfets, aux hauts fonctionnaires, au Chef de l’État. Mais à chacun. Que les 10 millions de Béninois soient tous des ambassadeurs de ce que notre pays est. Mais, j’ai l’impression que nous n’en avons pas suffisamment conscience. Chacun doit se réapproprier les couleurs du pays, le symbole du pays, l’amour du pays. C’est une denrée, c’est un intrant qui doit rentrer désormais dans le débat politique.

Nous avons pourtant délégué nos pouvoirs. Mais, ceux-ci devraient donner l’exemple pour stimuler l’élan de patriotisme. Comment le citoyen peut donner confiance à ceux-là ?

L’engagement dont nous parlons est un engagement collectif. Mais, s’il y en a parmi nous qui doivent être les plus exemplaires, les plus irréprochables dans le discours, dans le comportement, dans les actes, ce sont les gouvernants. Je ne vois pas que l’Exécutif. Je vois tous ceux qui ont, quelque part, une parcelle du mandat que le pays donne à des représentants pour agir en son nom. Je parle de l’Assemblée nationale, des membres des Institutions de la République qui doivent être exemplaires. Hélas ! Il suffit de circuler dans Cotonou pour voir à quel point ceux qui sont censés incarner l’exemplarité envoient de mauvais signaux à leurs compatriotes. Je donne un exemple. Je n’ai jamais vu dans notre pays des officiels circuler et rouler à contresens. Aujourd’hui, vous voyez un Chef service, un ministre, tel membre de telle institution sortir tard de chez lui et roule à contresens pour créer des accidents. Je ne suis pas sûr qu’avec de tels exemples qu’on puisse attendre du citoyen de bons comportements.

Au regard de cet état de lieux mitigé, ne pensez-vous pas que des réformes sont nécessaires ?

Je suis presque sûr que quiconque vit ou a vécu au Bénin, ces derniers années, arrive à cette conclusion très simple. Le modèle que nous avons été a usé 25 ans après et donne des signes de fatigue évidents. Nous avons un modèle qui, de mon point de vue, ne peut plus donner de résultat. Parce qu’il y a une chose fondamentale qui a quitté ce modèle. Ce sont les valeurs. Ce modèle n’a plus d’âme. Cette machine n’a plus d’esprit. Nous avons une démocratie qui fonctionne dans le vide.

Qu’est-ce qu’il faut faire pour nos Institutions ?

C’est un autre débat ! Ce que je dis est immatériel, mais c’est très important. Il faut réintroduire une âme dans le fonctionnement des Institutions. On ne peut pas continuer à organiser des élections pour le plaisir de les organiser.

C’est le principe démocratique. Mais, ce que vous souhaitez, c’est au plan moral ?

Ce n’est pas que moral. Nous avons des Institutions. L’Assemblée nationale, le gouvernement, la Cour constitutionnelle, la Cour suprême, sont des Institutions qui fonctionnent, non plus avec l’obligation d’atteindre une finalité. Nous avons une machine qui fonctionne dans le vide. Ma conviction profonde est qu’il faut tout changer.

Raser la République ou une nouvelle République ?

Pas une nouvelle République ! Quand je dis qu’il faut tout changer, c’est qu’il faut un revirement de fond. Il faut changer de cap, parce que la mécanique, la machine qu’on a, telle qu’elle fonctionne, ne peut plus donner des résultats. Je ne veux pas dire qu’il faut tout casser, mais je suis persuadé qu’il faut tout changer.

Quels paramètres vous mettez dans la balance quand vous parlez de changer de cap ?

Je pense fondamentalement qu’il faut remobiliser les Béninois sur de nouvelles valeurs. Il faut que nos compatriotes aient confiance en l’avenir du pays. Nos compatriotes n’ont plus confiance à la capacité de ses dirigeants à impulser le développement. Nos compatriotes n’ont plus cette confiance. Je suis persuadé qu’il faut remobiliser les Béninois, premièrement sur l’amour du pays. Je le dis à chaque fois, parce que je découvre que le bien public ne représente plus rien pour le haut fonctionnaire de l’État. Que ce soient l’intérêt général, la solidarité, le regard à l’égard de ceux qui souffrent, la résolution des problèmes de santé, d’eau et d’éducation, la résolution de ces problèmes n’est plus une priorité pour nos gouvernants. C’est la raison pour laquelle je dis qu’il faut remobiliser l’élite sur le dessein de notre pays. Ma mission, modestement, c’est de semer dans le cœur de chacun de nos compatriotes, l’espérance, la foi que nous sommes un grand pays, un beau pays, havre de paix, un modèle. Mais, mon souhait est que nous ne soyons pas seulement un model pour la démocratie, mais aussi un modèle de pays propre, bien gouverné, bien géré, un pays digne qui a retrouvé le chemin de la croissance économique, de l’emploi. Nous pouvons y arriver en remobilisant nos compatriotes sur la valeur de notre pays pour mettre en intelligence tous ceux qui sont capables de tirer le pays vers le haut, de drainer le pays et d’insuffler les réformes que nous entreprenons.

Faudra-t-il faire fi des clivages politiques ?

Il est important, à un moment donné, de faire fi des clivages politiques. Cela ne serait pas dénué de sens. J’ai entendu un Monsieur dire à peu près la même chose : il faut tout changer. Il faut radicalement réorienter la politique du pays.

D’aucuns pensent qu’il faut casser la jarre trouée

J’ai entendu cela, mais ce n’est pas dénué de sens. J’ai entendu, mais je dis à peu près la même chose quand je dis qu’il faut tout changer. Il faut radicalement tout changer. Il faut réorienter la politique du pays.

Comment peut-on redonner espoir ou remobiliser un peuple dont l’épargne a été érodée ?

Il faut de nouveaux acteurs pour dialoguer avec notre pays. Il faut laisser monter cette vague que je sens dans le pays, que je vois dans le pays. Cette nouvelle dynamique, ces nouveaux acteurs qui sont dans tous les camps, qui sont tapis dans leur profession et qui, comme ceux qui nous ont gouvernés, aiment le pays. Que ces nouveaux talents, ces nouvelles personnalités, ces nouvelles énergies s’adressent au pays et posent, dans le débat public, leurs idées, leurs projets, leurs perspectives pour le pays. Cela ne veut pas dire, au fond, que ce qui a été fait jusque-là par la génération qui nous a précédés est mauvais. Nous sommes plutôt un pays respecté. Je suis persuadé que nous pouvons l’être davantage si nous faisons les réformes qu’il faut au plan économique. Quand que je parle de réformes au plan économique, j’entrevois une chose simple. C’est de travailler à rétablir une donnée, une donnée fondamentale en économie que nous avons passée ces quatre dernières années à détruire.

Il s’agit de quelle donnée ?

Dans toutes les facultés de sciences économiques, dans tous les laboratoires, on enseigne que toutes les économies prospères construisent leur prospérité autour d’une donnée immatérielle. C’est la confiance. Tant qu’il n’y a pas la confiance entre les investisseurs et l’élite d’un pays, s’il n’y a pas la confiance entre les créateurs d’emplois, les créateurs de richesse dans un pays et les gouvernants et s’il n’y a pas la confiance entre le peuple et ses représentants, rien n’est possible. Nous n’en sommes pas loin au Bénin. Ces dernières années, alors même que je viens d’expliquer que la gouvernance de ces derniers années a contribué à rétablir, parfois les équilibres économiques, a contribué à augmenter les ressources du pays, on note également que, ces dernières années, les actes du gouvernement, les comportements du gouvernement ont fragilisé, ruiné la confiance nécessaire pour impulser le développement économique. La confiance à l’interne est cassée entre le gouvernement et les opérateurs économiques, confiance cassée entre ceux qui créent la richesse et le gouvernement. Il y a une rupture de confiance également entre les investisseurs étrangers et le Bénin. Je ne veux pas entretenir l’amalgame selon laquelle le Bénin n’est plus attractif. Tous les rapports rendus disponibles par les institutions financières internationales ont montré une chose simple. Nous avons été attractifs, nous avons capté un certain nombre d’investissements directs étrangers. Mais, ma conviction est que nous pouvons faire mieux en travaillant au renforcement de cette confiance qui doit devenir désormais le leitmotiv de la politique dans notre pays. Et je suis persuadé que si on rétablit la confiance, nous sommes capables d’aller plus vite et plus loin.

Quelles sont les pistes qu’il faut explorer pour la relance de notre économie ?

Le Chef de l’Etat a fait du Port autonome de Cotonou une priorité et il a raison. Des réformes ont été engagées pour rendre plus compétitif notre Port parce que nous sommes dans un environnement de compétition entre les Etats. Il faut accroître l’énergie du pays sur les performances du Port autonome de Cotonou. Mieux, il y a ce qu’on appelle maintenant les nouveaux pôles de compétitivité que nous n’explorons pas suffisamment. C’est l’économie numérique, l’économie des transports que nous exploitons à peine à 10 %. C’est également l’économie verte. Voilà un pays qui, depuis quelques années, s’est laissé désarticuler par le coton. Nous avons été aspirés. Le coton a capté l’énergie du pays. Nous avons environ 30 ministres au gouvernement qui sont désorganisés par le coton, la campagne cotonnière. La politique du gouvernement a été complètement capturée par le coton. Or, tous les spécialistes, les ingénieurs de notre pays, plaident pour la diversification. Le coton doit rester, sans doute, une priorité. Mais, nous ne pouvons pas continuer à ignorer la mine que constitue l’ananas, le maïs, la noix d’anacarde. Toutes ces filières, nous les avons délaissées au profit du coton qui aspire notre énergie et qui nous dévore.

Le gouvernement a essayé des réformes. Le palmier à huile est un exemple patent. Qu’apportez-vous de plus ?

Je pense que c’est une rationalisation de nos forces. Quand je le dis, cela n’est pas qu’un mot. Au Bénin, on dit généralement que, depuis très longtemps, nous faisons de l’agriculture politique. Or, ce qu’il faut, c’est la politique de l’agriculture. C’est cette politique de l’agriculture qu’il faudra détailler en faisant des choix concrets. Le coton nous désarticule parce que notre taux de croissance économique est indexé sur le coton. Je suis d’accord qu’il faut en faire une priorité, mais il faut explorer tous les autres champs. Il y a des filières qu’on peut explorer. Sur le plan économique, il faut remettre les gens au travail. On ne peut pas continuer à voir une jeunesse qui n’a qu’une seule envie : sortir du pays. Si on n’est pas capable de fixer les compétences du pays ici pour travailler pour le décollage du pays, nous avons beau faire des efforts, nous n’y arriveront pas.

Mais la jeunesse n’a plus de perspective

Les jeunes ont perdu la foi en l’avenir, mais aussi en la capacité de ceux qui nous gouvernent à leur donner une chance. Beaucoup d’entre eux comptent sur leurs ressources, parce que l’excellence a été érodée, parce que le mérite n’est plus célébré. Beaucoup n’ont plus la consécration qu’ils attendent. Il faut leur redonner confiance. Il faut montrer à tous nos compatriotes que ceux qui travaillent, se battent, se lèvent tôt, n’ont personne et n’ont que leur dynamisme, leur motivation et leur mérite, doivent être consacrés. On peut avoir la motivation, l’énergie qu’il faut pour faire un travail, mais certains peuvent estimer que vous avez un mauvais nom, que vous venez d’un village, que vous n’avez pas de connaissances. Ce sont des problèmes qui ont ruiné la confiance des jeunes. J’ai vu beaucoup d’initiatives au profit des jeunes. Je dis souvent que c’est bien la fonction publique, mais les emplois les plus viables sont dans le privé. Ce sont les entreprises. L’urgence pour 2016, c’est de mettre en confiance les opérateurs économiques pour qu’il y ait davantage d’entreprises créées qui soient en mesure de recruter des gens qui, en retour, auront un pouvoir d’achat et pourront investir. Ce qui va relancer l’économie. C’est ce que je peux dire de façon ramassée sur l’adresse qu’on peut faire à l’endroit des jeunes.

Comment peut-on relever le défi de l’Energie, un problème qui se pose depuis plusieurs décennies ?

Lorsque le président de la République a été élu en 2006, il a pris l’engagement de résoudre ce problème dans les six mois qui suivent. Neuf ans après, nous en sommes encore à crier alléluia quand le courant revient dans nos maisons. L’énergie, c’est le domaine où le chef de l’Etat et ses hommes ont échoué. D’ailleurs, le meilleur témoignage de cet échec, c’est le chef de l’Etat lui-même qui le donne. Je ne dirai pas que rien n’a été fait. Mais, la volonté du gouvernement a montré ses limites. Il faudra chercher d’autres solutions, peut-être avec les autres pays de la sous-région qui ont le même problème. L’énergie doit faire partie des priorités de la nouvelle gouvernance. On peut, en cinq ans, à défaut de réduire ce problème, réduire la marge en mutualisant les compétences au niveau de la sous-région. Je sais qu’au niveau de l’Uemoa, il y a une réflexion en cours de sorte de trouver une solution d’ensemble. Par ailleurs, il y a une intensification de l’aide à ce propos, venant du programme du Mca, de la coopération française et la disponibilité des énergies renouvelables dont il faut profiter pour régler le problème en un temps record. Le Sénégal l’a fait sous le président Abdoulaye Wade, dont ce fut l’une des réussites. Le Bénin aussi peut le faire.

Quel doit être la priorité du nouveau gouvernement en matière de santé en 2016 ?

Il faudra faire en sorte que plus aucun Béninois ne meure de maladie dont plus personne ne décède au monde. Plus aucun de nos compatriotes ne doit mourir à moto, ou en voiture, parce que la distance qui sépare sa maison de l’hôpital est trop longue. La priorité, c’est de rapprocher les hôpitaux des agglomérations, et ensuite, d’investir dans les hôpitaux pour améliorer la qualité des plateaux techniques. En fait, nous avons un hôpital de référence qui n’en est pas un. Ceux qui continuent de travailler au Centre national hospitalier universitaire (Cnhu) Hubert Maga sont des braves. Je connais beaucoup de médecins au monde qui n’accepteraient pas travailler dans ces conditions.

Sur les plans culturel, touristique et sportif, le tableau n’est guère plus reluisant. Que faire ?

Le tourisme est une priorité depuis longtemps. Nos gouvernants en parlent, mais je ne suis pas sûr que les grands moyens aient été accordés à ce secteur. Il y a le problème de l’attractivité et de la confiance. Personne n’a envie de venir dans un pays qui n’est pas connu. Nos sites touristiques existent parce que le pays existe. Si le pays n’a pas de visibilité sur le plan international, s’il n’y a pas des ambassadeurs comme Angélique Kidjo, Stéphane Sèssègnon, cela ne marchera pas. Les gens veulent venir visiter le pays de la Conférence nationale, mais il faut quelque chose pour les attirer et les y amener. Par exemple, le site de la Conférence nationale est devenu un dépotoir. Je parle des nouveaux atouts qu’il faut afficher, pas des sites touristiques classiques.

Sur le plan sécuritaire, la lutte contre Boko Haram et le terrorisme reste un défi. Comment s’y prendre ?

Je dois d’abord confesser la qualité du travail qu’effectuent nos forces de sécurité et de défense sur le théâtre des opérations. J’ai eu l’occasion de les côtoyer. Elles sont louées pour la qualité du travail qu’elles font, pour leur exemplarité aussi et pour leur formation. Elles sont louées pour leur compétence et savoir-faire. J’espère que ce savoir-faire ne sera pas étouffé par les politiques, et qu’on laissera la gestion des problèmes sécuritaires aux forces de l’ordre. Nous avons basculé dans un environnement à risques. Les menaces d’aujourd’hui, ce ne sont plus les guerres entre Etats. Ce sont des menaces plus diffuses et mouvantes. Autant le Nigéria est une force pour nous, autant le Nigéria est porteur de quelques gènes d’insécurité. Il faut saluer notre solidarité à l’égard du gouvernement nigérian dans la lutte contre la secte Boko Haram. Mais, il faudra en faire davantage et redoubler de vigilance, surtout dans les lieux publics.

Est-ce que sur le plan de la décentralisation, nos communes sont bien gérées ?

Le diagnostic passe par deux thérapies. Les maires n’ont pas de ressources, et ne peuvent donc pas agir. Et parfois, même quand les ressources existent, les priorités sont mal définies. Regardez par exemple la ville de Porto-Novo. J’ai l’impression que parfois les ressources existent, mais les priorités mal définies. J’ai l’impression que nos gouvernants n’ont plus envie de nous épater, qu’elles n’ont plus d’ambition. Or, leur motivation devrait être de montrer qu’ils veulent résoudre les posent qui se posent. Quand je rentre par exemple dans la ville de Cotonou, parfois, je suis en rage. Ce n’est pas toujours une question de moyens, mais d’envie de transformer les choses. Pour l’instant, la décentralisation et le transfert des compétences posent problèmes.

Par rapport à toutes ces propositions, on est tenté de vous demander si vous ne lorgnez pas le fauteuil présidentiel en 2016 ?

La fonction de chef de l’Etat est une fonction noble. C’est une question à aborder avec beaucoup de considérations et d’égards. C’est une question grave, parce qu’il s’agit d’élire le meilleur d’entre nous. Je remplis toutes les conditions exigées par la Constitution. Mais, est-ce que cela suffit ? Le problème n’est pas tant d’être candidat, mais ce que l’on apporte dans le débat. Je suis porteur d’idées. Je suis porteur d’espoir et d’espérance. Ce sont cette foi et cette espérance en l’avenir que je veux communiquer à nos compatriotes. Nous sommes capables de faire vite, de faire mieux.
Peut-être qu’il vous manque une base politique pour vous lancer. Par exemple ,votre ancien parti politique, le Prd.
Il ne faut pas aborder la question de cette façon. Revenons à la conception qu’il faut avoir de la fonction de chef d’Etat. Le chef de l’Etat, c’est l’élu de Dieu par les hommes. C’est l’homme qui est imposé par les circonstances. Je ne crois pas au destin de l’homme politique qui travaille tous les jours à devenir chef de l’Etat. Il y a certes quelques exceptions. Ce sont des cas exceptionnels. Je crois par contre que c’est Dieu qui choisit et nous validons. Cela ne relève pas du droit, et ce n’est pas du domaine du rationnel. C’est de l’irrationnel, et cela échappe au contrôle humain. Un chef de l’Etat est imposé par les circonstances. Le président de la République, c’est l’homme du moment. Celui qui comprend les aspirations du peuple, les battements du cœur du peuple, ses doutes, et qui est capable d’en devenir l’instrument et capter l’énergie du pays et le tirer vers le haut. Il ne suffit pas de vouloir pour l’être. Est-ce que je suis l’homme de la situation ? Ce serait prétentieux de le dire. Ce n’est pas à moi de le dire. C’est aux Béninois de dire qui est l’homme porteur des idées, et qui est capable d’être le chef de l’Etat.

Et si le Prd vous faisait appel, comment réagirez-vous ?

Le Prd, comme les autres grands partis du pays, recherche son candidat. En ce qui me concerne, je ne me considère pas comme un recours, ou une alternative. Je suis en phase avec le combat du parti, et avec ses idées.

Quel doit donc être le profil de celui qui peut diriger le Bénin en 2016 ?

IL faut qu’il aime le pays. Je n’ai pas de profil type. Il faut qu’il soit convaincu que nous sommes dans un pays formidable. Il doit être le premier ambassadeur des couleurs du pays, de ses valeurs. Il doit être capable de mettre les intelligences ensemble. Les Béninois sauront trancher dans les mois à venir. Aucune catégorie ne doit être exclue. Depuis quelques années, je me suis assigné comme mission de faire émerger les nouveaux talents, de lever une armée de jeunes patriotes qui va contribuer à changer la manière dont le pays a été dirigé depuis 25 ans. Il faut tout changer. Il ne faut plus laisser aux hommes politiques seuls, le choix d’être les acteurs de notre destin commun. Je vous remercie.

Transcription Hospice Alladayè et Wilfrid Noubadan
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