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Si Kérékou m’était conté
Publié le lundi 19 octobre 2015  |  L`événement Précis
Mathieu
© Autre presse par DR
Mathieu Kérékou




Les hommages les plus dithyrambiques fusent de toutes parts. Mathieu Kérékou est couvert de mille fleurs. Père de la démocratie béninoise, homme de paix, patriote convaincu, chantre de l’unité nationale. Les amateurs de superlatifs n’ont pas trouvé de mots suffisamment dorés pour dire leur admiration pour le général parti dans le repos éternel. Des kilomètres de louanges se sont allongés de médias en médias, de radios en télé, de journaux en réseaux sociaux pour dire du général qu’il était une icône. Et une querelle est même née, sur le point de savoir s’il faut l’enterrer à Cotonou ou à Natitingou ou même à Kouarfa (commune de Toucountouna), comme si le vieux caméléon n’avait rien prévu dans ce sens avant son départ.
C’est que l’homme du 26 octobre 1972 a cultivé avec raffinement l’art de l’énigme, au point de symboliser jusqu’à la caricature le caméléon dont il porte si fièrement la canne. Dictateur sanguinaire des années de plomb, c’est aussi l’homme qui a pu reconnaître le vent violent de la démocratie pour accepter l’idée même de la conférence nationale. Cette expérience authentiquement béninoise ne réussit d’ailleurs qu’au Bénin, propulsant le général au firmament des visionnaires du continent. D’avoir quitté le pouvoir en 1991, fut ensuite un couronnement d’humilité pour l’ex-grand camarade de lutte qui se taira cinq années durant, après avoir obtenu une amnistie pour les crimes du passé. Nous en sommes témoins, son retour en 1996 a été en grande partie le fruit de cette humilité et de ce silence qu’il a cultivés. Exactement les exigences politiques du peuple béninois qui oublie et pardonne très vite.
Mais le second quinquennat du vieux aura conduit dans l’impasse. Son régime s’empêtre dans des scandales sans fin, la gestion du pays lui échappe, surtout vers la fin du quinquennat qui aura été un long supplice pour les Béninois. Quand en 2006, aidé par quelques hurluberlus de son entourage, il tente de s’accrocher à son fauteuil, il a fallu le génie du peuple béninois pour l’éconduire et lui éviter une erreur historique. C’est presque par la petite porte que le vieux est parti du pouvoir cette année-là, malgré les maquillages ultérieurs tendant à le présenter comme le principal acolyte de Boni Yayi.
Voilà donc l’homme en qui cohabitent de grandes vertus humaines mais aussi d’effroyables laideurs des années de braise. En ces années-là, l’on vit un Kérékou brutal dont les crimes de sang ou encore les crimes économiques ont fini par plonger le pays dans le gouffre et la détresse.
Je revois encore Laurent Mètongnon, que nous avons reçu à L’Evénement Précis en août 2014. Je le revois encore éclater en sanglots à plusieurs reprises, à l’évocation de ses propres souvenirs de prisonnier torturé dans les geôles de Kérékou sous la révolution. Il en garde des souvenirs indélébiles, notamment, sur sa tête lacérée de part en part. Il eut plus de chances que d’autres qui ont été tués, souvent dans des conditions atroces. On n’oubliera pas non plus la chasse aux sorcières qui a laissé dans certaines familles des souvenirs tragiques.
Mais l’un des défauts les plus graves du vieux, c’est qu’il n’aura du Bénin et des Béninois qu’une compréhension politique. A sa place, Félix Houphouët-Boigny eut en Côte d’Ivoire une vision économique qui différencie aujourd’hui son pays du reste de la zone francophone. Le Bénin de Kérékou, c’était celui des jeux politiques retors, des alliances contre-nature dans lesquelles aucune place n’était laissée à l’éthique.
Il n’aura échappé à personne que ce militaire qui a dirigé le pays pendant 27 années de sa vie, est proprement le produit de son temps. Sans chercher à être visionnaire, il a tout fait pour instaurer la paix dans son pays, en sauvegardant l’honneur républicain qui fait la marque des grands hommes d’Etat.
Dire tout cela, c’est reconnaître à cet homme politique habile une humanité qui transcende toutes les louanges que nous entendons depuis son départ d’entre nous. C’est lui restituer sa texture humaine qu’on lui arrache en le déifiant inutilement par des hommages hypocrites qui ne rendent pas service à sa mémoire ni à l’histoire. Car le danger est là : on ensevelit les victimes pour faire oublier les crimes du passé. Non, nous ne devrons jamais oublier ce passé qui est nôtre, qui fait partie de notre histoire. Nous n’avons pas à en rougir. Car les contradictions d’un homme, aussi illustre soit-il, font partie de la grande geste de l’humanité en construction.

Par Olivier ALLOCHEME
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