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Entretien avec le Professeur Amos Elègbè: « Les qualités de Kérékou sont celles qu’il faut pour diriger le Bénin »
Publié le vendredi 23 octobre 2015  |  L`événement Précis
Amos
© L`événement Précis par DR
Amos Elègbè Conseiller spécial du Chef de l’Etat aux affaires politiques




Rappelé à Dieu le mardi 14 octobre 2015, Feu Général Mathieu Kérékou incarnait le modèle parfait pour toute la nation béninoise. Dans cette interview qu’il nous a accordée, le professeur Amos Elègbè, actuellement conseiller aux Affaires politiques du président de la République, le Docteur Boni Yayi, et ancien ministre, ancien proche collaborateur du Général défunt, et ancien rapporteur du comité préparatoire de la Conférence nationale des forces vives de la Nation de février 1990, revient ici sur les qualités exceptionnelles d’un homme d’Etat qui aura marqué l’histoire contemporaine du Bénin. Occasion pour le professeur de lever l’équivoque sur certains confidences du Général, de faire donner les qualités que peuvent avoir le prochain président de la République et surtout de lever l’équivoque sur les fausses illusions qu’une certaine opinion fait de lui en le taxant de monsieur tout régime : « je n’ai jamais travaillé directement avec le président Soglo et je ne comprends pas pourquoi on me taxe d’être l’homme de tous les régimes », confie –t-il pour rejeter catégoriquement ce surnom qu’il attribue à une médisance des jaloux de sa loyauté au Général Kérékou et au Président Boni Yayi. Témoignages…

L’événement précis: Professeur Elègbè, quels sont les sentiments qui vous animent suite au décès du Général Mathieu Kérékou ?

Amos Elègbè : Le sentiment qui m’anime est un sentiment de tristesse et de douleur parce que le Général Mathieu Kérékou a été tout pour moi. Nous avons cheminé ensemble depuis 1974 lorsqu’il m’a sollicité la première fois pour être le Directeur général d’une société d’Etat, l’Office National du Tourisme et de l’Hôtellerie (l’ONATHO), avant même la création du PRPB. Ce qui a permis d’élargir les bases des établissements hôteliers. Sous ma direction, l’ONATHO, l’hôtel Shératon, les Tata Sombas sont construits ainsi que le Centre de Promotion de l’Artisanat et du Tourisme (CPA). Il m’a rappelé à ses côtés en 1983 pour exercer dans le projet urbain franco-béninois, le SERHAU, en ma qualité d’urbaniste et d’aménagiste du territoire. Je suis fondateur de l’AGETUR qui vient de fêter ses 25 ans. En 1985, il m’appelle à ses côtés à la présidence de la République en qualité de Conseiller à l’Equipement. Tout cela, pour montrer comment le Général me faisant confiance et me fascinait. Le Général et moi avions fait beaucoup de chemins et je l’appelle affectueusement mon deuxième papa. Il était d’ailleurs heureux parce que mon papa est décédé et il dit devant tout le monde qu’il le remplaçait. Je crois que ce sont des moments que je ne peux pas oublier.

Partager avec nous quelques anecdotes que vous gardez du Général Mathieu Kérékou ?
Mathieu Kérékou est un homme d’humour. Il est à la fois rigoureux et plaisant. Mathieu Kérékou n’aime pas la faute. Une petite faute le met en colère. Il vous teste et voit comment vous allez résister face à sa colère. Si vous êtes serein et pondéré, le Général finit toujours par l’humour, en disant que « tu es con», ce qui signifie qu’il t’a déjà racheté. Le Général a fait quelque chose lors des élections de 2001 que j’ai gardé. Ils étaient 17 candidats, le Général a fait deux équipes de 8 comme sur un terrain de football et avoue qu’il était l’arbitre. Il a alors sifflé le match et à la fin, il a noté les seize joueurs sur le terrain. Il a constaté qu’aucun n’avait la moyenne. Puisqu’aucun n’avait la moyenne, aucun ne pouvait le battre. C’est sur cette base qu’il a fait sa campagne et on étouffait de rire. Au moment d’aborder les questions sur son projet de société, les gens lui disaient « si vous avez pu arbitrer, vous pouvez continuer votre route ». C’est souvent comme ça qu’il a fait campagne. Il dit au peuple qu’ « ils disent que je suis un président marginalisé mais j’arrive et je vois que vous êtes toujours marginalisés. Si vous lui donnez encore un mandat, vous allez changer de condition de vie ». C’est comme ça qu’il présente son projet de société et c’était amusant. Même s’il donne le sentiment d’être très fâché, il est là pour avoir la ferme conscience qu’il est le père de la nation.

Quelles sont les fonctions que vous avez occupées auprès du Général Mathieu Kérékou ?
C’est peut-être la question fondamentale. J’ai fini mes études supérieures en 1973 et suis rentré. J’ai fait mon DEA (Diplôme d’Etudes Approfondies) en Géographie : Option Urbanisme et Aménagement du Territoire et je faisais mes recherches pour soutenir ma thèse de doctorat quand le Président Kérékou, m’appelle à ses côtés pour servir à la Direction générale du Plan rattachée à la présidence de la République, en qualité d’expert en aménagement du territoire. Une coïncidence, peut-on dire. Car cette démarche du chef de l’Etat répondait à une demande de la Banque Mondiale alors que je me préparais à entrer dans la fonction publique. A cette époque-là, il n’y avait pas de Ministère chargé du plan. Voilà comment le destin m’a amené très tôt à travailler avec lui. Le 26 septembre 1974, à la surprise générale, j’ai été nommé Directeur général de l’Office nationale du tourisme, une société d’Etat dénommée Office nationale de l’hôtellerie et du tourisme. Il me renouvela sa confiance pendant huit (08) ans. Ce qui m’a permis d’initier et réaliser l’hôtel Sheraton, devenu Hôtel Marina. En 1982, à mon départ de l’ONATHO, cumulativement avec mes fonctions, il me nomme chef de Service d’étude régional d’habitat et d’aménagement urbain, aujourd’hui, SERHAU-SA, service mère de l’AGETUR, chargé des travaux d’aménagement et d’assainissements urbains. Cette aventure a duré encore sept (07) ans, jusqu’en 1989. Entre temps, il me rapprocha de lui, de la présidence de la république, en qualité de conseiller technique à l’équipement du président de la République. Une autre surprise, le président Kérékou m’éleva au rang de membre du Gouvernement le 4 août 1989, en qualité de ministre du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, au moment même où les indicateurs économiques et financiers de notre pays étaient au rouge et où l’Etat n’arrivait plus à payer ses fonctionnaires. C’est la première fois qu’il appelait à ces hautes fonctions des cadres non membres du parti Etat, le PRPB qu’il dirigeait depuis 15 ans. La plupart de ces cadres civils étaient des professeurs d’Université, notamment, les professeurs Robert Dossou, Alidou Salifou, et moi-même. Ces professeurs faisaient partie d’un groupe de réflexion qui avait proposé quelques mois avant, au président Kérékou de réaliser une ouverture politique en renonçant à son parti, le PRPB qui ne pouvait plus diriger l’Etat. Ce groupe avait insisté qu’une amnistie soit accordée à tous les exilés et détenus politiques et d’amorcer un processus de réconciliation nationale. C’est ainsi qu’a germé l’idée de la conférence nationale dont l’initiateur principal est et demeure le président Mathieu Kérékou. C’est une sorte d’Etats généraux de la révolution française de 1789. Plus surprenant encore, le président Kérékou m’appela encore à ses côtés, après la Conférence nationale, avec deux autres (02) chargés de mission, pour l’accompagner, durant la transition de 1990 à 1991. Le 4 avril 1991, j’ai été élu député à l’Assemblée nationale pour quatre ans (04) et j’y suis resté jusqu’à la fin de législature. J’ai eu également le bonheur de présider à l’Assemblée nationale le groupe parlementaire Démocratie et Solidarité où siégeaient les députés des partis PSD du président Bruno Amoussou et PRD du président Houngbédji, actuel président de l’Assemblée nationale. En 1996, le président Kérékou revint au pouvoir, démocratiquement élu et me chargea, une nouvelle fois de poste de conseiller technique à l’Environnement, à l’Habitat et à l’Urbanisme, de 1997 à 2001, du portefeuille de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme de 2001 à 2003. Cumulativement avec les fonctions de conseiller technique du chef de l’Etat, le président Kérékou me confiait le poste de directeur adjoint de cabinet à plusieurs reprises, voire de directeur de cabinet par intérim.

C’est certainement pourquoi on vous surnomme monsieur tous régimes ?
Je ne sais pas pourquoi « on dit que je suis l’homme de tous les régimes ». En effet, tel que je viens de le rappeler, l’essentiel de ma carrière politique s’est passé sous les régimes du président Kérékou. Ce qui me particularise, c’est qu’il m’a nommé DG de société en 1974, alors que le PRPB n’était même pas créé. Je saurai plus tard que le chef de l’Etat me faisait confiance pour mes compétences techniques comme c’était le cas des aînés Gédéon Dassoundo, Akindès Adékpédjou, Fakorodé Azaria, etc, tous membres de la gauche démocratique qui avait rejeté la proclamation de l’idéologie marxiste-léniniste en novembre 1974. En 1991, cette gauche démocratique à laquelle j’appartenais avait décidé de soutenir la candidature du président Soglo pour permettre la mise en œuvre conséquente des résolutions de la conférence nationale. Je m’en suis ouvert au président Kérékou et faisais partie de ceux qui lui ont recommandé, mieux, de ne pas participer à la compétition de 1991 afin qu’il n’entrave pas le renouveau démocratique et que le peuple croit en lui. J’ai des preuves écrites de cette démarche qui me donna raison plus tard. En dehors de ce soutien politique de l’époque, je n’ai jamais travaillé directement avec le président Soglo et je ne comprends pas pourquoi on me taxe d’être l’homme de tous les régimes. C’est étonnant lorsqu’on sait que mon groupe parlementaire était dans l’opposition contre le régime du président Soglo. En effet, nos relations avec lui n’ont pas été au beau fixe surtout autour de la question de l’installation des institutions de contre-pouvoir. C’est ainsi que nous avons mis fin à l’accord politique qui nous lait à la gauche démocratique présidée par le président Amoussou Bruno. Au total, j’ai passé toute ma carrière politique avec le président Kérékou jusqu’à l’arrivée de l’actuel président de la République, Docteur Boni Yayi. Ce surnom n’est en définitive qu’une médisance, car je n’ai jamais participé à la gestion du président Soglo.

Lors de la Conférence nationale, vous étiez rapporteur du comité préparatoire. Pouvez-vous nous dire si le président Kérékou voulait vraiment de cette conférence ?

Il n’avait pas le choix. Le président Kérékou, pour le comprendre, il faut remonter à 1972. A cette époque, les jeunes cadres et la vieille classe politique étaient sollicités par le chef de l’Etat pour proposer la marche à suivre et donner un contenu à la Révolution du 26 octobre 1972. A la surprise générale, le Général a préféré le discours-programme des jeunes qui était en adéquation avec sa vision. En effet, les douze premières années de notre indépendance ont été infructueuses et marquées par une douzaine de coups d’Etat et pour Kérékou, les responsables de cette instabilité politique et sociale chronique sont justement cette vieille classe politique divisée en trois groupes tribalistes et antagoniques. Aujourd’hui, si on doit réellement parler des œuvres du général Mathieu Kérékou, il faut situer la première période entre 1972 et 1989. Car, il n’avait pour obsession que la construction de l’unité nationale et de la stabilité politique et sociale pendant ces quinze premières années de son long règne. En un mot, on peut le considérer comme le vrai bâtisseur de notre nation, un homme de paix et un patriote convaincu. C’est la période de dignité retrouvée et de réconciliation du peuple béninois avec lui-même. Au cours de la deuxième période, de 1990 à 1996, il a marqué le peuple béninois en tirant les leçons de l’échec du régime marxiste-léniniste et a courageusement pris la décision d’organiser la Conférence nationale de février 1990 pour permettre à toutes les sensibilités politiques d’exercer le pouvoir d’Etat. Il ne pouvait pas en être autrement car l’économie nationale battait de l’aile avec la déconfiture du système bancaire et la cessation des paiements au niveau du trésor public et l’incapacité de l’Etat de payer les salaires des fonctionnaires. Notons aussi que le syndicalistes observaient des grèves perlées depuis un an et que l’école était fermée. Nous qui étions membres de ce dernier gouvernement de Kérékou, avions aussi honte de ne pas honorer nos fonctions régaliennes et certains parmi nous ont fortement soutenu les nouvelles orientations que le Général souhaitait imprimer au système politique national. Ce sont ceux-là qu’il a désignés pour conduire le comité préparatoire de la conférence nationale dont moi-même. Dans ces conditions, le Général n’avait d’autres choix que d’accepter les résolutions qui en sont issues, véritables états généraux du peuple béninois. En le faisant, il est rentré dans l’histoire tant au niveau national qu’international. L’Afrique amorce ainsi la nouvelle ère démocratique dont beaucoup de nations s’inspireront. La troisième période correspond à son retour au pouvoir de 1996 à 2006. Curieusement, le président Kérékou s’illustrera comme un grand démocrate respectueux de la Constitution, des libertés publiques, de la presse et des droits humains. Aujourd’hui, le Bénin pleure son vrai fondateur et il mérite l’hommage du peuple du Bénin et de l’Afrique qui perd en lui un homme exceptionnel et un visionnaire. Il a donné une leçon d’humilité, de sobriété et de respect des aspirations du peuple aux chefs d’Etat africains qui s’acharnent à modifier la Constitution pour changer les règles du jeu et s’éterniser au pouvoir. Ceux-là oublient que l’alternance au pouvoir est gage de paix et de stabilité politique et sociale.

Pensez-vous que le Général Mathieu Kérékou est un modèle que doivent suivre les chefs d’Etat africains ?
Comme on peut s’en rendre compte, le président Kérékou est en avance sur son temps. Il est vraiment un modèle par son courage, par son obsession à redonner au Bénin et à l’Afrique leur dignité en luttant contre vents et marées pour conquérir leur vraie souveraineté en stigmatisant l’esclavage, le colonialisme et l’impérialisme qu’il a désigné comme facteurs d’avilissement et de rétrogradation de l’homme. Il fallait être courageux pour instaurer un régime révolutionnaire et marxiste-léniniste dans un petit pays comme le Bénin, enserré entre le Nigéria et le Ghana, deux nations anglophones, hostiles à une telle démarche en pleine guerre froide. Son régime n’a de choix que de se tourner vers l’URSS de l’époque et la Chine, ce qui était un affront pour l’Occident, origine de l’agression armée du 17 janvier 1977. Prenant le devant des opérations, Kérékou a repoussé les mercenaires et installé son pouvoir en renforçant l’emprise de l’Etat sur tous les secteurs de la vie économique et sociale. Kérékou sera confronté vers les années 1990, à une crise financière sans pareil, ce qui l’obligea à signer un accord avec le FMI et adopter un programme d’ajustement structurel. En 1989, comme mentionné supra, Kérékou opère un changement de cap. Kérékou, comme N’Krumah, Lumumba et plus tard Sankara, ne voulait qu’une seule chose, créer un front contre le colonisateur pour une libération politique, économique et socioculturelle de l’Afrique. A l’Union africaine, à l’OUA, la voix de Kérékou résonnait car il est convaincu que « la caractéristique fondamentale de l’arriération de l’Afrique est la domination étrangère ». Kérékou est un exemple d’humilité et reste à l’écoute de son peuple. En favorisant et en appliquant les décisions de la conférence nationale, il a été reçu en juin 1990 à la Baule comme un héros. Il a été célébré par le président Mitterrand qui présidait le sommet France-Afrique et cité comme un modèle à suivre. Cette position inattendue du président Mitterrand en faveur de la Conférence nationale du Bénin a ouvert la voie à la démocratisation de l’Afrique. Nous avons donc le devoir de préserver l’héritage de ce patriote, de ce stratège et surtout d’un homme de paix. Cela est d’autant plus vrai que le peuple béninois ira le rechercher en 1996, après s’être retiré du pouvoir cinq années plus tôt, pour présider encore pendant une décennie, à son destin. Il a montré la voie de l’alternance politique et de la stabilité en Afrique. Il inspirera certainement les nouvelles générations de dirigeants africains.

Selon vous, en quoi le futur président béninois, c’est-à-dire, celui qui sera élu en 2016, pourrait s’inspirer du président Kérékou pour relever le Bénin ?
J’ai évoqué plus haut que les qualités du président Kérékou sont celles qu’il faut avoir pour diriger la nation béninoise. Les premières qualités d’un homme d’Etat, c’est le courage. Il faut être courageux parce « qu’on gère un peuple et non des moutons », comme l’affirme le président Kérékou, lui-même. Les Béninois ont des aspirations et des sensibilités différentes qu’un dirigeant doit bien diagnostiquer et y trouver des sources d’inspirations pour son action. Il doit être patient et avoir les qualités de rassembleur, un homme d’Etat doit aussi et surtout être humble, doublé de saines ambitions pour son pays. Il doit être un travailleur et rigoureux dans ses comportements. Il doit également être très très patient, être un stratège et un visionnaire. Car « gouverner, c’est prévoir », dit-on. Un chef d’Etat doit aussi savoir anticiper sur les événements s’il veut réussir sa mission. Enfin, il doit avoir une vision et des projets de développement consignés dans un projet de société décliné en objectifs, en projets et en actions. C’est une boussole qui permet à son peuple de le suivre et surtout de comprendre les pas qu’il pose. C’est le reproche que j’ai fait à l’opposition au président Boni Yayi qui, au lieu d’apprécier son projet de société, préfère s’attaquer à l’individu et non à sa vision et à ses actions. Les peuples de vieille démocratie nous en donnent l’exemple et c’est pourquoi le choix de leurs dirigeants ne se fait pas au hasard.

Professeur Elègbè, Que diriez-vous pour conclure cet entretien ?
Je vous remercie de l’occasion que vous me donnez. En conclusion, je dirai que le Bénin et l’Afrique ont perdu un grand homme d’Etat, une grande figure historique et politique du continent. Le Président Mathieu Kérékou est une icône pour les Béninois et en disparaissant, il est devenu encore plus un mythe, une énigme.

Propos recueillis par Gérard AGOGNON
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